06 Nov

Pick and Go

 

rugby_drmaison« Allo, Antoine, c’est Mathieu ! Tu peux jouer dimanche?

– C’est de l’humour? Tu connais mon âge? Cela fait bientôt 20 ans que je n’ai pas remis de crampons et, depuis mon genou, je suis Robocop, je mets du dégripol tous les jours ! Sacré prothèse !

-Tu n’as pas besoin de crampons, juste des roues bien gonflées!

-Mais qui es-tu ? Mathieu qui ? (je pense alors à mon copain demi d’ouverture des juniors du SBUC.

-Tu le sais très bien, arrête de faire l’innocent, je compte sur toi, c’est pour un match de bienfaisance.

Honnêtement, à ce moment là, je ne vois pas du tout de qui il s’agit. Pour ne pas le vexer je continue notre conversation.

 » Tu sais, il va y avoir du monde et puis que toi, tu sois là, ce serait formidable.

-Mais je ne peux plus courir avec ma prothèse, je boîte en permanence.

-Tu le fais exprès ? Tu joueras dans un fauteuil.

-Même si je sais que tu es le meilleur demi d’ouverture qui distribue des passes fabuleuses, mon genou sera toujours en titane !

-Ecoute doc’ , je crois que tu te trompes de demi d’ouverture. Je suis Mathieu ton patient tétraplégique, c’est pour faire un match de rugby en fauteuil pour Handisport. On a pensé que de faire un mélange d’anciens rugbymen avec nous serait une bonne pub pour notre association.

Cette conversation me parait surréaliste. Moi, un vrai naïf je crois que l’on me demande de rejouer, rêvant en un instant  retrouver l’odeur des vestiaires, les bruits des crampons sur le carrelage, l’odeur du camphre qui pique les narines. Puis la réalité de l’ appel d’un patient, d’un homme, d’un ami qui m’apporte à chaque venue sa force, sa volonté, sa tolérance.

Mathieu, c’est un destin, une vie qui bascule le jour où une vilaine vague le propulse sur le sable et lui fracture ses vertèbres lui sectionnant sa moelle épinière.

Quand il vient me voir au cabinet, il arrive en camionnette. Bien que tétraplégique, il arrive à conduire, à descendre tout seul, prendre son fauteuil, ouvrir cette porte de cabinet bien mal adaptée et va dans la salle d’attente où il attend son tour comme chacun. Il discute, s’intéresse aux autres malades. La différence c’est que lui, il est toujours souriant, toujours prévenant, laissant passer l’enfant fiévreux ou la vieille mamie pressée.

Quand il rentre dans mon bureau, je prends mon habit de clown pour cacher mon malaise, je plaisante avec lui avec notre arme commune: la dérision.

 » Doc, je suis à plat !

-Fatigué?

-Non, c’est mon pneu qui est dégonflé (en me faisant un sourire complice)

-C’est un coup de pompe !

-C’est ça, doc’! J’ai besoin de médicament, j’ai une tendinite au bras à force de pousser le fauteuil à l’entraînement.

Mathieu, il n’est handicapé que pour les autres, m’a t’il dit.

 » Moi je suis comme tout le monde, je suis marié, j’ai deux enfants, je travaille et je joue au rugby ! »

Je me régale de l’entendre me parler de son sport, c’est le moteur de sa vie, son enthousiasme, sa préparation individuelle, son organisation, sa recherche de sponsor.

 » C’est dur de trouver des moyens, il faut du matériel, des camionnettes pour nous transporter et, quand on part à l’étranger, c’est un Transval qu’il faut comme avion!

Il s’occupe de promouvoir le rugby. Il a le mental d’un Dussautoir, l’enthousiasme d’un Maxou Machenaud, la force d’un Picamoles .

On se plaint tous d’un bobo, d’une prothèse, d’une déprime, lui jamais !

Alors ce match de rugby, je vais le faire! Je vais essayer d’emmener tous mes vieux copains des prés qui taquinaient le cuir avec moi. Je vais essayer de rendre un peu à Mathieu tout le bien qu’il me fait. En plus de réunir mes deux passions médecine et rugby, il m’apprend l’humilité.

Je vous tiendrai informés de la date du match. On viendra nombreux pour applaudir et soutenir Mathieu et ses amis !

 

14 Sep

Jolie Burdigala

 

choco

Place Gambetta, Bordeaux

Mon prédécesseur, le bon Docteur Cerey, a travaillé longtemps Place Gambetta avant de se retirer dans ce quartier de Caudéran où il m’ a cédé sa place.

Pour les non initiés Gambetta est la place principale de Bordeaux, le coeur de la ville, où depuis la nuit des temps la population se mélange entre les commerces, les restaurants et les immeubles du 18ième. Pendant des années ce coeur de Bordeaux battait aussi la nuit, et le plus vieux métier du monde était de rigueur dans une artère voisine, Mériadeck !

Et donc, notre bon docteur Cerey, moustache affriolante et yeux coquins était le médecin, certes des commerçants chics mais aussi de certaines femmes de petite vertu.

Quand je récupère cette magnifique clientèle dans les années 80, la fidélité apparait en premier, soit des uns soit des autres. Du haut de ma jeunesse insouciante je visite le grand couturier de la place, le fameux restaurateur à la choucroute légère, mais aussi la petite Lulu, la grosse Denise et Fanfan la coquine.

Mes journées, déjà bien remplies, font le grand écart : pour le restaurateur ou le marchand de fruits et légumes je dois passer avant 7 heures et pour les autres (au féminin) je dois passer plus tard.

Denise habite dans un petit studio où elle travaillait naguère. Seul la couleur rouge en velours des fauteuils est la relique de son métier de marchande d’amour pour les hommes en manque. Elle a  84 ans. Tous les mois, je me délecte de la voir, elle, la vieille dame digne, au discours franc et direct mais toujours enveloppé de brins de gentillesse recouvert d’élégance . Je lui pose avec curiosité des questions qu’aujourd’hui la prescription permet une réponse :

« Vous avez rencontré des gens célèbres Denise ?

– Plus que ça mon drôle, des célébrités !

– (timidement) Qui?

– Oh, je peux te le dire petit, ils sont tous morts! » (elle me donne alors des noms qui, aujourd’hui encore, sont affichés au coin des rues ou places de Bordeaux)

Denise a gagné sûrement beaucoup d’argent du temps de sa splendeur mais maintenant elle n’a que le minimum pour survivre. Tous les mois, un petit rituel s’est instauré entre nous. Ayant sa fierté de femme honnête, elle veut toujours régler mes honoraires, mais sachant qu’elle n’a ni mutuelle, ni complémentaire, je sais très bien que cela représente un trou énorme pour son petit budget. Alors elle me laisse le billet qui m’est dû sur la table. Je le prends, la remercie, et en partant lui redépose sur le buffet et elle m’envoie un petit clin d’oeil sous ses lunettes dorées qui traduit le plus grand merci du monde.

Le marchand de poissons aux Grands Hommes, c’est du Pagnol dans le texte. Exigeant il me demande toujours de venir tôt avant l’installation du banc de poissons qu’il vient de ramener d’Arcachon.

Il m’aborde toujours en prenant à parti ses collègues bouchers ou fromagers :

 » Te voilà ! Monsieur Guéritou !  Monsieur Guéritou …cousin de croque mort, tu me la fais quand ta piqure miracle que je gâte maman comme en 1945 quand je suis revenu de la guerre ? »

Continuant de parler en regardant sa voisine des légumes:

« Quand tu penses que c’est à ce morpion de 23 ans que je remets les clefs de ma vie ! »

Il y a tant de poésie que pour rien au monde je n’abandonnerais ces visites matinales. Il y en a une que j’oublierai jamais.

Depuis que l’homme sait faire du chocolat, la Place Gambetta a son fleuron, son étoile, son Maître-chocolatier. De père en fils, de secret en secret, ils offrent ce nectar à tous ces bordelais si bien ancrés dans leur tradition.

La tradition, justement c’est Adrienne, 94 ans, qui vit au dessus du salon de thé et de la chocolaterie au dernier étage. Elle a un appartement aux vitres ovales depuis lequel on domine toute la place. Elle est belle, elle a des yeux bleus des mers des sud, des cheveux blancs avec une nuance de violet. Son appartement est parsemé de meubles anciens. Sur les commodes Louis XVI, des argenteries éclatantes sont lustrées tous les jours et la vieille horloge du Limousin rythme ses journées qui lui paraissent bien longues.

Elle a, notre belle Adrienne, sa dame de compagnie pour s’occuper d’elle : Julie. Ancienne employée modèle de la chocolaterie elle a toujours été au service de « Madame ». Jamais mariée, jamais d’enfant, elle est née dans le chocolat et y restera jusqu’à sa fin.

6 h- le téléphone me réveille.

 » Docteur, venez vite, Julie en me montant mon petit déjeuner vient d’avoir un malaise! Venez vite, vu mon coeur malade, je reste dans mon lit. Passez par le laboratoire du salon de thé. »

Dix minutes plus tard, je rentre par la porte de derrière, empruntant le lieu secret où notre maitre chocolatier prépare ses boules noires à la patte d’amande, surveille ses croissants au beurre et sort les chocolatines du four. Oui des chocolatines, des vraies (pas ces pains au chocolat parisien).

Le réflexe de Pavlov est à son comble: je salive, j’hume, je jouis : j’ai faim !

A peine arrivé en haut de l’escalier, la pauvre Julie est là, allongée en ayant dans sa chute évité que le plateau du petit déjeuner de « Madame » ne soit renversé.

Malheureusement, la pauvre Julie est déjà partie dans un autre monde, victime sûrement d’un infarctus massif. Je monte expliquer à Madame Adrienne que sa Julie n’est plus de ce monde.

Elle réagit avec dignité et tristesse, mais me dit de façon surprenante :

« Oh, elle était bien âgée (10 ans de moins qu’elle! ) et elle n’a pas souffert. »

Dans ces cas-là, quand une personne décède sur un lieu extérieur le médecin doit appeler la police.

« Police secours, j’écoute..

– C’est pour un décès.

– Oui, à fortiori un mort ?

– Oui un décès !

– Arrêt cardiaque ?

– Oui comme dans tous les décès, Monsieur le policier, il y a un arrêt cardiaque

– Donc, elle est morte ?

– (exaspéré) Oui !

– Vous l’avez constaté ? ou vous me le relatez ?

– J’ai fait le constat de décès d’une dame de 82 ans qui vient de mourir brutalement !

– Comment pouvez-vous savoir qu’elle a 82 ans alors qu’il y a un instant vous me « relatassiez » (notre policier n’a jamais eu le Becherelle) que vous l’avez trouvée dite pour morte.

– Vous pouvez venir monsieur le policier pour faire votre constat ?

– Je vous envoie deux collègues. »

Je me retrouve assis dans le vestibule, à coté de notre pauvre Julie, le plateau toujours dans sa main. C’est un plateau en argent, avec une chocolatière à l’ancienne avec un manche en bois. Une orange pressée avec beaucoup de sucre, une rose unique dans un petit vase et …les fameuses chocolatines !

Les odeurs du laboratoires, mélange de cacao, fleur d’oranger, croissants chauds excitent mes papilles au repos depuis la veille au soir.

30 minutes après, les collègues ne sont toujours pas là. Ce n’était plus Pavlov, c’était un coma hypoglycémique que je subis.

Certes, je suis assis par terre à coté de notre pauvre Julie se refroidissant peu à peu, certes Adrienne s’est rendormie à quelques mètres de là, certes la police va arriver mais quand Antoine a faim, il a faim ! Qu’il mange alors…

Je commence à dévorer cette chocolatine en buvant gorgée par gorgée ce chocolat épais, onctueux , sucré …hum ….délicieux..! Je finis en me régalant de ce jus d’orange recouvert de sa pulpe quand, quand ……

La police entre ! Le tableau de la scène est rocambolesque : une morte, un plateau vide, une vielle dame dormant dans son lit et un docteur en train de prendre, à même le sol, un petit déjeuner digne de ceux de l’Hôtel du Palais (non ce n’est pas le Cluedo !)

« Eh bien, Docteur, ça vous coupe pas l’appétit ! »

Je suis à ce moment-là l’homme le plus mal à l’aise de la médecine bordelaise, de la France, du monde.

Ma réponse fuse et d’un ton affirmé : « Elle n’a pas souffert ! »

 

10 Sep

Bandit sur mon chemin

gun

La première fois que je l’ai vu, il sortait de prison.

C’est un beau mec : belle gueule, un accent de titi parisien. Il vient me voir pour une maladie de peau qu’il a contracté en cellule. Il parle peu, il est tatoué sur tout le torse et a une énorme cicatrice. Il m’explique, non sans humour, que c’est en tombant sur une pâquerette qu’il s’est fait mal.

Curieux de voir de près un Borsalino, un Al Capone, je lui pose des questions. Ces réponses sont évasives, imagées.

 » T’inquiète pas, on est pas mal là-bas. Les lunettes sont gratuites et mon dentier aussi. J’ ai même eu la chance de recevoir la visite de petits copains.

– Des copains ?

– Oui des poux !! »

Il m’explique que cela va être dur pour lui de retourner dans la vraie vie, trouver un travail au smig alors qu’il gagne dix fois plus en étant un voyou.

Il a quelque chose de sympathique. Il est secret mais dès qu’ on lui parle de sa vie familiale, son visage s’illumine. Il me raconte qu’il s’est marié en prison avec Gaëlle et que leur petit garçon a maintenant deux ans. Il ne l’a qu’aperçu au parloir.

Est-ce par soif de changer mon quotidien de malades ou est-ce à cause de cette personnalité originale mais j’ai un sentiment énorme d’empathie envers mon voyou préféré.

Il revient régulièrement avec Gaëlle et son petit Nicolas. Je lui pose souvent des questions sur ces actes qui ont entrainé ses déboires juridiques.

Il se confie de plus en plus, attaque à mains armées, vol, coffres forts, fourgons blindés…. Tout, il a tout fait ! Il est même fier de m’avouer qu’il est fiché au grand banditisme.

Il est discret mais, vu son rythme de vie, je sais très bien qu’il continue des petites choses pas très honnêtes. Je ne le juge pas, c’est sa vie. Je me demande comment cet homme si violent, si dur, ce truand peut être si délicat avec son fils et sa femme ! Il est d’une gentillesse énorme envers moi. Toujours prévenant, il m’offre toujours un petit cadeau pour mes enfants au moment de Noël. Lucien c’est la classe !

Gaëlle vient me voir un matin. Elle ne supporte pas le stress que la vie de son mari lui fait vivre.

 » J’ai peur tous les jours de les voir arriver ! (la police). J’ai peur de me retrouver encore seul avec Nicolas. Si, un jour, vous pouvez lui parler ne vous gênez pas, il vous aime beaucoup, » me dit elle.

Un midi, il m’invite à manger ! Je suis un peu surpris, un peu fier, un peu gêné de me montrer avec un tel personnage.

Le repas est sympathique. Il m’explique des trucs que l’on ne voit qu’ à la télé : il ne se met jamais dos à la porte d’entrée, il a une aiguille dans le revers de sa veste afin de pouvoir piquer la main policière qui le saisirait par le col.

 » Tu vois Doc, Gaëlle ne veut plus de ma vie de voyou. Je vais me ranger, on a acheté une petite maison dans le Médoc. J’arrête tout, je deviens un homme normal.

Il est triste, abattu. Lui, le caïd devient un citoyen classique trop classique mais c’est son choix.

Quelques jours plus tard sa venue ne me surprend pas. Il me demande de l’aider, de le soutenir.

Mes moyens sont faibles. Un petit antidépresseur est la seule arme que je possède dans ma sacoche.

Et c’est là que tout a commencé…

Le médicament antidépresseur peut, dans certains cas, réveiller une pathologie psychiatrique qui sommeillait. Cet homme arrive à se contrôler, à maitriser une violence enfouie en lui par une enfance malheureuse. Le médicament le désinhibe. Il devient fou !

Il est agressif, se bat pour un rien, une violence inouïe. Sa femme a peur, son fils aussi. Un jour dans un restaurant, il se bat, casse tout dans la salle à manger. La police l’arrête. Vu le casier judiciaire, il écope de deux jours de garde à vue et … retour case prison.

Sa femme à sa sortie le pousse à consulter un professeur de psychiatrie.

Le grand docteur est inquiet d’une telle violence et dans l’interrogatoire s’aperçoit  de mon antidépresseur donné il y a peu de temps. Il lui explique que c’est à cause de ce dernier que la déshinibition a eu lieu  et qu’il a agi comme cela.

Nicolas n’entend que ce qu’il veut et traduit les propos du psy : Antoine est nul, tout est de sa faute, je me vengerai !

Le soir même, à 2 heures du matin, Lucien, visiblement très alcoolisé, me téléphone et me menace de mort.

«  Tu as voulu me tuer, tu es un homme mort ! Je t’aurai, toi et ta famille!  »

Je mets ces propos violents sur le compte de l’alcool et attends le lendemain pour le rappeler.

La conversation est pire. Il est à jeun et pourtant ses menaces sont bien réelles. J’ai peur !

Quelques jours plus tard,  je reçois un paquet par la poste. Je l’ouvre: c’est une boite d’un joaillier. Curieux, je regarde vite le contenu et je ne suis pas déçu, je suis effondré ! Une balle de 22 long rifle et un petit mot : la prochaine, elle est pour toi !

Que faire, téléphoner à la police ? Non, il se moque de tout. Au conseil de l’ordre ? Non,  je vais essayer de faire Zorro. Je l’appelle !

 » Allo, laisse moi parler !

– Non, tu as foutu ma vie en l’air !

– Ecoute, je te propose qu’on aille voir ensemble le psy, et après on discutera.

– Tu viendras jamais, trop froussard le doc.

– J’ai pris rendez vous avec lui et toi, mercredi 20h30.  »

Il raccroche. Le lendemain, il me rappelle ! Je passe sur les mots vulgaires, ignobles, touchant à mon anatomie masculine, et me dit:

  » Alors si tu en as, tu viens avec moi chez le Professeur mais avant, vers 20h, je t’attends dans le bar d’un copain.

Zorro est mort de trouille. Il court acheter des couches et avale une barrette de Lexomil mais est décidé à braver Al Capone.

Il fait froid, il neige. Toute ma famille tremble, moi aussi ! J’ai un dictaphone dans la poche, un couteau suisse et une bombe lacrymogène. Zorro est devenu l’Inspecteur Gadget !

J’arrive dans ce bar, je suis seul ! Le serveur au teint olivâtre, style Dalton avec une moustache noire peu fournie, essuie machinalement des verres. Lui, le caïd est attablé, un demi à la main. Mal rasé, il ricane en voyant cette chose qu’il a devant lui, plus blanc que blanc : moi !

 » Alors minus, tu es venu !  »

Il  se met à me répéter que je vis les dernières heures de ma vie, qu’il sait ou j’ habite, me le confirme par une photo de moi sortant de son domicile mais il me dit :

 » C’est ta dernière chance on va voir le psy et si il dit que tout est de ta faute  « … et il me mime un coup de couteau sur le cou!

– Ok, ok, ok.

J’ai vraiment une bonne étoile ! Le psy que je ne connais pas nous accueille en disant :

 » Eh bien, vous en avez de la chance ! Si vous aviez connu le doc avant vous auriez évité bien des années de prison. Votre cas est simple ! Toute votre vie, vous étiez un bipolaire qui s’ignorait et donc pas traité. Aujourd’hui, on le sait grâce aux effets indésirables de ce médicament. Je vais vous donner un régulateur de l’humeur et tout sera fini !

 Lucien est sorti avec moi de ce rendez-vous. Il m’a serré la main et a juste prononcé un mot : « pardon Doc ! »

02 Sep

Certains l’aiment chaud !

marylin monroe

 

Il est 13h15, j’avale mes deux cafés serrés et me prépare à ma micro sieste. L’insupportable portable sonne. Il interrompt ce moment que j’adore pendant lequel, en 10minutes, j’arrive à plonger dans un cycle de sommeil et repartir à mes consultations.

 » Allo, Antoine, ma nièce et mon neveu sont à l’aéroport, ils reviennent de Los angeles et elle est complètement pliée en deux ; elle souffre d’une lombalgie.

Alors là, deux situations, celle que j’ai dans ma tête : et Merde ….moi qui voulait dormir !

la deuxième: la réalité !

 » Qu’elle vienne vite, je la fais passer par la porte de derrière, je la consulte avant tout le monde ! »

Ils sont déjà là quand je gare ma voiture. J’avoue que je ne suis pas de très bonne humeur mais je me dépêche d’ouvrir la porte.

Il y a toujours une sorte de miracle, j’oublie mes états d’âme, suis transformé, heureux de faire ce métier de rêve.

Je m’assois derrière mon bureau et eux, timides, restent debout face moi attendant mon « asseyez vous je vous en prie ».

Ils ne sont pas beaux, ils sont sublimes ! Elle est vêtue d’une petite robe noire toute simple. Ses yeux sont des pépites noisette. Sa petite fossette lui donne un air coquin et son léger accent anglais ne fait que rajouter à ce charme fou.

Lui est grand, on devine un corps de rêve sous ce tee-shirt moulant aussi bleu que ses yeux. Il parle calmement, gentiment, sourit tout le temps.

 » Merci, Docteur, de nous recevoir si vite, ma femme a souffert pendant tout le voyage. Nous arrivons chez mon oncle et je voudrais vraiment qu’elle soit soulagée.

Essayant d’oublier mon manque de micro-sieste et la beauté de mes nouveaux patients, je passe à l’interrogatoire rapide et je suggère à beauté fatale de s’allonger sur ma table d’examen.

La petite robe noire est très moulante, et je suis obligé de lui demander de l’ôter. Très à l’aise, elle l’enlève et la confie à son mari.

Je sais, un médecin ne regarde rien en dehors des éléments médicaux. Parfois on peut faire un bon travail dans de sublimes conditions .

Allongée sur cette table, elle me regarde inquiète scrutant tous mes gestes. J’ai l’impression d’avoir entre mes mains une poupée de porcelaine. Elle a mal, très mal quand je soulève sa jambe droite. Je lui explique que c’est le signe de Lassegue, marque d’une sciatique évidente hyperalgique.

Elle ne semble pas rassurée et son regard est soucieux.

 » Yes doc, but j’ai senti dans l’avion like une déchirure sous la fesse droite, ce n’est pas un claquage… hein doc ? »

Elle se lève juste vêtue de ses sous-vêtements aussi délicats que …petits et se propose de se pencher sur la table afin que je vérifie la déchirure éventuelle.

Son mari me regarde avec confiance et semble me dire « allez y, allez y mais soulagez la !!

Je vérifie donc ce muscle fessier, dans sa partie interne, d’un claquage éventuel. Elle, debout, à moitié couchée sur la table.

Je confirme donc mon diagnostic, mon toucher très intime ayant à mon sens éliminé l’autre hypothèse .

De retour à mon bureau, je demande de façon aussi bête que machinale :

 » Vous avez la carte vitale?

– Non! je suis citoyenne américaine.

Toujours dans ma routine :

 » Ce n’est pas grave, je vous fais une feuille. Vous vous appelez comment?

Pour respecter le secret médical, je vais donc utiliser un nom d’emprunt mais qui correspond à l’importance dans le monde cinématographique de cette femme aux yeux  noisettes.

 » Monroe. »

Et moi, toujours aussi concentré et très loin de penser au cinéma :

 » Vous êtes la fille du docteur Monroe ? (un médecin bien connu dans le bordelais)

– Euh, non… je suis Marilyn Monroe !!!

Alors là, Antoine tu viens de faire une gaffe énorme, tu viens de demander à une star planétaire son nom !

Tu la vois tous les jours dans des spots tv, tu as vu tous ses films, tu dis souvent que c’est la plus belle femme du monde, tu ne l’a pas reconnue, tu l’as examinée, tu as appuyé ton doigt sur ses fesses et là, tu as l’air …stupide!

Voyant mon embarras elle a la délicatesse de me dire (avec toujours son petit accent)

 » Je suis très heureuse que vous pas reconnaître me. Vous m’avez surement mieux soignée.

 

Marilyn est revenue me voir avec sa radio le lendemain …elle avait bien dormi. Pas moi !

 

01 Sep

Chapeau melon et bottes de cuir

 

manchettes

J’aime le printemps car après il y a l’été…

J’aime le printemps car les femmes sont belles, les couleurs vives ressortent dans la rue, les rhumes diminuent, les gastro aussi.

Elles viennent me voir pour perdre les quelques kilos hivernaux superflus, pour les premiers coups de soleil, pour les préparatifs des voyages.

Elle arrive dans une robe en tulle orangée, elle est grande, blonde, le teint est juste halé. Tout le monde la regarde, l’admire, la dévore, la jalouse.

Quand elle s’assoie devant moi, je ne vous cache pas qu’avant d’être médecin je suis un homme. Troublé ? Non. (j’ai l’habitude après tant d’années)

Admiratif ? Oui!!

Elle se présente :

 » Je m’appelle Dominique, j’ai 31 ans, je reviens de deux ans d’Angleterre où j’ai eu un grave problème gynéco et je vous choisis comme généraliste.

Eh bien ça, c’est clair, net, sans bavure.

 » Je voudrais une crème épilatoire. »

Un peu surpris par cette demande, je décide d’ouvrir un dossier médical afin de poser quelques questions sur les antécédents.

Les réponses sont beaucoup moins claires que la demande initiale.

 » J’ai été opérée d’une hystérectomie et j’ai un traitement hormonal ; j’ai donc une hyperpilosité très embarrassante. »

Voilà, le métier de docteur peut parfois se transformer en celui d’esthéticien!

Elle a une belle élocution, elle parle beaucoup, elle est à l’aise …Pas moi !

L’examen clinique est rapide et l’on peut dire que la pudeur n’est pas la marque première de Dominique. Je la retrouve en petite culotte et soutien-gorge devant mon bureau.

Je n’ai pas de réponse à mes questions, elle parle mais ne dit rien. Le rendez vous se passe bien, j’utilise l’humour à titre de protection…et je vois bien que le contact… professionnel est bon.

Huit jours plus tard, Dominique revient : talons de 12 cm au moins! Ils se rajoutent à ses 182 cm de taille. Robe noire, rouge à lèvres rouge vif, yeux bleus juste soulignés.

Adriana Karembeu ! C’est le sosie d’Adriana. Comme nous en étions restés à la crème épilatoire lors de notre dernier rendez-vous, je lui dit très sérieusement:

 » Bonsouaar, c’est pour les aisselles et le maillot ? »

Un premier bon point : notre fausse Adriana comprend mon humour et me répond :

 » Bonsouuar Nadine! les aisselles,le maillot,et les demi- jambes. »

Le fait de pratiquer cette entrée en matière un peu cavalière permet à notre Adrianna d’être beaucoup plus simple, sans manière.

Elle s’assoie devant moi, pose ses deux mains sur le bureau, l’une caressant l’autre doucement, sensuelle à souhait. Elle fixe mon regard, se noie dans mes yeux … Ouh la la!…

Je transpire, je rougis, je pense à Margaret Thatcher ou Angela Merkel, ou les deux, à poil…enfin quoi, j’essaie de redevenir le docteur de quartier. Non, je ne suis pas George Clooney, ni le Dr Mamour de Grey’s Anatomy !  Je suis Antoine !!!!!!!!!

 » Que…que, que se passe t-il Adri.. ,euh je veux dire Dominique ?

– Il faut que je vous parle Docteur. (voix de Macha Béranger à minuit le soir sur la radio)

– Oui, bien sûr .(voix de chouchou d’amour dans Hélene et les garçons)

– Je dois tout vous dire, laissez moi parler je vous en serai gré.

– Voilà, je m’appelle Dominique.

– Oui, ça je sais !

– Je vous en supplie, laissez-moi parler ; ce n’est pas facile.

– Je m’appelle donc Dominique, mais il y a deux ans quand je suis partie à Londres, je m’appelais DOMINIQUE (en prenant une voix grave)

– Et alors ?

– Eh bien, j’étais un homme !

– Ouah !!! Le choc ! Ce n’est pas Adriana, c’est Karembeu lui même !

Je redeviens sérieux.

 » Donc, tu as subi une opération de transexualité ?

– C’est ça. Je reviens sur Bordeaux où je suis née mais où je n’habite (sans jeu de mot) plus depuis 12 ans. Je suis un peu paumée, j’ai besoin de vous parler, d’être aidée, soutenue.

Alors que mon esprit fripon se dissipe d’un seul coup, je me rends compte de la souffrance de Dominique. Elle pleure et son rimmel soulignant ses beaux yeux bleus dégouline lentement sur cette joue imberbe.

J’ai beaucoup vu Dominique pendant des mois, une à deux fois par semaine. J’ai pu me rendre compte du drame psychologique qu’elle a vécu quand elle était homme. Mal dans une peau si grande, mal parce que pas mâle. Femme dans sa tête, homme dans son corps : elle a eu la force d’être maître de son destin.

Trois mois plus tard, je mange dans ma cantine habituelle où Robert, Simone, Rachel et Jean s’affairent autour de moi pour me servir le couscous. Non, pas le couscous mais LE COUSCOUS !

Gilbert, mon ami kiné est là, il attend quelqu’un. Il se lève, vient me voir et me dit avec un éclair de coquinerie dans ses yeux:

 » J’attends ma future fiancée ! Une bombe, t’entends Antoine, une Bombe !!! Je conclue ce soir !!

Dominique pénètre alors dans le restaurant.

Un frisson me traverse tout le corps, d’un coté Gilbert mon copain, mon collègue de travail, de l’autre Dominique et son secret que moi seul connais.

Que faire ? Dire ou ne pas dire ? Trahir celle qui me fait confiance ou trahir mon ami ?….

Ils vont bien, rassurez vous.

 

 

29 Août

Miss Rififi

miss2

Parfois mes journées sont longues et épuisantes. Je commence très tôt le matin (6 heures) car je pars du principe que certaines personnes, comme moi, détestent attendre dans une salle d’ attente et préfèrent venir le matin que d’attendre une place dans les consultations de  l’après midi. L’avantage, c’est que cela me permet de prendre plusieurs petits déjeuners. Certains  papis et mamies sont tellement heureux de faire un petit café et de le partager avec moi .

Il arrive parfois que Colette me cuisine des pommes de terre farcies car elle sait qu’ à midi je ne vais pas avoir le temps de manger.

Quand je reviens à 13h30 pour les consultations, j’ai souvent déjà une horde de patients qui sont là. Celui qui arrive 1heure en avance car, comme ils disent, au moins là,  on n’attendra pas !  J’ai celui qui n’a pas rendez vous et qui compte  sur ma gentillesse et sur l’absence  du mot non dans mon vocabulaire.

J’ai le copain ex-rugbyman avec qui j’ai foulé toutes les pelouses et qui croit avoir un laisser-aller  permanent. Le vieux couple qui vient tous les mois, à la même heure, le même jour. Souvent, par exemple, le lundi c’est le jour des coiffeurs et des banquiers car c’est leur jour de repos  (j’ai même un couple banquier-coiffeuse adorable qui profite de ce lundi de repos pour me consulter ou même me faire un petit bonjour).

Il y a aussi le casse pied ponctuel qui veut passer à l’heure précise et ne supporte pas que je puisse prendre une urgence:  un enfant à recoudre, un malaise cardiaque… Il arrive avec un cartable, rempli de documents, son dernier bilan sanguin mais aussi celui de 1997 qu’il veut que je compare. Il imprime souvent des documents internet car il pense avoir trouvé le diagnostic sur Doctissimo.

Il pose sa montre sur la table et me répète qu’il a vu qu’une consultation doit durer au moins 15 minutes et qu’il veut « en avoir pour son argent ! »

Argent d’ailleurs qu’il ne débourse pas car il est soit ancien pensionné de guerre, soit en ALD pour un petit diabète et ne comprend pas qu’on lui réclame de payer pour une verrue . Souvent dans ce cas là, je suis exaspéré et j’essaye de me détendre, de ne pas lui montrer.

J’ai une petite astuce pour me faire rire  et surtout pour oublier les manies de ce vieux grincheux.  Je me motive pour citer, sans qu’il se rende compte,  des textes de chansons populaires.

Ca fait comme ça :

 » Vous avez mal en permanence?

– Non, par intermittence.

– En fait, ça s’en va et ça revient?

– Oui.

– C’est fait de tout petits riens ?

– Oui.

– C’est peut être un détail pour vous, mais pour moi ça veut dire beaucoup…

Le vieux maniaque ne se rend pas compte que je le taquine pas méchamment et je me calme .

Et j’en rajoute…

 » ça veut dire que vous êtes libre, heureux d’être là malgré tout …

Tout n’est pas Claude François ou France Gall… Parfois, la vie de médecin est dangereuse.

Trois heures du matin!  J’aime faire quelques visites de nuit, c’est souvent du vrai travail d’urgence et j’aime ça!

Laurence, jeune femme magnifique, ancienne miss Aquitaine, mannequin m’appelle pour de fortes douleurs abdominales. Pas très bien réveillé, je fonce à son domicile. Elle est dans sa chambre, en petite tenue en cette nuit chaude de juillet. Je l’examine dans son lit et mon diagnostic est sûr: colique néphrétique ! Je dois lui faire une injection de Spasfon et d’anti-inflammatoire.

Allongée sur le ventre je lui pique la fesse …

Le lendemain, 18h30, je reçois un coup de téléphone affolé de Laurence : « Fais gaffe, il arrive…il  arrive chez toi, il est armé, il a bu, il est complètement bourré! »

Je ne comprends rien, je demande qu’elle m’explique …

 » Mon compagnon t’a aperçu quand tu me faisais la piqure cette nuit. Il rentrait de son boulot, (il est directeur de boîte de nuit) il m’a vu les fesses à l’air et toi à coté. Il est persuadé que tu es mon amant et, depuis cette nuit, il ne fait que boire et là, il veut te tuer. Il a un revolver, j’ai peur, Antoine! »

Si notre Laurence a peur, moi,  je me fais dessus! merci Pampers !!

Je n’ai pas le temps de raccrocher que notre cow-boy pénètre dans mon bureau. Titubant,  écarlate, il hurle:

 » Alors docteur, on baise ma femme… hic.. » J’avoue  que je n’ai pas cité des textes de chansons! Je suis pétrifié!

Il me sort son colt et me le pose sur le ventre. Alors là, mes chers lecteurs, le doc Superman, Tarzan, docteur Schweitzer,  il est mort de trouille, il tremble comme une feuille. L’instinct de survie me donne un courage qui m’étonne encore.

Je me lève de mon bureau, repoussant le pistolet et calmement, en le regardant bien droit dans les yeux, je lui dis : « Voilà mon vieux, deux choses à te dire: ta femme a eu une énorme colique néphrétique et je lui ai fait une piqure et deuxièmement,  si tu veux me tuer, ça me rendrait service, je suis très déprimé et je n’ai pas le courage de me supprimer. »  Je ne sais pas pourquoi je lui sors cet argument bidon, mais il permet alors un revirement inattendu de ce psychodrame type « plus belle la vie ». Il pose le pistolet sur mon bureau et commence à me parler, parler pour essayer de me consoler en faisant de longues phrases interrompues par des petits hics, rots, ou autres remontées gastriques alcoolisées. J’ai fini cette consultation en partageant un Ricard avec notre nouveau psy au revolver facile. Ouf!

 

26 Août

Djobi, djoba

 

roulotte

Paul, mon fils, vient de finir un tournoi de rugby poussin. Nous sommes dans la forêt d’Andernos, il fait noir car nous sommes restés au barbecue local. Je m’égare dans un petit chemin et me retrouve nez à nez avec une camionnette. J’ose klaxonner. La porte s’ouvre et descendent trois gros gaillards dont le faciès typique m’indique leur origine : des gens du voyage, des gitans. Ils ont des barres de fer! Je verrouille la voiture. Polo a peur et moi, je suis terrorisé!

« On va mourir Papa, on va mourir ! »

Le plus gros, le plus agé se présente contre ma vitre, me regarde droit dans les yeux, et soudain pointe son index dans ma direction.

« Antoine, Antoine , c’est Jean Ba ! » j’ai tellement peur que je ne sais plus si je cauchemarde, si je le connais, si je peux lui foncer dessus.

« Jean Ba, ton pilier gauche en cadet! » Là , je me rappelle un petit frisé tout maigre au regard très bleu qui jouait pilier et qui n’avait peur de rien. Trente ans plus tard, le pilier est comme un cube au visage basané, mais aux pépites toujours aussi expressives.

Nos retrouvailles dans cette forêt sombre ont quelque chose de surréaliste. Lui, fou heureux de joie, son petit ailier qu’il protégeait naguère pendant les bagarres générales, encore plus heureux de savoir qu’il venait de trouver son médecin généraliste, et moi, heureux d’être sain et sauf après avoir pensé être dépouillé par une bande de gitans!

Il n’a pas fallu longtemps pour que Jean Ba m’ utilise comme son docteur.

Il est 4 heures du matin : « Antoine c’est Jean Ba, tu peux venir? Ma petite ne va pas bien du tout, elle a 2 mois, elle s »étouffe ! »

Je pars, heureux de la confiance qu’il m’accorde. Je suis excité d’être impliqué dans un milieu marginal et qui bouleverse mes habitudes de petit médecin d’une bourgeoisie bordelaise.

Arrivé a l’adresse  indiquée, je ne vois qu’un terrain vague sur lequel se trouve quatre caravanes. J’ose m’avancer… avec une petite tachycardie bien naturelle vu le décor, et je vois un vieux monsieur qui s’approche de moi avec un fusil à la main. J’ai peur,  je demande si c’est bien là qu’habite Jean Ba.

 » Non, on connait pas , partez, partez, on a rien à se reprocher!

– Mais je viens pour sa petite fille, je suis docteur.

– Ah bon, je croyais que t’étais un flic. »

Jean Ba sort de sa caravane somptueuse: « Rentre vite, Antoine, elle va mal ».

Le décor est cinématographique. La grand mère est là, toute vêtue de noir. La maman,la femme de Jean Ba, pleure. Elle a une chemise de nuit rose fuchsia et doit avoir 25 ans pas plus. Le feu crépite devant la porte et permet d’entrevoir le petit couffin dans lequel la petite Shirley (toujours des prénoms originaux chez les gitans ) respire très mal. C’est une crise de bronchiolite, c’est sûr! Shirley est une belle petite boule chevelue. Elle les même yeux bleus que son papa.

L’examen confirme mes premières impressions, elle a un fort tirage pulmonaire, son état est critique.

 » Elle va mourir?  » me demande Jean Ba.

– Non, mais il serait plus prudent de l’amener à  l’hos…,  et il m’interrompt brutalement : « Jamais,  tu m’entends, Antoine? Jamais bébé ira a l’hosto, tu vas la soigner là, en famille. »

– Mais …

– Je vais aller chercher dans ma voiture  ma trousse d’urgence.

– Ouais, vas-y mon Toine. »

L’injection de cortisone dans ces petites fesses, les bouffées de ventoline avec le baby inhaler ont eu raison de la bronchiolite.  Je suis resté jusqu’à 8h du matin, j’ai bu du café devant le feu, j’ai mangé une soupe garbure. La peur que j’avais ressentie en arrivant devant le vieux et son fusil s’est transformée en une incroyable scène de cinema au décor de Geoffroy Larcher .

Le lendemain, en arrivant devant la porte arrière de mon bureau où je rentre pour m’installer tranquillement, je vois un super vélo rouge neuf, avec un mot écrit au feutre vert sur une page de cahier scolaire : « MERSSI MON TOINE D’AVOIR SOVE MA PETITE SHIRLEY. JEAN BA

Je téléphone immédiatement: « Mais il ne fallait pas, Jean ba, c’est très gentil, mais … »

– T’inquiètes pas, mon toine, il n’est pas volé, je l’ai juste emprunté à Carrefour. » Je deviens ce jour-là médecin et recelleur!

Chez M. le Baron…

vertige

 

Ce matin, un de mes vieux patients de la noblesse française, le baron Auguste de Blanche de Prada de Beauprés et …..d’autres lieux découverts à marée basse, m’ appelle car il a la fièvre. C’est un grand appartement coquet de Caudéran, où trônent des vieux meubles 18ième et des tableaux, portraits des aïeux. L’interrogatoire, l’examen clinique… je ne trouve rien. « C’est sûrement la grippe, mon cher Baron. Un peu de paracétamol et hop, tu repars au golf » (on se tutoie). Michel a le faciès buriné de l’expat’ qui a bourlingué autour de la planète, nourri au whisky et qui a ramené des petits bibelots de chaque tournée où il a vendu son savoir.

Néanmoins, je trouve Monsieur le Baron sans son humour habituel, les traits tirés et inquiet. Je rédige mon ordonnance de paracétamol et prend ma bouteille de « knockando », cadeau à chaque visite de Michel qui partage le même amour pour ce délice tourbé. En franchissant la porte de la chambre, j’aperçois des lances de guerriers Masaï et là… une connection dans mon cortex:

« Tu as déjà été en Afrique ? »

– Oh oui, il y a plus de 30 ans.

– Tu as fait déjà du palu?

– Jamais , tu y penses?

– Ca me traverse l’esprit, je te fais une goutte épaisse, et un petit bilan sanguin ! »

Retrouvant son humour : « pour le bilan ok, mais pour la goutte, impossible je n’ai pas eu de rhume !! »

J’avoue, la fièvre du baron ne m’ a pas tracassé durant cette journée.

19h-

Je passe prendre mon fils Paul chez nous pour l’amener à l’entrainement et, dans la voiture, je reçois un coup de fil du labo.

« Bravo Doc, ton baron il est bourré de falciparum » (un des plus mauvais ).

On est toujours content même si on est inquiet, lorsque l’on trouve un diagnostic inhabituel chez un patient. Je l’appelle donc !

Pas de réponse! J’insiste, rien. Michel ne sort jamais, c’est bizarre! Bêtement je pense à Fosto Coppi qui est, paraît-il, mort de son paludisme. Je demande donc à mon fils si on peut s’arrêter pour voir son état.

Je sonne, résonne, toujours rien. Je tente chez les voisins et la jeune voisine de palier m’ouvre (18 ans, 1m75). Mon Polo me suit, heureux de vivre un épisode de ma vie profesionnelle. Devant la porte du baron, aucun signe de vie! La voisine me propose de passer par son balcon.

Mes chers amis lecteurs, je dois vous attrister. Le grand sauveur de l’humanité que vous croyez lire a une faille. Il a le vertige! Impossible au 4ième étage d’enjamber le balcon tellement j’ai peur d’être attiré dans le vide! Mes jambes sont dans le même tissu que mon pantalon (en flanelle) et Paul, mon gamin de 13 ans, se propose de suite. Reprenons! Le décor: une voisine en chemise de nuit transparente, un balcon à franchir, un enfant excité de gravir les marches de la gloire… Et moi… vert, tremblant de vertige. En deux temps trois mouvements, Paul se retrouve chez le Baron. Il pénètre dans l’appartement et ressort aussitôt. « Papa, papa il est tout  nu dans sa baignoire, sans eau, il a fait caca partout et il dit n’importe quoi !!!  »

Après m’avoir ouvert par le pallier, la voisine sur mes talons, (toujours aussi sexy avec les formes que l’on aperçoit à travers son deshabillé rose pale) je me rends vite compte que notre Baron est complètement à la masse: encéphalite paludéenne, trente ans  après un séjour en Afrique!

Heureusement tout rentre dans l’ordre après quelques jours d’hospitalisation et Paul, le cascadeur, se souviendra toujours qu’il a sauvé une vie mais que son héros de père est un grand froussard devant le vide.