09 Oct

Les maux dedans #7

psy_drmaisonJe pensais que pendant une analyse on se devait de parler de sa vie intime, sexuelle et je me promettais de révéler à mon confesseur frisoté, non des secrets d’alcôves mais peut être des questionnements, des doutes et des réflexions sur les notions de plaisirs, de frustrations, de différences homme et femme. Très motivé,  j’abordai cette séance avec détermination en me servant comme préambule du résumé d’une émission grand public qui m’avait interessé la veille. Alors qu’il ne parlait jamais, ce jour là,  je ne pus en placer une. Il se mit à délirer sur le pauvre docteur Rufo pédo-psy très médiatisé qui était l’ invité de cette émission.

« C’est un scandale, ce mec n’a rien compris! On ne doit pas vulgariser ce que le vingtième siècle a fait de mieux en imposant la psychanalyse. Je vous interdis de me citer cet usurpateur de la psychiatrie et je vous interdis de regarder ces émissions! Vous avez beaucoup mieux à faire et notamment préparer un colloque où je vous demande d’intervenir dans un mois sur les groupes pluridisciplinaires à l’auditorium. »
Alors là, j’étais paumé ! J’avais envie de progresser pendant mes séances et j’étais très frustré de ne pas le faire mais, d’un autre coté, je me réjouissais d’avoir, si l’on peut dire, séduit ce chef qui me mettait sur le devant de la scène en tant que conférencier psychanalytique lacanien.

J’ai préparé cette réunion comme un fou. Je présentais un cas clinique intéressant sur une ambigüité sexuelle d’un ou plutôt d’une patiente. Je faisais un effort de bibliographie en me tapant tous les derniers articles concernant ce sujet, j’apprenais par cœur mon contenu et,  le jour J, un samedi, je devais me retrouver à l’estrade avec lui et un psychologue parisien devant un parterre de médecins psy et autres personnes concernés. Eh bien, devinez ce qui se passa ? Il me téléphone 5 minutes avant le début sur mon portable (tiens, je croyais que c’était insupportable les portables) et il me sort avec une voix libidineuse:  » Antoine, je suis désolé mais j’ai dû partir en Bulgarie pour m’occuper d’un orphelinat et je ne suis donc pas là, veuillez m’excuser. »

Plusieurs réactions dans mon cerveau ébranlé : la peur de me retrouver seul, la déception de son absence, la colère de m’avoir pris pour un con et la surprise qu’il m’appelle par mon prénom ! Tout ça mélangé en 3 minutes alors que je dois parler devant 300 personnes !
La conférence s’est bien déroulée, néanmoins il me tardait de pouvoir lui exprimer ma colère lors de la prochaine séance . Celle ci n’arriva que 15 jours plus tard, vacances du Kouchner bulgare oblige! J’avais eu le temps de me calmer mais je digérai très mal son alibi bidon d’être obligé de partir 5 minutes avant une conférence prévue depuis six mois !

02 Oct

Les maux dedans #6

 

freud_drmaison

Je continuais à idéaliser la psychanalyse et mon gourou. J’essayais de lire tous les séminaires de Lacan et, un jour de folie, je voulus me lancer dans les livres de Freud. Oh, surprise ! Après avoir avalé en deux jours les théories psychanalytiques, je me rendis compte que non seulement c’était facile à lire mais que je comprenais tout et que j’avais envie d’en acheter d’autres.

Je n’aurais jamais dû lui dire mes ressentis!

 » Monsieur, quand on ne comprend rien, on ne parle pas. Vous n’avez rien compris à Freud pas plus qu’à Lacan, vous en êtes au début, vous êtes à la maternelle ! Alors jouez au rugby mais ne lisez pas !

– Mais c’est dur ce que vous me dites !

– Je m’en fous, vous n’avez pas le droit de dire que Lacan est complexe. C’est lui qui est limpide, les autres sont compliqués. Reprenons ! »

Je n’avais rien à dire, je me sentais humilié et je disais: « Je n’ai rien à dire ! »
 » Alors partez ! Mais donnez moi 40 euros en liquide svp ! »

Je fus très touché par cette séance et, en relisant mon carnet aujourd hui, je ressens le même malaise. Mais ce qui toujours a été surprenant dans nos relations, c’est que, la fois d’après, il paraissait calme, détendu, voir empathique.  Il m’annonça une grande nouvelle :  » Voilà, j’ai créé un groupe pluri-disciplinaire qui se réunit le premier mercredi de chaque mois dans un local allées de Tourny. Il est constitué de kiné, de psychologue, d’orthophoniste, d’infirmière. Il me manque un Généraliste de votre trempe, alors je veux que vous veniez. D’accord ? »
Comment refuser,  je devenais un confrère, j’allais travailler avec mon gourou, celui qui dictait ma vie, mon inconscient, mon passé, mon avenir peut être.
 » Cela commence quand ? »
– Mercredi prochain, 20h.
– Ok. » (je ne réfléchissais pas, j’étais trop content)

Je ne savais pas comment se déroulaient ces réunions et, comme j’aime bien faire, je préparai cette réunion en mettant sur le papier un cas clinique intéressant. Je ne fus pas déçu, la composition de ce groupe était bizarre. Il y avait une grande psychologue aussi belle qu’illuminée, une vielle homéopathe, cheveux gris, petit cartable d’écolier et qui notait tout, une infirmière de cancéro qui avait servi de chauffeur à notre docteur et qui paraissait avoir une complicité avec lui dépassant le cadre professionnel, une kiné d’un centre de rééducation, une gynéco qui passait son temps à croquer la tête de Mie et… moi, le généraliste suivant une analyse. En regardant tout ce petit monde, j’imaginais que chaque membre avait un lien avec le chef de cette secte psychanalytique. Ces réunions se déroulaient toujours de la même façon. Un membre du groupe présentait un cas clinique et, à tour de rôle, nous l’ interprétions à notre manière. La conclusion revenait au docteur psy, de façon brillante, je dois dire. A minuit, on se quittait non sans avoir mangé des petits gâteaux offerts par un laboratoire. Cela me faisait drôle de savoir que, 6 heures après, j’allais retrouver mon collègue ! J’en étais tout excité mais fus bien déçu. Je m’attendais à une discussion ou une allusion: pas du tout!  J’entendis hurler: « Alors, vous venez ? », et le regard sombre d’un ayatollah m’indiqua de m’allonger sur ce divan aussi petit qu’inconfortable ! Je tentai bien de reparler de cette réunion qui m’avait enthousiasmé mais lui ne répondit rien, comme si je n’étais pas y allé. Mon interprétation était vite faite, c’était génial: il dissociait le malade et le confrère, aussi j’arrêtai là les commentaires et je repris mon travail, en parlant d’un sujet complètement inintéressant. Son manque de sommeil était frappant et,  dans mon dos, j’entendis des bâillements et des bruits aéro- digestifs montrant bien qu’il était en hypoglycémie .

Je me rendis compte en montant dans ma voiture que Mie envahissait ma vie : trois fois par semaine, plus le mercredi, plus la préparation des réunions, plus les lectures, les revues de presse et les discussions avec mes amis sur les bienfaits de la psychanalyse, lacanienne qui plus est !

26 Sep

Les maux dedans #5

rouge_drmaison

C’est vrai que j’ai eu des doutes: du génie à l’imposteur voire truand. Je me demandais souvent quelle était la véritable identité du docteur Mie. Je m’obligeais à ne pas y penser et à suivre mon intuition car si cela n’était pas le cas j’arrêterais et je ne le voulais absolument pas. Les séances se succédaient à un rythme infernal  à raison de trois fois par semaine ; c’était pour moi un véritable casse tête de caser ce rendez vous dans mes journées de médecin mais j’y arrivais tellement était grande ma motivation. Je marquais sur mon petit carnet l’essentiel de mon « travail » et, lorsqu’ il m’annonça qu’il partait en vacances pour 15 jours, j’étais partagé entre la joie de souffler un peu, d’éviter ces trajets en voiture et la déception d’interrompre une analyse couchée si prometteuse pour moi !

Le retour sur le divan fut bizarre. Au préalable je dus affronter une situation peu confortable puisque je me retrouvai dans la salle  d’ attente avec deux de mes patients que j’avais adressés au Dr Mie mais qui n’étaient pas censés savoir que je consultais moi aussi! Je me sentis obligé de justifier ma présence par la préparation d’une conférence avec lui ! Cela ne changea en rien son attitude et il me hurla depuis son bureau au fond du couloir un « Venezzzz » qui ressemblait plus à un ordre qu’à l’invitation à la préparation de la dite conférence.

Ce jour là, j’avais plein de choses à dire car les 15 jours de vacances de mon inconscient m’avaient permis d’accumuler un tas de reflexions à exprimer. Pour une fois, j’eus le sentiment d’un premier progrès. Je lui racontai que j’étais ému de venir dans ce quartier rempli de souvenirs pour moi. En effet mes grands parents habitaient au 204 et lui au 202. J’avais eu une admiration et un amour immenses pour eux et j’avais toujours l’impression que ma mémoire n’ avait jamais effacé ces moments magiques.

Ce jour-là, après l’introduction habituelle « alors, on en était où ? »,  je me suis mis à lui parler de la mort de mon grand père et du véritable big bang qu’elle a provoqué chez le petit garçon que j’étais. C’est pendant cette séance que j’ai découvert pourquoi je n’aimais pas la couleur rouge ! L’intérêt de cette anecdote n’est que très personnel mais mérite que je m’y arrête pour montrer pourquoi je sentais que la psychanalyse lacanienne était merveilleuse !

C’est mon grand père qui m’a initié au rugby et, ce jour là, le 8 mai, se déroule une demi finale à Bordeaux. Je dois y aller avec mon grand père, mais il est à l’hôpital depuis deux semaines. Agen–Dax,voila l’affiche de la demi finale. Ma mère m’appelle à 17 heures pour annoncer le score à mon grand père. Je lui dis sans réfléchir Dax alors que c’était Agen mais mon grand père préférait Dax et Dax jouait en rouge. Ma mère arrive 2 heures plus tard et, à la question, « comment va-t-il ? », elle me répond qu’il est très fatigué mais que ça va. Puis, elle dit en parlant toute seule,  » je suis ridicule habillée comme ça », (elle avait un pull rouge vif ) et elle part mettre un noir ! Je savais qu’ à ce moment là, pour la première fois, ma mère me mentait et, qu’irrémédiablement, à tout jamais, la couleur rouge serait le symbole de la mort, du mensonge et de la trahison .

Cette histoire, banale somme toute, me confortait. La psychanalyse lacanienne était indispensable pour expliquer nos actes, nos pensées et nos choix inconscients. C’est pourquoi mon admiration pour le vecteur qui avait provoqué cela ne faisait que confirmer mon idée : le Docteur Mie était un Génie! (à l’heure où je vous parle je n’ai plus aucun à priori sur cette couleur rouge et j’en porte souvent, preuve que les dons de guérison du bon docteur sont réels !!)

Il ne prenait ses vacances que pendant les vacances scolaires. Je savais que j’avais devant moi 7 semaines de séances. A raison de 3 fois par semaine et vu la réussite de la dernière, je pensais que j’allais avancer à très grande vitesse et que mon inconscient allait subir une super défragmentation comme celle que devrait subir le pc sur lequel j’écris.

Je ne vous cacherais pas que je traversais de grandes périodes de doute où je n’avançais que très peu. Mes relations avec le psy étaient bizarres, variables, décevantes, frustrantes et rarement agréables. Il était souvent d’humeur massacrante, comme le jour, où il m’ a surpris en train de téléphoner avec mon portable dans la salle d’attente. Au lieu de commencer par la satané phrase « on en était où? »  il se lança dans des cris, des hurlements : « Votre portable m’est insupportable ! », me précisant son jeu de mot lacanien qu’il pensait que je n’avais pas saisi. Il m’interdisait de l’amener même éteint ! Je précise que jamais je ne l’avais allumé pendant les séances. Là aussi je positivais en me rassurant, en me disant que cette autorité et ces colères étaient indispensables à mes progrès. Les jours où j’en avais vraiment marre c’était là qu’il était d’humeur plus légère et que je l’entendais écrire sur son fameux petit carnet avec son stylo plus gros que gros : un Mont Blanc.

Les séances ne duraient jamais plus de 10 à 15 minutes. J’avais l’impression que son emploi du temps était chronométré. Il commençait à 6h 15 et finissait à 20h et ne s’arrêtait pas entre midi et deux ! Je me suis aperçu que ce n’était qu’un homme, malgré cette incroyable puissance  de travail, le jour où je l’ ai surpris en train de dormir en ronflant dans mon dos. J’ai attendu deux ou trois minutes avant d’arrêter de parler et j’ai bougé afin qu’il s’en rende compte et là, très sur de lui, il me dit tout de go :  » Voilà ce que Freud appelait l’attention flottante, c’est là où j’emmagasine tout et surtout ne croyez pas que je dormais !! Bien, cela fait 40 euros, en liquide s’il vous plait. »

18 Sep

Les maux dedans #4

docteurmaison_cerveau

Pendant plus de six mois j’ai continué ces séances au rythme de deux fois par semaine le lundi à 6h30 et le vendredi à 13h30. J’étais toujours assis en face de mon gourou et au fur et à mesure nos relations évoluaient.
Il ne venait plus me chercher dans la salle d’attente après avoir ramené le patient précédent, il allait dans son bureau, me faisait patienter, surtout le vendredi le jour où j’étais pressé et il me hurlait depuis son bureau : »VENEZ !!!! ».

Un jour, à la fin d’une séance, il m’annonce comme un cadeau : « Voilà, il est temps maintenant de s’allonger. J’étais super content, en fait, j’allais être comme dans les films sur le divan, lui derrière moi en train de réfléchir et moi, immobile en train de sortir de mon cortex des phrases, des jouissances, des frustrations, des tourments.
Je ne suis pas déçu, si on peut dire, car si je voulais être allongé, j’allais être allongé !! il rajoute à mon cadeau une séance supplémentaire.  » Vous viendrez le jeudi à 6h15, c’est primordial,  vous en avez trop besoin et notre travail progresse trop lentement ! »

« Oui, mais le jeudi pour moi ce n’est pas pratique pour mon travail »

– A jeudi,  j’ai dit ! »

Une fois de plus, je ne râlais même pas. J’essayais de trouver une explication, et même je pensais en mon fort intérieur: il est vraiment super fort ce Lacan des pauvres !

Je devenais lacanien toute la journée, j’écoutais mes patients me parler de leur rhume, de leurs hémorroïdes, de leurs histoires de cul et j’arrivais à trouver des signes, des manifestations de leur inconscient même à en être grivois. Un jour, une vieille fille qui me faisait part de sa détresse dans sa solitude, de sa panique de finir seule et moi, l’élève du fameux docteur Mie, je lui jette en pleine figure:  » Voilà,  vous êtes pas… niquée ! C’est là le problème ! »

Je lisais des articles sur internet, j’envoyais tous mes copains chez les lacaniens et même chez le grand des grands, le fameux Dr Mie ! Ce qui peut paraître bizarre, mais le docteur me disait que chez les Lacaniens rien n’était comme chez les autres et que c’était la « différence positive ».

Je passais mes dimanches à lire des articles, à regarder des revues et, un matin d’un dimanche de printemps, quelle émotion ! Je découvre qu’il existe une association se nommant « l’école de la Cause Freudienne » dont le président n’était autre que notre fabuleux gourou bordelais, le docteur de mes maux dedans mon « Phiphi » national !!.

Ce n’était donc pas un imposteur, c’était le fils spirituel de Jacques Lacan et peut être le nouveau monstre de la psychanalyse.
Evidement, dès la prochaine séance, je me précipite pour lui faire part de ma découverte et là, je me suis aperçu que sa modestie avait sûrement été oubliée lors de ces réunions à Paris. Il jouissait en me racontant son cheminement, sa rencontre avec Lacan, ses relations avec sa fille, son gendre et que c’est toute cette petite famille qui avait imposé au monde de la psychanalyse le nom du Dr Mie !

Cette séance avait durée plus que d’ habitude, 25 minutes au moins! On avait parlé que de lui et; juste à la fin, il m’avait lancé : « Et où en êtes vous avec votre inconscient ? »

Ma réponse fut aussi courte que sincère : « J’y travaille, j’y travaille ! »

– Bien ! Cela fait 40 euros, en liquide s’il vous plait. »

Debout devant la porte pour la première fois, il me parla sans être mon psy : « ça vous intéresse cette école Lacanienne ? » Très flatté par cette soudaine complicité, je répondais que j’avais trouvé enfin une nouvelle passion et que cela me rendait heureux. Alors, si cela vous plaît, faites savoir autour de vous, dans votre clientèle, votre entourage amical, que cela existe et que nous faisons une revue que l’on vend 2 euros.

 » Vous en voulez une ? »

Bien sur que j’acceptai et, pensant que c’était un cadeau, je le mettai dans mon cartable. Là, il se mit presque en colère:

« Je vous ai dit 2 euros ! »
– Ah oui pardon !
– D’ailleurs, donnez-moi 20 euros et vendez-le à vos relations ! »

– Ok , à lundi. »

22 Août

Les maux dedans #3

bill

Venir le vendredi à 13h30 ne m’arrangeait pas du tout car je commençais mes consultations à 14h à l’autre bout de Bordeaux. J’ai imaginé un moment que c’était volontaire de sa part. Moi qui lui avait annoncé que je ne savais pas dire non, il me demandait l’impossible. En fait, pas du tout, j’ai su par lui qu’il avait perdu une cliente qui venait tous les vendredis, mais qui s’était suicidée et qui lui avait écrit une lettre qu’il m’a lue ce vendredi et dont la conclusion était  « Merci Docteur Mie de m’avoir accompagnée jusqu’à ma mort » !

Je ne comprenais pas, j’étais paumé, je prenais la place d’une suicidée, il me lisait une lettre d’amour pour lui.

Il me lance :

« Alors, on en était où ?

– Dans un stade sans but.

– Continuez.

– Finalement…

– Bien, cela fait 40 euros, en liquide s’il vous plait !

« Oui, voilà, excusez-moi je n’ai pas la monnaie. »

Je lui tendais un billet de 100.

Fou de rage : « C’est la dernière fois ! C’est votre inconscient qui parle! En fait, vous appréciez tellement notre travail que vous pensez que le tarif que je vous demande de 40 euros est trop faible, vous avez raison. Aussi, je garde ce billet, et si vous n’êtes pas d’accord la prochaine fois, vous amènerez le compte exact ! »

J’étais k.o. ! Je descendais cet escalier complètement abasourdi. La séance avait duré 2 minutes, elle s’était arrêtée au mot finalement et il m’avait volé 60 euros !
Je n’avais pas le temps de réfléchir, je devais foncer à mon cabinet. Il était 14h et j’avais sûrement la salle d’attente pleine.
C’est fou mais, alors que je devrais être furieux de tout cela, j’avais comme un sentiment bizarre, un peu comme admiratif, très curieux de la technique, envouté par cet homme qui me terrorisait mais qui me motivait pour réussir ce que j’aime tant faire : arriver à le séduire.

Pendant mes longues heures dans la voiture, j’avais toujours le temps de réfléchir et de repenser à mes minutes passées dans le donjon en haut de l’escalier avec le  » dentiste  » ! C’est ce que le docteur appelait mon  » auto analyse « . Cette semaine-là, j’avais vraiment du travail. Pourquoi m’avait t’il demandé de « remplacer  » une morte ? Pourquoi, lui qui ne parle pas, m’avait t’il raconté son suicide, m’avait t’il lu cette lettre? Pourquoi avait t’il stoppé la séance sur mon « finalement » ? Pourquoi cette histoire de mon inconscient …généreux ?

Je suis tellement motivé que j’arrive à trouver une explication à chaque question. Je suis tellement dans la passion psychanalytique que je n’imagine pas une seconde que les réactions du docteur ne sont autres que thérapeutiques, et bien sur honnêtes !

Pourquoi revenir le vendredi ? Parce que mon travail doit évoluer et une seule séance par semaine ne suffit pas. J’arrive même à m’expliquer que je ne parle que de la face visible de l’iceberg le lundi et, ayant moins de choses superficielles à exprimer, je vais dans la profondeur de mon fameux inconscient le vendredi. J’arrive à penser qu’il a trouvé un analysant intéressant. Pourquoi me parle-t-il de sa suicidée et pourquoi me lit-il la lettre ? Parce que la mort est un sujet qui m’inquiète terriblement, il a compris cela et il veut démystifier la mort à mes yeux. Pourquoi arrête t’il la séance sur un  « finalement » ? Parce que mon inconscient devait sûrement arrêter ? N’avais-je plus rien à dire ?

Les maux dedans #2

sofa

 

La semaine suivante fut curieuse. Comme pour tout, j’aime aller à fond et me passionner. Je repars chez Mollat, je feuillette et achète des nouveaux livres sur Lacan. Je me procure moi aussi un fameux petit carnet où je décide de préparer mes futures séances.  Je ne comprends toujours pas trop les livres mais je progresse, je les lis à l’endroit!

Ce nouveau lundi, excité par un nouveau rendez vous, je me lève très tôt et pars presque heureux d’ avoir un nouveau but. 6h 23,  je sonne, 2mn d’attente… l’ouverture de la porte, l’escalier et là, derrière la porte, notre Alain Souchon, ben ladenien hirsute m’accueille, si on peut dire :

 » 6h30, c’est 6h30 et pas 6h23!

– Veuillez m’excuser.

– Venezzzz. »

Je rentre dans le bureau où, déjà, l’odeur du cigare envahit la pièce plus sombre que jamais. Seule une petite lampe de bureau et l’éclairage de la rue permettent d’y voir.

Je m’assois en face de lui et là, pour ne pas avoir ce vide de la dernière fois, je m’apprête à parler en premier, et là, surprise, il me lance avec un petit sourire :

« Alors, on en était où? »

Je le trouve plus humain, normal quoi. J’avais préparé mon introduction, et voilà qu’il faut que je réponde à une question! Eh bien, je suis content de revenir!

« Continuezzzzzz! »

– Cela me gène un peu de dire que je consulte un psychiatre alors je dis à tout le monde que je suis en traitement chez un dentiste!

– Oui, normal pour vos maux dedans! »

Ça y est, je viens de tout comprendre des théories lacaniennes!  Il faut bien dire qu’à partir de cette phrase, l’ Alain Souchon du pauvre, le Ben Laden des riches ou le Woody Allen de la psy devenait un vrai thérapeute et le doute que j’avais pu ressentir s’effaçait. Ce n’était pas un imposteur, c’était bien un enfant de Lacan, génie, gourou et sauveur.

J’ai eu le tort de lui montrer que je trouvais fabuleux ce jeu de mot, moi qui en fais toute la journée, souvent plus bête que fin mais qui me font rire et parfois font rire les autres. Alors il se croit obligé de reprendre un air méchant, obscur et me relance par un:

« Oui, continuezzzz! »

Je reprends donc le fil conducteur de ce que je voulais dire avant d’être interrompu et je sors:

 » Voilà,  je suis à un stade sans but dans ma vie et cela me dérange, j’ai besoin de but. »

D’un air enjoué il part alors dans une tirade cinématographique :

 » C’est merveilleux, vous vous rendez compte, cher monsieur, de ce que vous venez de me dire? Non, quoi ? non, vous ne voyez pas ? mais c’est dingue ! Il faut voir, entendre l’inconscient!  Vous pensez que vous venez pour vous reposer ici ? »

Son ton était fort, agressif et bizarre. Je ne savais pas si c’était de la comédie ou si c’était thérapeutique. En tout cas,  il commençe par m’expliquer que moi, sportif, ex rugbyman,  je parlais de stade sans but.  Il ne comprenait pas la différence entre des buts de football et des poteaux de rugby, et je ne comprenais rien à ce que venait faire mon inconscient sur une pelouse. Enfin, je savourais ces premières joutes analytiques quand la phrase cloche retentit:

 » Bien… ça fait 40 euros, en liquide s’il vous plait. A vendredi, 13h30.

– 13h30? Vendredi? Pas lundi, 6h30?

– J’ai dit vendredi 13h30. »

Machinalement je regardai ma montre et je constatai que cette séance n’avait durée que 7 minutes! Mais, toujours optimiste, je pensai que ce qui comptait c’était le contenu et qu’une immense piste de réflexion s’était ouverte: que faire d’un stade sans but?

C’était nouveau, j’avais besoin de nouveauté dans ma vie, j’avais toujours eu parallèlement à ma vie familiale et professionnelle des passions. Au début,  j’étais joueur de rugby, puis j’ai eu la chance d’être médecin des Girondins de Bordeaux avec tous les plus grands joueurs puis je suis devenu président du SBUC, et aujourd’hui, je sentais que la psychanalyse et son gourou, le fabuleux docteur Mie, allait être le nouveau moteur de ma vie.

Les maux dedans #1

cortex

 

Ça y est !

C’est décidé,  je vais faire une psychanalyse!  ça fait bien non? Un peu américain, un peu « american beauty ».  J’ ai 45 ans, j’ai eu une vie bien remplie, beaucoup de réussites extérieures, mais un grand bazar intérieur. Alors je prends le bottin, pages jaunes, la rubrique psy, je ferme les yeux, et avec mon index, je pointe, au pif: docteur Philippe Mie, rue Saint-Rémi, Bordeaux !
J’ai l’habitude d’aller toujours vite, alors le portable d’une main, la clope de l’autre, le genou sous le volant afin de maintenir un cap sur la chaussée et … hop!  Allô, Docteur Mie?  Et là,  une voix feutrée comme la nuit à la radio quand une psychologue prend les communications des pauvres désespérés qui n’ont jamais atteint l’orgasme.

« Ouiiiiiiiii,  bonsoir que puis-je pour vous ? »

-Je voudrais un rendez vous avec vous.
-Pourquoi ? »

J’avais envie de lui répondre parce que tout va bien et que j’ai envie de vous donner du fric.

-Parce que je souhaite vous consulter.
-Demain 15h.
-Je ne peux pas, je suis médecin et je consulte l’après-midi.
-Alors 6h30, lundi.
-Ok, pas de problème je commence tôt.
-C’est votre problème, pas le mien, à lundi. »

Je ne vous cache pas que cette première approche avec la psychanalyse est plutôt surprenante, mais bon, je la veux, je l’aurai ma psychanalyse.

Après cette impulsivité téléphonique, je commençais à cogiter un peu. Est- il freudien, youngien, lacanien ou je ne sais quel autre race de psy?

La rencontre fortuite avec un copain psychiatre autour d’un stade de rugby me permet de lui demander s’ il connait le Dr Mie : « Oh, oh, un Lacanien pur souche; mais compétent, pourquoi tu me demandes cela? » Et là, comme d’habitude dans ce genre de circonstance, le gros mensonge: « Euh, c’est pour un ami qui cherche un analyste lacanien ».

Bon,  je sais qu’il est lacanien mais je ne sais pas ce qu’est un lacanien. Alors direct chez Mollat, la grande librairie de Bordeaux et au rayon psy, je cherche Lacan bien sûr,  je trouve et j’achète deux livres pour le weekend !!

Je me rappellerai toujours cette lecture des premiers chapitres. Je ne comprenais rien, de rien de rien, mais bon, j’étais presque fier d’être rentré dans ce monde intello, psycho, socio et voir ma femme, me regardant avec un sourire admiratif en train de lire, suffisait à mon bonheur, même si je tenais le livre à l’envers!

J’ai toujours aimé me lever tôt, et savoir qu’un homme de l’art, médecin comme moi, psychiatre, se levait aussi tôt me réjouissait et je traversais tout Bordeaux avec une émotion, un petit frisson, comme si j’avais donné un rendez vous à une femme par Meetic sur le net.

Je n’avais pas fait attention à l’adresse mais, en descendant de voiture,  je remarquais que le cabinet était situé à coté de l’ancienne maison de mes grands parents, maison qui m’avait remplie de bonheur, de souvenirs merveilleux et que j’avais quittée il y a plus de 35 ans! Bonne augure tout ça!

Par contre, ce petit escalier en colimaçon m’apparaissait comme un Everest surtout pour un vieux rugbyman ayant laissé son genou sur un terrain de Saint-Sever. Enfin, pour prendre du plaisir, il faut souffrir!

La salle d’attente est toute petite, avec une odeur de vieux. Les revues sur une petite table Ikea sont surprenantes, ce n’est pas un vieux match ou un Elle de 1968 comme dans tous les cabinets mais c’est beaucoup plus Art press, des livres d’humour juif, un livre sur Lacan,  un magazine de photos très pornographiques.

J’entends un murmure au fond du couloir,  preuve qu’il ya quelqu’un. Je suis fébrile, impatient et un peu craintif. Puis ça y est, un bruit de porte, un au revoir lugubre, des pas, et l’arrivée dans la salle d’attente d’un homme tout de noir vêtu, frisé comme un mouton (noir), un nez qui me parait immense, un teint que je qualifierais d’ « olivâtre » et cette fameuse voix à la Meni Grégoire que j’avais entendue lors de ma prise de rendez-vous: « Vous venezzzzz? »

Alors là, pas de surprise pour la description du bureau: petit, sombre, une odeur de cigare, des tapis partout (vu l’allure et le teint du propriétaire je ne peux m’empêcher de penser: il a dû en vendre dans sa première vie!) un petit divan recouvert d’un autre tapis,  des tableaux abstraits, sombres eux aussi, des masques africains noirs, et quelques grigris frisés comme la chevelure de mon psy! Une tasse de thé encore fumante, un fauteuil en cuir tout vieux, bien sûr, situé derrière le divan et perpendiculairement, un petit bureau ancien avec un cendrier plein, des papiers et un petit carnet, un fameux petit carnet!

Je me suis toujours demandé si j’allais devoir m’allonger dès la première séance ou si j’allais m’asseoir devant lui. D’un signe de la main, il m’invite à m’asseoir et je peux dire que cela me rassure. Je me voyais mal allongé dès le premier jour.

Je suis mal à l’aise et il ne fait rien pour m’aider. Il ne me dit rien, moi non plus. Deux bonnes minutes se passent avant que je ne prononce le premier mot:

« Je viens vous voir parce que je voudrais savoir dire un mot que mon cerveau n’ a pas dans ses archives le mot: NON! »

Je suis assez fier de cette première déclaration et, comme j’ai lu dans les livres que la parole est primordiale chez les lacaniens, je pense que mon Alain Souchon (il lui ressemble en brun) va pouvoir s’éclater. Eh bien, pas du tout! Toujours aussi lugubre, il ne dit rien. Alors gêné, je me sens obligé de continuer et je lui raconte en quelques phrases ma vie que je pourrais résumer en: amours, rugby, médecine! Dix minutes plus tard,  il se lève, prononce un mot qui sera récité à chaque fin de séance comme la cloche du collège:

« Bien ! cela fera 40 euros en liquide, s’il vous plaît, et vous viendrez lundi prochain à 6h30! »

La descente de l’escalier en colimaçon fut encore plus difficile que la montée surtout que mon genou n’était pas revenu de Saint-Sever !

Je monte dans ma voiture, j’éteins la radio, j’allume ma cigarette et je réfléchis. J’éprouve un mélange de frustration, de plaisir, de déception, mais bon,  je m’en fous: je suis en analyse !!