12 Déc

Les maux dedans #17

lever-drmaison

Voila pourquoi j’ai écrit !

Deux semaines se sont passées. Je savoure quotidiennement cette fin de psychanalyse. J’avoue que parfois, allongé dans mon lit, je me dis qu’il a peut-être réussi dans sa mission, qu’il m’a appris à dire « non ».

J’ai honte de penser cela, quand je me remémore cette mascarade, ses cris, ses humeurs, ses demandes, ses humiliations, ses sommes d’argent demandées.

Puis un jour, au cabinet ma secrétaire me passe un appel.

« Bonjour Antoine, c’est le docteur Mie. J’aimerais que vous repreniez vos séances, pouvons-nous nous voir jeudi ?

-Je crois que vous n’avez pas compris, j’arrête.

-Vous faites une erreur, c’est dangereux pour vous, je vous en conjure.

-J’arrête! » (et je raccroche)

Huit jours plus tard, sur mon portable je vois le numéro de son cabinet qui m’appelle, je ne décroche pas. Il va réitérer ses tentatives peut être 15 fois ! Je ne décroche jamais.

Un matin, un numéro inconnu me réveille.

« C’est le docteur Mie, j’ai besoin de vous voir, c’est urgent.

-Vous êtes malade ?

-Non je ne veux pas que l’on arrête notre relation sur un mal entendu.

-Où ?

-Chez moi, jeudi 6 heures. »

Ce jour-là, j’ai eu le doute, je ne savais quoi penser. Y avait-il de l’humain chez le gourou ? Est-ce encore une manoeuvre machiavélique?

Quel intérêt pour lui de continuer ? Sa clientèle est énorme, il a un emploi du temps monstrueux, alors pourquoi ?

Je n’y suis pas allé ce jeudi matin. J’ai même tout fait pour ne plus penser à lui. J’ai fait comme dans un couple qui se déchire et qui, un jour, décide d’enlever de leur cortex la personne. Comme dirait un adolescente, « je l’ai zappé » !

Pendant 18 mois, le nom de docteur Mie est sorti de ma vie. Mais, comme le méchant génie des bandes dessinées, un jour…

Un jour est venue à mon cabinet Pascale, la jeune femme qui suivait une psychanalyse sans le savoir avec le même thérapeute que moi.

« Antoine, tu connais un psy qui s’appelle docteur Mie ?

-euh oui, de réputation…

-Arrête, ne me mens pas, tu as fait une psychanalyse avec lui !

-Quoi ? (le mauvais génie sortait de sa lampe par les mains frêles de Pascale )

-Arrête, je le sais .

-Bon d’accord, mais comment le sais-tu et quel est le problème ?

-Il n’y a pas de problème mais il n’y a pas que moi qui le sais. Nous sommes nombreux, très nombreux.

Je suis à ce moment-là tremblant, blême, abasourdi.

-Explique moi !

-Je suis allé à une séance signature du livre du docteur Mie, j’ai acheté son livre.

-Quoi ?

Il vient de faire un livre et il est vendu chez Mollat.

-Et alors ?

-Alors, page 45 (Pascale sort de son sac le livre et l’ouvre à cette fameuse page qu’elle a soigneusement agrafée d’un trombone.)

-Je te lis ?

-Vite !

-« C’est donc François 45 ans qui vient me voir un jour, lui médecin, deux enfants ancien joueur de rugby, président d’un club huppé de première division pour soit disant apprendre à dire Non¨…. »

-Alors, ce n’est pas toi ce François ? A part le prénom tu en connais beaucoup des médecins de 45 ans avec une telle description ?

J’ai ouvert la porte de mon bureau, j’ai simplement dit à Pascale : je préfère que tu partes. Je me suis assis, j’ai pleuré longtemps, longtemps.

Un seul mot tournait dans ma tête: VIOL, VIOL,VIOL.

Cela fait plus de dix ans, ma vie aujourd’hui est belle, mon métier est le plus merveilleux du monde mais comme l’enfant abusé n’oublie jamais j’ai essayé, j’ai consulté un vrai psy, il m’ a aidé mais pour guérir complètement, j’avais besoin d’écrire, j’avais besoin de dire, j’avais besoin de …..revivre.

N.B.  toute similitude avec une personne existante ne saurait être une coïncidence.

 

 

11 Déc

Les maux dedans #16

cri_drmaison

Cette fois-ci après quatre ans, j’arrive enfin à avoir du recul et à sortir de mon aveuglement total. Sûrement que j’étais en souffrance pour chercher bêtement le nom d’un psychanalyste dans un annuaire téléphonique, sûrement que j’étais têtu pour résister à des affronts répétés, sûrement que je croyais avoir à faire à un thérapeute compétent, sûrement que mon esprit compétiteur et gagneur m’ont poussé au delà de tout pour gagner cette partie de bras de fer contre lui.

Je rentre dans ce bureau, ce matin là, il fait très froid dehors mais je suis bouillant de détermination. Je suis le petit trois-quart aile qui doit plaquer ce deuxième ligne devant la ligne d’essai. Si je ne le fais pas mon équipe perd et si je n’arrête pas mes séances, c’est moi qui suis perdu.

-« Venezzzzz »

D’un ton fort depuis la salle d’attente j’hurle à mon tour : « J’arrive !!!!!! »

-Vous êtes malade de crier comme cela, vous…vous croyez où ?

-Chez un tortionnaire monsieur !

-Reprenons

-NON, je ne reprendrai pas, j’arrête mes séances.

-D’abord allongez-vous et reprenons où nous en étions, à votre soit disant copain qui venait de mourir sur un terrain.

-NON, je ne m’allongerai pas, je crois que vous ne comprenez pas: j’arrête !

-Ne soyez pas un enfant (d’une voix calme forcée)

-Je suis un homme libre, j’ai décidé d’arrêter sans explication mais déterminé.

-Vous ne pouvez pas faire ça! Notre travail a été magnifique, je vous ai associé dans mes groupes.

-NON, j’arrête!

J’essaye d’ouvrir la porte, il m’en empêche avec son pied.

-Antoine (il ne m’a jamais appelé Antoine!) vous devez continuer c’est vital pour vous.

-Non, laissez-moi partir.

-Alors, d’accord mais allongez vous pour me l’annoncer.

Je m’allonge sur ce divan pourri où l’odeur du tapis le recouvrant me donne cette force puissante qui me rappelle mes années de tortures.

-Docteur Mie, j’ai décidé d’arrêter mon travail avec vous et c’est définitif.

(je suis fier, bravo Toinou, c’est merveilleux tu as dit NON à ce gourou.

-On en restera là, à jeudi, cela fait 48 euros et en liquide !

Je me lève, je prends mon manteau, je laisse mes 48 euros sur la table, je ne le regarde pas, je lui dit simplement:

– A jamais, Docteur Mie.

A peine avais-je le dos tourné qu’il se mit à crier :

« A jeudi, à jeudi votre inconscient vous poussera vers vers moi. »

Je ne me retournai pas dans ce couloir de la liberté, je fonçai vers la porte d’entrée n’écoutant pas ses cris hystériques

« Votre inconscient vous ramènera vers moi. A jeudi, à jeudi ! »

Ma voiture était garée juste en bas de chez lui. Il ouvre la fenêtre et hurle : « A jeudi! »

Je le regarde depuis le trottoir, lui, sa tête frisée dépassant de cette fenêtre ovale.

Mettant mes mains en forme de haut parleur je crie comme jamais je ne l’ai fait dans ma vie:

« NON, NON, NON! »

 

05 Déc

Les maux dedans #15

chaines-drmaison

Je suis revenu lundi avec 48 euros dans la poche, je me suis allongé et j’ai continué ma journée noire à La Rochelle.
C’est moi qui ai fait le bouche à bouche à Eric. Je me rappelle encore le goût sucré de ses lèvres, ce sentiment bizarre d’embrasser mon meilleur ami, mon frère, mon clone.
Je me rappelle encore qu’au bout de 22 minutes l’électrocardiogramme posé par le Samu a montré un redémarrage du coeur et je me rappelle encore que mes deux bras tendus en signe de victoire à ce moment précis ont entrainé un tonnerre d’applaudissements de tout le stade. C’était la première fois que je faisais lever des spectateurs aussi longtemps!
Mes larmes de l’avant veille recommençaient à emprunter les sillons de mes joues mais lui, le prédateur dormant, semblait m’écouter, me comprendre, me soutenir.
Ce redémarrage cardiaque ne dura pas et moi je baissai mes bras, regardai ma montre et, en me retournant vers le Samu, je balbutiai: on arrête tout, c’est trop long 26 minutes.
J’arrêtai mon monologue et un silence de cathédrale envahit ce vieux bureau enfumé par un cigare lacanien. Pendant 5mn, et c’est long 5mn, on aurait dit que l’âme d’ Eric nous avait envahis.
Il me dit un au revoir timide et accepta mes 48 euros que moi, le morpion, j’avais réuni en pièce de 2 euros ! Je pensai alors très fort que je venais de lui mettre un uppercut et que la victoire au poing se dessinait.

Cette soit disant victoire allait entrainer des suites désagréables. Le mercredi, la réunion pluri-disciplinaire avait comme thème la mort du proche. Je n’avais rien préparé et, quelle ne fut ma surprise, quand notre Gérard Miller bordelais après une brève introduction me donna la parole pour parler d’une expérience professionnelle. Il me faisait comprendre par des sous entendus que je devais non pas discuter d’un cas clinique mais du récit « enlarmé » que j’avais exposé sur son divan deux jours plus tôt.

En fait je payais un psychanalyste très cher pour rien mais je devais obtenir des réponses d’ un cercle de paumés psychologues. Soyons honnête, j’étais ravi de pouvoir parler de mes sentiments sans pour autant que l’on sache qu’il s’agitait des miens (toujours aussi compliqué ce pauvre Antoine naviguant entre le manque de confiance en moi et un égo démesuré !)
L’explication des intervenants était intéressante  et constructive. Chacun y allait de sa petite phrase et moi je maitrisais le sujet parfaitement : j’étais moi même le sujet ! Puis vint l’explication de la psychologue lacanienne. Elle devait soit avoir fumé une marie jeanne directement arrivée de Colombie ou alors elle était vraiment barjo :

– « Le problème ici est bien clair: nous avons un petit a sur un grand A, nous avons un transfert relationnel du corps vers l’âme et réciproquement, qui de la matière ou de l’esprit va s’entremêler dans ce noeud boromerien ? En fait l’amour dépasse le vivant ! »

Evidemment je ne pouvais répondre et je me demandais si j’étais inculte, nul en psychologie ou bien un gros con ?

Le tour de table se terminait toujours par la conclusion du gourou, chef de la secte. J’avais hâte d’entendre sa version, de savoir ce qu’il avait pensé de ce drame. Et bien ma déception fut à la hauteur de ma peine: immense.

– « Nous avons là un cas très simple de tristesse d’un être vers un autre géré par une immaturité affective et qui ferait bien d’aller voir les orphelinats bulgares pour comprendre les théories psychanalytiques de l’école de la cause freudienne. »

Si j’avais pu ou eu le courage j’aurais dû raconter à ce moment là toutes les perversions de cet homme envers moi, pauvre paumé.
Le lendemain je devais avoir une séance chez lui. Trop ébranlé par la soirée de la veille, je prenais mon téléphone et je me trouvais une excuse bidon du style ma mère est hospitalisée. J’imaginais qu’il n’était pas dupe et je croyais naïvement qu’il savait très bien pourquoi j’annulais. Sa réponse fut simple et cinglante:

– « à lundi »

En fait je me présentai lundi matin matin et là je trouvai la porte clause: on était le premier jour des vacances scolaires et monsieur ne travaillait pas. Encore une fois je me torturai en me demandant si son attitude était celle d’un étourdi, d’un méchant ou bien c’est moi qui n’avait pas compris que le « à lundi » était celui de la semaine prochaine.
Je profitai pleinement de cette période vide de Mie pour faire un point essentiel sur mon travail psychanalytique, sur mes tourments, en fait sur ma vie tout simplement.
J’ai atteint un âge raisonnable, j’ai réussi les différentes étapes de ma vie professionnelle, je nage en eaux troubles concernant ma vie de famille, mes relations avec les autres, mais surtout je suis dans un labyrinthe confusionnel sur ma propre existence, sur mon MOI.
J’essayai de faire une synthèse rapide depuis le début de mes séances. Passé le stade de l’excitation, j’étais tombé tout d’abord dans le questionnement puis le doute, la colère, la haine. Puis retour à la passion, à l’admiration, le dévouement, la tristesse, la joie, le rire, les pleurs. En fait mes relations avec Mie me permettaient de vivre en raccourci ce que des hommes ou des femmes mettent une vie entière pour parfois ne pas y arriver.
Avais-je besoin de lui pour vivre cela ? Ne l’aurais-je pas vécu un jour simplement seul ? Dans mon fort intérieur, j’avais honte d’être si naïf, si stupide, si bête parfois pour réagir comme un faible alors que dans ma vie extérieure j’essayais de démontrer le contraire.

04 Déc

Les maux dedans #14

tristesse

Alors d’accord, je vais oublier tous ces états d’âme de médecin analysé et me concentrer sur mon travail d’analyse avec le plus  » grand Lacanien du monde », le mec qui apprend à dire non, le mec qui te change une personnalité, qui te rend heureux : enfin Dieu quoi !
Motivé plus que jamais ce matin-là, je m’étais levé tôt, très tôt. Je monte presque en courant l’escalier. Je n’ai pas le temps de m’asseoir qu’il vient me chercher. Souriant et d’un geste très commercial, d’une main tendue, il m’indique son bureau (comme si je ne le connaissais pas !) et là je crois qu’il me tend la main et  je lui tend donc la mienne. D’un geste brutal, il la relève et me jette un regard revolver et me hurle: « pas de contact, pas de lien physique ! »

Je suis abasourdi, je baisse ma main restée suspendue et inclinant la tête je pars vers le divan de torture.
Pourquoi a t-il réagi comme ça ? Pourquoi a t-il eu la même attitude qu’une prostituée qui repousse la main fébrile de l’adolescent qui voulait lui carresser les cheveux et qui avait dit « ne me touche pas c’est interdit ! »
Oh, oui la réponse pourrait être facile et dire que le docteur Mie est une pute et que je me fais baiser mais ça serait trop facile et surtout ça serait faux. Enfin je voudrais tant que ça soit faux!
Je suis allongé, j’ai froid, je suis contrarié et je n’ai rien à dire. Monsieur s’impatiente :

– « Alors, alors, ALORSSSSS ?

– « Je n’ai rien à dire !

– Continuez !

– Continuez à ne rien dire, continuez à ne rien foutre, continuez et restez dans votre état, ça fait 45 euros et en liquide svp ! »

Conclusion : mon cher Antoine, c’est une pute, tu te fais baiser et tu ne reviendras plus !

Pendant 15 jours je n’allais plus le revoir car c’étaient les vacances scolaires et Monsieur allait faire de l’humanitaire en Bulgarie dans un orphelinat. Moi j’étais bien décidé à ne plus revenir chez ce fou, cet imposteur, ce diable, ce méchant.
Tous les jours, je me suis motivé, j’ai même écrit sur une feuille les mots que j’allais lui dire

 » J ‘ai décidé d’arrêter mes séances chez vous car je pense qu’elles ne m’apportent rien et que vous abusez de ma gentillesse. »

Killer Antoine, sois un killer ! Mie t’es mort!

Deux jours plus tard, c’est à dire 7 jours avant son retour de Bulgarie, mon téléphone portable sonne :

« Docteur, c’est Philippe Mie, je suis rentré plus tôt que prévu, venez me voir demain pour une séance. »

Alors sans ciller, le tueur répond sans une seconde de doute:

« Bien sur d’accord …..mais à quelle heure ? »

Quel courage, quelle force de caractère… tu n’es pas guéri mon pauvre Antoine!

Allez, je vais y arriver! J’arrive en bas de la maison, je sonne, j’ai le coeur qui bat comme si j’allais annoncer à mon amoureuse que je la quitte. Certes… juré, ce n’est pas pour une autre, c’est parce que nous ne pouvons continuer un morceau de vie ensemble. Mes phrases sont prêtes dans mon cortex, elles sont dans un fichier bien calées dans mon PC cérébral, prêtes à être copiées-collées sur mes lèvres et à être ressorties devant ce gourou.
Son costume est noir comme son regard, comme son appartement, comme son bureau, comme ce masque noir au dessus de ce fameux divan noir recouvert de tapis.

 » Voilà monsieur, j’ai décidé de faire un break à nos séances.

– Continuez!

(comme dans la rupture avec l’amoureuse, je n’ose pas lui dire que tout est fini entre nous je veux juste faire une pause pour … réflèchir)

– Oui j’ ai besoin de prendre du recul et cela ne m’apporte plus, les séances sont trop rapprochées, j’ai trop de travail et je n’ai pas le temps de faire une bonne analyse ! »

– A jeudi ! »

Bon, on se pose, fais le point Antoine! Tu veux t’arrêter, tu doutes de la sincérité de ton thérapeute, il te prend pour un con, se sert de ta faiblesse, de ton argent, tu dois le quitter, tu n’oses pas le dire, tu imagines pour te rassurer que c’est une technique pour t’apprendre à dire non. Tu es flatté car il t’intègre dans son groupe multi disciplinaire et là il te répond : à jeudi !

Je suis paumé! Quand on a une amoureuse, le moment triste de l’annonce de la rupture est souvent minoré par le souvenir des bons moments. Là, je n’ai rien, j’ai des soucis en plus, beaucoup d’argent en moins et surtout je ne sais toujours pas dire non !

Jeudi, le réveil sonne à 5 h30. Je me demande encore si je vais partir chez lui ou si je vais téléphoner pour annuler.

Je suis en bas de chez lui, j’en ai marre.
Au lieu de me torturer, je prends le parti de faire comme si de rien n’était et je vais essayer d’en tirer du positif.
Alors je commence par lui reparler du sujet qui est le traumatisme de ma vie: le décès de mon copain Éric. C’est un sujet dont je peux parler des heures tellement j’ai d’ interrogations, d’ émotions, de tristesse , de culpabilité. En prenant le parti de raconter ça je savais que je n’allais pas réfléchir, tout était inscrit et ma parole était automatique.

Je lui parlai du déroulement de cette journée depuis la minute où je sortis de mon lit et mis mon costume du club, la cravate jaune et noire. J’ avais laissé un mot pour ma famille afin de me déculpabiliser de les abandonner une fois de plus un dimanche pour partir vers cette cité imprenable que représentait de La Rochelle. Pour une fois, j’en étais sûr, elle allait être conquise par la bande d’Éric le fer de lance de mon club. Cela me fit du bien de lui exprimer ce cataclysme émotionnel.

15h53 – une touche sur les 40 mètres Eric n’y va pas, il titube et s’écroule. Je n’ ai jamais pensé une seconde qu’il était sonné, k.o comme tout 3eme ligne de rugby peut l’ être parfois. Eric est mort, voilà ce que j’ai pensé  tout de suite. C’est d’ailleurs par ce flash cérébral que j’ai tout bousculé, enjambé la barrière et couru sans autorisation vers lui devant 5000 spectateurs médusés.

Eric était mort.

En racontant ça mes yeux se noyaient dans des larmes qui, par pudeur, dégoulinaient sans bruit le long des sillons de mes joues.

« Et alors ? » me cria le Docteur Mie. Quel rapport avec la cause essentielle de votre mal-être, c’est à dire l’absence du mot Non dans votre moi ? »

Pas ça! Il pouvait tout me faire, mais pas ça. Ne pas respecter le drame de ma vie, ne pas comprendre que ce moment-là allait changer mon chemin, mes relations avec les autres, mon amour.
Je me lève brutalement, les yeux encore humides mais rouges de colère. Je lui laisse l’argent sur son bureau et j’essaye d’ouvrir la porte. Il me regarde méchamment et me dit : « il en manque, il en manque ».

Je ne comprends rien,

« Il manque quoi ?

-Il manque trois Euros car j’ai augmenté le tarif; ça fait 48.

Je fouille dans ma poche, trouve 20 euros et je les pose sur le bureau attendant la monnaie.

-Vous n’aurez pas le reste car c’est votre inconscient qui me paye et votre inconscient vous dit: « il mérite cette somme. »

– Mais rendez-moi ma monnaie !

– Non, votre inconscient vous rattrapera, alors à lundi ! »

Sois je lui mets mon poing dans la gueule, soit je claque la porte et je ne le revois plus, soit…

27 Nov

Les maux dedans #13

cerveau_drmaison

C’était bizarre, on sentait très bien que certains sujets l’intéressaient et d’autres pas du tout. C’est un charmeur et un séducteur, il me parlait toujours d’une jeune femme que je lui avais adressée : Pascale.
(Pascale , belle femme de 39 ans avait eu de graves problèmes familiaux dans son enfance et après avoir cru trouver un équilibre avec Patrice, son mari revivait une situation difficile aussi bien professionnelle que conjugale)

Je connais Pascale depuis des années et je suis ami avec son mari. J’étais même à leur mariage, aussi j’aimais discuter avec elle de son travail analytique alors qu’elle ne savait pas que moi j’en faisais un avec le même psy. Son approche n’était pas du tout identique à la mienne, le transfert freudien avait commencé dès leur première rencontre, et elle me racontait qu’elle était persuadée qu’il était tombé amoureux d’elle. J’essayai de lui démontrer que c’était une période habituelle d’une analyse que l’on nomme « transfert ». Je lui expliquai qu’elle déplaçait ses angoisses, ses névroses en un amour impossible et que la qualité du psy sera de bien savoir gérer ce déplacement sans jamais bien sur passer à l’acte.

Je n’aurais pas dû et je le reconnais bien tardivement, enlever toutes les illusions à cette patiente. Elle aurait du et surtout elle aurait pu s’en rendre compte elle même. Si je m’attarde sur elle c’est parce qu’elle joue un rôle primordial pour l’issue dramatique qui se tramait doucement.
Les séances continuaient et même s’essoufflaient comme moi d’ailleurs en montant l’escalier en colimaçon. Parfois, je voyais un autre patient dans la salle d’attente. C’était bizarre, on ne croisait jamais nos regards, on regardait souvent nos pieds. On avait les mêmes attitudes, les mains qui se serraient nerveusement et les gestes répetitifs comme le « tournoiement » des pages d’une revue, d’un livre. Mes minutes de par mon travail sont comptées.  On aurait dit que cela lui faisait plaisir que, chaque fois que je me retrouvais avec un autre dans la salle d’ attende, (quelque soit celui qui était arrivé le premier) il venait toujours chercher l’autre me laissant ruminer seul. Il prenait un malin plaisir à faire durer l’entrevue et (ne croyez pas que je vire à la paranoia) il jouissait à me le dire :  » Vous êtes un patient et un patient doit être patient. Vous n’êtes pas le grand docteur qui se permet tout, vous êtes ici pour travailler et soulager vos maux ».

Ce matin-là, il me hurla plus fort que d’habitude: « Venezzzzzzzzz! »

Je m’allonge rapidement, j’ai mal au dos sur ce canapé pourri et la la phrase rituelle « je vous écoute » est remplacée par un monologue:

– « Monsieur, je n’ai plus de nouvelle de votre patiente Pascale, vous la voyez toujours ?

– Oui pour son fils quand il est malade.

– Pouvez-vous lui dire de revenir travailler, elle en a besoin, c’est trop grave. »

Je me demandai si je j’étais fou, si j’avais bu ou si j’avais à faire à un imposteur ? Je me levais à 5H 30 pour me faire psychanalyser, je devais payer 45 euros pour m’entendre dire que je devais télèphoner à une de ces patientes! Peut être Pascale avait-elle raison ?  Le transfert amoureux était-il réciproque?

Le comble fut atteint quand il se leva, se pencha sur moi et me tendit son téléphone: « Appelez la maintenant ! » Et il fit le numéro!

– Mais il est 6 heures du matin

– Parlez , me hurla t-il.

Pascale décrocha d’une voix très endormie, me dit un « allo » rempli d’inquiétude

– Allo, Pascale c’est moi

– Qu’est-ce qui a?

– Le docteur Mie voudrait que tu le recontactes

– T’es fou, tu me réveilles pour me dire de rappeller mon psy ?

– Oui, c’est lui qui veut.

– Tu m’emmerdes, je dors, je te rappelle !

Lui, il souriait, heureux que je l’ai appelée ou heureux de m’avoir prouvé une fois de plus que je ne savais pas dire « non ».

Je venais de raccrocher et d’un aplomb que j’admire encore aujourd’hui il resta debout et me balança: « 45 euros et en liquide » !

– Mais je n’ai rien dit ?

– Vous m’en avez dit plus que vous ne le pensez !

Que voulait t-il dire ? Je doutais, avait-il fait exprès ? Est-il amoureux de Pascale ? Est-il fou ?

Les séances continuaient et je me demandais si je perdais mon temps, mon argent ou si j’étais entrain de changer de personnalité et que j’allais savoir dire ce mot qui m’arrache les lèvres: NON
Je ne comprenais pas comment j’arrivais à ne pas tout lui dire, non sur sa technique, mais sur moi. Je n’arrivais pas à lui dire les tourmants de ma vie privée, très mouvementée à cette époque. Je n’arrivais pas à lui dire que j’étais fatigué de ma vie stressante et pas épanouissante. Je n’arrivais pas à lui dire que la mort m’obsédait, que j’étais comme attiré par cette inconnue qui pourrait peut être me donner enfin la sérénité.

Pascale avait repris ses séances avec le docteur Mie. Elle prenait un malin plaisir à me raconter Ses phrases libidineuses du genre: « je serai toujours là pour vous ! »

Elle y allait à sa guise, elle choisissait son horaire et elle ne lui donnait que 27 euros et remboursée par la Cpam !
Comme elle ne savait pas que je partageais le même thérapeute, je ne pouvais bien sur pas lui montrer la colère qui bouillonnait en moi.
Je me demandais si ses façons d’agir diamétralement opposées entre Pascale et moi étaient celles d’un surdoué de la psychanalyse ou bien d’un pervers amoureux d’une de ces patientes ou alors j’étais un pauvre jaloux qui pensait être le centre d’intérêt d’un thérapeute.

20 Nov

Les maux dedans #12

cerveau_drmaison

Après cette séance rien ne fut comme avant. Dirigée si on peut dire par lui, il reprenait les derniers termes et me mettait sur la voie qu’il avait tracée.

– Alors votre femme vous a cru « morte » ?

– Je vous ai dit que c’était juste une faute de français et non un délire inconscient.

– Je ne vous dis rien, c’est vous ou plutôt votre inconscient (en trois séances il venait de me parler plus qu’en deux ans)

– Je continue à penser que, certes l’hystérie peut revêtir plein de manifestations mais je ne pense pas qu’elle puisse entrainer un arrêt cardiaque nécessitant un défibrillateur.

(c’est là que j’en aurai eu besoin) il se mit à hurler:

 » Vous ne comprenez rien de rien, vous vous foutez de moi, partez, partez et revenez lundi avec un discours intelligent. Et cela fait 45 euros, en liquide svp. »

J’avais vraiment envie d’arrêter cette mascarade, son agressivité, sa versatilité. Mais pour qui il se prend ce Lacan bordelais?  J’en ai marre, je le déteste. Heureusement on abordait une période de vacances et donc Monsieur partait faire de l’humanitaire bulgare.
Je profitais de ce repos cérébral pour faire le point, j’en profitais pour lire des livres plus simples, à mon goût (Ma vie de Young) et reprendre goût à la psychanalyse en évitant de penser à celui qui est le vecteur de cette analyse. Je me forçais à oublier le docteur et à ne penser qu’aux progrès que j’avais cru faire.
Je repense souvent à cette séance sur le malaise et l’adjectif féminin que j’avais attribué au mot « mort ». Je me suis souvent aperçu, depuis que cette erreur de grammaire revient souvent dans la bouche de mes patients. Combien de fois un homme conjugue au féminin un mot masculin sans pour autant que l’on s’y attarde?
Ce qui m’interrogeait c’était ce changement d’attitude, ces notes qu’il écrivait dans mon dos depuis peu de temps, alors que pendant deux ans il m’avait bercé d’un ronronnement de prédateur qui ne sentait rien dire de bon.

L’épisode de ce mot « morte » a été le coup de poignard qui aurait pu m’achever mais qui a été surtout le commencement d’une souffrance énorme qui dure et qui s’estompe enfin grâce à l’écriture d’aujourd’hui.
Les séances se sont succédées avec toujours le même fil conducteur. Parfois j’avais des choses à dire de façon ponctuelle, précise, sur des événements familiaux, sur des problèmes professionnels. Alors le stylo s’arrêtait, le bâillement reprenait et l’impatience se traduisait par un « allez, continuez, voyons ».

– « Mais j’ai envie de vous parler de ce problème familial que je traverse, je n’ai pas envie de revenir sur un lapsus sans conséquence

– Sans conséquence ?

Et là je lui expliquai enfin que je venais chez lui pour dire ce que je voulais et non pas pour dire ce que lui voulait !

C’était une victoire, je venais de dire enfin ce que je pensais. Mais cette victoire relative était à mon sens celle de la psychanalyse, je venais de m’affirmer ! Et voilà, en une seule seconde, je passe d’un doute énorme sur ma démarche, puis je tombe en extase tout ça parce que j’ose dire à un tyran de psy que j’ ai envie de dire ce que je veux !!!

Il parut contrarié par ma surprenante rébellion, et son ton de parole, fut monocorde comme si il voulait me faire comprendre : « Mon petit coco tu veux marquer des points mais n’oublie pas que c’est moi qui tiens les commandes ».

Je continuais mes réunions du mercredi pluri disciplinaire. J’avais amené avec moi un ami kiné, un pur, un enfant des Landes, il ne lui manquait que les échasses et le béret. La première fois qu’il est venu, il a cru que c’était l’émission tv surprise-surprise de Bellivo ! Il faut dire que c’était la belle psychologue lacanienne qui nous présentait un cas clinique et cela donnait quelque chose comme :

« Ce qui compte en ce rapport analysé-analysant, c’est le petit a sur le grand A, c’est ce nœud bromérien qui enveloppe l’autre autour de la souffrance qu’autrui ressent par la force de son phallus »

Mon landais de copain (jeannot) prit la parole avec son naturel habituel :
« Je ne pipe rien à ce que madame nous raconte, elle nous parle de math, de sexe ou de psychanalyse ? Cela serait plus simple si on disait : « Cette patiente souffre à cause de son père et basta !»

A ce moment-là, je ne savais plus où me mettre, je regardais le docteur Mie du coin de l’œil, la psy rangeait ses notes et mon Jeannot arborait un sourire de satisfaction égal à celui qu’il avait quand il marquait un essai à Pontenx les forges !

Deux minutes de silence suivirent cette tirade landaise avant que le chef ne prenne la parole :

« Voilà exactement pourquoi ces réunions sont indispensables. Nous pouvons non pas opposer le savoir à la logique mais nous pouvons les réunir par la parole. »

La présence de mon ami à chaque réunion apportait une décontraction et avait surtout le grand avantage de détendre notre gourou. Il me commentait à toutes les séances du vendredi les réactions de Jeannot.
Je ne serais pas honnête si je ne vous disais pas que mon orgueil était ébranlé par cette admiration de mon psy sur mon ami. Moi qui m’étais lancé à fond dans le lacanisme, moi qui lisais de l’hébreu lacanien, et qui subissais les folies d’un ayatollah, je payais des séances pendant lesquelles durant 5 minutes on me parlait de la simplicité et de la pureté du langage d’un fils de résinier.
Mais avec cette diversion j’oubliais un peu les hauts et les bas de mon analyse et surtout la versatilité du meneur des séances.

Un matin très motivé, c’est moi qui revenais sur mon travail analytique pur.

-« Cela fait bientôt trois ans que je viens et j’aimerais faire le point.

– Faites, faites!

– J’aimerais que nous le fassions à deux.

Pas de réponse, temps mort pendant deux minutes et c’est long deux minutes. Je me crois obligé de parler, et là, il m’assène :

– Nous en resterons là, cela fait 45 et en liquide svp. »

Une fois de plus frustration, colère intérieure, et pas un mot de plus, je ne pouvais rien lui dire. Par contre devant la porte avec mes billets dans la main, il aimait me parler de la dernière réunion, de tel ou telle patiente que j’avais eu le tort et je dis bien le tort de lui envoyer.
J’écris cela aujourd’hui parce qu’il y a eu le drame mais à l’époque je pensais bien faire et surtout je ne comprenais pas comment des gens intelligents ne pouvaient pas faire une analyse.

13 Nov

Les maux dedans #11

folie_drmaison

Alors que je sortais le compte exact bien sur de ma poche, il se mit à me parler comme on dirait à la télé « en off »;

– voilà, mon fils fête son anniversaire demain et j’aimerai lui donner un vrai maillot des Girondins et son rêve serait d’avoir celui de Jean-Pierre Papin !

Là, c’était mon petit chat qui me remonte sur mes genoux avec le ronron demandeur des croquettes. Et comme je donne toujours des croquettes à mon chat et bien j’ai donné le maillot de JPP à mon psy !

J’essayais de trouver une explication psychanalytique, du style, il veut me pousser à dire non, il veut voir l’étendue de ma faiblesse ou…de ma générosité.
Et là, ce jour-là je ne voyais aucun approche thérapeutique dans le maillot de Jpp ! Mais un psy sûrement compétent mais manipulateur.
Comment je lisais les différentes techniques de psychanalyse, j’en concluais qu’on devait toujours passer par des phases de répulsion, après celles de transfert.

Je faisais la gueule, tout au moins je me disais que je faisais la gueule car devant lui je ne montrai rien, je me suis juste permis de lui demander de changer le jeudi car je préférais le mercredi et là, surprise, il a accepté.
Ce n’est peut être rien un jour, mais pour moi, compétiteur dans l’âme, c’est une victoire sur mon dominateur. Certes, je pense aujourd’hui que ce changement devait l’arranger car il partait à Paris tout les jeudi en tant que président de l’école de la cause Freudienne, mais j’avais quand même dans mon fort intérieur marqué un point.

Quand il revenait le vendredi, après avoir hurlé son « Venezzzz » il m’accueillait avec une voix de plus en plus radiophonique et je ne comprenais pas ces différences de timbre entre un début et une fin d’un couloir.
Pour moi cela devenait machinal, presque robotisé, je dis « bonjour », j’enlève ma veste, je m’allonge, je regarde devant moi ce masque africain tout frisé comme lui, je regarde ce tableau jaunâtre, et j’attends le top départ: « alors on en était où ? »

J’aime bien son « on », cela veut dire que ce n’est pas mon analyse mais « notre » analyse. Au début je préparais mes séances et je savais par quoi j’allais commencer, maintenant, je ne pense à rien avant et je dis une première phrase et hop, je déroule mon inconscient sur le tapis du docteur Mie.

– voilà j’ai lu Freud ce dimanche et je me suis arrêté sur l’hystérie et les conversions hystériques décrites par Freud.
(je ne le voyais pas mais j’ai senti que je venais de dire une phrase clé, car le sortant de son endormissement habituel, j’entendais son esprit se réveiller, son gros, gros mont-blanc se mettre en route et le petit carnet qui se remplissait de cette phrase que je venais dire sur l’hystérie. Est-ce que cela voulait dire que je venais de trouver mon diagnostic ? Est-ce que cela voulait dire que je l’intéressais,enfin ?
Je ne peux donner la réponse mais ce que je peux dire c’est que cette séance aura été capitale si ce n’est pour lui, en tout cas pour moi et surtout pour l’écriture de ces lignes).

– « oui,continuez

– j’ai repensé à mes malaises, mes pertes complètes de connaissance, je me suis trouvé, ici, une explication, la culpabilité, la mort d’Eric, la présence de Sylvie, sa femme. Aujourd’hui après cette lecture de Freud je pense que ces malaises sont une forme de conversion hystérique si bien décrite dans…….

– continuez, continuez, bon sang !

(pour une fois il était excité, il n’arrêtait pas d’écrire tout ce que je lui disais, tout au moins je l’imaginai car je ne le voyais pas).

– alors après cette lecture de Freud je pense que le mot « hystérie » correspond à ces malaises. Il est vrai que je me pose la question, vu le coté organique de la symptomatologie, vu la bradycardie et vu la perte de connaissance totale. Le dernier malaise que j’ai eu et qui était plus important que d’habitude a inquiété tout mon entourage, même ma femme m’ a cru morte.
(Chers amis lecteurs ce n’est pas une faute de frappe, j’ai bien écrit et j’avais bien dit « morte »).

– Vous venez de dire morte
– oui ,pardon je me suis trompé !
– nous en resterons là cela fait 45 et en liquide, s’il vous plaît »

Cette séance là est le tournant de mon travail, de mon aliénation, de mon cauchemar car c’est à partir de là que tout a commencé…

05 Nov

Les maux dedans #10

chat_drmaison

C’est vrai que tous les jours je me demande si je suis bête, « bilongoté » comme on dit en Afrique ou bien si je suis en train de vivre quelque chose que tous les analysés par un lacanien vivent.
Ne pouvant pas trop parler devant ce parterre de gens de cinéma, et comme je suis un peu têtu, je rappelle Vincent dès le lendemain.
Quand je dis cela, ça prouve la place énorme, oui énorme, que ce petit frisé a pris dans mon cortex. Le prétexte de ma venue chez Vincent était bien sûr différent que des questionnements sur un analyste même ami intime de Gérard Miller ou de la famille de Lacan !

J’abordai très vite le sujet avec ce copain qui n’a pas l’habitude de mâcher ces mots.
 » Ce mec est fou Antoine, c’est lui qui devrait consulter, et surtout c’est un dormeur. »

– Un dormeur ? »

– Oui, un jour où j’étais allongé, je me suis rendu compte qu’il dormait ! Je me suis levé et j’ai crié à son oreille :  » Tu dors Mie ! Tu crois que je vais te donner 40 euros pour te voir cluquer ? »

– Il a dû te parler de l’attention flottante freudienne ?

– Freud ou pas Freud, je me suis cassé et je ne l’ai jamais revu ! »

J’ai très vite arrêté cet entretien. Je me sentais mal à l’aise, j’étais si motivé par ma démarche, si fier aussi de m’y tenir trois fois par semaine que les doutes que je ressentais parfois prenaient une importance gênante.
Je me suis dit pour me rassurer que Vincent n’était pas moi et que sa personnalité et son coté brut de décoffrage ne pouvaient pas aller avec un Lacanien. Cela voulait dire aussi que j’étais surement et suffisamment compliqué pour que l’analyse me soit bénéfique.

Alors, c’est avec un enthousiasme de débutant que je repartis pour de nouvelles séances chez le dormeur « flottant ».

Tous les lundis matin, à six heures, ma petite voiture était téléguidée jusqu’au 202 de la rue Saint-Rémi.L’escalier toujours aussi abrupt entraînait un essoufflement et quelques minutes dans la salle d’attente me permettaient  de retrouver une élocution normale sur le divan. Mais ce jour là, il m’attendait devant la porte et me conduisit immédiatement, sans passer par la case d’attente, sur son divan. On aurait dit qu’il était pressé, il me parla sèchement :

 » On en était où ?

– Je ne m’en souviens pas

– Et voilà, c’est là le problème, vous ne vous rappelez pas! J’ai des inquiétudes sur vous Monsieur, vous ne travaillez pas assez, vous ne devez vivre que pour ça et pour votre inconscient.

– Je ne comprends pas.

– Et en plus, vous ne comprenez pas ! »

Alors il se mit à me raconter son séjour dans son orphelinat bulgare, ces enfants attachés dans un lit de fer, ces infirmières qui dormaient à coté d’eux toute la nuit. Je ne comprenais pas le rapport entre ses inquiétudes sur mon mauvais travail et cette œuvre humanitaire dans un pays de l’Est !
Une fois de plus, je nageais dans le doute. J’arrivais avec les idées de Vincent dans ma tête puis il m’engueulait et il touchait ma sensibilité ce qui remettait son compteur crédibilité à son maximum.

Une fois de plus, je pensais que tout était organisé, tout était voulu, tout était cadré comme dans les formules physiques de Monsieur Lacan.

C’était un de ces vendredis où mon repas était remplaçé par une nourriture intello-psycho- laca ..mienne plus une dose d’embouteillage, tout ça sans café pour 45 euros en liquide s’il vous plait. Pas de café certes, mais la tasse de thé dont la fumée se mélangeait à celle d’un cigare tordu (genevois)!
La séance avait bien commencé. Je parlais avec aisance de mon travail, de ma famille, de mes amis. Il était plus loquace que d’ habitude, il avait de l’humour, ses jeux de mots fusaient  et moi j’étais bien.

J’étais bien comme …quand on a son chat qui, si sauvage d’ordinaire, vient un soir, on ne sait pourquoi, se mettre sur vos genoux. On se dit que ça y est, la bête est dompté et puis vous voulez la caresser et là, hop, il s’en va à toute vitesse se mettre sous la vieille table du salon.
Avec le docteur Mie, c’était pareil qu’avec mon chat ! Ce jour-là donc, il n’était certes pas sur mes genoux mais il était zen et un petit état de satisfaction m’habitait.

Tu vois, Antoine, ce mec a du cœur! Il est brillant, il se donne à fond pour son travail et il est fort comme analyste. Mon choix du hasard était le bon.
Mais comme le petit chat qui part sous la table du salon, le génie redevenait un animal sauvage : il arrêta net son attitude empathique et  me lança un : »allons, continuez, continuez !! »

– Mais je ne sais pas quoi dire.

– Ce qui vient, dites ce qui vous vient.

– Mais, j’ai rien à vous dire.

–  Ce n’est pas à moi que vous devez dire, c’est à votre inconscient !

– Vous me parlez de mon inconscient, je ne connais même pas mon conscient !

– Nous en resterons là, cela fait 45 et en liquide s’il vous plait. »

25 Oct

Les maux dedans #9

cigars_drmaison

Les séances se succédaient à un rythme infernal, souvent très courtes, parfois sans rien, parfois pour parler de lui, de la dédicace que lui avait écrite ce psychiatre de télé Gérard Miller, un de ces amis intimes!  (et dire qu’il déteste Ruffo le vulgaire) .
Une anecdote fumante! Un jour, au détour de la séance,  je lui demandai de m’excuser car je ne pouvais pas  venir vendredi. Je devais aller à Genève pour un congrès de phlébologie. Il se mit une fois de plus dans une colère énorme, hurlant que je n’avais pas le droit, que de toute façon je devais payer cette séance et celle où j’étais absent et que c’était la dernière fois qu’il acceptait cela. J ‘avais déjà entendu qu’en psychanalyse le patient doit payer les séances qu’il annule au dernier moment, mais là j’étais surpris. Mais, avec lui ….

La véritable surprise arrive le lendemain. Il me téléphone sur mon portable personnel à 22h.

 » Docteur ??? Vous partez bien à Genève vendredi ?

– Oui.

– Alors ramenez moi une boite de cigares, les xxxx, ceux que fumait Jacques Lacan. Ils ont une forme tordue !

– D’accord ….. à lundi.

– C’est ça à lundi ! »

Je résume : il me fait payer une séance où je ne peux pas venir mais il m’appelle pour lui ramener une boite de cigares. Il me parle de Jacques et moi dans tout cela, qu’ai-je fait ? Je lui ai ramené une boite de 20 cigares très chers et je me suis bien juré d’en parler à personne vu la honte de mettre fait avoir comme cela.

Le lundi suivant j’ apporte les cigares que je dépose sur son bureau, pas un regard, pas un mot, juste un signe de la main m’indiquant de m’allonger.
J’ai envie de lui en parler, je ne peux pas, je ne dis rien et lui non plus. Deux minutes comme cela! C’est long, très long… puis il me sort:  » Bien, on en était où ? »

Cette séance fut atroce pour moi, j’avais l’impression que tout s’écroulait. Tous les progrès s’arrêtaient net. J’avais honte de ma faiblesse. Bon dieu, Antoine quand auras- tu des ….. ?
Lui, imperturbable, « alors on en était ou ???? »

– Je vous parlais de mes malaises.

– Vous en avez refait ?

– Non !

– Bon, c’est génial la psychanalyse ! J’ai psychanalysé un de nos confrères, docteur Untel.

Là,  une sueur froide me traversa le dos !! Il vient de me dire le nom d’un de mes amis intimes que je côtoie souvent, mais où est le secret médical ? Peut -être fait il de même avec moi ?

 » Et j’ai soigné ses maux d’estomac ! Je me permets de vous le dire car je sais que nous sommes entre nous et que vous ne dévoilerez pas cela .

– Non mais j’espère que vous ne ferez pas de même avec moi !

– Bien ! 45 et en liquide svp !

En sortant de là je n’avais qu’une envie c’était d’aller voir mon copain qui avait donc été comme moi défragmenté par le docteur Mie. Pas facile d’aborder cette relation! Aussi je me suis dit que l’occasion se présenterait un jour et que cela serait mieux.
Il ne fallut pas longtemps. Invité chez un réalisateur de cinéma je retrouve le psychanalysé de dr frisette. Après quelques verres j’aborde la discussion de façon très hypocrite mais néanmoins subtile.

 » Comment vas- tu, Vincent ?

– Super et toi ?

– Ecoute, j’étais pas loin du « burn out » et, pour éviter de cramer,  je suis allé me faire refroidir chez un analyste Lacanien.

– Chez qui, si ce n’est pas trop indiscret ?

– Pas du tout , chez Philippe Mie .

– Ce mec est fou, arrête ça tout de suite.

– Tu le connais ?

– Oui, j’ai subi ses travers pendant 6 mois.

– Eh bien, moi cela fait deux ans et c’est bizarre mais mon avis est partagé.

– Comme tu veux mais ne deviens pas comme lui.

Je suis content de partager avec un très bon ami ce docteur Mie mais je suis très perturbé qu’il pense que cet homme soit fou.

18 Oct

Les maux dedans #8

 

myocarde_drmaison

Je m’attendais quand même à un commentaire ce lundi matin à 6h30! La porte était restée fermée plus que d’ habitude. J’avais franchi l’escalier avec aisance pour une fois et je m’installais dans cette salle d’ attente où l’odeur de 15 jours de fermeture provoquait un dégout immédiat. L’attente fut longue. J’entendais des bruits de modem, de fax, de reniflements, mais toujours auncun appel ! Au bout de vingt minutes le « Venezz  » fut plus agressif que jamais! Il ne m’adressa pas la parole et, d’un geste machinal, me montra le divan. Je m’allongeais et cherchais comment j’allais aborder son absence le jour du symposium. Eh bien là, aucun mot ne pouvait sortir : je balbutiais,  bégayais et je commençais à lui dire : « J’ai fait un malaise la semaine dernière . »

Au lieu de lui parler de tout ce j’avais sur le cœur, je lui parlais de mon cœur ! En effet, depuis quelque temps, je faisais des très gros malaises avec pertes de connaissance, toujours en public, jamais seul, très désagréable pour moi mais aussi pour mon entourage. Il s’en foutait royalement, il rangeait des papiers, reniflait sans cesse et me dit au bout de cinq minutes :  » Bien, cela fait 45 euros. J’ai augmenté comme tout le monde et en liquide svp ! »

En écrivant je suis entrain de penser que, vous qui me lisez ou vous qui me côtoyiez à cette époque, vous devez vous dire soit ce pauvre garçon est un simple d’esprit, soit un faible, soit un homme subissant une force suprême incontrôlable venant d’un dieu céleste.
Eh bien pas du tout, je pensais alors que tout était fait exprès dans un but thérapeutique, tout était calculé et je pensais que l’histoire de la couleur rouge allait se reproduire, que j’allais trouver des explications à tout. J’y croyais dur, je savais que les Lacaniens étaient spéciaux et je n’arrivais pas à détester ce docteur Mie. J’étais obligé de mentir par omission ou mentir carrément à mon entourage familial tellement je me rendais compte que j’étais bien le seul à pouvoir accepter le comportement de mon thérapeute.

Je fus conforté du bienfait de ce Génie de docteur Mie lors d’une séance d’un vendredi d’automne. Mes malaises devenaient de plus en plus fréquents et j’avais dû réaliser une batterie d’examens pour en trouver l’étiologie .
Rien, rien dans les scanners, ecg, eeg, irm, sang et autre fond œil! Je devais en parler à mon « dentiste lacanien ». Je lui racontais ces malaises avec une description très proche de la réalité. Pour une fois je le sentis à l’écoute. Bien que ne le voyant pas parce que situé derrière le divan,  j’entendais la plume de son Mont Blanc grincer sur les feuilles de son fameux petit carnet. Ce jour-là il ne me dit qu’une phrase mais quelle phrase !

 » Citez moi les personnes présentes lors de vos malaises ? »  Je réfléchissais et j’énonçais: « ma femme, des amis… »

– Oui précisez, précisez ! (en colère)

-Sylvie

– Qui est Sylvie ???

– C’est la femme de mon meilleur ami qui est maintenant décédé.

– Précisez, précisez je vous dis ! (on aurait dit qu’il était en transe).

Il y a 7 ans, j’ai perdu Eric sur un terrain de rugby, en plein match. Il a fait un arrêt cardiaque et, devant 5000 personnes, j’ai essayé de le réanimer en vain. Sa femme Sylvie était là et je m’en veux encore de n’avoir pas pu empêcher la mort de celui qui était un autre moi-même.

 » Etait-elle là à chaque malaise, oui ou non ?

– Oui.

– Bien, restons en là, cela fait 45 euros en liquide svp. »

Cette séance m’a bouleversé ! Bien sûr j’avais dû me remémorer la mort d’Eric mais aussi penser au doute que je traversais sur les compétences ou sur l’imposture ou voire même le charlatanisme de ce dentiste échevelé psychanalyste.
En remontant dans ma voiture, j’étais comme sonné, ko. Je ressentais un malaise énorme, j’avais l’impression de me retrouver en ce 29 octobre 1995, sur un terrain de rugby avec un froid glacial et un silence sépulcral. Je venais de comprendre la raison de mes pertes de connaissance ! Enfin je croyais avoir trouvé car c’était seulement mon interprétation sachant que Mie n’avait fait que poser la question :  » avec qui étiez-vous pendant vos malaises ? » C’est moi qui ensuite avais analysé, qui avais donné une réponse à cette question : « quelle pathologie organique ou pas peut entraîner une bradycardie et un arrêt cardiaque ? »

Vous allez tous en conclure, banal, il fait un transfert ! Certes je pense que l’on pouvait parler de cela mais je pense qu’il avait quelque chose de plus, une force indescriptible. J’ai compris comment des hommes ou des femmes pouvaient tomber dans l’aliénation d’une secte alors qu’ils présentent une intelligence tout à fait normale. Je ne parlais à personne des dérives bizarres et originales du doc et je ne racontais que l’histoire du pull rouge et des malaises « Ericien ».