28 Sep

Une histoire à dormir debout

chat

Aujourd’hui, je ne suis pas triste !

Papa est mort ce matin. Il est tombé du lit. S’il pouvait le dire, il me dirait : »ça mon poulet, c’est une histoire à dormir debout ».

C’est plus facile de raconter la vie des autres que de narrer la sienne.

« Je peux te dire mon gros bonhomme qu’une seule chose car je ne te l’ai pas assez dit : je t’aime ! »

L’arme fatale dans la famille c’est la dérision. Nous nous protégeons tous de notre océan excessif d’émotions par ce mélange d’humour et de bonne humeur.

Il fait chaud ce 23 juillet, je rentre seul dans ma maison. Il n’est plus là pour entendre ma peine et ma tristesse.

En toutes circonstances, j’ai faim ! (sûrement un gène qu’il m’avait légué). Un petit melon bien mûr, un bocal de lamproie que mon vieux Claude m’ a donné pour me réconforter, un verre de La Solitude (c’est vraiment le bon choix vu le nom du domaine et les circonstances du jour). Je m’installe devant ma télé.

Malgré la chaleur étouffante je reste habillé en me disant que peut être quelqu’un viendra.

Ce soir, le programme TV est fabuleux: Interville, Patrick Sébastien et Secret Story ! Je vais donc louer un bon petit film.

Non, je vais essayer d’aller dormir, je dois être en forme demain.

Et si je prenais un hypnotique ?

Bon, je le prends maintenant et je regarde mon film: catégorie, catégorie, passion, action, XXL, (Antoine, voyons ce n’est pas le moment) … reprenons catégorie… humour ! (au moins je vais essayer de sécher mes yeux en faisant travailler mes zygomatiques).

« Nos joyeuses funérailles ! »

Parfait, l’arme dérision refait surface.

J’ai pris un hypnotique, et si j’en prenais un deuxième ? Comme cela je vais m’endormir en riant devant ce film.

Je me réveille! Je regarde l’heure 888 h et 8888mn! (que je suis bête… l’horloge est déréglée depuis longtemps), ma montre ?

Elle n’est pas à mon poignet ! La télé marque 2h 46! Je me suis endormi et je ne me rappelle plus de rien, bizarre.

Je me lève du canapé, mais complètement nu. Qu’est ce qui se passe Antoine, tu as perdu ta montre, tu es nu, tu ne te rappelles pas du film, tu vis un mauvais rêve, ton père n’est pas tombé du lit, tu vas aller te coucher et ça ira mieux.

Je passe devant la table de la salle à manger. La nappe brodée est bien posée, six couverts sont installés, six assiettes remplies… de croquettes de Chabal (Chabal c’est mon chat).

Oh doc’, tu es fou ? Résume un peu: tu loues un film, tu es habillé, avec ta montre… tu te réveilles, nu, sans montre, avec une table sur laquelle des croquettes sont généreusement bien placées dans un service en porcelaine.  Va te mettre de l’eau sur le visage et réveilles toi !

Je m’asperge d’eau fraîche dans le cabinet de toilette, et machinalement je me regarde dans le miroir. Ce n’est pas moi ! C’est un homme à qui il manque la moitié des dents de la mâchoire supérieure !

Depuis ce coup de pied  dans le visage sur ce satané terrain de Lavardac, j’ai l’honneur d’arborer un bridge pour mon sourire charmeur et là… rien, un trou béant jusqu’aux amygdales !

Je commence à reprendre mes esprits, je cherche ce morceau de dentition indispensable à la survie  de ma clientèle. Je suis toujours nu, toujours pas de montre. »Les Joyeuses Funérailles » se sont transformées en chasse à la bécasse dans l’hiver gersois.

Je repasse devant cette table majestueuse où mon petit Chabal se régale d’une assiette de croquettes. Je viens de réaliser que pour avoir servi des croquettes, il a fallu que je descende à la cave. Peut être que mes incisives artificielles sont en bas ? Je ne peux aller travailler sans elles. Le docteur Shephard deviendrait le chanteur de mes chiquots et Meredith ne succomberait plus à son charme dévastateur.

Je remonte sans rien, je commence à réaliser ce qui m’est arrivé. Déboussolé par le chagrin, j’ai fait ce que je dis toujours de ne pas faire: quand nous prenons un hypnotique, il ne faut jamais lutter, il faut se coucher et éteindre de suite la lumière. Ma prise sur le canapé et le début du film m’a entrainé dans un état de somnambulisme où j’ai fait n’importe quoi. (déshabillé, montre, croquettes, dentition etc..)

J’ai travaillé le lendemain ne pouvant annuler mes rendez-vous, l’air soucieux non pas par la difficulté des diagnostics, mais par cette main tremblante qui cachait ma bouche édentée.

J’ai retrouvé (deux mois plus tard) mon bridge qui me donnait mon sourire mais, ce 23 juillet, je n’avais pas envie de sourire!