30 Sep

En guerre…

bandana rouge

Nous ne sommes pas égaux devant la maladie !

Je remarque souvent dans mes journées de travail que la loi des séries existe.

Ce matin, parmi mes visites, deux femmes m’ont appelé. La première c’est Janine. Elle vit seule avec son fils de 11 ans, Kevin. La deuxième, c’est Marie-France, mariée, trois garçons. Elle ne travaille pas, son mari, chef d’entreprise, est souvent absent et a une réussite énorme dans le monde de l’ameublement.

Janine a comme Marie France 41 ans. Ce sont deux univers complètement opposés.

D’un côté, Janine, dans sa petite maison pas loin de Bacalan. Héritage de ses parents, il y a une seule chambre dans laquelle Kevin tapisse les murs de ses idoles: les joueurs de football des Girondins de Bordeaux. Janine dort dans un clic-clac à côté de la cuisine. La toile cirée est recouverte du petit déjeuner du matin. Janine travaille comme femme de ménage à la mairie du Bouscat. Le papa de Kevin est parti quand elle était enceinte. Elle n’a jamais voulu refaire sa vie préférant se consacrer à son fils, faisant des sacrifices quotidiens pour pouvoir lui donner une éducation où le mot amour domine .

Elle n’a pas de voiture, mais le petit a un super vélo !!

Marie-France, c’est une très belle femme. Le brushing toujours impeccable, elle a une femme de ménage toute la journée. Elle aime s’occuper de la paroisse et du ramassage des dons vestimentaires. Les trois enfants ont des prénoms très évangéliques : Matthieu, Jean et Pierre. Ils vivent tous dans ce très bel appartement donnant sur le parc bordelais. Le toit terrasse a une vue imprenable. Il est souvent le lieu de fêtes où le Ferrero est le héros de la soirée.

Le hasard du jour a voulu que je vienne dans ces deux familles totalement différentes mais ayant un point commun, hélas… un mauvais point commun .

Je commence ma journée en allant voir Janine. Déjà debout à 6h30, elle a reçu son bilan sanguin. Elle est très fatiguée depuis quelque temps. Elle a perdu 11kg ! Elle explique cela par son épuisement entre son travail et l’éducation de Kevin. Elle a aussi passé un scanner abdominal car ses troubles digestifs ne font qu’augmenter.

Le teint olivâtre, les yeux cernés, elle fume sa cigarette devant son bol de café. Elle m’interroge :

« Qu’en penses tu, doc’?

– Ce n’est pas terrible Janine, je ne sais pas trop. (En fait je sais très bien, c’est un cancer du pancréas et le pronostic est abominable. En 30 ans je n’ai jamais eu d’heureuse surprise).

– Tu peux tout me dire doc’, même si c’est le crabe ! Il ne m’arrivera rien car je n’ai pas le droit de mourir tant que le petit a besoin de moi.

– Ecoute Janine, je t’envoie faire un bilan à la clinique, on verra bien.

– Pas question ! Je peux tout faire, mais je couche à la maison, je n’ai personne pour garder Kevin.

J’ai fait un lourd travail de négociation et nous avons décidé qu’elle fera ses examens en externe et sera là tous les soirs .

Le tableau est bien différent quand j’arrive chez Marie-France.

L’odeur de la bougie à la vanille rend l’atmosphère encore plus agréable. Les meubles sont très contemporains et, seule une vieille commode Louis XVI° trône dans le vestibule avec les photos des vacances sur le Bassin. La femme de ménage Marguerita travaille depuis des années chez eux et prépare le thé de madame .

« Elle ne boit que cela, elle ne mange rien, me dit son mari qui, pour une fois, n’est pas allé au bureau .

Ils sont aisés certes mais très généreux, très accueillants et forment une famille harmonieuse.

« On vous a mis le résultat des analyses sur la table ainsi que le scanner. Je veux discuter avec vous avant d’aller la voir dans sa chambre. »

Les résultats, le scanner, l’âge des deux malades sont entièrement identiques. Marie-France a un cancer du pancréas !

« Qu’en pensez vous, cher docteur?

J’ai envie de dire la même réponse que celle que j’avais formulée à Janine : « ce n’est pas terrible, je ne sais pas trop ».

– Je pense que cela peut être très sérieux Monsieur, je dois la faire hospitaliser.

– Je m’en doutais, j’ai déjà appelé le professeur Reinsem, il me réserve une chambre seule dans son service. Marie ne supportera pas d’être en chambre double.

– Ne voulez-vous pas que je la vois avant ?

– Je vous en prie, suivez moi. »

La chambre est inondée de lumière. Le trumeau au mur renvoie la verdure des arbres du parc. Marie-France est assise dans son lit, vêtue d’une robe de chambre blanche. Elle a les cheveux défaits, elle qui a souvent un chignon très Marie-Antoinette, elle est belle mais si amincie !

« Alors, très cher toubib, qu’en est il?

– Je ne peux rien dire, je ne vous cache pas que les résultats ne sont pas très bons, il faut des examens complémentaires .

– Ne me dites pas que c’est un cancer, je ne le supporterais pas !

C’est incroyable, à une heure d’intervalle dans deux familles complètement opposées, je suis confronté a l’annonce d’une maladie malheureusement souvent fatale. D’un côté, Janine me dit à sa façon « j’ai un cancer mais je vais me soigner car mon fils a besoin de moi » et, de l’autre, Marie-France ne veut même pas prononcer et entendre le mot.

Bien sûr pour moi, c’est la même maladie mais mon attitude doit être adaptée, doit tenir compte du milieu, de la famille, des enfants.

Marie-France est hospitalisée le jour même. Très vite prise en charge par le grand Professeur Reinsem, elle  commence sa chimio huit jours plus tard.

Janine, elle aussi, a vu le même professeur. Je l’ai appelé le jour même en insistant pour qu’elle fasse sa chimio vite et en externe.

Marie-France, dès ses premiers cheveux perdus, a voulu acheter une perruque. Janine a pris le bandana rouge de son fils et ne l’a plus quitté.

Marie-France supporte mal tous ses médicaments. Elle est très déprimée et ne prononce jamais les mots de sa maladie.

Janine rigole devant son verre de vin en chantonnant : « toi, mon crabe, tu ne passeras pas par moi ».

Ce matin on doit faire un lavage de la chambre implantable. Les deux (c’est un pur hasard) se sont retrouvées ensemble dans le même box.

Elles discutent ensemble et se rendent compte qu’elles ont le même docteur. L’infirmière assiste à la discussion et me la raconte le soir quand je passe à l’hôpital.

Marie-France, toujours hospitalisée ce soir, s’est confié a moi.

« Vous savez, Docteur, que j’ai vu ce matin une de vos patientes, Janine.

(l’air surpris)- Ah bon ? comment va t’elle ?

– Mal, elle a un cancer du pancréas, je pense qu’elle ne s’en sortira pas la pauvre. Je prie beaucoup pour elle. Heureusement que ma lésion ne s’est pas transformée comme la sienne. »

Fait-elle exprès? Refuse t’elle la vérité? Se protège t’elle?  Elle est très angoissée et terriblement inquiète.

Janine est rentrée s’occuper de Kevin et je vais la voir.

« Doc’, j’ai vu une de tes baronnes ce matin. Elle est mal cette femme, elle ne se bat pas. Elle sait ce qu’elle a mais ne l’avoue pas. Ne me dites pas que, lorsque nous sommes chauves avec une chimio à l’hôpital de Reinsem, nous ne savons pas que nous avons un cancer ! Elle me dit qu’elle a un kyste du pancréas bénin. Moi, vous savez, je sais tout, je sais surtout que je vais guérir très vite car Kevin commence en avoir marre de voir sa maman chauve avec son bandana !! »

Cette histoire date d’il y a dix ans !

Marie-France est partie six mois plus tard entourée de toute sa famille.

Janine va très bien, elle va, tous les dimanche, voir son grand Kevin jouer au football !