Par Laurent Lataste, journaliste à France 3 Aquitaine
Les sondages se suivent et se ressemblent. Alain Juppé est, aujourd’hui, super-favori pour l’élection présidentielle de 2017. Nicolas Sarkozy a beau sortir un livre, apparaître dans les médias régulièrement depuis quelques jours, rien n’y fait. Dans le dernier sondage Ipsos-Sopra Steria, publié mardi 09 février, concernant la primaire à droite, l’ancien président de la République ne recueillerait que 32% des voix contre 44 % pour le maire de Bordeaux. Bruno Lemaire (11%) et François Fillon (9%) sont largement distancés.
Il y a 20 ans, alors qu’il occupait Matignon depuis quelques mois seulement, la rue le conspuait. Aujourd’hui, une majorité ne semble ne croire qu’en lui. Selon cette même enquête, si l’élection présidentielle avait lieu dimanche, Alain Juppé distancerait, au premier tour, tous ses concurrents avec 31% des voix, devant Marine Le Pen (25%) et François Hollande (18%). Cerise sur le gâteau, Alain Juppé est aussi depuis des mois en tête des classements des personnalités politiques préférées des Français.
L’ancien premier ministre, qui a acquis ses galons d’homme d’Etat, séduit, apparaissant comme un sage loin des gesticulations désordonnées de certains. L’électorat adhère à ses propositions et sa promesse de n’effectuer qu’un mandat et d’engager les réformes nécessaires, sans miser sur une réélection, est un avantage. Tout paraît plié. Mais, les élections passées ont prouvé que tout pouvait basculer. Un grain de sable a vite fait d’enrayer la machine.
Le principal danger d’Alain Juppé, c’est lui-même. C’est vrai, Alain Juppé est moins « droit dans ses bottes », l’âge l’a adouci. Son exil québécois ne l’a, certes pas changé, mais il s’est assoupli. Se retrouver seul au volant de sa voiture en sillonnant les routes canadiennes pour aller enseigner ou suivre les devoirs de sa fille Clara, sont autant d’enseignements de la vie quotidienne qui remettent les pieds sur terre.
Seulement, la politique a repris le dessus et il n’est plus à l’abri d’un coup de gueule qui pourrait nuire au candidat, à qui il est demandé de se maîtriser. En période de crise les Français préfèrent être rassurés. Son âge, 71 ans en août prochain, semble être un atout plutôt qu’une faiblesse. L’atout de l’expérience, alors que d’autres pensent que le septuagénaire n’a plus l’énergie pour faire face aux aléas du pouvoir. François Mitterrand avait 72 ans, lors de sa réélection pour sept ans en 1988.
Mais, ces mêmes Français ne toléreront pas les faiblesses physiques. Le candidat doit être robuste, et le moindre pépin de santé peut enterrer toute convoitise élyséenne. Désormais, la campagne présidentielle est un véritable marathon, une élection à 4 tours avec la primaire, et 6 si on y ajoute les législatives. Des mois intenses en déplacements, en meetings. Déjà, depuis plusieurs mois, Alain Juppé sillonne l’hexagone à la rencontre des Français, et ne se ménage pas. Comme on l’a vu, en août 2015, avec Laurent Fabius à Prague, où fatigué le ministre des Affaires étrangères fit un malaise suite à maints déplacements, le moindre petit coup de fatigue est relaté dans les medias. Si cela arrivait au candidat Juppé, les Français pourraient s’interroger et se détourner. Dans l’immédiat, plus que son déplacement en Algérie, c’est sa soirée de beer-pong avec des étudiants dans un pub parisien qui a fait mouche dans les médias et sur les réseaux sociaux.
VIDEO : Quand Alain Juppé joue au « beer-pong » dans un bar avec des jeunes #replay https://t.co/CmLNX3TP8N pic.twitter.com/BiLzpEtqQW
— Sud Ouest (@sudouest) 1 Février 2016
A cela, il faut ajouter le contexte international, l’instabilité financière, l’Europe en sursis, un François Hollande qui reste un fin tacticien politique. Autant d’éléments, qui peuvent perturber voire même retourner une campagne présidentielle. Mais, cette élection qui demeure la rencontre d’un homme (ou d’une femme) avec les Français se joue sur la personnalité du candidat. Dans ce contexte, Alain Juppé est, aujourd’hui, le mieux placé pour remporter le Graal élyséen, mais il pourrait bien être son meilleur ennemi s’il se laisse déborder dans cette course de fond. Lui, qui a accompagné Jacques Chirac dans sa remontée victorieuse contre Edouard Balladur, a en tout cas, aujourd’hui, tous les atouts en main pour réussir son pari.
Mais, l’élection est dans 15 mois et 15 mois en politique, c’est une éternité.