18 Sep

Les maux dedans #4

docteurmaison_cerveau

Pendant plus de six mois j’ai continué ces séances au rythme de deux fois par semaine le lundi à 6h30 et le vendredi à 13h30. J’étais toujours assis en face de mon gourou et au fur et à mesure nos relations évoluaient.
Il ne venait plus me chercher dans la salle d’attente après avoir ramené le patient précédent, il allait dans son bureau, me faisait patienter, surtout le vendredi le jour où j’étais pressé et il me hurlait depuis son bureau : »VENEZ !!!! ».

Un jour, à la fin d’une séance, il m’annonce comme un cadeau : « Voilà, il est temps maintenant de s’allonger. J’étais super content, en fait, j’allais être comme dans les films sur le divan, lui derrière moi en train de réfléchir et moi, immobile en train de sortir de mon cortex des phrases, des jouissances, des frustrations, des tourments.
Je ne suis pas déçu, si on peut dire, car si je voulais être allongé, j’allais être allongé !! il rajoute à mon cadeau une séance supplémentaire.  » Vous viendrez le jeudi à 6h15, c’est primordial,  vous en avez trop besoin et notre travail progresse trop lentement ! »

« Oui, mais le jeudi pour moi ce n’est pas pratique pour mon travail »

– A jeudi,  j’ai dit ! »

Une fois de plus, je ne râlais même pas. J’essayais de trouver une explication, et même je pensais en mon fort intérieur: il est vraiment super fort ce Lacan des pauvres !

Je devenais lacanien toute la journée, j’écoutais mes patients me parler de leur rhume, de leurs hémorroïdes, de leurs histoires de cul et j’arrivais à trouver des signes, des manifestations de leur inconscient même à en être grivois. Un jour, une vieille fille qui me faisait part de sa détresse dans sa solitude, de sa panique de finir seule et moi, l’élève du fameux docteur Mie, je lui jette en pleine figure:  » Voilà,  vous êtes pas… niquée ! C’est là le problème ! »

Je lisais des articles sur internet, j’envoyais tous mes copains chez les lacaniens et même chez le grand des grands, le fameux Dr Mie ! Ce qui peut paraître bizarre, mais le docteur me disait que chez les Lacaniens rien n’était comme chez les autres et que c’était la « différence positive ».

Je passais mes dimanches à lire des articles, à regarder des revues et, un matin d’un dimanche de printemps, quelle émotion ! Je découvre qu’il existe une association se nommant « l’école de la Cause Freudienne » dont le président n’était autre que notre fabuleux gourou bordelais, le docteur de mes maux dedans mon « Phiphi » national !!.

Ce n’était donc pas un imposteur, c’était le fils spirituel de Jacques Lacan et peut être le nouveau monstre de la psychanalyse.
Evidement, dès la prochaine séance, je me précipite pour lui faire part de ma découverte et là, je me suis aperçu que sa modestie avait sûrement été oubliée lors de ces réunions à Paris. Il jouissait en me racontant son cheminement, sa rencontre avec Lacan, ses relations avec sa fille, son gendre et que c’est toute cette petite famille qui avait imposé au monde de la psychanalyse le nom du Dr Mie !

Cette séance avait durée plus que d’ habitude, 25 minutes au moins! On avait parlé que de lui et; juste à la fin, il m’avait lancé : « Et où en êtes vous avec votre inconscient ? »

Ma réponse fut aussi courte que sincère : « J’y travaille, j’y travaille ! »

– Bien ! Cela fait 40 euros, en liquide s’il vous plait. »

Debout devant la porte pour la première fois, il me parla sans être mon psy : « ça vous intéresse cette école Lacanienne ? » Très flatté par cette soudaine complicité, je répondais que j’avais trouvé enfin une nouvelle passion et que cela me rendait heureux. Alors, si cela vous plaît, faites savoir autour de vous, dans votre clientèle, votre entourage amical, que cela existe et que nous faisons une revue que l’on vend 2 euros.

 » Vous en voulez une ? »

Bien sur que j’acceptai et, pensant que c’était un cadeau, je le mettai dans mon cartable. Là, il se mit presque en colère:

« Je vous ai dit 2 euros ! »
– Ah oui pardon !
– D’ailleurs, donnez-moi 20 euros et vendez-le à vos relations ! »

– Ok , à lundi. »

13 Sep

Medicine Man

café2

 

Une journée bien remplie. Ce n’est pas une histoire mais seulement le déroulement  de ma vie de médecin.

J’adore travailler tôt le matin, j’aime ce silence, ces rues calmes où les petits commerces commencent leurs journées : Roland, ce boucher aux yeux si bleus, François ce primeur aux confitures que même ma grand-mère n’aurait pas mieux faites, ces éboueurs qui me saluent en prenant leur casse-croute du matin.

Je fonce vers ma première visite à Pessac, un grand monsieur, au sens propre comme au figuré, 1 mètre 90, ancien joueur de haut niveau au rugby, ancien chef d’entreprise. Il ne peut plus marcher vu les genoux usés par tant de matchs et aussi par une opération ratée sur la prothèse.

 » Salut mon petit, tu as vu ces Toulousains ? quelle équipe ! Par contre ce rugby, c’est devenu un sport de fillettes, pas une partie de bouffes ! De mon temps, je t’aurais relevé cette mêlée et le talonneur, je te jure il aurait mangé le gazon, il moucherait rouge ! »

On est bien loin du motif de ma visite, lui donner ses doses de calmants pour ses douleurs. Il reste dans son fauteuil toute la journée et parfois toute la nuit, la télécommande de la télé dans la main, il enchaîne tous les matchs et les regarde en boucle.

Je vais le voir tous les mois, il est 6h20, et je crois que si j’enregistrais nos mots, nos phrases y seraient toujours identiques.

 » J’ai mal, mon petit, je suis foutu, je ne peux plus rien faire !

– Oui mais regarde, tu as ta femme, tes enfants, ton rugby. »

Je l’examine, lui prends la tension, regarde son genou où l’herbe d’Aguilera ou de Musard semble encore incrustée sur cette articulation si douloureuse.

Le petit café soluble avalé, je repars non sans avoir donné le bisou salvateur.

Le téléphone commence lui aussi à se réveiller !

 » Allo Antoine, Kevin a de la fièvre, tu peux venir avant l’école ? »

« Doc, maman perd la boule, elle vient de sortir dans la rue et elle cherche papa !

– Pourquoi il était sorti ?

– Mais Antoine, réveille-toi , papa est mort depuis longtemps !!! »

 » Allo Antoine, soit tu m’arrêtes, soit je tue mon chef!  Il me supprime mes vacances et je dois faire l’ouverture.

– L’ouverture ?

– Ben oui, l’ouverture de la chasse ! »

 » Allo Docteur, c’est Madame de la Prairie du Pré Vert, mon époux, Monsieur de la Prairie du Pré Vert, a un dérangement intestinal, pourriez-vous cher Docteur, avoir l’amabilité de passer à la chartreuse, pas trop tôt mais aussi pas trop tard car nous faisons un bridge. »

Je suis capable de m’adapter et je prends un ton très coincé en parlant les mâchoires très serrées :

 » Bien sûr chère Madame, je passerai dès que possible !

– Si vous pouvez en fait venir vers 9h45, Maria, notre employée de maison, pourra vous ouvrir les grilles. »

Je vais de domicile en domicile, je passe de la tour des Aubiers pour soigner la vieille Denise, ancienne prostituée de Mériadeck à la chartreuse 18ème.

C’est un régal, c’est une pièce de théâtre, un film, je donne tout mais je reçois tant !!!

11h – j’arrive à mon cabinet, déjà le parking est bien rempli, ma tasse de café serré (le 12éme) est vite avalé.

Le petit papi d’à-côté du cabinet est devant moi, il saigne de la main. En sortant les poubelles, il s’est coupé.

 » Doc, tu peux me recoudre ça vite, mes tomates m’attendent et si tu en veux, dépêche-toi ! »

Bon, ça ce n’est pas prévu. L’ancienne contrôleuse des impôts montre déjà son impatience, n’oubliant pas qu’elle a toujours dirigé et que tous les contribuables bordelais ont tremblé devant elle.

Les rhumes, gastros, déchirures musculaires ou autres bobos s’enchainent et me font oublier que j’ai faim.

12h – je fonce à ma cantine engloutir un plat du jour que Robert m’a préparé. Une micro sieste et ça repart.

13h15 – le patient de 14h est déjà là (comme il dit: « comme ça je n’attends pas »). Ca y est, c’est parti, le match commence.

Ce qu’il y a de fabuleux, c’est la diversité; je passe d’un petit bobo, d’un genou râpé à un cancer du pancréas ou à une dépression grave, pour revenir au petit rhume ou autre gastro.

Les malades pensent, et c’est bien normal, être uniques, que je ne connais qu’eux, leurs résultats, leur passé. Je dois jongler entre ma mémoire, mon adaptabilité, mon humour.

Un jour arrive la femme d’un de mes amis intimes, je ne  connais qu’elle, j’ai souvent mangé chez eux. Au moment de faire l’ordonnance, le trou : comment s’appelle-t-elle ? J’utilise mon premier joker :

 » Tu as ta carte vitale?

– Je l’ai oubliée (là je suis mal, je ne vais pas lui demander son nom quand même ?!)

Deuxième joker :

– Cela s’écrit comment déjà ton nom ?

Et là, mon pauvre Antoine, tu passes pour un débile :

– Dupont : D U P O N T

– Euh, oui mais je ne savais pas si c’était un D ou un T ? »

J’enchaine malade sur malade. Plus la journée avance, plus j’ai la forme, par contre j’ai toujours faim, alors comme un enfant, je mange un peu de chocolat, un gâteau, un fruit (sois honnête Antoine un fruit pas souvent !)

Nous sommes en pleine ville et je me crois à la campagne : je ne repars jamais sans mes salades, mes œufs, mes cèpes !! Ah les cèpes, ils savent tous que j’adore ça. Alors, Robert, Jacques, Michel… saison venue, m’en apportent des caisses entières (je ne dis rien, je ne le déclare pas à l’Urssaf).

C’est quand même bien de vivre dans cette terre viticole, ma cave est remplie de bonnes bouteilles. Je suis comblé, je suis gâté, je leur donne tout, mais ils me le rendent !

Il est bientôt 19h – le tourbillon de la journée se calme, la salle d’attente est silencieuse. Marthe (82 ans) est là, sagement emmitouflée dans son vieux manteau, ses yeux sont toujours rouges larmoyants, elle vient en bus me voir depuis le centre de Bordeaux. Sa démarche est boitillante et elle souffle à chaque pas.

 » Pourquoi tu es venue si tard Marthe ? Tu es souffrante ?

– Non, mon petit, j’ai besoin de te parler et je voulais que tu sois que pour moi alors j’ai pris le dernier rendez-vous. (Elle se met à pleurer en essayant de me prononcer un premier mot.)

– Whisky ne va pas bien, il va mourir !!!

Whisky c’est son petit caniche que Marcel, son mari, lui a offert il y a 15 ans pour leur anniversaire de mariage. Marcel est mort un an plus tard et Marthe donne toute son affection à son petit chien. Ils n’ont  jamais eu d’enfant.

– Je suis allée voir le véto, (elle éclate en sanglot) et il faut le piquer ! Tu te rends compte Antoine piquer whisky, si Marcel voit ça il se retourne dans sa tombe ! »

Même si j’adore les animaux, je suis presque soulagé que le mal-être de Marthe ne soit pas une mise en maison de retraite ou tout autre motif de santé, je l’aime beaucoup Marthe !

 » Voilà mon petit, je me suis dit, ce véto il ne le connait pas mon Whisky, toi tu le connais, tu le vois souvent, tu es comme son grand frère (voilà, ça y est, je suis de la lignée des caniches nains, couleur caramel au poil frisé et de courtes pattes !!!)

– Et alors ?

– Alors mon petit, il faut que tu lui fasses toi  « l’eucranasie » (non, eucranasie n’est pas un mot animalier, il faut traduire par euthanasie)

– Moi ?

– Oui, Marcel serait fier de toi, tu sais. »

Voilà maintenant que ma culpabilité judéo chrétienne ressurgit… choisir entre Eros ou Thanatos, mon amour pour Marthe ou la mort de Whisky !

J’ai raccompagné Marthe chez elle ce soir-là… parce que je l’aime cette mamie.

 

 

 

09 Sep

Superhéros

 spiderman2Gabin a dix ans, tout frisé, les cheveux qui n’ont pas vu un peigne depuis 8 ans ! Pas des yeux,  des pépites noires qui ne sont qu’espièglerie et coquinerie. Je le soigne depuis sa naissance, il est fils unique. Léo, son papa, c’est le baba cool sportif qui court les semi marathons et qui écoute The Cure dans son Ipod. Mathilde, la maman, n’a  pas retrouvé sa brosse à cheveux  depuis ses 15 ans. Elle fume des roulées et travaille comme animatrice chez les personnes âgées. Depuis quelques temps, Gabin ne fait que des bêtises. Il est puni à l’école, a volé de l’argent à ses parents et refuse de jouer au rugby, lui qui adore le sport .

Mathilde arrive aujourd’hui car elle est à bout entre son travail, les footings de son mari et Gabin qui accumule les sottises. Elle ne dort plus, ne mange plus : elle déprime !

Nous discutons sur cette mauvaise passe et je lui explique que c’est souvent fréquent et qu’un petit break avec son mari, Gabin chez les grands-parents, arrange bien ce genre de situation.

Quelques mois plus tard, Leo vient avec Gabin. Il fait pipi au lit ! Dans ce cas là, souvent je passe un contrat avec l’enfant, je promets un Spiderman si le pipi s’arrête et le résultat est très vite positif. Je me demande souvent si cette énurésie ne cache pas un petit problème et je désire voir l’enfant tout seul.

Gabin est là devant moi. Il ne dit rien. Lui, si bavard habituellement, il me répète seulement que tout va bien. Comme un enfant curieux, il me demande de jouer avec mon ordinateur et je lui explique que, pendant ce temps, je vais discuter avec ses parents les termes du contrat « Spiderman ». En partant, je lui laisse un petit papier avec mon numéro de portable et je lui dis:

 » C’est un numéro secret si tu as besoin … »

Gabin me lance un clin d’oeil complice et reprend son sourire qu’une petite fossette coquine souligne.

Il n’a pas fallu attendre longtemps pour qu’il l’utilise. Le soir, à 21 heures, Gabin m’appelle avec une voix sourde (on dirait qu’il est caché dans un placard).

 » Il faut que je te parle seul à seul sans mes parents derrière la porte !

– (surpris) D’accord mais comment puis-je faire?

–  Viens mercredi matin, je reste seul de 9h à 10h. Viens dans ma maison.

– Ok, sans problème, je serais là. »

Le mercredi, 9 heures précises, je rentre dans cette petite échoppe, où la table à repasser est recouverte d’un grand nombre de vêtements que Mathilde n’a pas eu le temps de ranger.

Gabin regarde la télé et vient m’accueillir.

Comme un adulte, il me dit un  » bonjour Doc, je te fais un café ? »

Je trouve la scène hallucinante. Un gamin de 8 ans  me reçoit en cachette, me propose de m’offrir un café et s’assoit face à moi en croisant les jambes et en me disant :

 » Doc, il faut que je te parle.

– Vas-y.

– Voilà, je sais que c’est pas bien mais j’ai emprunté le téléphone de papa pour jouer à un jeu et j’ai regardé ses sms.

– Et alors ?

– Papa a une copine ! » Gabin se met à éclater en sanglots.

J’essaie de le consoler et, avec une énorme détermination, il redevient le simili adulte de tout à l’heure.

 » J’ai un plan!

– Un plan?

– Oui, tu connais sa copine, tu la soignes. Il faut que tu lui parles ! Dis lui que c’est pas bien et qu’un petit garçon est très malheureux. Si jamais mes parents divorcent,  je ne le supporterai pas, j’irai vivre chez Papi et Mamie.

Je suis interloqué ! Je lui demande comment il sait que je la soigne ?

 » J’ai regardé ton ordi pendant que tu parlais à Papa et des Véronique le Guennec il n’y en a pas des tonnes ! »

Je résume : un gamin de huit ans me reçoit en adulte, m’apprend que son père à une maitresse dont je suis le médecin, chose qu’il a découvert en piratant mon PC et me demande de régler le problème !

Mon pauvre Antoine, tu es dans une belle situation ! Le serment d’ Hippocrate m’interdit de m’ immiscer dans la vie privée des familles mais là j’ai bien envie d’ oublier cette obligation, tant je suis touché par ce petit Gabin.

 » Bon, promis je vais essayer mais c’est un secret, tu n’en parles à personne ! »

Comment vais-je  faire ? Je ne connais pas bien Véronique le Guennec. Je ne peux l’appeler pour lui dire :  » Bonjour, voilà arrêtez d’être la maitresse de Léo ! »

ou alors innocemment :  » Vous connaissez Léo et Gabin ? »

Non, impossible, je ne suis pas Brigite Lahaye, je suis médecin généraliste.

Pendant toute la journée, je n’ai pas arrêté de penser à Gabin, à sa détresse,  à son scénario  » SOS sauvez ma famille « . La nuit  je ne trouve pas le sommeil et au réveil… miracle ! J’ai une idée !

J’appelle Léo et lui suggère de venir au cabinet pour discuter de Gabin et de son fameux pipi au lit .

Toujours aussi baba coolou plutôt bobo, Léo rentre dans mon bureau encore essoufflé d’un footing matinal. Je rentre de suite dans le vif du sujet.

 » Je suis inquiet, je ne trouve pas Gabin en forme. Il est très angoissé, il a peur de tout, et entre autres que vous divorciez avec Mathilde. Ca va bien en ce moment tous les deux ? »

Léo habituellement si décontracté, paraît tout surpris, gêné, emprunté  et, avec un sourire forcé, me dit :

 » Nous, divorcer ? C’est vrai que c’est tendu un peu en ce moment mais quand même pas divorcer.

– Tendu ?

– C’est pas facile, nous travaillons beaucoup. Mathilde me reproche de faire trop de sport et de ne pas l’aider.

(en complice de la situation)

– Elles sont toutes pareilles et parfois ça finit mal et le mari va voir ailleurs !

Léo est malin et j’avoue que mon discours est un peu lourd …

– Tu sais un truc toi !!!

– (et avec un aplomb énorme) Oui, je t’ai vu avec Vero Le Guennec. Je suis fou ! Si cela se trouve, Gabin a tout inventé et je suis en train de parler d’une bretonne coquine détruisant les foyers girondins !

– Tu n’es pas Doc, tu es doc Columbo !

Ouf, je ne me suis pas trompé. Je n’ai absolument pas donné des conseils à Léo car on ne sait jamais ce qui se passe dans un couple et cela ne me regarde pas. J ‘ai seulement parlé de Gabin et sans jamais,  au grand jamais,  dévoiler le nom de mon indic ! J’explique à Léo que les enfants comprennent tout. Leur monde imaginaire est souvent plus terrible que la dure réalité de la vie.

Léo me parle alors de cette liaison avec la bretonne.

 » C’est la faiblesse d’un homme de 45 ans qui veut se prouver qu’il peut encore séduire.

– Surtout je ne te juge pas Léo.

– Ecoute Doc, tu viens de me réveiller, j’étais dans un état second et je reviens sur terre. »

Gabin m’ a rappelé un jour, un mercredi à neuf heures. Il me fait un petit café, m’annonce qu’il ne fait plus pipi au lit  et que son papa et sa mamans sont très amoureux.

Je lui ai donné son Spiderman …..

 

 

 

07 Sep

Autocombustion

feu

La Mérule pleureuse est un champignon qui détruit les murs des maisons sans que l’on s’en rende compte. Un jour, vous vous réveillez et la maison est détruite.

Dans la vie, il en est de même avec l’épuisement professionnel : le burn-out. Nous brulons de l’intérieur. Beaucoup de métiers y sont exposés. Je pensais que le mien était épargné, en fait pas du tout, bien au contraire. Cela n’arrive pas qu’aux autres …

Ce soir je vais à un enseignement post universitaire. Souvent il s’agit, soyons honnête, plus d’un bon repas par un chef étoilé de Bordeaux que des nouveautés en matière de de médecine .

Je viens ce soir car le conférencier est un maître, un grand professeur : Fabrice. Le scénario est toujours identique, nous arrivons souvent en retard, un par un. Certains car ils ont beaucoup de travail, d’autres pour faire croire qu’ils en ont!!

Il fait beau. Des petits canapés sont servis avec des bulles délicates et j’avoue que je me sens bien, fatigué mais bien.

Fabrice doit faire son exposé avant le repas. Je m’inquiète de ne pas être très concentré car le frugal repas de midi est bien loin. Comme à l’école on nous distribue un test : test de Freudenberger. Il faut répondre à des questions simples du style : Etes- vous plus fatigué qu’énergique ? Perdez- vous de l’intérêt pour les plaisirs de la vie?  Voyez-vous moins vos amis ? etc,etc.. Chaque question est appréciée entre 0 et 5. Je fais ce test sérieusement et je réponds avec sincérité. On ramasse les copies et Fabrice corrige.

Il nous donne les barèmes : bien, surmené, risque de burn-out, burn-out (55), risque de suicide (65). Je suis loin de penser que mon score est de 62 !

Fabrice s’approche de moi, et me dis à voix basse: il va falloir venir me voir mon grand !!

Je passais une bonne soirée, c’est terminé : je suis en danger !

C’est vrai que je donne tout à mon travail. Les  journées commencent tôt (6h20) et finissent tard (20h). J’aime tellement ce que je fais que je ne me rends pas compte. Je n’ai pas une seconde à moi, je cours, je suis au téléphone toutes les minutes, j’essaie d’être un bon père, un bon mari, un bon ami, un bon médecin.  Je mélange tout cela avec une énergie sans nom, mais j’oublie souvent la phrase d’Aragon: « le temps d’apprendre à vivre il est déjà trop tard ».

Je n’apprécie pas du tout ce repas de chef étoilé (repas low coast, budget laboratoire en baisse) et je rentre chez moi un peu inquiet mais rassuré qu’enfin certaines personnes comprennent ma fatigue !

Le lendemain, dès 8h, Fabrice m’appelle. Il me donne rendez vous le jour même. Je suis content d’être un malade comme les autres et d’aller dans une salle d’attente…

Je regarde ces gens qui sont là, assis calmement attendant leur tour, lisant Gala ou Match des années 70. Moi,  je suis à côté d’eux, et pourtant la tête ailleurs : je continue à travailler, à gérer tous mes malades .

– à un : prends du spiefen.

– à l’autre : viens me voir demain.

– à un autre : je passe vendredi.

– et encore : je te promets que j’irai à ton opération.

– puis, oui je t’aime mon Chéri.

– t’inquiètes pas, une banane en philo,  j’en ai eu. (mon fils)

– ne le gronde pas, il était fatigué. (sa mère)

– oui trois par jour, des spiefens pas plus.

– l’expertise ? j’y serai ! samedi ? bien sur.

– allo, oui bonjour, mon coiffeur adoré, quoi… je t’ai oublié ? désolé, je passe demain.

– oui, Chérie, je rentre tard, je suis plein de monde, ok je prends le pain.

– oui, c’est la même chose le stilnox et le zolpidem.

Etc, etc…

Et allo, allo je me noie même dans cette salle d’attente, je ne décroche pas

– « non pas du doliprane, j’ai dit spiefen pas plus de trois par jour ».

« Antoine, tu viens ? » Fabrice blouse blanche m’accueille. »Le traitement commence, donne moi ton portable !

– Mais, s’il y a une urgence ? et mes fils ? et mes amis ?

– Donne moi ce portable ! »

Je commence ma guérison mais j’ai presque un sentiment de malaise vagal.

Ce jour-là, Fabrice a sûrement prolongé ma vie de 50 ans. Il m’a fait comprendre que l’épuisement psychologique est un manque d’organisation, que les portables ou autres écrans sont des virus responsables, qu’il y a des priorités dans la vie, que je ne peux pas sauver le monde entier et surtout que pour être un bon médecin, il faut avant tout en avoir un à soi .

La mérule pleureuse, ce champignon qui détruit tout, ne me détruira pas !!!

06 Sep

L’hiver de leurs vies

hortensias

 

Un jour, un ami de mon père lui apprend qu’il a la maladie d’Alzheimer. Mon père, inquiet, lui demande s’il n’est pas trop inquiet de l’évolution. Il lui répond:

« Non, car j’ai un nouveau traitement excellent.

– Comment s’appelle t-il?

– Euh, je ne me rappelle pas, mais ça va me revenir. Comment s’appelle l’empereur des français qui a perdu à Waterloo ?

– (surpris) Napoléon ?

– Oui !! il est mort ou vivant ?

– (très surpris) Mort !

– Où ?

– A Sainte-Hélène.

–  C’est ça ! Et il se met à crier : « Hélène, comment il s’appelle mon nouveau médicament ?»

Je travaille depuis longtemps dans une maison de retraite où il y a une unité Alzheimer.

Quand on rentre dans un tel endroit le spectacle associe toutes les palettes des émotions de la vie.

Ils sont tous au petit déjeuner. Les aides sont là, patientes, attentionnées, à l’écoute.

Certains sont à table, le bol de café devant eux, essayant de rattraper le morceau de pain qui est tombé dedans. D’autres déambulent en couches culottes en riant aux éclats. Certains sont allongés à même le sol finissant cette nuit trop courte qu’ils ont passée dans le lit du voisin. Marguerite (92 ans) est là, devant la fenêtre, attendant que sa maman vienne la chercher et murmure à voix basse: « Maman, je ne veux pas rester, je t’en supplie !»

Soudain, un cri de l’infirmier Gilou : «Robert, attention, ne montez pas sur la table, attention !» Dans un fracas énorme, Robert tombe par terre renversant tous les bols et le café au lait.

La salle à manger, si calme il y a si peu de temps, se transforme en champ de bataille. Ils se lèvent tous, certains pleurent, d’autres veulent aider ce pauvre Robert qui saigne. Il a l’arcade ouverte !

Jeannot, l’ancien brancardier, reprend du service et tente de le relever. Il tombe à son tour. Tout n’est que bazar, sang et café au lait !

Recoudre Robert n’est pas une tâche aisée. Il bouge sans arrêt et, bien que Marguerite lui tienne la main, il a peur et pleure.

La visite du matin dans les chambres, pour ceux qui ne se lèvent plus, est un spectacle de la vie. Nous avons l’impression d’être à l’hôpital des enfants, en service des moins de deux ans.

La chambre est mal rangée, l’odeur de la nuit se mélange à celle des fuites. Les protections sont à même le sol et parfois, surprise,  on retrouve deux personnes dans le même lit. Lucie dort dans la chambre 24 depuis deux mois. Raymond, en pleine nuit, vient dans son lit. L’un et l’autre ne savent pas leur nom, leur âge mais ils retrouvent les automatismes amoureux de la tendresse. Ils sont nus, serrés ensemble  avec un sourire de plénitude et de bonheur.

Quand je pénètre dans la chambre de Monsieur le député Pierre Louis, je regarde sur le mur les photos qui décorent la chambre. Sa remise de légion d’honneur par Georges Pompidou, sa voiture de député avec son chauffeur, ses petits enfants jouant avec l’écharpe tricolore. Mais Monsieur le député aujourd’hui répète sans cesse :

« Fusil, canon, bazooka !»

L’infirmière qui m’accompagne essaie de le calmer et constatant que le lit est inondé, le sermone comme un enfant :

« Monsieur le député au lieu de crier fusil, canon, bazooka, vous auriez dû m’appeler. Je vous aurais passé le pistolet.

– Voilà, c’est ça, c’est Pistolet que je voulais dire!!!! »

Christiane est veuve depuis longtemps. Elle n’a pas toute sa tête mais a de rares moments de lucidité. Philippe, son voisin de table, est un ancien médecin. Depuis trois mois il courtise Madame. Son éducation perdure malgré son absence totale de conscience. C’est surprenant de voir que l’on peut  oublier son nom, ses enfants mais que l’on continue à faire le baise-main et à tirer la chaise pour aider sa voisine. Christiane, elle non plus, n’imprime pas tout très bien mais reste sensible à ses attentions. Elle se remaquille, met son rouge à lèvres (qui déborde certes car ses yeux ont le même âge qu’elle). Un matin, je les trouve dans le même lit. L’infirmière de nuit veut me parler et m’incite à sortir de la chambre.

« Docteur, je les ai surpris en train de faire l’amour cette nuit ! »

Elle est choquée, pas moi ! Je trouve ça beau et surtout je me dis égoïstement qu’il me reste de bons moments à vivre !

En fait, avec Alzheimer : on mange, on dort, on tombe amoureux, on s’occupe de nous et on ne se préoccupe plus de l’augmentation des impôts.

Les après-midi, à la maison de retraite, on organise des ateliers :

Musique, par exemple ! On essaie de faire trouver le chanteur ou la chanteuse. Moi, je suis sûr que je gagnerai quand je serai vieux si on me passe Luis Mariano et sa Belle de Cadix .

Peinture ! Ils font des ronds, des carrés dignes de la maternelle. Ils s’appliquent, mettent des couleurs dans tous les sens. Un jour Louise, petite mamie toujours triste, complètement déconnectée de la vraie vie, n’ayant plus de famille, ne pouvant dire d’où elle vient, là où elle est et là où elle ira, est assise devant sa feuille de papier Canson. Alors que ses voisins de table font des bébés têtards violets ou rouges, elle prend son pinceau, le trempe délicatement dans son petit gobelet et commence à peindre. Quand je repasse une heure plus tard,  Louise est repartie dans sa chambre avec son aquarelle. Elle l’a mise sur sa table de nuit. Cela représente une vieille maison de campagne avec une belle pelouse et des hortensias bleus et roses (j’adore les hortensias). L’aquarelle est magnifique !

« C’est elle qui l’a faite !» me précise l’infirmière. On n’en revient pas!

Louise a tout oublié de sa vie sauf que sa vie c’était la peinture : Louise était artiste peintre !

 

 

 

 

 

04 Sep

De l’autre côté du drap

rockwell

J’ai beau avoir été formé par des années d’hôpital, j’ai beau adorer mes malades, j’essaie de faire preuve de compréhension et de psychologie et pourtant !!

Il a fallu qu’un sacré plancher s’effondre et que mon genou se retrouve derrière mon cou  au bout d’une chute de 2 mètres 60 pour me rentre compte que le métier de malade est beaucoup plus difficile que celui de docteur …

6h45 Rendez vous pour mon irm. J’ai un rendez-vous depuis 15 jours et je suis heureux de ne pas avoir attendu plus longtemps. La radio est au deuxième étage et… l’ascenseur est en panne!! Une jambe foutue, une attelle qui la rend  raide, deux béquilles, un dossier médical sous le bras, un manteau, une écharpe, (il fait 35° vu le chauffage) et un escalier fraichement lavé par une femme de ménage qui me jette un coup agressif et exaspéré car je peux salir. Voilà les travaux d’Hercule (au genou d’argile) qui commencent !

17 minutes après, et 68 marches plus haut, mon manteau et mon écharpe dans cette atmosphère surchauffée provoquent en moi ce que j’appellerais une sudation nauséabonde : je pue!

 » Vous avez la carte vitale ? (ni bonjour, ni ….rien )

– Non,  je l’ai oublié dans ma voiture.

– Allez la chercher sinon impossible de faire l’irm !

– Mais…

– Patient suivant svp.

– Je reviens …. madame.

L’ascenseur est en panne et  la jambe cassée (j’ai toujours aussi chaud, j’ai l’impression que mon odeur de transpiration envahit l’hôpital)

Après un grand effort pour garder mon calme, je négocie mon sésame pour passer dans la cabine .

 » Déshabillez vous complètement et attendezzzz.

La pièce est chauffée à 47°, je ne suis que sueur, odeur et décomposition.

 » Allongez vous dans la machine.

– Mais c’est trop haut !

– Et puis quoi, vous ne voulez pas un escalator ! On est pas aux Galeries Lafayette !

6h 37 je rentre dans le tunnel, j’ai chaud, je transpire, j’ai peur, je suis dans un cercueil, maman je vais mourir!!

Petite notice plastifiée à la main : l’examen durera 25 minutes, il y aura du bruit et si vous avez un malaise appuyez sur cette poire.

 » Un malaise ?

– Oui perte de connaissance, crise d’angoisse, malaise vagal, attention ne bougez pas, ça va commencer !

25 minutes sur une planche de 40 cm sans bouger, la jambe toujours aussi raide, c’est Fort Boyard, il manque «Passe-Partout»…

Il arrive.. un petit bonhomme avec un gros badge marqué interne :

 » C’est fini, c’est pas brillant monsieur, tout est cassé !

– Mais quoi, cassé ?

– Attendez le compte rendu, vous verrez avec le radiologue .

Je passe sur la suite immédiate car la gentillesse de mes confrères m’a permis des passe-droits dont j’ai un peu honte mais qui m’ont fait oublier ce premier contact avec la maladie !

Il fait toujours aussi froid dehors en ce mois de décembre, et toujours aussi chaud dans cet hôpital quand je rentre la veille de mon opération.

J’ai retrouvé ma carte vitale, ouf,  je ne vais pas me faire gronder mais … elle ne marche pas !

 » Alors laissez nous passeport ou carte d’identité. »

Avec un peu d’humour pour cacher mon stress :

 » Vous pourrez me rattraper facilement vu que demain j’ai une prothèse totale. » (elle n’a pas compris mon humour !)

Quand je rentre dans cette chambre vieillie, il fait un froid de loup ce que me confirme l’infirmière (type sergent Garcia aux jambes aussi poilues que grosses)

 » Le chauffage est en panne on va vous mettre un convecteur. Vous devez signer ces papiers. »

Je résume : je peux mourir, je ne porterai pas plainte ; je peux  choper une bactérie, je serai le seul responsable et si je meurs je dois donner le nom de la personne qui aura la chance énorme de recevoir un coup de téléphone pour être prévenue la première !!

 » Pour manger ?  »

J’ose demander au sergent (qui n’est d’ailleurs pas poilue que sur les jambes car j’aperçois, grâce à la lune de décembre, un petit duvet sous labial me rappelant celui de mon fils le jour de ses 14 ans)

 » Soupe poireaux-pommes de terre et compote !

Et moi toujours gentil car mort de peur :

 » Super, j’adore ça ! »

Le réveil le matin après une nuit blanche est violent !

« Il faut vous raser et pas que la jambe ! On vient vous chercher dans une heure. C’est bien la jambe droite ? »

– Oui.

– Alors vous ferez un rond dessus. » (il me manquerait plus que ça qu’il se trompe de jambe !)

Les couloirs sont bizarres quand on est sur le chariot que le brancardier, à la boucle d’oreille très joueur de foot, pousse à vive allure et surtout que la prémédication d’Imnovel me rappelant ma première cuite n’a eu qu’un seul effet : commencer le compte à rebours vers ma future mort ! J’ai peur de ne pas me réveiller !

Pour me rassurer, l’anesthésiste est là dans le bloc. Il est énervé ! Le chirurgien vient d’appeler  pour dire qu’il serait en retard car il a amené ses enfants à l’école!

Je me réveille : un cauchemar ! J’ai mal, je ne sais pas où je suis, j’aperçois des images bleues qui s’agitent en hurlant:  » Ouvrez les yeux, ne bougez pas… il a la tension dans les chaussettes, oxygène, vite oxygène ! »

Je remonte semi comateux et ma chambre n’est pas froide, c’est le pôle nord !

J’ai mal, j’ai froid, j’ai soif mais je suis rassuré : je me suis réveillé !

Le lendemain matin, alors que je viens de trouver le sommeil depuis un quart d’heure on me réveille pour me prendre la température.

 » Je peux boire un peu d’eau ?

– Il faudra voir avec l’infirmière, elle passe dans une heure. »

La première journée se décompose entre sommeil court, piqure de morphine, vomissement et…. envie d’aller aux toilettes.

Je sonne ! La petite lumière rouge clignote et s’accompagne d’un petit bruit strident continue.

42 minutes après,  une aide soignante rentre, coupe la sonnette et aimablement avec un petit accent portugais :

 » Ché pourquoi, Missieu ?

– J’ai besoin du bassin.  » (je ne peux pas bouger,  j’ai la jambe en compote,  elle fait 35 kg et moi 82!

Après un effort démesuré,  j’arrive à poser mon postérieur sur un truc en plastique aussi petit qu’instable.

Par décence je ne veux pas vous détailler ce moment que je peux nommer agréable mais très inconfortable. 56 minutes plus tard, toujours sur le bassin, j’ose timidement resonner.

« 34 kg » portugais revient (elle a perdu un kg en me soulevant !)

 » Che pourquoi Missieu ? »

– Et moi, comme un enfant de deux ans :

– J’ai fini.

– Fini quoi ?

Et comme un débile :

 » La grosse commission!  » (je mets sur le compte de la morphine mon manque de vocabulaire)

Je me sens honteux, je suis mal à l’aise, humilié.

« 34 kg » essaye de me soulever et d’une mauvaise manoeuvre renverse … tout ! Et c’est à ce moment crucial de mon opération qu’arrive … ma famille !! Moi qui suis pudique voir coincé je me retrouve dans une situation que j’ai sûrement connu enfant.

Ce calvaire a duré pendant toute la durée de mon séjour dans cet hôpital. J’ai été très bien soigné et aujourd’hui, je marche dans le bonheur.

Il a fallu être de l’autre coté du drap pour me rendre compte que l’on a beau être un bon médecin, une bonne infirmière il est difficile de comprendre la souffrance physique ou psychologique des malades si on n’a pas vécu la maladie soi-même .

 

 

02 Sep

Certains l’aiment chaud !

marylin monroe

 

Il est 13h15, j’avale mes deux cafés serrés et me prépare à ma micro sieste. L’insupportable portable sonne. Il interrompt ce moment que j’adore pendant lequel, en 10minutes, j’arrive à plonger dans un cycle de sommeil et repartir à mes consultations.

 » Allo, Antoine, ma nièce et mon neveu sont à l’aéroport, ils reviennent de Los angeles et elle est complètement pliée en deux ; elle souffre d’une lombalgie.

Alors là, deux situations, celle que j’ai dans ma tête : et Merde ….moi qui voulait dormir !

la deuxième: la réalité !

 » Qu’elle vienne vite, je la fais passer par la porte de derrière, je la consulte avant tout le monde ! »

Ils sont déjà là quand je gare ma voiture. J’avoue que je ne suis pas de très bonne humeur mais je me dépêche d’ouvrir la porte.

Il y a toujours une sorte de miracle, j’oublie mes états d’âme, suis transformé, heureux de faire ce métier de rêve.

Je m’assois derrière mon bureau et eux, timides, restent debout face moi attendant mon « asseyez vous je vous en prie ».

Ils ne sont pas beaux, ils sont sublimes ! Elle est vêtue d’une petite robe noire toute simple. Ses yeux sont des pépites noisette. Sa petite fossette lui donne un air coquin et son léger accent anglais ne fait que rajouter à ce charme fou.

Lui est grand, on devine un corps de rêve sous ce tee-shirt moulant aussi bleu que ses yeux. Il parle calmement, gentiment, sourit tout le temps.

 » Merci, Docteur, de nous recevoir si vite, ma femme a souffert pendant tout le voyage. Nous arrivons chez mon oncle et je voudrais vraiment qu’elle soit soulagée.

Essayant d’oublier mon manque de micro-sieste et la beauté de mes nouveaux patients, je passe à l’interrogatoire rapide et je suggère à beauté fatale de s’allonger sur ma table d’examen.

La petite robe noire est très moulante, et je suis obligé de lui demander de l’ôter. Très à l’aise, elle l’enlève et la confie à son mari.

Je sais, un médecin ne regarde rien en dehors des éléments médicaux. Parfois on peut faire un bon travail dans de sublimes conditions .

Allongée sur cette table, elle me regarde inquiète scrutant tous mes gestes. J’ai l’impression d’avoir entre mes mains une poupée de porcelaine. Elle a mal, très mal quand je soulève sa jambe droite. Je lui explique que c’est le signe de Lassegue, marque d’une sciatique évidente hyperalgique.

Elle ne semble pas rassurée et son regard est soucieux.

 » Yes doc, but j’ai senti dans l’avion like une déchirure sous la fesse droite, ce n’est pas un claquage… hein doc ? »

Elle se lève juste vêtue de ses sous-vêtements aussi délicats que …petits et se propose de se pencher sur la table afin que je vérifie la déchirure éventuelle.

Son mari me regarde avec confiance et semble me dire « allez y, allez y mais soulagez la !!

Je vérifie donc ce muscle fessier, dans sa partie interne, d’un claquage éventuel. Elle, debout, à moitié couchée sur la table.

Je confirme donc mon diagnostic, mon toucher très intime ayant à mon sens éliminé l’autre hypothèse .

De retour à mon bureau, je demande de façon aussi bête que machinale :

 » Vous avez la carte vitale?

– Non! je suis citoyenne américaine.

Toujours dans ma routine :

 » Ce n’est pas grave, je vous fais une feuille. Vous vous appelez comment?

Pour respecter le secret médical, je vais donc utiliser un nom d’emprunt mais qui correspond à l’importance dans le monde cinématographique de cette femme aux yeux  noisettes.

 » Monroe. »

Et moi, toujours aussi concentré et très loin de penser au cinéma :

 » Vous êtes la fille du docteur Monroe ? (un médecin bien connu dans le bordelais)

– Euh, non… je suis Marilyn Monroe !!!

Alors là, Antoine tu viens de faire une gaffe énorme, tu viens de demander à une star planétaire son nom !

Tu la vois tous les jours dans des spots tv, tu as vu tous ses films, tu dis souvent que c’est la plus belle femme du monde, tu ne l’a pas reconnue, tu l’as examinée, tu as appuyé ton doigt sur ses fesses et là, tu as l’air …stupide!

Voyant mon embarras elle a la délicatesse de me dire (avec toujours son petit accent)

 » Je suis très heureuse que vous pas reconnaître me. Vous m’avez surement mieux soignée.

 

Marilyn est revenue me voir avec sa radio le lendemain …elle avait bien dormi. Pas moi !

 

01 Sep

Chapeau melon et bottes de cuir

 

manchettes

J’aime le printemps car après il y a l’été…

J’aime le printemps car les femmes sont belles, les couleurs vives ressortent dans la rue, les rhumes diminuent, les gastro aussi.

Elles viennent me voir pour perdre les quelques kilos hivernaux superflus, pour les premiers coups de soleil, pour les préparatifs des voyages.

Elle arrive dans une robe en tulle orangée, elle est grande, blonde, le teint est juste halé. Tout le monde la regarde, l’admire, la dévore, la jalouse.

Quand elle s’assoie devant moi, je ne vous cache pas qu’avant d’être médecin je suis un homme. Troublé ? Non. (j’ai l’habitude après tant d’années)

Admiratif ? Oui!!

Elle se présente :

 » Je m’appelle Dominique, j’ai 31 ans, je reviens de deux ans d’Angleterre où j’ai eu un grave problème gynéco et je vous choisis comme généraliste.

Eh bien ça, c’est clair, net, sans bavure.

 » Je voudrais une crème épilatoire. »

Un peu surpris par cette demande, je décide d’ouvrir un dossier médical afin de poser quelques questions sur les antécédents.

Les réponses sont beaucoup moins claires que la demande initiale.

 » J’ai été opérée d’une hystérectomie et j’ai un traitement hormonal ; j’ai donc une hyperpilosité très embarrassante. »

Voilà, le métier de docteur peut parfois se transformer en celui d’esthéticien!

Elle a une belle élocution, elle parle beaucoup, elle est à l’aise …Pas moi !

L’examen clinique est rapide et l’on peut dire que la pudeur n’est pas la marque première de Dominique. Je la retrouve en petite culotte et soutien-gorge devant mon bureau.

Je n’ai pas de réponse à mes questions, elle parle mais ne dit rien. Le rendez vous se passe bien, j’utilise l’humour à titre de protection…et je vois bien que le contact… professionnel est bon.

Huit jours plus tard, Dominique revient : talons de 12 cm au moins! Ils se rajoutent à ses 182 cm de taille. Robe noire, rouge à lèvres rouge vif, yeux bleus juste soulignés.

Adriana Karembeu ! C’est le sosie d’Adriana. Comme nous en étions restés à la crème épilatoire lors de notre dernier rendez-vous, je lui dit très sérieusement:

 » Bonsouaar, c’est pour les aisselles et le maillot ? »

Un premier bon point : notre fausse Adriana comprend mon humour et me répond :

 » Bonsouuar Nadine! les aisselles,le maillot,et les demi- jambes. »

Le fait de pratiquer cette entrée en matière un peu cavalière permet à notre Adrianna d’être beaucoup plus simple, sans manière.

Elle s’assoie devant moi, pose ses deux mains sur le bureau, l’une caressant l’autre doucement, sensuelle à souhait. Elle fixe mon regard, se noie dans mes yeux … Ouh la la!…

Je transpire, je rougis, je pense à Margaret Thatcher ou Angela Merkel, ou les deux, à poil…enfin quoi, j’essaie de redevenir le docteur de quartier. Non, je ne suis pas George Clooney, ni le Dr Mamour de Grey’s Anatomy !  Je suis Antoine !!!!!!!!!

 » Que…que, que se passe t-il Adri.. ,euh je veux dire Dominique ?

– Il faut que je vous parle Docteur. (voix de Macha Béranger à minuit le soir sur la radio)

– Oui, bien sûr .(voix de chouchou d’amour dans Hélene et les garçons)

– Je dois tout vous dire, laissez moi parler je vous en serai gré.

– Voilà, je m’appelle Dominique.

– Oui, ça je sais !

– Je vous en supplie, laissez-moi parler ; ce n’est pas facile.

– Je m’appelle donc Dominique, mais il y a deux ans quand je suis partie à Londres, je m’appelais DOMINIQUE (en prenant une voix grave)

– Et alors ?

– Eh bien, j’étais un homme !

– Ouah !!! Le choc ! Ce n’est pas Adriana, c’est Karembeu lui même !

Je redeviens sérieux.

 » Donc, tu as subi une opération de transexualité ?

– C’est ça. Je reviens sur Bordeaux où je suis née mais où je n’habite (sans jeu de mot) plus depuis 12 ans. Je suis un peu paumée, j’ai besoin de vous parler, d’être aidée, soutenue.

Alors que mon esprit fripon se dissipe d’un seul coup, je me rends compte de la souffrance de Dominique. Elle pleure et son rimmel soulignant ses beaux yeux bleus dégouline lentement sur cette joue imberbe.

J’ai beaucoup vu Dominique pendant des mois, une à deux fois par semaine. J’ai pu me rendre compte du drame psychologique qu’elle a vécu quand elle était homme. Mal dans une peau si grande, mal parce que pas mâle. Femme dans sa tête, homme dans son corps : elle a eu la force d’être maître de son destin.

Trois mois plus tard, je mange dans ma cantine habituelle où Robert, Simone, Rachel et Jean s’affairent autour de moi pour me servir le couscous. Non, pas le couscous mais LE COUSCOUS !

Gilbert, mon ami kiné est là, il attend quelqu’un. Il se lève, vient me voir et me dit avec un éclair de coquinerie dans ses yeux:

 » J’attends ma future fiancée ! Une bombe, t’entends Antoine, une Bombe !!! Je conclue ce soir !!

Dominique pénètre alors dans le restaurant.

Un frisson me traverse tout le corps, d’un coté Gilbert mon copain, mon collègue de travail, de l’autre Dominique et son secret que moi seul connais.

Que faire ? Dire ou ne pas dire ? Trahir celle qui me fait confiance ou trahir mon ami ?….

Ils vont bien, rassurez vous.

 

 

31 Août

Business meeting

chauffeur

 

Ce qui est fabuleux dans mon métier c’est la diversité des gens qui le compose. Je passe en 15mn d’un élu bordelais, maire ou député à un voyou qui a passé plus de 20 ans en prison. J’aime les gens, j’aime  » le hors cadre « , j’aime écouter ces histoires fabuleuses, ces anecdotes qui parsèment mes journées. Souvent complice de leur secret, je me régale de rentrer dans leur univers.

Le grand patron internationnal bordelais vient me voir une fois par mois. Il arrive, conduit par son chauffeur habillé de façon aussi impeccable que son patron. Costume bleu marine, cravate bleue ciel, chemise blanche avec les manches qui dépassent juste de quelques centimètres de façon parfaitement symétriques. Les cheveux sont légèrement gominés; on dirait toujours qu’ils sortent tous les deux de la douche.

Le rituel est bien rodé. La voiture de fonction arrive vers 16 h. Henry, le chauffeur, descend, remet en ordre son costume, tire les manches de sa chemise afin de bien vérifier l’égalité recherchée, contourne par devant sa berline plus lustrée que jamais et ouvre la porte arrière gauche. Puis sort notre personnalité (Robert), petit coup d’oeil circulaire comme si il y avait toutes les télés du monde (il n’y a que moi derrière ma vitre en train de regarder cette petite scène rigolote), remise du costume en ordre, tirage des manches et d’un coup de main, remet le peu de cheveux qu’il possède en arrière. Robert dit un mot à l’oreille de son chauffeur. On dirait un secret défense de la plus haute importance. Le chauffeur remonte dans la voiture et prend une allure de petit chien que l’on laisserait dans le véhicule après lui avoir dit:  » Riri, tu es mignon, tu vas rester bien calmement, tu m’attends et ne fais pas de bêtises ! »

Notre Robert national rentre dans le cabinet avec le sourire que j’appelle commercial et me lance toujours la même phrase:  » Comment va notre bon docteur ? » et il rajoute après un temps d’arrêt: « Et comment va la vie ? Merci encore de me recevoir et de votre complicité… »

Un peu pompeusement je lui répond: « C’est bien normal, Monsieur Cac40 ! Allons, voyons cette tension. »

Il retire alors son costume qu’il pose délicatement sur le rebord de la chaise. Il enlève ses boutons de manchettes et retrousse la manche de sa belle chemise amidonnée. Je  lui trouve toujours la même pression, je lui annonce son 13/8 mensuel. Il remet son bouton, retend la manche, recoiffe ses cheveux,  me donne sa carte vitale (il insiste  malgré mon « oh, je ne vais pas vous faire payer pour une prise de tension ! ») et  là…..

Et là, cela devient plus intéressant car écrire un livre pour voir un élu se faire prendre la tension, j’avoue que vous, mes chers lecteurs, pourriez être déçus.

 » Bon, cher Doc, le devoir m’appelle.  » Il me laisse un billet de cinquante euros sur la table et rajoute, comme en colère, « pas de monnaie, je vous en prie. »

Notre Robert s’avance alors vers la porte arrière de mon bureau, et non vers la porte principale, sort en cachette à pied pour …. aller  retrouver sa maitresse dans un appartement jouxtant mon cabinet.

Henri, le chauffeur attend dans la voiture sur le parking croyant que la consultation dure longtemps. Robert, pendant ce temps-là, s’amuse des plaisirs de la vraie vie, me rendant complice de cet adultère …médical !

Trente minutes après, les cheveux toujours bien tirés en arrière, Robert, rouge comme un coq, légèrement essoufflé, pénètre par ma porte secrète et me lance avec un clin d’oeil complice un:  » Voilà, c’est fait, au mois prochain pour une nouvelle vérification de tension. »

Robert passe devant la salle d’attente, serre quelques mains de patients tous flattés d’être soigné par le même médecin que cette vedette internationale. Il salue la secrétaire, bien surprise que j’ai gardé un patient une demie heure, moi qui suis si expéditif habituellement.

Le chauffeur sort de sa voiture, remet ses manches au centimètre imposé par les codes du Cac 40 et s’inquiète de la santé de son chef:

« Alors, tout va bien Monsieur ? »

Notre Robert, avec un aplomb énorme, lui répond toujours la même phrase : « Oh,  mon pauvre Henri, en vieillissant les raideurs se déplacent….

 

29 Août

Miss Rififi

miss2

Parfois mes journées sont longues et épuisantes. Je commence très tôt le matin (6 heures) car je pars du principe que certaines personnes, comme moi, détestent attendre dans une salle d’ attente et préfèrent venir le matin que d’attendre une place dans les consultations de  l’après midi. L’avantage, c’est que cela me permet de prendre plusieurs petits déjeuners. Certains  papis et mamies sont tellement heureux de faire un petit café et de le partager avec moi .

Il arrive parfois que Colette me cuisine des pommes de terre farcies car elle sait qu’ à midi je ne vais pas avoir le temps de manger.

Quand je reviens à 13h30 pour les consultations, j’ai souvent déjà une horde de patients qui sont là. Celui qui arrive 1heure en avance car, comme ils disent, au moins là,  on n’attendra pas !  J’ai celui qui n’a pas rendez vous et qui compte  sur ma gentillesse et sur l’absence  du mot non dans mon vocabulaire.

J’ai le copain ex-rugbyman avec qui j’ai foulé toutes les pelouses et qui croit avoir un laisser-aller  permanent. Le vieux couple qui vient tous les mois, à la même heure, le même jour. Souvent, par exemple, le lundi c’est le jour des coiffeurs et des banquiers car c’est leur jour de repos  (j’ai même un couple banquier-coiffeuse adorable qui profite de ce lundi de repos pour me consulter ou même me faire un petit bonjour).

Il y a aussi le casse pied ponctuel qui veut passer à l’heure précise et ne supporte pas que je puisse prendre une urgence:  un enfant à recoudre, un malaise cardiaque… Il arrive avec un cartable, rempli de documents, son dernier bilan sanguin mais aussi celui de 1997 qu’il veut que je compare. Il imprime souvent des documents internet car il pense avoir trouvé le diagnostic sur Doctissimo.

Il pose sa montre sur la table et me répète qu’il a vu qu’une consultation doit durer au moins 15 minutes et qu’il veut « en avoir pour son argent ! »

Argent d’ailleurs qu’il ne débourse pas car il est soit ancien pensionné de guerre, soit en ALD pour un petit diabète et ne comprend pas qu’on lui réclame de payer pour une verrue . Souvent dans ce cas là, je suis exaspéré et j’essaye de me détendre, de ne pas lui montrer.

J’ai une petite astuce pour me faire rire  et surtout pour oublier les manies de ce vieux grincheux.  Je me motive pour citer, sans qu’il se rende compte,  des textes de chansons populaires.

Ca fait comme ça :

 » Vous avez mal en permanence?

– Non, par intermittence.

– En fait, ça s’en va et ça revient?

– Oui.

– C’est fait de tout petits riens ?

– Oui.

– C’est peut être un détail pour vous, mais pour moi ça veut dire beaucoup…

Le vieux maniaque ne se rend pas compte que je le taquine pas méchamment et je me calme .

Et j’en rajoute…

 » ça veut dire que vous êtes libre, heureux d’être là malgré tout …

Tout n’est pas Claude François ou France Gall… Parfois, la vie de médecin est dangereuse.

Trois heures du matin!  J’aime faire quelques visites de nuit, c’est souvent du vrai travail d’urgence et j’aime ça!

Laurence, jeune femme magnifique, ancienne miss Aquitaine, mannequin m’appelle pour de fortes douleurs abdominales. Pas très bien réveillé, je fonce à son domicile. Elle est dans sa chambre, en petite tenue en cette nuit chaude de juillet. Je l’examine dans son lit et mon diagnostic est sûr: colique néphrétique ! Je dois lui faire une injection de Spasfon et d’anti-inflammatoire.

Allongée sur le ventre je lui pique la fesse …

Le lendemain, 18h30, je reçois un coup de téléphone affolé de Laurence : « Fais gaffe, il arrive…il  arrive chez toi, il est armé, il a bu, il est complètement bourré! »

Je ne comprends rien, je demande qu’elle m’explique …

 » Mon compagnon t’a aperçu quand tu me faisais la piqure cette nuit. Il rentrait de son boulot, (il est directeur de boîte de nuit) il m’a vu les fesses à l’air et toi à coté. Il est persuadé que tu es mon amant et, depuis cette nuit, il ne fait que boire et là, il veut te tuer. Il a un revolver, j’ai peur, Antoine! »

Si notre Laurence a peur, moi,  je me fais dessus! merci Pampers !!

Je n’ai pas le temps de raccrocher que notre cow-boy pénètre dans mon bureau. Titubant,  écarlate, il hurle:

 » Alors docteur, on baise ma femme… hic.. » J’avoue  que je n’ai pas cité des textes de chansons! Je suis pétrifié!

Il me sort son colt et me le pose sur le ventre. Alors là, mes chers lecteurs, le doc Superman, Tarzan, docteur Schweitzer,  il est mort de trouille, il tremble comme une feuille. L’instinct de survie me donne un courage qui m’étonne encore.

Je me lève de mon bureau, repoussant le pistolet et calmement, en le regardant bien droit dans les yeux, je lui dis : « Voilà mon vieux, deux choses à te dire: ta femme a eu une énorme colique néphrétique et je lui ai fait une piqure et deuxièmement,  si tu veux me tuer, ça me rendrait service, je suis très déprimé et je n’ai pas le courage de me supprimer. »  Je ne sais pas pourquoi je lui sors cet argument bidon, mais il permet alors un revirement inattendu de ce psychodrame type « plus belle la vie ». Il pose le pistolet sur mon bureau et commence à me parler, parler pour essayer de me consoler en faisant de longues phrases interrompues par des petits hics, rots, ou autres remontées gastriques alcoolisées. J’ai fini cette consultation en partageant un Ricard avec notre nouveau psy au revolver facile. Ouf!