26 Août

Djobi, djoba

 

roulotte

Paul, mon fils, vient de finir un tournoi de rugby poussin. Nous sommes dans la forêt d’Andernos, il fait noir car nous sommes restés au barbecue local. Je m’égare dans un petit chemin et me retrouve nez à nez avec une camionnette. J’ose klaxonner. La porte s’ouvre et descendent trois gros gaillards dont le faciès typique m’indique leur origine : des gens du voyage, des gitans. Ils ont des barres de fer! Je verrouille la voiture. Polo a peur et moi, je suis terrorisé!

« On va mourir Papa, on va mourir ! »

Le plus gros, le plus agé se présente contre ma vitre, me regarde droit dans les yeux, et soudain pointe son index dans ma direction.

« Antoine, Antoine , c’est Jean Ba ! » j’ai tellement peur que je ne sais plus si je cauchemarde, si je le connais, si je peux lui foncer dessus.

« Jean Ba, ton pilier gauche en cadet! » Là , je me rappelle un petit frisé tout maigre au regard très bleu qui jouait pilier et qui n’avait peur de rien. Trente ans plus tard, le pilier est comme un cube au visage basané, mais aux pépites toujours aussi expressives.

Nos retrouvailles dans cette forêt sombre ont quelque chose de surréaliste. Lui, fou heureux de joie, son petit ailier qu’il protégeait naguère pendant les bagarres générales, encore plus heureux de savoir qu’il venait de trouver son médecin généraliste, et moi, heureux d’être sain et sauf après avoir pensé être dépouillé par une bande de gitans!

Il n’a pas fallu longtemps pour que Jean Ba m’ utilise comme son docteur.

Il est 4 heures du matin : « Antoine c’est Jean Ba, tu peux venir? Ma petite ne va pas bien du tout, elle a 2 mois, elle s »étouffe ! »

Je pars, heureux de la confiance qu’il m’accorde. Je suis excité d’être impliqué dans un milieu marginal et qui bouleverse mes habitudes de petit médecin d’une bourgeoisie bordelaise.

Arrivé a l’adresse  indiquée, je ne vois qu’un terrain vague sur lequel se trouve quatre caravanes. J’ose m’avancer… avec une petite tachycardie bien naturelle vu le décor, et je vois un vieux monsieur qui s’approche de moi avec un fusil à la main. J’ai peur,  je demande si c’est bien là qu’habite Jean Ba.

 » Non, on connait pas , partez, partez, on a rien à se reprocher!

– Mais je viens pour sa petite fille, je suis docteur.

– Ah bon, je croyais que t’étais un flic. »

Jean Ba sort de sa caravane somptueuse: « Rentre vite, Antoine, elle va mal ».

Le décor est cinématographique. La grand mère est là, toute vêtue de noir. La maman,la femme de Jean Ba, pleure. Elle a une chemise de nuit rose fuchsia et doit avoir 25 ans pas plus. Le feu crépite devant la porte et permet d’entrevoir le petit couffin dans lequel la petite Shirley (toujours des prénoms originaux chez les gitans ) respire très mal. C’est une crise de bronchiolite, c’est sûr! Shirley est une belle petite boule chevelue. Elle les même yeux bleus que son papa.

L’examen confirme mes premières impressions, elle a un fort tirage pulmonaire, son état est critique.

 » Elle va mourir?  » me demande Jean Ba.

– Non, mais il serait plus prudent de l’amener à  l’hos…,  et il m’interrompt brutalement : « Jamais,  tu m’entends, Antoine? Jamais bébé ira a l’hosto, tu vas la soigner là, en famille. »

– Mais …

– Je vais aller chercher dans ma voiture  ma trousse d’urgence.

– Ouais, vas-y mon Toine. »

L’injection de cortisone dans ces petites fesses, les bouffées de ventoline avec le baby inhaler ont eu raison de la bronchiolite.  Je suis resté jusqu’à 8h du matin, j’ai bu du café devant le feu, j’ai mangé une soupe garbure. La peur que j’avais ressentie en arrivant devant le vieux et son fusil s’est transformée en une incroyable scène de cinema au décor de Geoffroy Larcher .

Le lendemain, en arrivant devant la porte arrière de mon bureau où je rentre pour m’installer tranquillement, je vois un super vélo rouge neuf, avec un mot écrit au feutre vert sur une page de cahier scolaire : « MERSSI MON TOINE D’AVOIR SOVE MA PETITE SHIRLEY. JEAN BA

Je téléphone immédiatement: « Mais il ne fallait pas, Jean ba, c’est très gentil, mais … »

– T’inquiètes pas, mon toine, il n’est pas volé, je l’ai juste emprunté à Carrefour. » Je deviens ce jour-là médecin et recelleur!