C’était bizarre, on sentait très bien que certains sujets l’intéressaient et d’autres pas du tout. C’est un charmeur et un séducteur, il me parlait toujours d’une jeune femme que je lui avais adressée : Pascale.
(Pascale , belle femme de 39 ans avait eu de graves problèmes familiaux dans son enfance et après avoir cru trouver un équilibre avec Patrice, son mari revivait une situation difficile aussi bien professionnelle que conjugale)
Je connais Pascale depuis des années et je suis ami avec son mari. J’étais même à leur mariage, aussi j’aimais discuter avec elle de son travail analytique alors qu’elle ne savait pas que moi j’en faisais un avec le même psy. Son approche n’était pas du tout identique à la mienne, le transfert freudien avait commencé dès leur première rencontre, et elle me racontait qu’elle était persuadée qu’il était tombé amoureux d’elle. J’essayai de lui démontrer que c’était une période habituelle d’une analyse que l’on nomme « transfert ». Je lui expliquai qu’elle déplaçait ses angoisses, ses névroses en un amour impossible et que la qualité du psy sera de bien savoir gérer ce déplacement sans jamais bien sur passer à l’acte.
Je n’aurais pas dû et je le reconnais bien tardivement, enlever toutes les illusions à cette patiente. Elle aurait du et surtout elle aurait pu s’en rendre compte elle même. Si je m’attarde sur elle c’est parce qu’elle joue un rôle primordial pour l’issue dramatique qui se tramait doucement.
Les séances continuaient et même s’essoufflaient comme moi d’ailleurs en montant l’escalier en colimaçon. Parfois, je voyais un autre patient dans la salle d’attente. C’était bizarre, on ne croisait jamais nos regards, on regardait souvent nos pieds. On avait les mêmes attitudes, les mains qui se serraient nerveusement et les gestes répetitifs comme le « tournoiement » des pages d’une revue, d’un livre. Mes minutes de par mon travail sont comptées. On aurait dit que cela lui faisait plaisir que, chaque fois que je me retrouvais avec un autre dans la salle d’ attende, (quelque soit celui qui était arrivé le premier) il venait toujours chercher l’autre me laissant ruminer seul. Il prenait un malin plaisir à faire durer l’entrevue et (ne croyez pas que je vire à la paranoia) il jouissait à me le dire : » Vous êtes un patient et un patient doit être patient. Vous n’êtes pas le grand docteur qui se permet tout, vous êtes ici pour travailler et soulager vos maux ».
Ce matin-là, il me hurla plus fort que d’habitude: « Venezzzzzzzzz! »
Je m’allonge rapidement, j’ai mal au dos sur ce canapé pourri et la la phrase rituelle « je vous écoute » est remplacée par un monologue:
– « Monsieur, je n’ai plus de nouvelle de votre patiente Pascale, vous la voyez toujours ?
– Oui pour son fils quand il est malade.
– Pouvez-vous lui dire de revenir travailler, elle en a besoin, c’est trop grave. »
Je me demandai si je j’étais fou, si j’avais bu ou si j’avais à faire à un imposteur ? Je me levais à 5H 30 pour me faire psychanalyser, je devais payer 45 euros pour m’entendre dire que je devais télèphoner à une de ces patientes! Peut être Pascale avait-elle raison ? Le transfert amoureux était-il réciproque?
Le comble fut atteint quand il se leva, se pencha sur moi et me tendit son téléphone: « Appelez la maintenant ! » Et il fit le numéro!
– Mais il est 6 heures du matin
– Parlez , me hurla t-il.
Pascale décrocha d’une voix très endormie, me dit un « allo » rempli d’inquiétude
– Allo, Pascale c’est moi
– Qu’est-ce qui a?
– Le docteur Mie voudrait que tu le recontactes
– T’es fou, tu me réveilles pour me dire de rappeller mon psy ?
– Oui, c’est lui qui veut.
– Tu m’emmerdes, je dors, je te rappelle !
Lui, il souriait, heureux que je l’ai appelée ou heureux de m’avoir prouvé une fois de plus que je ne savais pas dire « non ».
Je venais de raccrocher et d’un aplomb que j’admire encore aujourd’hui il resta debout et me balança: « 45 euros et en liquide » !
– Mais je n’ai rien dit ?
– Vous m’en avez dit plus que vous ne le pensez !
Que voulait t-il dire ? Je doutais, avait-il fait exprès ? Est-il amoureux de Pascale ? Est-il fou ?
Les séances continuaient et je me demandais si je perdais mon temps, mon argent ou si j’étais entrain de changer de personnalité et que j’allais savoir dire ce mot qui m’arrache les lèvres: NON
Je ne comprenais pas comment j’arrivais à ne pas tout lui dire, non sur sa technique, mais sur moi. Je n’arrivais pas à lui dire les tourmants de ma vie privée, très mouvementée à cette époque. Je n’arrivais pas à lui dire que j’étais fatigué de ma vie stressante et pas épanouissante. Je n’arrivais pas à lui dire que la mort m’obsédait, que j’étais comme attiré par cette inconnue qui pourrait peut être me donner enfin la sérénité.
Pascale avait repris ses séances avec le docteur Mie. Elle prenait un malin plaisir à me raconter Ses phrases libidineuses du genre: « je serai toujours là pour vous ! »
Elle y allait à sa guise, elle choisissait son horaire et elle ne lui donnait que 27 euros et remboursée par la Cpam !
Comme elle ne savait pas que je partageais le même thérapeute, je ne pouvais bien sur pas lui montrer la colère qui bouillonnait en moi.
Je me demandais si ses façons d’agir diamétralement opposées entre Pascale et moi étaient celles d’un surdoué de la psychanalyse ou bien d’un pervers amoureux d’une de ces patientes ou alors j’étais un pauvre jaloux qui pensait être le centre d’intérêt d’un thérapeute.