09 Oct

Les maux dedans #7

psy_drmaisonJe pensais que pendant une analyse on se devait de parler de sa vie intime, sexuelle et je me promettais de révéler à mon confesseur frisoté, non des secrets d’alcôves mais peut être des questionnements, des doutes et des réflexions sur les notions de plaisirs, de frustrations, de différences homme et femme. Très motivé,  j’abordai cette séance avec détermination en me servant comme préambule du résumé d’une émission grand public qui m’avait interessé la veille. Alors qu’il ne parlait jamais, ce jour là,  je ne pus en placer une. Il se mit à délirer sur le pauvre docteur Rufo pédo-psy très médiatisé qui était l’ invité de cette émission.

« C’est un scandale, ce mec n’a rien compris! On ne doit pas vulgariser ce que le vingtième siècle a fait de mieux en imposant la psychanalyse. Je vous interdis de me citer cet usurpateur de la psychiatrie et je vous interdis de regarder ces émissions! Vous avez beaucoup mieux à faire et notamment préparer un colloque où je vous demande d’intervenir dans un mois sur les groupes pluridisciplinaires à l’auditorium. »
Alors là, j’étais paumé ! J’avais envie de progresser pendant mes séances et j’étais très frustré de ne pas le faire mais, d’un autre coté, je me réjouissais d’avoir, si l’on peut dire, séduit ce chef qui me mettait sur le devant de la scène en tant que conférencier psychanalytique lacanien.

J’ai préparé cette réunion comme un fou. Je présentais un cas clinique intéressant sur une ambigüité sexuelle d’un ou plutôt d’une patiente. Je faisais un effort de bibliographie en me tapant tous les derniers articles concernant ce sujet, j’apprenais par cœur mon contenu et,  le jour J, un samedi, je devais me retrouver à l’estrade avec lui et un psychologue parisien devant un parterre de médecins psy et autres personnes concernés. Eh bien, devinez ce qui se passa ? Il me téléphone 5 minutes avant le début sur mon portable (tiens, je croyais que c’était insupportable les portables) et il me sort avec une voix libidineuse:  » Antoine, je suis désolé mais j’ai dû partir en Bulgarie pour m’occuper d’un orphelinat et je ne suis donc pas là, veuillez m’excuser. »

Plusieurs réactions dans mon cerveau ébranlé : la peur de me retrouver seul, la déception de son absence, la colère de m’avoir pris pour un con et la surprise qu’il m’appelle par mon prénom ! Tout ça mélangé en 3 minutes alors que je dois parler devant 300 personnes !
La conférence s’est bien déroulée, néanmoins il me tardait de pouvoir lui exprimer ma colère lors de la prochaine séance . Celle ci n’arriva que 15 jours plus tard, vacances du Kouchner bulgare oblige! J’avais eu le temps de me calmer mais je digérai très mal son alibi bidon d’être obligé de partir 5 minutes avant une conférence prévue depuis six mois !

08 Oct

Les choux et les roses

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« Ils sont arrivés se tenant par la main », chantait Piaf.

Ils sont rentrés dans mon bureau, Benjamin que je connais depuis sa naissance et sa petite fiancée Marie-Lou. Ils ont à peine dix huit ans. Benjamin me présente sa chérie, étudiante comme lui dans une école de commerce.

« Voilà doc’, nous n’avons jamais eu de relations sexuelles et nous voudrions faire les choses comme il faut. »

Je suis surpris qu’à l’heure de la libération des jeunes un petit couple vienne me demander conseil. Est-ce mon étiquette de médecin ou celle de complice des jeunes qui pousse ces amoureux, en ce beau mois de mai, à venir me demander conseil, voire une permission pour réaliser la concrétisation de leur amour naissant.

Lui est sportif, joue au football à un très au niveau, elle prend plaisir à peindre ou dessiner.

Je suis un peu gêné, mal à l’aise mais je les félicite de cette démarche courageuse.

« C’est la première fois ?

– Oui.

J’ai expliqué l’importance de la prise de sang, de tous les tests et la nécessité de consulter une gynécologue.

Sans faire le vieux donneur de leçons, j’ai timidement parlé d’amour, d’honnêteté et d’avoir les plus belles conditions pour réaliser ce que l’on oublie jamais. Comme dit Brassens : « on oublie tout des campagnes mais on oublie jamais la première fille que l’on a pris dans ses bras « .

Je conseille bien sûr l’utilisation des préservatifs et d’une pilule contraceptive et leur redis toute mon émotion devant une telle requête.

Des mois plus tard, ils sont revenus plus à l’aise (moi aussi) pour renouveler les prescriptions, plus amoureux que jamais. Un rayon de soleil illumine ma pièce chaque fois que je les vois.

L’été est là, ils partent faire un voyage tous les deux et me demande une petite trousse d’urgence. Ils sont beaux, responsables, amoureux. Ce qui est merveilleux avec mon métier c’est que je revis tous les jours à travers mes patients toutes les étapes de ma vie, tous mes souvenirs de bonheur.

Cinq ans plus tard, Benjamin et Marie-Lou reviennent. Ils n’ont pas cet air touchant et attendrissant de la première fois, ils sont inquiets.

Marie-Lou a des douleurs pelviennes (bas ventre), elle présente de grosses hémorragies. Benjamin est très stressé. Je tente en vain de les rassurer mais je n’y arrive pas. Je demande des examens complémentaires, une écho, une prise de sang.

« Doc’, vous pouvez faire un test de grossesse. J’ai envie d’un petit footballeur ou d’une petite artiste alors on essaie… »

Fin de matinée, j’ai deux nouvelles à leur annoncer : le test BHCG est positif (elle est enceinte) mais l’écho est mauvaise. Il y a un doute sur l’emplacement : forte suspicion de grossesse extra-utérine. Elle doit aller vite à l’hôpital.

De voir ces amoureux me regarder avec leurs yeux d’enfants partir à la maternité me bouleverse. Hier encore, ils étaient si heureux de savoir qu’elle pouvait être enceinte, aujourd’hui ils sont dans le stress et le doute.

Je suis passé le soir après avoir eu le gynéco. Elle a fait une GEU (grossesse extra utérine). On l’a opérée et malheureusement on a dû lui faire une ablation de la trompe et de l’ovaire gauche.

J’essaie toujours de positiver (on m’appelle souvent Carrefour). Je suis un éternel optimiste!!

« Les petits ne soyez pas tristes. Premièrement, vous pouvez faire des enfants, vous n’êtes pas stériles, deuxièmement, il reste une autre trompe. La nature est bien faite !

« C’est sûr, doc’?

– Bien sûr.

Pendant trois ans, ils ont tout essayé pour faire ce petit footballeur ou cette petite artiste. Un véritable parcours du combattant !

Test de fertilité pour Benjamin avec la fameuse épreuve du spermogramme (on doit aller au labo et essayer dans une atmosphère hostile d’avoir une jouissance. L’imagination joue un rôle primordial vu le contexte…). Et pour elle, hystérographie, test de perméabilité, etc…

Hélas, l’autre trompe n’est pas perméable et le constat est là : Marie-Lou ne peut pas avoir d’enfant naturellement !

Commencent alors les fécondations in vitro, les injections d’hormones, les dates, les heures de rendez- vous précises, les attentes à l’hôpital, chez le gynéco…

Les fausses joies: ça y est, nous avons quatre embryons, il faut que ça tienne !

Une nouvelle déception, ça n’a pas tenu.

Pendant trois ans, ils passent de joies en peines, d’espoirs en désillusions. Puis, un jour, ils se rendent à l’évidence : « Nous n’aurons pas de bébé par ces moyens là ! »

Ils sont toujours aussi amoureux et je leur rappelle souvent la première fois qu’ils sont venus me demander « la permission. »

Leur désir est si grand qu’en ce lundi de juin, ils viennent me voir.

« Doc’, nous avons bien réfléchi, nous voulons adopter un enfant.

– C’est merveilleux les petits, j’aimerais tellement vous voir pleinement heureux !

– On sait, la route est longue mais on y arrivera. »

Pendant deux ans et demi, ils ont marché sur cette route si difficile du chemin de l’adoption : papiers, examens, visas etc…

Ils sont partis au Brésil. Un petit Anthony (un clin d’oeil pour mon prénom) attend son nouveau papa et sa nouvelle maman !

Ils sont revenus avec lui deux mois plus tard, un poupon frisé, souriant,  arrivant au paradis de l’amour au rythme de la samba.

 

Aujourd’hui Anthony est professionnel de football. Eux, ils vont le voir au stade… en se tenant par la main.

 

 

 

07 Oct

Pani problem

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Un jour, un poète a dit « pour réussir sa vie il faut faire un enfant, planter un arbre et écrire un livre. »

Quand il naît, il pèse 5kg600, c’est le phénomène de cette petite maternité de la Guadeloupe. Romuald est le premier enfant de Placide et Joséphine. Ils ont eu beaucoup de difficultés pour avoir cet enfant. De courbes de température en fécondation in vitro, le poupon arrive en vedette dans l’île du soleil et du rhum.

Je peux décrire cet univers paradisiaque car, un jour, j’ai décidé d’abandonner mes huîtres et mon bassin pour traverser l’Atlantique et goûter aux plaisir des cocotiers, accras et langoustes.

Je soigne les grands-parents depuis mes débuts. Ce sont les personnes les plus attachantes que je connaisse, ils ont l’art de transformer le morose en gaieté, la pluie en soleil, l’eau en…rhum.

Je ne vais jamais chez eux le matin, je passe en fin de journée. Le ti-punch m’est servi (après mon examen) et je repars chez moi avec une joie énorme et des pommettes bien rouges. (Heureusement j’habite à côté).

Romuald vit avec sa maman, le papa s’est égaré ailleurs. Elle forme avec lui un petit couple indissociable. C’est le poupon que toute petite fille a ou rêve d’avoir : des billes noires rieuses, des cheveux très courts, tout bouclé, un petit ventre rond avec un nombril saillant preuve d’un estomac toujours bien rempli.

Quand j’arrive pour mes vacances au pays des foulards et des madras j’ai le devoir de rentre visite à Joséphine et Romuald : ordre du grand-père, mon voisin bordelais.

Je ne peux pas oublier cette soirée : le décor, les saveurs de vanille et surtout l’accueil que je nomme « arrangé » en rapport avec les nombreux verres absorbés.

Romuald à 15 ans.

On dirait un homme ! Il pèse 100kg, mesure 1m 60, c’est un petit cube ! Il est essoufflé à chaque pas et, devant nous, à cet apéritif, se goinfre de lamblis de langoustes, d’arachides, de beignets de crevettes. Sa maman est presque fière de voir son chéri en grande forme. Moi, même légèrement éméché de Nelson ou Trois Rivières, je suis inquiet de la surcharge pondérale de Romuald.

La maman ne semble pas se rendre compte du risque pour la santé de Romuald. Elle est plutôt fatiguée par l’énergie et le caractère difficile de son fils.

« Il n’arrête pas, il faut que je me fâche tout le temps. Il ne fait que ce qu’il veut, docteur, je suis débordée mais il est si mignon que j’autorise tout.

Romuald de sa frimouse bien ronde nous envoie un beau sourire charmeur que je traduis en créole : paniproblem mam, laisse moi manger, je t’aime !

Mon séjour au paradis antillais terminé, dès mon retour je raconte au grand-père mon escapade et la rencontre de Romuald. C’est un vieux monsieur aux cheveux gris bouclés, une canne à la main mais droit comme un bâton. La salle à manger est une réplique d’un salon antillais. Des vieux fauteuils en cuir, un ventilateur au plafond et des odeurs de vanille imprègnent le salon. Je lui fais part de mon inquiétude pour son petit-fils, son poids, son caractère tyranique avec sa maman, l’épuisement de sa fille de devoir élever seule un enfant trop gâté.

« Il mange sa mère mon pov doc’ ! »

La simplicité de l’image de ce sage antillais correspond tout à fait à la réalité. Cet enfant surprotégé n’a pas de limite. Excessif en tout, il dévore sa maman qui, se culpabilisant de l’élever seule, lâche prise et cède à tous ses caprices.

« Je vais le faire venir à Bordeaux. Cela reposera ma fille et moi je vais lui apprendre l’autorité.

Romuald arrive en ce début d’année, plus gros que jamais ! Les 115 kg sont là et l’essoufflement majeur ! Il passe son temps dans le vieux rocking-chair à se basculer la Game Boy à la main. Le vieux papi essaie de lui parler gentiment, parfois en colère : rien n’y fait.

Romual semble complètement déprimé. Il faut dire que de passer des Trois Ilets à Lestonnat peut rendre triste un enfant né sur la plage des cocotiers.

A table Romuald mange très peu, son papi me le fait remarquer.

« Il ne mange rien avec nous à table et pourtant il ne maigrit pas d’un gramme, Doc il faut faire quelque chose !

Je décide de monter dans la chambre pour discuter avec le petit. Sa chambre est triste comme lui, pas un poster, pas un jouet ! Seule une photo de sa maman sur la plage des Salines avec son papa.

« ça va Romuald?

– ça va.

– Tu es triste de ne pas être avec maman là-bas ?

– Non, ça va, mais elle me manque.

– Ton poids, ça t’embête ?

– Oui parce que papi me gronde et je ne mange pas !

Il est allongé sur le lit et moi assis à côté de lui devant son bureau. Machinalement, j’entrouve le tiroir et découvre un nombre incalculable de papiers de Mars, Nuts et autres bonbons.

– Romuald, mais tu manges en cachette?

– S’il te plaît, ne le dis pas, ne le dis pas ! Papi va le dire à maman.

– D’accord, mais veux-tu faire un contrat avec moi ?

– Quoi?

– On va faire tout pour te faire maigrir et, quand tu seras au poids idéal, tu rentres chez toi avec maman.

– Et je pourrai jouer au basket comme Michael?

– Michael?

– Michael Jordan pardi!

Vu la surcharge, un simple régime ne suffirait pas. Alors, je décide de proposer au papi et à la maman un très gros sacrifice : partir pensionnaire pendant un an  dans un centre spécialisé des Pyrénées Orientales.  Les enfants y sont pris en charge avec sport, régime et suivi scolaire intense.

La maman est venue aux vacances de Noël. Le conseil de famille décide de suivre mon plan. Romuald est d’ accord à la seule condition : pouvoir un jour jouer au basket en club!

Il est parti en pesant 123 kg à seize ans !

En septembre suivant, il est revenu beau comme un dieu. Il a beaucoup grandi et a perdu 32 kg.

Sa maman est venue le rechercher si heureuse de le retrouver après un an de « diète affective ».

Je lui ai donné le maillot de Boris Diaw, capitaine de l’équipe de France que j’ai eu la chance de rencontrer.

Romuald joue capitaine de son équipe et est promis à un bel avenir professionnel et sportif. La vie est belle !

 

 

05 Oct

De l’autre côté du drap – la suite

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Je viens de me faire opérer de ma prothèse… du genou. Je quitte l’hôpital où j’ai été opéré et j’attends l’ambulance.

Deux hommes noirs en blouse blanche, chacun sosie de Cassius Clay et Teddy Rinner frappent à ma porte.

« On vient vous chercher !! »

Je suis toujours sous forte dose de morphine et je sommeille .

« Pour aller où ?

– (avec un humour décalé Teddy Rinner) à Cadillac !

– (moi, sans humour)  Mais pourquoi ?

– Vous êtes fou, docteur !

Je retrouve mes esprits

– Vous m’avez fait peur, je rêvais !

Le transport  en fauteuil roulant commence par un gymkhana dans les couloirs, je tourne, je vire et ……je vomis !

Evidement….. je croise un de mes patients qui passe un IRM !

« Docteur, vous étiez plus brillant quand vous m’avez fait arrêter de boire !

– Ah bonjour, désolé.

Je repars. Cassius me prend dans ses bras pour m’allonger dans l’ambulance. Je me sens petit, vilain, sale mais où est donc le docteur Maison?

L’ambulance démarre ! J’ai presque un petit bonheur: ils vont mettre le klaxon !

Je regarde la rue de la petite lunette de coté. J’ai l’impression de revivre après cette semaine terrible de souffrance. Les gens regardent l’ambulance arrêtée au feu rouge s’imaginant comme moi je le fais toujours: y a t’il un grave malade, une femme en train d’accoucher, un mort à l’intérieur?

Mais non, il n’y a qu’un pauvre docteur, tout jeune prothèsé !

J’arrive au grand centre de rééducation de la région.

Mon arrivée ne se fait pas dans la discrétion ! Je suis mal rasé, en short avec des collants de contention blancs. Le professeur Patrick Centre-Ville est là, entouré de toute son équipe (kiné, secrétaire, ergothérapeute ). Est-ce mon statut de médecin qui me donne tant d’honneur ? ( je me suis très vite aperçu que chaque nouvel arrivant avait droit aux mêmes faveurs).

Après d’interminables formalités administratives, je dois prendre, toujours dans mon fauteuil roulant, l’ascenseur !

Il y a la « queue de fauteuils » comme devant les caisses le jour de Noël. Chaque malade ici est en fauteuil ou presque.

La montée aux étages est lente et les arrêts fréquents, une voix chevrotante annonce « premierrrrrr étageeee »! Je me dis alors, qu’en plus d’être handicapés, certains doivent être aveugles ou mal-entendants! ça promet …

Chambre 422, j’y suis! C’ est la chambre où Ronaldo, voire Raphael Nadal, a dormi? (Ce centre, vu sa notoriété, a sauvé de nombreux grands sportifs)

Surprise: ni l’un ni l’autre. Mais aujourd’hui, c’est Fernando, ouvrier maçon en cure de rééducation après une chute d’une échelle.

Je me retourne, surpris, vers l’infirmier :

« Mais … je pensais avoir une chambre seule ?

– Oh, mon pauvre, tout le monde en veut !

– Fernando, avec un gros rire qui fait bouger son abdomen dilaté :  » Le senor ne veut pas partager mi habitation?

– Pas de problème, Monsieur. Je voulais être incognito et je vois donc que l’on a respecté mon désir. »

La chambre ne fait pas hôpital, elle ressemble plutôt à une chambre d’hôtel.  Ma joie est immense quand j’aperçois qu’il y a Canal Plus et donc de nombreux matchs de rugby en perspective. Hélas, le rugby n’est pas encore arrivé à Madrid et je dois me contenter d’un Seville-Réal pour satisfaire notre hildago sur le retour.

Ma première nuit  avec un homme est torride ! La vue d’un vieillard en chemise de nuit, les fesses à l’air avec une perfusion se levant six fois pour aller soulager sa prostate, me confirme mon hétérosexualité. C’est déjà ça ! Je sais où j’en suis.

Réveil le matin à 6h 02 par un Sergent chef piqueur. Je viens faire le bilan sanguin, montrez moi votre bras !! Cette interpellation se rajoutant à  cette nuit blanche me plonge alors dans un syndrome dépressif aigu : j’ai peur des piqures ! Je promets à ce moment précis que je n’en abuserai plus jamais avec mes patients.

La chambre ressemble à un hôtel mais le petit déjeuner ne se prend pas dans la chambre, on descend au réfectoire.

Queue de fauteuils ! Que de fauteuils !!

Une demi-heure plus tard, je partage ma table avec un hémiplégique (qui ne peut donc manger seul), un accidenté de la route qui a perdu sa femme dans l’accident et une très belle femme paraplégique suite à une défenestration.

Eh bien, mes amis, je n’ai plus mal !! La vie est belle, ma prothèse du genou c’est de la rigolade, je suis heureux!

En fait pas heureux, abasourdi par les malheurs des autres. Depuis huit jours, je passe mon temps à me plaindre et, devant moi, j’ai le résumé de la souffrance humaine sur terre.

Le pauvre papi qui a perdu sa femme ne cesse de pleurer ayant ses jambes écrasées par le moteur de la voiture d’en face. La jeune désespérée qui, par chagrin d’amour, ne marchera plus jamais. Le grand chef d’entreprise victime d’un AVC qui a besoin de moi pour tourner sa cuillère dans son bol de café.

Je pense que ce centre de rééducation doit être un lieu nécessaire pour montrer que l’on a pas le droit de se plaindre quand, comme moi, on a un petit problème.

Mes journées sont chronométrées. Je passe du gymnase à la piscine, de la piscine à la musculation. Je mange avec tous ces malheureux de la vie. Je fais manger mes voisins. Je regarde les matchs avec les autres. J’organise des courses de fauteuil le soir avec les plus jeunes quand tout le monde dort.  Je fume dans le patio avec quelques voyous qui, comme moi, ont ce vice. J’ai l’impression d’être Jack Nicholson dans « Vol au dessus d’un Nid de Coucou ». Je progresse à vitesse grand V. La vue des autres m’a guéri !

Le professeur Patrick Centre-Ville est l’homme le plus fort et le plus humain qui transforme cet enfer en un lieu de miracles comme l’avait fait son prédécesseur le professeur Matebas.

Mon surnom de docteur Maison je me le suis donné quand je suis parti deux mois plus tard avec mes tennis et ma canne dans mon cabinet de médecin en face du centre.  Je suis parti sur mes deux jambes ….

04 Oct

Ils sont parmi nous

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En apparence tout est normal dans cette petite maison de banlieue: une fille, aide soignante à l’hôpital, un fils, postier au centre de tri et le papa, 75 ans, qui épluche le journal de la première à la dernière ligne.

Claudine la fille est la jumelle de Claude. Ils ont 51 ans. La maison est vieillotte, c’est celle de Pierrot, retraité lui aussi des postes.

Il gère l’intendance de la maison, fait son jardin potager, achète les courses aux petits commerces avoisinants. Les deux enfants n’ont jamais été mariés, ils partagent leur temps entre travail et maison. Le garçon travaille de nuit, rentre le matin tôt, déjeune avec sa soeur et son papa puis Claudine à son tour va travailler. « On ne le laisse jamais seul depuis le décès de maman » disent-ils. Ils s’occupent de lui merveilleusement.

Pierrot a une santé de fer. Ses tomates et ses pommes de terre font sa fierté.

« Antoine, je t’appelle car papa est un peu dépressif, tu peux venir?

J’essaie de venir vers 7h moment où toute la famille est réunie.

« Alors monsieur Pierrot est tristounet ce matin?

– Pas au top docteur.

Je le questionne pour connaître cette tristesse inexpliquée. Je vois bien qu’il n’est pas dans son état normal. Il me parle avec des mots codés dont je ne comprends pas le sens.

« Enfin, vous comprenez, quand ils auront ce qu’ils veulent, ils me laisseront en paix.

– Mais qui?

– Ben… eux, les gens.

Je ne comprends rien, pas plus que les deux enfants atterrés par ce discours inhabituel.

Désemparé, je prescris un bilan sanguin pour vérifier s’il n’y a pas un problème organique, une crise d’urée, une déshydratation.

Le bilan est normal et je repasse deux jours plus tard à 9h pour être seul avec Pierrot.

« Comment ça va ?

– Ils ont passé la nuit dans le garage, ils n’ont cessé de parler et comploter!

– Vos enfants ?

– Non, eux, les gens.

– Qui c’est ?

(Mettant son doigt devant sa bouche et baissant d’intonation) Ceux qui veulent tout me prendre, ils viennent de la CIA…

– (gardant mon sérieux)  la CIA?

– Oui, ils m’ont mis une puce électronique après la guerre dans mon cerveau et ils m’ont retrouvé. Ils veulent prendre tout mon argent et me capturer vivant!»

Je me rends compte à ce moment là que notre pauvre Pierrot perd complètement la tête bien qu’en apparence il paraît très logique et sérieux. Ce qui est surprenant, c’est que son discours en très peu de temps redevient normal me parlant de la victoire de Toulouse le samedi précédent et du magnifique essai de Jean-Michel Rancoule.

Je téléphone le jour même aux enfants et  leur demande de venir me voir.

Ils viennent pour la première fois au cabinet habillés comme un dimanche, elle, avec son manteau noir et lui, avec une cravate qu’il a dû mettre pour la dernière fois le jour de sa communion solennelle.

– Votre Papa perd la tête, vous ne pensez pas ?

– Oh, il dit quelques bêtises parfois car il ne voit pas assez de monde et la lecture du journal le perturbe.

– Comment est-il avec vous?

– Normal. Il a peur des voleurs, il se barricade et met son fusil de chasse sous le lit. On lui a enlevé les cartouches !

Je fais passer un scanner cérébral à Pierrot qui revient normal. Je vais lui commenter, histoire de discuter un peu avec lui. Il m’a préparé des tomates, du persil et des fèves. (j’adore !!)

« Bonjour mon petit, rentre vite. (il ferme la porte à clef de sa chambre, il a mis un meuble devant la fenêtre et a obturé une bouche d’aération avec du papier journal.)

– Ca va ?

– Chut, vous êtes fou, ne parlez pas si fort, ils ont mis des micros dans le plancher. Ils ont chuchoté toute la nuit et là, ils nous regardent par l’ampoule, il y a une caméra.

– Mais Pierrot, il n’y a personne!

– Allez-vous en! Pour me dire des bêtises pareilles ce n’est pas la peine que vous veniez !!

– Mais???

– Partez, partez vite ! Ils vont vous mettre une puce dans le cerveau comme moi et vous verrez ! Depuis 40 ans, ils me suivent partout et là, ma capture est proche.

Puis, comme d’habitude, il reprend une conversation normale râlant à propos du montant de sa déclaration d’impôt et de la couleur de ses tomates coeur de boeuf !

Claudine m’appelle ce matin car son papa est enfermé dans sa chambre depuis trois jours. Il a pris de la nourriture de survie, son fusil est armé et il campe dans le noir éclairé par une bougie.

« C’est un délire hallucinatoire chronique, mes pauvres enfants.

– Ah bon, docteur, c’est grave ?

-Il va falloir l’hospitaliser à Charles Perrens !

– Chez les fous ???

– Hélas oui.

– Il ne voudra jamais !

– Il faut que vous m’aidiez!

– Comment?

– J’ai préparé un plan. Je lui prends la tension, je la trouve élevée de façon fictive et l’amène chez un spécialiste. Nous y allons tous ensemble et faisons un placement à la demande d’un tiers. Sa vie est en danger, la votre aussi, son fusil est armé. Toutes les circonstances sont réunies. »

Bizarrement, ou parce que je suis doué pour la comédie, tout s’est passé à merveille. Pierrot est rentré aux urgences psychiatriques. Il est resté à l’hôpital trois mois. Il prend un traitement adapté et reprend goût à la vie … et ses tomates aussi !

 

 

 

03 Oct

Maman chérie

fleur

Elles vivent ensemble toutes les deux : elle, Françoise, médecin scolaire qui ne travaille plus et Germaine, sa maman qui a perdu son mari d’un infarctus il y a deux ans.

Françoise a 52 ans. Elle reste à la maison pour s’occuper de sa maman. Elle forme un petit couple indissociable, toujours collées l’une à l’autre ; elles ont un rythme de vie très calibré. Le réveil sonne toujours tôt. Le petit déjeuner est un moment important : Françoise prépare jus de fruit, thé, omelette, kiwi et fromage. Tout est bio, le pain est nature sans adjuvant, le beurre au sel de Guérande. Elle le lui prépare sur un joli plateau et n’oublie pas de poser le Sud-Ouest du jour.

Germaine est en pleine forme pour ses 78 ans, aucune maladie, aucun médicament, une tension de jeune fille. Elle a bien accepté la mort de son mari.

Françoise beaucoup moins. Son père était un homme autoritaire se faisant servir à la maison comme au bureau. Elle l’admirait ! Elle n’a jamais eu d’homme dans sa vie. C’est un peu Cosette, un peu Cendrillon, beaucoup de dévouement et d’abnégation.

Le petit déjeuner terminé, Françoise passe de son rôle de serveuse à celui d’infirmière. Elle fait la toilette de sa maman de la tête au pied comme on le fait à l’hôpital. Germaine est complètement valide et autonome mais Françoise veut le faire pour ne pas qu’elle se fatigue ! La toilette dure une heure : les ongles des pieds, des mains, les cheveux etc, etc …

« Il est déjà 10h ! Nous devons aller à la pharmacie phyto pour acheter des huiles essentielles et de l’argile verte .

– Ma pauvre Françoise, nous y sommes allées hier !

– Oui, mais j’ai oublié les oligosols. Ne t’inquiète pas, j’ai acheté un fauteuil roulant pour t’éviter de marcher. Alors ne dis rien et dépêche toi !

– Mais c’est ridicule, je marche très bien! » (Germaine est en pleine forme et sa démarche, je vous le promets, est plus élégante que la mienne. Certes elle n’a pas joué au rugby, elle!!)

Le petit caniche habillé d’un imperméable, le fauteuil roulant dans le coffre de la Mercedes, elles partent comme on dit en » ville. »

Après un tour au marché bio de Saint-Pierre, cet équipage bizarre rentre vite à la maison, le repas doit être servi à midi. Au menu : soupe de potiron, limande fraiche et haricots verts.

Françoise m’appelle une fois par semaine pour sa maman. (Madame CPAM, je sais, vous allez m’en vouloir d’aggraver le trou mais sachez que je n’obéis qu’à l’inquiétude d’une fille pour sa mère! Et j’oublie souvent de me faire régler)

Rituel bien rodé ! J’arrive à 6h37, je sonne, je rentre, je salue Vodka la caniche, je pénètre dans la chambre de la reine mère, je la réveille en douceur et je l’examine. Sa fille a tout noté sur un cahier à spirale : tension, température, poids (avec une courbe). Je lui rappelle que sa maman est en pleine forme, qu’elle ne prend aucun médicament et que c’est excessif !

« Mais non, maman est essoufflée quand nous marchons au parc. Elle est fatiguée dès le deuxième tour !

– Vous connaissez son âge ?

– Il n’ y a pas de raison, mamy a vécu jusqu’à 102 ans ! »

Je dois avouer que ces visites me sont difficiles, non pas à cause de leur finalité mais à cause du jus de chaussettes que je dois absorber en guise de café et des galettes au sarrasin préparées pour moi ! Je me demande à chaque fois pourquoi je suis venu…c’est vrai que Françoise est si inquiète !

« Allo, Antoine il faut venir vite, maman va mal, elle fait un oap ! (œdème aigu du poumon).

– (5h32) Mais, qui est-ce ? (dans une élocution très stilnox !)

– Venez vite, vite !

– J’arrive ! »

– Je me lève vite, je m’entrave dans le tapis, je me prends la porte encore fermée, je mets mes chaussettes à l’envers, cherche mes clefs et ne trouve pas mes satanées lunettes ! Je les retrouve, (elles étaient sur mon nez !), je démarre en marche arrière et je fonce : il faut sauver Germaine !

Françoise m’attend dans la rue devant la résidence, les cheveux gris décoiffés, une chemise de nuit défraichie et Vodka sous le bras.

Je me précipite dans la chambre. Germaine a les yeux fermés, une perfusion au bras, un flacon de Glucosé a petit débit marqué 4h42, un brassard à tension à l’autre bras, un saturomètre (pour savoir son pourcentage d’oxygène) au bout du doigt. Je dégaine mon stétho le pose sur le coeur et là…

« Bonjour mon petit, qu’est-ce que vous faites là ?

– Je vous promets, docteur, maman a fait un oap. Vous la voyez bien mais tout à l’heure elle s’étouffait.

– Arrête tes bêtises Françoise, je suis allée dans la cuisine manger un petit caramel et je me suis étranglée parce que tu m’as fait peur !

– J’ai des preuves docteur, j’ai fait un tableau des constantes :Ta 15-7, pouls 77, SAT 96.

– Mais, c’est normal !

– Oui, mais j’ai eu peur, alors je lui ai donné deux Lasilix intraveineux.

Françoise m’appelle souvent pour des urgences imaginaires. Germaine se laisse faire, elle râle gentiment et semble à chacune de mes visites me faire comprendre « laissez la faire, elle n’a que ça ! »

Françoise se lève tous les jours de plus en plus tôt, elle est occupée 20h sur 24. Elle maigrit, se néglige, passe son temps à soigner sa maman qui n’a rien.

Elle a mis un lit de camp dans sa chambre, elle surveille au moins deux fois par nuit sa tension.

Je passe mon temps à essayer de faire comprendre à Françoise qu’elle surprotège sa maman au détriment de sa propre santé. Mais rien ne peut lui faire changer d’avis. Germaine se laisse toujours faire.

Françoise a besoin de moi pour prescrire des examens, radios, bilans… Je m’y oppose souvent passant des minutes à la convaincre. Elle me laisse repartir et, la porte à peine fermée, téléphone à SOS médecin pour essayer d’accomplir ce que je n’ai pas fait. Son statut de médecin arrive parfois à convaincre ces médecins urgentistes qui ne connaissent pas la malade et encore moins sa fille.

Françoise me demande de passer de plus en plus souvent. J’ai négocié trois choses:

Je ne prescris que ce que je juge utile, je me fais régler qu’une fois sur deux et surtout, surtout je ne bois plus de café Burlington(chaussettes).

Ce n’est plus la chambre d’un appartement coquet mais une salle de réanimation ! Germaine n’a toujours aucune  maladie grave. Françoise est amaigrie, je lui parle, je lui conseille d’aller voir un ami psychologue. Evidement elle hurle qu’elle n’est pas folle mais seulement une fille médecin qui, puisqu’elle ne travaille pas, peut éviter des soins onéreux pour la société et la sécurité sociale .

Je continue par tous les moyens, la colère, la menace d’abandon de mes soins d’ essayer de faire comprendre à Françoise que son attitude de surprotection est néfaste pour tout le monde.

Rien n’y fait ! Je continue à venir voir ce couple infernal, soignant-soignée malgré eux mais je m’épuise. J’ai toujours peur qu’un jour je ne me déplace pas pour un faux oap, un faux infarctus et qu’arrive un drame.

Françoise a acheté à ses frais des seringues et des perfusions. J’ai découvert cela le jour où elle m’a laissé seul dans la chambre de Germaine. Je discute avec cette pauvre mamie qui me semble perdue devant les agissements de sa fille.

« Oh, je sais qu’elle exagère mais, que voulez-vous que je fasse mon petit, nous ne sommes que toutes les deux. Vous savez, elle ne me laisse jamais seule, elle a licencié Nune la femme de ménage! Je suis en prison, à l’hôpital prison!

Je suis venu un jour avec un autre médecin pour qu’il m’aide. Elle m’en a voulu et ne m’a plus rappelé pendant trois mois. Une fois, en pleine nuit, elle m’a joint sur mon insupportable portable et ….j’y suis allé !

Rien de nouveau sous le soleil, rien n’a changé ! Germaine a un rhume que sa fille chérie a étiquetté détresse respiratoire. Elle a branché l’oxygène ! Je lui ai parlé deux heures durant ! Pour une fois elle m’ a compris, a surtout compris qu’elle présente un syndrome de Munchausen détourné. Elle est allée voir un psy, mais n’a jamais guérie.

Récemment, Françoise a dû s’absenter pour aller aux obsèques de sa tante à Balnot-la-Grange à 7 heures de voiture de Bordeaux. La voisine est venue le soir garder Germaine et a dormi chez elle. C’était la première fois que Françoise laissait sa maman depuis dix ans !

A 8h du matin je suis appelé. Germaine était partie dans son sommeil…

 

 

 

02 Oct

Les maux dedans #6

 

freud_drmaison

Je continuais à idéaliser la psychanalyse et mon gourou. J’essayais de lire tous les séminaires de Lacan et, un jour de folie, je voulus me lancer dans les livres de Freud. Oh, surprise ! Après avoir avalé en deux jours les théories psychanalytiques, je me rendis compte que non seulement c’était facile à lire mais que je comprenais tout et que j’avais envie d’en acheter d’autres.

Je n’aurais jamais dû lui dire mes ressentis!

 » Monsieur, quand on ne comprend rien, on ne parle pas. Vous n’avez rien compris à Freud pas plus qu’à Lacan, vous en êtes au début, vous êtes à la maternelle ! Alors jouez au rugby mais ne lisez pas !

– Mais c’est dur ce que vous me dites !

– Je m’en fous, vous n’avez pas le droit de dire que Lacan est complexe. C’est lui qui est limpide, les autres sont compliqués. Reprenons ! »

Je n’avais rien à dire, je me sentais humilié et je disais: « Je n’ai rien à dire ! »
 » Alors partez ! Mais donnez moi 40 euros en liquide svp ! »

Je fus très touché par cette séance et, en relisant mon carnet aujourd hui, je ressens le même malaise. Mais ce qui toujours a été surprenant dans nos relations, c’est que, la fois d’après, il paraissait calme, détendu, voir empathique.  Il m’annonça une grande nouvelle :  » Voilà, j’ai créé un groupe pluri-disciplinaire qui se réunit le premier mercredi de chaque mois dans un local allées de Tourny. Il est constitué de kiné, de psychologue, d’orthophoniste, d’infirmière. Il me manque un Généraliste de votre trempe, alors je veux que vous veniez. D’accord ? »
Comment refuser,  je devenais un confrère, j’allais travailler avec mon gourou, celui qui dictait ma vie, mon inconscient, mon passé, mon avenir peut être.
 » Cela commence quand ? »
– Mercredi prochain, 20h.
– Ok. » (je ne réfléchissais pas, j’étais trop content)

Je ne savais pas comment se déroulaient ces réunions et, comme j’aime bien faire, je préparai cette réunion en mettant sur le papier un cas clinique intéressant. Je ne fus pas déçu, la composition de ce groupe était bizarre. Il y avait une grande psychologue aussi belle qu’illuminée, une vielle homéopathe, cheveux gris, petit cartable d’écolier et qui notait tout, une infirmière de cancéro qui avait servi de chauffeur à notre docteur et qui paraissait avoir une complicité avec lui dépassant le cadre professionnel, une kiné d’un centre de rééducation, une gynéco qui passait son temps à croquer la tête de Mie et… moi, le généraliste suivant une analyse. En regardant tout ce petit monde, j’imaginais que chaque membre avait un lien avec le chef de cette secte psychanalytique. Ces réunions se déroulaient toujours de la même façon. Un membre du groupe présentait un cas clinique et, à tour de rôle, nous l’ interprétions à notre manière. La conclusion revenait au docteur psy, de façon brillante, je dois dire. A minuit, on se quittait non sans avoir mangé des petits gâteaux offerts par un laboratoire. Cela me faisait drôle de savoir que, 6 heures après, j’allais retrouver mon collègue ! J’en étais tout excité mais fus bien déçu. Je m’attendais à une discussion ou une allusion: pas du tout!  J’entendis hurler: « Alors, vous venez ? », et le regard sombre d’un ayatollah m’indiqua de m’allonger sur ce divan aussi petit qu’inconfortable ! Je tentai bien de reparler de cette réunion qui m’avait enthousiasmé mais lui ne répondit rien, comme si je n’étais pas y allé. Mon interprétation était vite faite, c’était génial: il dissociait le malade et le confrère, aussi j’arrêtai là les commentaires et je repris mon travail, en parlant d’un sujet complètement inintéressant. Son manque de sommeil était frappant et,  dans mon dos, j’entendis des bâillements et des bruits aéro- digestifs montrant bien qu’il était en hypoglycémie .

Je me rendis compte en montant dans ma voiture que Mie envahissait ma vie : trois fois par semaine, plus le mercredi, plus la préparation des réunions, plus les lectures, les revues de presse et les discussions avec mes amis sur les bienfaits de la psychanalyse, lacanienne qui plus est !

01 Oct

Rien qu’un regard

voiture_drmaison

Je le connais depuis mes années d’hôpital, il travaillait alors comme kiné dans le service. C’est un super masseur. Il a une sensibilité extraordinaire, les malades ne veulent se faire masser que par lui. Il est grand, costaud et a un humour qui permet de survivre dans ce service de traumatologie et de neuro-chirurgie.

Il est l’ami de tous, surtout des infirmières dans les rangs desquels son charisme fait des ravages. Nous, les petits coquins de carabins, nous lui faisons des blagues qu’il accepte avec le sourire. On chronomètre sa traversée du couloir semée d’obstacles et, quand il bat des records, il se met à manifester sa joie comme un joueur de foot qui vient de marquer un but.

Bien que non médecin, il fait des diagnostics cliniques merveilleux. Il trouve des pertes de sensibilité des membres inférieurs, remarque l’absence du fonctionnement d’un petit muscle de la main. Il a des doigts en or et une parole calme qui s’oppose aux cris des malades et au tumulte de l’hôpital.

Il est toujours là quand nous arrivons mais aussi quand nous partons. Il mange seul à la cantine de l’hôpital le midi, il a besoin de se reposer dans le silence, me dit-il. Tout, lorsque je le décris ainsi, semble simple et beau et pourtant …

Depuis la naissance Jean-Claude est non voyant ! Ce jeu stupide de chronométrage de la traversée du couloir, c’est lui-même qui me l’a proposé voulant me démontrer que si on veut, on peut !

Vingt cinq ans plus tard, en pleine consultation, la porte de mon bureau s’ouvre.

« Antoine, c’est Jean-Claude.

– Oh, Jean-Claude, depuis le temps, je t’ai perdu de vue !

(Je fais toujours des gaffes énormes !)

– Moi aussi coquin, je t’ai perdu de vue ! Je ne t’ai même jamais vu !

– Qu’est-ce que tu fais là ?

– J’ai vu de la lumière alors, je suis rentré…..

– Je vois que tu n’as pas perdu ton sens de l’humour, tu es malade ?

– Non, je ne travaille plus, je suis à la retraite et je m’embête. Comme j’ai besoin d’un petit bilan, j’ai pensé à toi, j’habite tout près de chez toi.

 

Il rentre dans mon bureau toujours les yeux fixés vers le ciel comme s’il essayait de chercher un brin de lumière pour essayer d’apercevoir une forme, un objet. Il arrive, avec sa main, à trouver la chaise où, délicatement, il pose son manteau attendant que je lui dise de s’asseoir.

« Fais moi un bilan complet, je vais me marier! Tu as vu ma femme?

– Non???

– Moi non plus, rétorque t’il, en éclatant de rire. C’est grâce à mon humour que je l’ai séduite alors je dois m’entraîner!

Je suis mal à l’aise mais si heureux d’entendre cette voix de Jean-Claude me rappelant mes années d’hôpital. Le jeudi, quand je jouais en universitaire au rugby, je l’amenais toujours avec moi. Il adorait venir « voir » les matchs et n’était pas le dernier à faire la troisième mi temps.

 

«  Alors tu vas te marier ?

– Oui, c’est une miraculée de la vie.  Elle a eu un trauma crânien. Je l’ai prise en charge, c’est ma dernière patiente du service. Elle ne parlait plus, ne marchait plus, elle a passé plus de huit mois à l’hosto et, tous les matins, je me suis occupé d’elle. Je lui ai parlé, un peu dragué et, le jour de sa sortie, elle m’a demandé mon téléphone. Après, tu me connais, j’ai fait mon Rocky et voilà, on se marie dans un mois ! Je viens te voir aussi pour autre chose. J’ai «lu», qu’aux Etats-Unis, un chirurgien opère des malades atteint de la même cécité que moi. Je dois avoir un bilan parfait, pas de tension, un poids idéal et un équilibre psychologique parfait.

 

– Tu pourrais retrouver la vue ?

– Non, pas vraiment mais je pourrais entrevoir des formes et de la couleur. J’en ai marre de m’imaginer que je couche avec Sophie Marceau ou Monica Belluci, je voudrais les apercevoir…au moins les formes.

L’examen clinique de Jean-Claude est parfait, sa tension légèrement élevée sûrement causée par l’émotion de retrouver son ancien complice de l’hôpital.

 

« Tu sais, Antoine, c’est un rêve fou, me marier, vivre à deux et espérer apercevoir celle que j’attends depuis 58 ans.

– Je comprends, que puis-je faire pour t’aider?

– Il me faut de l’argent, beaucoup d’argent. Tu peux essayer de me faire travailler en plus de ma retraite ?

– Comment?

– Je ne sais que masser, alors …

 

Alors, nous avons organisé une petite association et Jean-Claude a fait des massages relaxants aux gens stressés de voir la vie en face.

A l’heure où j’écris ce petit texte, Jean-Claude et sa nouvelle femme sont dans l’avion pour les Etats-Unis pour y « voir plus clair », comme il dit !!