27 Oct

L’appel

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 » Tu viens avec moi petit?

– Mais où ?

– Te donner la vocation pardi! »

J’ai onze ans, je passe un week-end chez mon » meilleur » ami, comme on dit lorsque l’on est bambin. Son papa est médecin de campagne, un vrai!

Il a un pantalon en velours marron, une veste en tweed et un pull-over à col roulé. Je saute dans sa vieille deux chevaux Citroën à coté de celui qui va devenir mon guide, mon dieu, mon Hippocrate à moi!

Les petites routes sinueuses du Gers, les champs de tournesols, les prairies à perte de vue, les coups de klaxon pour saluer le paysan devant sa meule et la vieille dame en noir partant au village, sûrement à la messe dominicale : je suis aux anges!

Mon copain a préféré rester chez lui car, voyant son papa travailler si dur, il a acquis une certitude : il ne sera jamais médecin!

L’honneur d’être seul avec le docteur du village me comble de joie. Il prend un petit chemin de terre bordé d’hortensias, la vielle voiture saute de trou en trou dans un nuage de poussière pour arriver devant cette vieille ferme aux volets bleus « Lescoure ».

Je n’ose pas descendre, ce qui a le don d’énerver notre toubib!

« Tu veux que je te porte petit, ou tu descends tout seul ? Allez, dépêche toi… vite !!

– Oui, oui j’arrive.

L’odeur de cette maison est encore dans ma mémoire : les restes du feu de cheminée de la veille se mélangent avec harmonie à celle de la garbure qui chauffe dans la cuisine.

« Alors, elle est où, cette Adrienne?

Le vieux paysan a gardé son chapeau et sa salopette bleue. Il nous indique la chambre du fond. Je me sens timide, mais tellement excité de voir ma première malade!

 » Allez, prends mon cartable petit pendant que je me lave les mains. »

J’accomplis ce jour-là mon premier  devoir d’apprenti médecin !

Il rentre dans cette chambre où le plancher sentant encore la vieille cire semble crépiter à chaque pas de mon premier maître.

 » Alors, mon Adrienne, toujours cette mauvaise toux? »

La pauvre malade prend sa main et le regarde fixement pendant un long moment. D’une voix faible, elle lui chuchote :

 » Mon cher docteur, cette fois-ci c’est la fin. Vous avez tout fait, vous êtes un bon thérapeute et surtout un grand humaniste mais là, seul un miracle peut me sauver. »

Mon maître semble alors très perturbé. ll se baisse, s’assoit sur le rebord du lit, lui fait un baiser sur le front en lui disant à voix basse :

 » Vous êtes formidable de courage mon Adrienne, je serai toujours là pour vous. »

A ce moment précis, ce dimanche matin du printemps 1968, à 11h05,  j’ai reçu un appel d’une telle force que j’ai su alors que rien ne pourrait m’ empêcher d’atteindre mon but!

Je serai Médecin !!!!!

05 Oct

De l’autre côté du drap – la suite

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Je viens de me faire opérer de ma prothèse… du genou. Je quitte l’hôpital où j’ai été opéré et j’attends l’ambulance.

Deux hommes noirs en blouse blanche, chacun sosie de Cassius Clay et Teddy Rinner frappent à ma porte.

« On vient vous chercher !! »

Je suis toujours sous forte dose de morphine et je sommeille .

« Pour aller où ?

– (avec un humour décalé Teddy Rinner) à Cadillac !

– (moi, sans humour)  Mais pourquoi ?

– Vous êtes fou, docteur !

Je retrouve mes esprits

– Vous m’avez fait peur, je rêvais !

Le transport  en fauteuil roulant commence par un gymkhana dans les couloirs, je tourne, je vire et ……je vomis !

Evidement….. je croise un de mes patients qui passe un IRM !

« Docteur, vous étiez plus brillant quand vous m’avez fait arrêter de boire !

– Ah bonjour, désolé.

Je repars. Cassius me prend dans ses bras pour m’allonger dans l’ambulance. Je me sens petit, vilain, sale mais où est donc le docteur Maison?

L’ambulance démarre ! J’ai presque un petit bonheur: ils vont mettre le klaxon !

Je regarde la rue de la petite lunette de coté. J’ai l’impression de revivre après cette semaine terrible de souffrance. Les gens regardent l’ambulance arrêtée au feu rouge s’imaginant comme moi je le fais toujours: y a t’il un grave malade, une femme en train d’accoucher, un mort à l’intérieur?

Mais non, il n’y a qu’un pauvre docteur, tout jeune prothèsé !

J’arrive au grand centre de rééducation de la région.

Mon arrivée ne se fait pas dans la discrétion ! Je suis mal rasé, en short avec des collants de contention blancs. Le professeur Patrick Centre-Ville est là, entouré de toute son équipe (kiné, secrétaire, ergothérapeute ). Est-ce mon statut de médecin qui me donne tant d’honneur ? ( je me suis très vite aperçu que chaque nouvel arrivant avait droit aux mêmes faveurs).

Après d’interminables formalités administratives, je dois prendre, toujours dans mon fauteuil roulant, l’ascenseur !

Il y a la « queue de fauteuils » comme devant les caisses le jour de Noël. Chaque malade ici est en fauteuil ou presque.

La montée aux étages est lente et les arrêts fréquents, une voix chevrotante annonce « premierrrrrr étageeee »! Je me dis alors, qu’en plus d’être handicapés, certains doivent être aveugles ou mal-entendants! ça promet …

Chambre 422, j’y suis! C’ est la chambre où Ronaldo, voire Raphael Nadal, a dormi? (Ce centre, vu sa notoriété, a sauvé de nombreux grands sportifs)

Surprise: ni l’un ni l’autre. Mais aujourd’hui, c’est Fernando, ouvrier maçon en cure de rééducation après une chute d’une échelle.

Je me retourne, surpris, vers l’infirmier :

« Mais … je pensais avoir une chambre seule ?

– Oh, mon pauvre, tout le monde en veut !

– Fernando, avec un gros rire qui fait bouger son abdomen dilaté :  » Le senor ne veut pas partager mi habitation?

– Pas de problème, Monsieur. Je voulais être incognito et je vois donc que l’on a respecté mon désir. »

La chambre ne fait pas hôpital, elle ressemble plutôt à une chambre d’hôtel.  Ma joie est immense quand j’aperçois qu’il y a Canal Plus et donc de nombreux matchs de rugby en perspective. Hélas, le rugby n’est pas encore arrivé à Madrid et je dois me contenter d’un Seville-Réal pour satisfaire notre hildago sur le retour.

Ma première nuit  avec un homme est torride ! La vue d’un vieillard en chemise de nuit, les fesses à l’air avec une perfusion se levant six fois pour aller soulager sa prostate, me confirme mon hétérosexualité. C’est déjà ça ! Je sais où j’en suis.

Réveil le matin à 6h 02 par un Sergent chef piqueur. Je viens faire le bilan sanguin, montrez moi votre bras !! Cette interpellation se rajoutant à  cette nuit blanche me plonge alors dans un syndrome dépressif aigu : j’ai peur des piqures ! Je promets à ce moment précis que je n’en abuserai plus jamais avec mes patients.

La chambre ressemble à un hôtel mais le petit déjeuner ne se prend pas dans la chambre, on descend au réfectoire.

Queue de fauteuils ! Que de fauteuils !!

Une demi-heure plus tard, je partage ma table avec un hémiplégique (qui ne peut donc manger seul), un accidenté de la route qui a perdu sa femme dans l’accident et une très belle femme paraplégique suite à une défenestration.

Eh bien, mes amis, je n’ai plus mal !! La vie est belle, ma prothèse du genou c’est de la rigolade, je suis heureux!

En fait pas heureux, abasourdi par les malheurs des autres. Depuis huit jours, je passe mon temps à me plaindre et, devant moi, j’ai le résumé de la souffrance humaine sur terre.

Le pauvre papi qui a perdu sa femme ne cesse de pleurer ayant ses jambes écrasées par le moteur de la voiture d’en face. La jeune désespérée qui, par chagrin d’amour, ne marchera plus jamais. Le grand chef d’entreprise victime d’un AVC qui a besoin de moi pour tourner sa cuillère dans son bol de café.

Je pense que ce centre de rééducation doit être un lieu nécessaire pour montrer que l’on a pas le droit de se plaindre quand, comme moi, on a un petit problème.

Mes journées sont chronométrées. Je passe du gymnase à la piscine, de la piscine à la musculation. Je mange avec tous ces malheureux de la vie. Je fais manger mes voisins. Je regarde les matchs avec les autres. J’organise des courses de fauteuil le soir avec les plus jeunes quand tout le monde dort.  Je fume dans le patio avec quelques voyous qui, comme moi, ont ce vice. J’ai l’impression d’être Jack Nicholson dans « Vol au dessus d’un Nid de Coucou ». Je progresse à vitesse grand V. La vue des autres m’a guéri !

Le professeur Patrick Centre-Ville est l’homme le plus fort et le plus humain qui transforme cet enfer en un lieu de miracles comme l’avait fait son prédécesseur le professeur Matebas.

Mon surnom de docteur Maison je me le suis donné quand je suis parti deux mois plus tard avec mes tennis et ma canne dans mon cabinet de médecin en face du centre.  Je suis parti sur mes deux jambes ….

03 Oct

Maman chérie

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Elles vivent ensemble toutes les deux : elle, Françoise, médecin scolaire qui ne travaille plus et Germaine, sa maman qui a perdu son mari d’un infarctus il y a deux ans.

Françoise a 52 ans. Elle reste à la maison pour s’occuper de sa maman. Elle forme un petit couple indissociable, toujours collées l’une à l’autre ; elles ont un rythme de vie très calibré. Le réveil sonne toujours tôt. Le petit déjeuner est un moment important : Françoise prépare jus de fruit, thé, omelette, kiwi et fromage. Tout est bio, le pain est nature sans adjuvant, le beurre au sel de Guérande. Elle le lui prépare sur un joli plateau et n’oublie pas de poser le Sud-Ouest du jour.

Germaine est en pleine forme pour ses 78 ans, aucune maladie, aucun médicament, une tension de jeune fille. Elle a bien accepté la mort de son mari.

Françoise beaucoup moins. Son père était un homme autoritaire se faisant servir à la maison comme au bureau. Elle l’admirait ! Elle n’a jamais eu d’homme dans sa vie. C’est un peu Cosette, un peu Cendrillon, beaucoup de dévouement et d’abnégation.

Le petit déjeuner terminé, Françoise passe de son rôle de serveuse à celui d’infirmière. Elle fait la toilette de sa maman de la tête au pied comme on le fait à l’hôpital. Germaine est complètement valide et autonome mais Françoise veut le faire pour ne pas qu’elle se fatigue ! La toilette dure une heure : les ongles des pieds, des mains, les cheveux etc, etc …

« Il est déjà 10h ! Nous devons aller à la pharmacie phyto pour acheter des huiles essentielles et de l’argile verte .

– Ma pauvre Françoise, nous y sommes allées hier !

– Oui, mais j’ai oublié les oligosols. Ne t’inquiète pas, j’ai acheté un fauteuil roulant pour t’éviter de marcher. Alors ne dis rien et dépêche toi !

– Mais c’est ridicule, je marche très bien! » (Germaine est en pleine forme et sa démarche, je vous le promets, est plus élégante que la mienne. Certes elle n’a pas joué au rugby, elle!!)

Le petit caniche habillé d’un imperméable, le fauteuil roulant dans le coffre de la Mercedes, elles partent comme on dit en » ville. »

Après un tour au marché bio de Saint-Pierre, cet équipage bizarre rentre vite à la maison, le repas doit être servi à midi. Au menu : soupe de potiron, limande fraiche et haricots verts.

Françoise m’appelle une fois par semaine pour sa maman. (Madame CPAM, je sais, vous allez m’en vouloir d’aggraver le trou mais sachez que je n’obéis qu’à l’inquiétude d’une fille pour sa mère! Et j’oublie souvent de me faire régler)

Rituel bien rodé ! J’arrive à 6h37, je sonne, je rentre, je salue Vodka la caniche, je pénètre dans la chambre de la reine mère, je la réveille en douceur et je l’examine. Sa fille a tout noté sur un cahier à spirale : tension, température, poids (avec une courbe). Je lui rappelle que sa maman est en pleine forme, qu’elle ne prend aucun médicament et que c’est excessif !

« Mais non, maman est essoufflée quand nous marchons au parc. Elle est fatiguée dès le deuxième tour !

– Vous connaissez son âge ?

– Il n’ y a pas de raison, mamy a vécu jusqu’à 102 ans ! »

Je dois avouer que ces visites me sont difficiles, non pas à cause de leur finalité mais à cause du jus de chaussettes que je dois absorber en guise de café et des galettes au sarrasin préparées pour moi ! Je me demande à chaque fois pourquoi je suis venu…c’est vrai que Françoise est si inquiète !

« Allo, Antoine il faut venir vite, maman va mal, elle fait un oap ! (œdème aigu du poumon).

– (5h32) Mais, qui est-ce ? (dans une élocution très stilnox !)

– Venez vite, vite !

– J’arrive ! »

– Je me lève vite, je m’entrave dans le tapis, je me prends la porte encore fermée, je mets mes chaussettes à l’envers, cherche mes clefs et ne trouve pas mes satanées lunettes ! Je les retrouve, (elles étaient sur mon nez !), je démarre en marche arrière et je fonce : il faut sauver Germaine !

Françoise m’attend dans la rue devant la résidence, les cheveux gris décoiffés, une chemise de nuit défraichie et Vodka sous le bras.

Je me précipite dans la chambre. Germaine a les yeux fermés, une perfusion au bras, un flacon de Glucosé a petit débit marqué 4h42, un brassard à tension à l’autre bras, un saturomètre (pour savoir son pourcentage d’oxygène) au bout du doigt. Je dégaine mon stétho le pose sur le coeur et là…

« Bonjour mon petit, qu’est-ce que vous faites là ?

– Je vous promets, docteur, maman a fait un oap. Vous la voyez bien mais tout à l’heure elle s’étouffait.

– Arrête tes bêtises Françoise, je suis allée dans la cuisine manger un petit caramel et je me suis étranglée parce que tu m’as fait peur !

– J’ai des preuves docteur, j’ai fait un tableau des constantes :Ta 15-7, pouls 77, SAT 96.

– Mais, c’est normal !

– Oui, mais j’ai eu peur, alors je lui ai donné deux Lasilix intraveineux.

Françoise m’appelle souvent pour des urgences imaginaires. Germaine se laisse faire, elle râle gentiment et semble à chacune de mes visites me faire comprendre « laissez la faire, elle n’a que ça ! »

Françoise se lève tous les jours de plus en plus tôt, elle est occupée 20h sur 24. Elle maigrit, se néglige, passe son temps à soigner sa maman qui n’a rien.

Elle a mis un lit de camp dans sa chambre, elle surveille au moins deux fois par nuit sa tension.

Je passe mon temps à essayer de faire comprendre à Françoise qu’elle surprotège sa maman au détriment de sa propre santé. Mais rien ne peut lui faire changer d’avis. Germaine se laisse toujours faire.

Françoise a besoin de moi pour prescrire des examens, radios, bilans… Je m’y oppose souvent passant des minutes à la convaincre. Elle me laisse repartir et, la porte à peine fermée, téléphone à SOS médecin pour essayer d’accomplir ce que je n’ai pas fait. Son statut de médecin arrive parfois à convaincre ces médecins urgentistes qui ne connaissent pas la malade et encore moins sa fille.

Françoise me demande de passer de plus en plus souvent. J’ai négocié trois choses:

Je ne prescris que ce que je juge utile, je me fais régler qu’une fois sur deux et surtout, surtout je ne bois plus de café Burlington(chaussettes).

Ce n’est plus la chambre d’un appartement coquet mais une salle de réanimation ! Germaine n’a toujours aucune  maladie grave. Françoise est amaigrie, je lui parle, je lui conseille d’aller voir un ami psychologue. Evidement elle hurle qu’elle n’est pas folle mais seulement une fille médecin qui, puisqu’elle ne travaille pas, peut éviter des soins onéreux pour la société et la sécurité sociale .

Je continue par tous les moyens, la colère, la menace d’abandon de mes soins d’ essayer de faire comprendre à Françoise que son attitude de surprotection est néfaste pour tout le monde.

Rien n’y fait ! Je continue à venir voir ce couple infernal, soignant-soignée malgré eux mais je m’épuise. J’ai toujours peur qu’un jour je ne me déplace pas pour un faux oap, un faux infarctus et qu’arrive un drame.

Françoise a acheté à ses frais des seringues et des perfusions. J’ai découvert cela le jour où elle m’a laissé seul dans la chambre de Germaine. Je discute avec cette pauvre mamie qui me semble perdue devant les agissements de sa fille.

« Oh, je sais qu’elle exagère mais, que voulez-vous que je fasse mon petit, nous ne sommes que toutes les deux. Vous savez, elle ne me laisse jamais seule, elle a licencié Nune la femme de ménage! Je suis en prison, à l’hôpital prison!

Je suis venu un jour avec un autre médecin pour qu’il m’aide. Elle m’en a voulu et ne m’a plus rappelé pendant trois mois. Une fois, en pleine nuit, elle m’a joint sur mon insupportable portable et ….j’y suis allé !

Rien de nouveau sous le soleil, rien n’a changé ! Germaine a un rhume que sa fille chérie a étiquetté détresse respiratoire. Elle a branché l’oxygène ! Je lui ai parlé deux heures durant ! Pour une fois elle m’ a compris, a surtout compris qu’elle présente un syndrome de Munchausen détourné. Elle est allée voir un psy, mais n’a jamais guérie.

Récemment, Françoise a dû s’absenter pour aller aux obsèques de sa tante à Balnot-la-Grange à 7 heures de voiture de Bordeaux. La voisine est venue le soir garder Germaine et a dormi chez elle. C’était la première fois que Françoise laissait sa maman depuis dix ans !

A 8h du matin je suis appelé. Germaine était partie dans son sommeil…

 

 

 

14 Sep

Jolie Burdigala

 

choco

Place Gambetta, Bordeaux

Mon prédécesseur, le bon Docteur Cerey, a travaillé longtemps Place Gambetta avant de se retirer dans ce quartier de Caudéran où il m’ a cédé sa place.

Pour les non initiés Gambetta est la place principale de Bordeaux, le coeur de la ville, où depuis la nuit des temps la population se mélange entre les commerces, les restaurants et les immeubles du 18ième. Pendant des années ce coeur de Bordeaux battait aussi la nuit, et le plus vieux métier du monde était de rigueur dans une artère voisine, Mériadeck !

Et donc, notre bon docteur Cerey, moustache affriolante et yeux coquins était le médecin, certes des commerçants chics mais aussi de certaines femmes de petite vertu.

Quand je récupère cette magnifique clientèle dans les années 80, la fidélité apparait en premier, soit des uns soit des autres. Du haut de ma jeunesse insouciante je visite le grand couturier de la place, le fameux restaurateur à la choucroute légère, mais aussi la petite Lulu, la grosse Denise et Fanfan la coquine.

Mes journées, déjà bien remplies, font le grand écart : pour le restaurateur ou le marchand de fruits et légumes je dois passer avant 7 heures et pour les autres (au féminin) je dois passer plus tard.

Denise habite dans un petit studio où elle travaillait naguère. Seul la couleur rouge en velours des fauteuils est la relique de son métier de marchande d’amour pour les hommes en manque. Elle a  84 ans. Tous les mois, je me délecte de la voir, elle, la vieille dame digne, au discours franc et direct mais toujours enveloppé de brins de gentillesse recouvert d’élégance . Je lui pose avec curiosité des questions qu’aujourd’hui la prescription permet une réponse :

« Vous avez rencontré des gens célèbres Denise ?

– Plus que ça mon drôle, des célébrités !

– (timidement) Qui?

– Oh, je peux te le dire petit, ils sont tous morts! » (elle me donne alors des noms qui, aujourd’hui encore, sont affichés au coin des rues ou places de Bordeaux)

Denise a gagné sûrement beaucoup d’argent du temps de sa splendeur mais maintenant elle n’a que le minimum pour survivre. Tous les mois, un petit rituel s’est instauré entre nous. Ayant sa fierté de femme honnête, elle veut toujours régler mes honoraires, mais sachant qu’elle n’a ni mutuelle, ni complémentaire, je sais très bien que cela représente un trou énorme pour son petit budget. Alors elle me laisse le billet qui m’est dû sur la table. Je le prends, la remercie, et en partant lui redépose sur le buffet et elle m’envoie un petit clin d’oeil sous ses lunettes dorées qui traduit le plus grand merci du monde.

Le marchand de poissons aux Grands Hommes, c’est du Pagnol dans le texte. Exigeant il me demande toujours de venir tôt avant l’installation du banc de poissons qu’il vient de ramener d’Arcachon.

Il m’aborde toujours en prenant à parti ses collègues bouchers ou fromagers :

 » Te voilà ! Monsieur Guéritou !  Monsieur Guéritou …cousin de croque mort, tu me la fais quand ta piqure miracle que je gâte maman comme en 1945 quand je suis revenu de la guerre ? »

Continuant de parler en regardant sa voisine des légumes:

« Quand tu penses que c’est à ce morpion de 23 ans que je remets les clefs de ma vie ! »

Il y a tant de poésie que pour rien au monde je n’abandonnerais ces visites matinales. Il y en a une que j’oublierai jamais.

Depuis que l’homme sait faire du chocolat, la Place Gambetta a son fleuron, son étoile, son Maître-chocolatier. De père en fils, de secret en secret, ils offrent ce nectar à tous ces bordelais si bien ancrés dans leur tradition.

La tradition, justement c’est Adrienne, 94 ans, qui vit au dessus du salon de thé et de la chocolaterie au dernier étage. Elle a un appartement aux vitres ovales depuis lequel on domine toute la place. Elle est belle, elle a des yeux bleus des mers des sud, des cheveux blancs avec une nuance de violet. Son appartement est parsemé de meubles anciens. Sur les commodes Louis XVI, des argenteries éclatantes sont lustrées tous les jours et la vieille horloge du Limousin rythme ses journées qui lui paraissent bien longues.

Elle a, notre belle Adrienne, sa dame de compagnie pour s’occuper d’elle : Julie. Ancienne employée modèle de la chocolaterie elle a toujours été au service de « Madame ». Jamais mariée, jamais d’enfant, elle est née dans le chocolat et y restera jusqu’à sa fin.

6 h- le téléphone me réveille.

 » Docteur, venez vite, Julie en me montant mon petit déjeuner vient d’avoir un malaise! Venez vite, vu mon coeur malade, je reste dans mon lit. Passez par le laboratoire du salon de thé. »

Dix minutes plus tard, je rentre par la porte de derrière, empruntant le lieu secret où notre maitre chocolatier prépare ses boules noires à la patte d’amande, surveille ses croissants au beurre et sort les chocolatines du four. Oui des chocolatines, des vraies (pas ces pains au chocolat parisien).

Le réflexe de Pavlov est à son comble: je salive, j’hume, je jouis : j’ai faim !

A peine arrivé en haut de l’escalier, la pauvre Julie est là, allongée en ayant dans sa chute évité que le plateau du petit déjeuner de « Madame » ne soit renversé.

Malheureusement, la pauvre Julie est déjà partie dans un autre monde, victime sûrement d’un infarctus massif. Je monte expliquer à Madame Adrienne que sa Julie n’est plus de ce monde.

Elle réagit avec dignité et tristesse, mais me dit de façon surprenante :

« Oh, elle était bien âgée (10 ans de moins qu’elle! ) et elle n’a pas souffert. »

Dans ces cas-là, quand une personne décède sur un lieu extérieur le médecin doit appeler la police.

« Police secours, j’écoute..

– C’est pour un décès.

– Oui, à fortiori un mort ?

– Oui un décès !

– Arrêt cardiaque ?

– Oui comme dans tous les décès, Monsieur le policier, il y a un arrêt cardiaque

– Donc, elle est morte ?

– (exaspéré) Oui !

– Vous l’avez constaté ? ou vous me le relatez ?

– J’ai fait le constat de décès d’une dame de 82 ans qui vient de mourir brutalement !

– Comment pouvez-vous savoir qu’elle a 82 ans alors qu’il y a un instant vous me « relatassiez » (notre policier n’a jamais eu le Becherelle) que vous l’avez trouvée dite pour morte.

– Vous pouvez venir monsieur le policier pour faire votre constat ?

– Je vous envoie deux collègues. »

Je me retrouve assis dans le vestibule, à coté de notre pauvre Julie, le plateau toujours dans sa main. C’est un plateau en argent, avec une chocolatière à l’ancienne avec un manche en bois. Une orange pressée avec beaucoup de sucre, une rose unique dans un petit vase et …les fameuses chocolatines !

Les odeurs du laboratoires, mélange de cacao, fleur d’oranger, croissants chauds excitent mes papilles au repos depuis la veille au soir.

30 minutes après, les collègues ne sont toujours pas là. Ce n’était plus Pavlov, c’était un coma hypoglycémique que je subis.

Certes, je suis assis par terre à coté de notre pauvre Julie se refroidissant peu à peu, certes Adrienne s’est rendormie à quelques mètres de là, certes la police va arriver mais quand Antoine a faim, il a faim ! Qu’il mange alors…

Je commence à dévorer cette chocolatine en buvant gorgée par gorgée ce chocolat épais, onctueux , sucré …hum ….délicieux..! Je finis en me régalant de ce jus d’orange recouvert de sa pulpe quand, quand ……

La police entre ! Le tableau de la scène est rocambolesque : une morte, un plateau vide, une vielle dame dormant dans son lit et un docteur en train de prendre, à même le sol, un petit déjeuner digne de ceux de l’Hôtel du Palais (non ce n’est pas le Cluedo !)

« Eh bien, Docteur, ça vous coupe pas l’appétit ! »

Je suis à ce moment-là l’homme le plus mal à l’aise de la médecine bordelaise, de la France, du monde.

Ma réponse fuse et d’un ton affirmé : « Elle n’a pas souffert ! »

 

13 Sep

Medicine Man

café2

 

Une journée bien remplie. Ce n’est pas une histoire mais seulement le déroulement  de ma vie de médecin.

J’adore travailler tôt le matin, j’aime ce silence, ces rues calmes où les petits commerces commencent leurs journées : Roland, ce boucher aux yeux si bleus, François ce primeur aux confitures que même ma grand-mère n’aurait pas mieux faites, ces éboueurs qui me saluent en prenant leur casse-croute du matin.

Je fonce vers ma première visite à Pessac, un grand monsieur, au sens propre comme au figuré, 1 mètre 90, ancien joueur de haut niveau au rugby, ancien chef d’entreprise. Il ne peut plus marcher vu les genoux usés par tant de matchs et aussi par une opération ratée sur la prothèse.

 » Salut mon petit, tu as vu ces Toulousains ? quelle équipe ! Par contre ce rugby, c’est devenu un sport de fillettes, pas une partie de bouffes ! De mon temps, je t’aurais relevé cette mêlée et le talonneur, je te jure il aurait mangé le gazon, il moucherait rouge ! »

On est bien loin du motif de ma visite, lui donner ses doses de calmants pour ses douleurs. Il reste dans son fauteuil toute la journée et parfois toute la nuit, la télécommande de la télé dans la main, il enchaîne tous les matchs et les regarde en boucle.

Je vais le voir tous les mois, il est 6h20, et je crois que si j’enregistrais nos mots, nos phrases y seraient toujours identiques.

 » J’ai mal, mon petit, je suis foutu, je ne peux plus rien faire !

– Oui mais regarde, tu as ta femme, tes enfants, ton rugby. »

Je l’examine, lui prends la tension, regarde son genou où l’herbe d’Aguilera ou de Musard semble encore incrustée sur cette articulation si douloureuse.

Le petit café soluble avalé, je repars non sans avoir donné le bisou salvateur.

Le téléphone commence lui aussi à se réveiller !

 » Allo Antoine, Kevin a de la fièvre, tu peux venir avant l’école ? »

« Doc, maman perd la boule, elle vient de sortir dans la rue et elle cherche papa !

– Pourquoi il était sorti ?

– Mais Antoine, réveille-toi , papa est mort depuis longtemps !!! »

 » Allo Antoine, soit tu m’arrêtes, soit je tue mon chef!  Il me supprime mes vacances et je dois faire l’ouverture.

– L’ouverture ?

– Ben oui, l’ouverture de la chasse ! »

 » Allo Docteur, c’est Madame de la Prairie du Pré Vert, mon époux, Monsieur de la Prairie du Pré Vert, a un dérangement intestinal, pourriez-vous cher Docteur, avoir l’amabilité de passer à la chartreuse, pas trop tôt mais aussi pas trop tard car nous faisons un bridge. »

Je suis capable de m’adapter et je prends un ton très coincé en parlant les mâchoires très serrées :

 » Bien sûr chère Madame, je passerai dès que possible !

– Si vous pouvez en fait venir vers 9h45, Maria, notre employée de maison, pourra vous ouvrir les grilles. »

Je vais de domicile en domicile, je passe de la tour des Aubiers pour soigner la vieille Denise, ancienne prostituée de Mériadeck à la chartreuse 18ème.

C’est un régal, c’est une pièce de théâtre, un film, je donne tout mais je reçois tant !!!

11h – j’arrive à mon cabinet, déjà le parking est bien rempli, ma tasse de café serré (le 12éme) est vite avalé.

Le petit papi d’à-côté du cabinet est devant moi, il saigne de la main. En sortant les poubelles, il s’est coupé.

 » Doc, tu peux me recoudre ça vite, mes tomates m’attendent et si tu en veux, dépêche-toi ! »

Bon, ça ce n’est pas prévu. L’ancienne contrôleuse des impôts montre déjà son impatience, n’oubliant pas qu’elle a toujours dirigé et que tous les contribuables bordelais ont tremblé devant elle.

Les rhumes, gastros, déchirures musculaires ou autres bobos s’enchainent et me font oublier que j’ai faim.

12h – je fonce à ma cantine engloutir un plat du jour que Robert m’a préparé. Une micro sieste et ça repart.

13h15 – le patient de 14h est déjà là (comme il dit: « comme ça je n’attends pas »). Ca y est, c’est parti, le match commence.

Ce qu’il y a de fabuleux, c’est la diversité; je passe d’un petit bobo, d’un genou râpé à un cancer du pancréas ou à une dépression grave, pour revenir au petit rhume ou autre gastro.

Les malades pensent, et c’est bien normal, être uniques, que je ne connais qu’eux, leurs résultats, leur passé. Je dois jongler entre ma mémoire, mon adaptabilité, mon humour.

Un jour arrive la femme d’un de mes amis intimes, je ne  connais qu’elle, j’ai souvent mangé chez eux. Au moment de faire l’ordonnance, le trou : comment s’appelle-t-elle ? J’utilise mon premier joker :

 » Tu as ta carte vitale?

– Je l’ai oubliée (là je suis mal, je ne vais pas lui demander son nom quand même ?!)

Deuxième joker :

– Cela s’écrit comment déjà ton nom ?

Et là, mon pauvre Antoine, tu passes pour un débile :

– Dupont : D U P O N T

– Euh, oui mais je ne savais pas si c’était un D ou un T ? »

J’enchaine malade sur malade. Plus la journée avance, plus j’ai la forme, par contre j’ai toujours faim, alors comme un enfant, je mange un peu de chocolat, un gâteau, un fruit (sois honnête Antoine un fruit pas souvent !)

Nous sommes en pleine ville et je me crois à la campagne : je ne repars jamais sans mes salades, mes œufs, mes cèpes !! Ah les cèpes, ils savent tous que j’adore ça. Alors, Robert, Jacques, Michel… saison venue, m’en apportent des caisses entières (je ne dis rien, je ne le déclare pas à l’Urssaf).

C’est quand même bien de vivre dans cette terre viticole, ma cave est remplie de bonnes bouteilles. Je suis comblé, je suis gâté, je leur donne tout, mais ils me le rendent !

Il est bientôt 19h – le tourbillon de la journée se calme, la salle d’attente est silencieuse. Marthe (82 ans) est là, sagement emmitouflée dans son vieux manteau, ses yeux sont toujours rouges larmoyants, elle vient en bus me voir depuis le centre de Bordeaux. Sa démarche est boitillante et elle souffle à chaque pas.

 » Pourquoi tu es venue si tard Marthe ? Tu es souffrante ?

– Non, mon petit, j’ai besoin de te parler et je voulais que tu sois que pour moi alors j’ai pris le dernier rendez-vous. (Elle se met à pleurer en essayant de me prononcer un premier mot.)

– Whisky ne va pas bien, il va mourir !!!

Whisky c’est son petit caniche que Marcel, son mari, lui a offert il y a 15 ans pour leur anniversaire de mariage. Marcel est mort un an plus tard et Marthe donne toute son affection à son petit chien. Ils n’ont  jamais eu d’enfant.

– Je suis allée voir le véto, (elle éclate en sanglot) et il faut le piquer ! Tu te rends compte Antoine piquer whisky, si Marcel voit ça il se retourne dans sa tombe ! »

Même si j’adore les animaux, je suis presque soulagé que le mal-être de Marthe ne soit pas une mise en maison de retraite ou tout autre motif de santé, je l’aime beaucoup Marthe !

 » Voilà mon petit, je me suis dit, ce véto il ne le connait pas mon Whisky, toi tu le connais, tu le vois souvent, tu es comme son grand frère (voilà, ça y est, je suis de la lignée des caniches nains, couleur caramel au poil frisé et de courtes pattes !!!)

– Et alors ?

– Alors mon petit, il faut que tu lui fasses toi  « l’eucranasie » (non, eucranasie n’est pas un mot animalier, il faut traduire par euthanasie)

– Moi ?

– Oui, Marcel serait fier de toi, tu sais. »

Voilà maintenant que ma culpabilité judéo chrétienne ressurgit… choisir entre Eros ou Thanatos, mon amour pour Marthe ou la mort de Whisky !

J’ai raccompagné Marthe chez elle ce soir-là… parce que je l’aime cette mamie.

 

 

 

09 Sep

Superhéros

 spiderman2Gabin a dix ans, tout frisé, les cheveux qui n’ont pas vu un peigne depuis 8 ans ! Pas des yeux,  des pépites noires qui ne sont qu’espièglerie et coquinerie. Je le soigne depuis sa naissance, il est fils unique. Léo, son papa, c’est le baba cool sportif qui court les semi marathons et qui écoute The Cure dans son Ipod. Mathilde, la maman, n’a  pas retrouvé sa brosse à cheveux  depuis ses 15 ans. Elle fume des roulées et travaille comme animatrice chez les personnes âgées. Depuis quelques temps, Gabin ne fait que des bêtises. Il est puni à l’école, a volé de l’argent à ses parents et refuse de jouer au rugby, lui qui adore le sport .

Mathilde arrive aujourd’hui car elle est à bout entre son travail, les footings de son mari et Gabin qui accumule les sottises. Elle ne dort plus, ne mange plus : elle déprime !

Nous discutons sur cette mauvaise passe et je lui explique que c’est souvent fréquent et qu’un petit break avec son mari, Gabin chez les grands-parents, arrange bien ce genre de situation.

Quelques mois plus tard, Leo vient avec Gabin. Il fait pipi au lit ! Dans ce cas là, souvent je passe un contrat avec l’enfant, je promets un Spiderman si le pipi s’arrête et le résultat est très vite positif. Je me demande souvent si cette énurésie ne cache pas un petit problème et je désire voir l’enfant tout seul.

Gabin est là devant moi. Il ne dit rien. Lui, si bavard habituellement, il me répète seulement que tout va bien. Comme un enfant curieux, il me demande de jouer avec mon ordinateur et je lui explique que, pendant ce temps, je vais discuter avec ses parents les termes du contrat « Spiderman ». En partant, je lui laisse un petit papier avec mon numéro de portable et je lui dis:

 » C’est un numéro secret si tu as besoin … »

Gabin me lance un clin d’oeil complice et reprend son sourire qu’une petite fossette coquine souligne.

Il n’a pas fallu attendre longtemps pour qu’il l’utilise. Le soir, à 21 heures, Gabin m’appelle avec une voix sourde (on dirait qu’il est caché dans un placard).

 » Il faut que je te parle seul à seul sans mes parents derrière la porte !

– (surpris) D’accord mais comment puis-je faire?

–  Viens mercredi matin, je reste seul de 9h à 10h. Viens dans ma maison.

– Ok, sans problème, je serais là. »

Le mercredi, 9 heures précises, je rentre dans cette petite échoppe, où la table à repasser est recouverte d’un grand nombre de vêtements que Mathilde n’a pas eu le temps de ranger.

Gabin regarde la télé et vient m’accueillir.

Comme un adulte, il me dit un  » bonjour Doc, je te fais un café ? »

Je trouve la scène hallucinante. Un gamin de 8 ans  me reçoit en cachette, me propose de m’offrir un café et s’assoit face à moi en croisant les jambes et en me disant :

 » Doc, il faut que je te parle.

– Vas-y.

– Voilà, je sais que c’est pas bien mais j’ai emprunté le téléphone de papa pour jouer à un jeu et j’ai regardé ses sms.

– Et alors ?

– Papa a une copine ! » Gabin se met à éclater en sanglots.

J’essaie de le consoler et, avec une énorme détermination, il redevient le simili adulte de tout à l’heure.

 » J’ai un plan!

– Un plan?

– Oui, tu connais sa copine, tu la soignes. Il faut que tu lui parles ! Dis lui que c’est pas bien et qu’un petit garçon est très malheureux. Si jamais mes parents divorcent,  je ne le supporterai pas, j’irai vivre chez Papi et Mamie.

Je suis interloqué ! Je lui demande comment il sait que je la soigne ?

 » J’ai regardé ton ordi pendant que tu parlais à Papa et des Véronique le Guennec il n’y en a pas des tonnes ! »

Je résume : un gamin de huit ans me reçoit en adulte, m’apprend que son père à une maitresse dont je suis le médecin, chose qu’il a découvert en piratant mon PC et me demande de régler le problème !

Mon pauvre Antoine, tu es dans une belle situation ! Le serment d’ Hippocrate m’interdit de m’ immiscer dans la vie privée des familles mais là j’ai bien envie d’ oublier cette obligation, tant je suis touché par ce petit Gabin.

 » Bon, promis je vais essayer mais c’est un secret, tu n’en parles à personne ! »

Comment vais-je  faire ? Je ne connais pas bien Véronique le Guennec. Je ne peux l’appeler pour lui dire :  » Bonjour, voilà arrêtez d’être la maitresse de Léo ! »

ou alors innocemment :  » Vous connaissez Léo et Gabin ? »

Non, impossible, je ne suis pas Brigite Lahaye, je suis médecin généraliste.

Pendant toute la journée, je n’ai pas arrêté de penser à Gabin, à sa détresse,  à son scénario  » SOS sauvez ma famille « . La nuit  je ne trouve pas le sommeil et au réveil… miracle ! J’ai une idée !

J’appelle Léo et lui suggère de venir au cabinet pour discuter de Gabin et de son fameux pipi au lit .

Toujours aussi baba coolou plutôt bobo, Léo rentre dans mon bureau encore essoufflé d’un footing matinal. Je rentre de suite dans le vif du sujet.

 » Je suis inquiet, je ne trouve pas Gabin en forme. Il est très angoissé, il a peur de tout, et entre autres que vous divorciez avec Mathilde. Ca va bien en ce moment tous les deux ? »

Léo habituellement si décontracté, paraît tout surpris, gêné, emprunté  et, avec un sourire forcé, me dit :

 » Nous, divorcer ? C’est vrai que c’est tendu un peu en ce moment mais quand même pas divorcer.

– Tendu ?

– C’est pas facile, nous travaillons beaucoup. Mathilde me reproche de faire trop de sport et de ne pas l’aider.

(en complice de la situation)

– Elles sont toutes pareilles et parfois ça finit mal et le mari va voir ailleurs !

Léo est malin et j’avoue que mon discours est un peu lourd …

– Tu sais un truc toi !!!

– (et avec un aplomb énorme) Oui, je t’ai vu avec Vero Le Guennec. Je suis fou ! Si cela se trouve, Gabin a tout inventé et je suis en train de parler d’une bretonne coquine détruisant les foyers girondins !

– Tu n’es pas Doc, tu es doc Columbo !

Ouf, je ne me suis pas trompé. Je n’ai absolument pas donné des conseils à Léo car on ne sait jamais ce qui se passe dans un couple et cela ne me regarde pas. J ‘ai seulement parlé de Gabin et sans jamais,  au grand jamais,  dévoiler le nom de mon indic ! J’explique à Léo que les enfants comprennent tout. Leur monde imaginaire est souvent plus terrible que la dure réalité de la vie.

Léo me parle alors de cette liaison avec la bretonne.

 » C’est la faiblesse d’un homme de 45 ans qui veut se prouver qu’il peut encore séduire.

– Surtout je ne te juge pas Léo.

– Ecoute Doc, tu viens de me réveiller, j’étais dans un état second et je reviens sur terre. »

Gabin m’ a rappelé un jour, un mercredi à neuf heures. Il me fait un petit café, m’annonce qu’il ne fait plus pipi au lit  et que son papa et sa mamans sont très amoureux.

Je lui ai donné son Spiderman …..

 

 

 

07 Sep

Autocombustion

feu

La Mérule pleureuse est un champignon qui détruit les murs des maisons sans que l’on s’en rende compte. Un jour, vous vous réveillez et la maison est détruite.

Dans la vie, il en est de même avec l’épuisement professionnel : le burn-out. Nous brulons de l’intérieur. Beaucoup de métiers y sont exposés. Je pensais que le mien était épargné, en fait pas du tout, bien au contraire. Cela n’arrive pas qu’aux autres …

Ce soir je vais à un enseignement post universitaire. Souvent il s’agit, soyons honnête, plus d’un bon repas par un chef étoilé de Bordeaux que des nouveautés en matière de de médecine .

Je viens ce soir car le conférencier est un maître, un grand professeur : Fabrice. Le scénario est toujours identique, nous arrivons souvent en retard, un par un. Certains car ils ont beaucoup de travail, d’autres pour faire croire qu’ils en ont!!

Il fait beau. Des petits canapés sont servis avec des bulles délicates et j’avoue que je me sens bien, fatigué mais bien.

Fabrice doit faire son exposé avant le repas. Je m’inquiète de ne pas être très concentré car le frugal repas de midi est bien loin. Comme à l’école on nous distribue un test : test de Freudenberger. Il faut répondre à des questions simples du style : Etes- vous plus fatigué qu’énergique ? Perdez- vous de l’intérêt pour les plaisirs de la vie?  Voyez-vous moins vos amis ? etc,etc.. Chaque question est appréciée entre 0 et 5. Je fais ce test sérieusement et je réponds avec sincérité. On ramasse les copies et Fabrice corrige.

Il nous donne les barèmes : bien, surmené, risque de burn-out, burn-out (55), risque de suicide (65). Je suis loin de penser que mon score est de 62 !

Fabrice s’approche de moi, et me dis à voix basse: il va falloir venir me voir mon grand !!

Je passais une bonne soirée, c’est terminé : je suis en danger !

C’est vrai que je donne tout à mon travail. Les  journées commencent tôt (6h20) et finissent tard (20h). J’aime tellement ce que je fais que je ne me rends pas compte. Je n’ai pas une seconde à moi, je cours, je suis au téléphone toutes les minutes, j’essaie d’être un bon père, un bon mari, un bon ami, un bon médecin.  Je mélange tout cela avec une énergie sans nom, mais j’oublie souvent la phrase d’Aragon: « le temps d’apprendre à vivre il est déjà trop tard ».

Je n’apprécie pas du tout ce repas de chef étoilé (repas low coast, budget laboratoire en baisse) et je rentre chez moi un peu inquiet mais rassuré qu’enfin certaines personnes comprennent ma fatigue !

Le lendemain, dès 8h, Fabrice m’appelle. Il me donne rendez vous le jour même. Je suis content d’être un malade comme les autres et d’aller dans une salle d’attente…

Je regarde ces gens qui sont là, assis calmement attendant leur tour, lisant Gala ou Match des années 70. Moi,  je suis à côté d’eux, et pourtant la tête ailleurs : je continue à travailler, à gérer tous mes malades .

– à un : prends du spiefen.

– à l’autre : viens me voir demain.

– à un autre : je passe vendredi.

– et encore : je te promets que j’irai à ton opération.

– puis, oui je t’aime mon Chéri.

– t’inquiètes pas, une banane en philo,  j’en ai eu. (mon fils)

– ne le gronde pas, il était fatigué. (sa mère)

– oui trois par jour, des spiefens pas plus.

– l’expertise ? j’y serai ! samedi ? bien sur.

– allo, oui bonjour, mon coiffeur adoré, quoi… je t’ai oublié ? désolé, je passe demain.

– oui, Chérie, je rentre tard, je suis plein de monde, ok je prends le pain.

– oui, c’est la même chose le stilnox et le zolpidem.

Etc, etc…

Et allo, allo je me noie même dans cette salle d’attente, je ne décroche pas

– « non pas du doliprane, j’ai dit spiefen pas plus de trois par jour ».

« Antoine, tu viens ? » Fabrice blouse blanche m’accueille. »Le traitement commence, donne moi ton portable !

– Mais, s’il y a une urgence ? et mes fils ? et mes amis ?

– Donne moi ce portable ! »

Je commence ma guérison mais j’ai presque un sentiment de malaise vagal.

Ce jour-là, Fabrice a sûrement prolongé ma vie de 50 ans. Il m’a fait comprendre que l’épuisement psychologique est un manque d’organisation, que les portables ou autres écrans sont des virus responsables, qu’il y a des priorités dans la vie, que je ne peux pas sauver le monde entier et surtout que pour être un bon médecin, il faut avant tout en avoir un à soi .

La mérule pleureuse, ce champignon qui détruit tout, ne me détruira pas !!!

06 Sep

L’hiver de leurs vies

hortensias

 

Un jour, un ami de mon père lui apprend qu’il a la maladie d’Alzheimer. Mon père, inquiet, lui demande s’il n’est pas trop inquiet de l’évolution. Il lui répond:

« Non, car j’ai un nouveau traitement excellent.

– Comment s’appelle t-il?

– Euh, je ne me rappelle pas, mais ça va me revenir. Comment s’appelle l’empereur des français qui a perdu à Waterloo ?

– (surpris) Napoléon ?

– Oui !! il est mort ou vivant ?

– (très surpris) Mort !

– Où ?

– A Sainte-Hélène.

–  C’est ça ! Et il se met à crier : « Hélène, comment il s’appelle mon nouveau médicament ?»

Je travaille depuis longtemps dans une maison de retraite où il y a une unité Alzheimer.

Quand on rentre dans un tel endroit le spectacle associe toutes les palettes des émotions de la vie.

Ils sont tous au petit déjeuner. Les aides sont là, patientes, attentionnées, à l’écoute.

Certains sont à table, le bol de café devant eux, essayant de rattraper le morceau de pain qui est tombé dedans. D’autres déambulent en couches culottes en riant aux éclats. Certains sont allongés à même le sol finissant cette nuit trop courte qu’ils ont passée dans le lit du voisin. Marguerite (92 ans) est là, devant la fenêtre, attendant que sa maman vienne la chercher et murmure à voix basse: « Maman, je ne veux pas rester, je t’en supplie !»

Soudain, un cri de l’infirmier Gilou : «Robert, attention, ne montez pas sur la table, attention !» Dans un fracas énorme, Robert tombe par terre renversant tous les bols et le café au lait.

La salle à manger, si calme il y a si peu de temps, se transforme en champ de bataille. Ils se lèvent tous, certains pleurent, d’autres veulent aider ce pauvre Robert qui saigne. Il a l’arcade ouverte !

Jeannot, l’ancien brancardier, reprend du service et tente de le relever. Il tombe à son tour. Tout n’est que bazar, sang et café au lait !

Recoudre Robert n’est pas une tâche aisée. Il bouge sans arrêt et, bien que Marguerite lui tienne la main, il a peur et pleure.

La visite du matin dans les chambres, pour ceux qui ne se lèvent plus, est un spectacle de la vie. Nous avons l’impression d’être à l’hôpital des enfants, en service des moins de deux ans.

La chambre est mal rangée, l’odeur de la nuit se mélange à celle des fuites. Les protections sont à même le sol et parfois, surprise,  on retrouve deux personnes dans le même lit. Lucie dort dans la chambre 24 depuis deux mois. Raymond, en pleine nuit, vient dans son lit. L’un et l’autre ne savent pas leur nom, leur âge mais ils retrouvent les automatismes amoureux de la tendresse. Ils sont nus, serrés ensemble  avec un sourire de plénitude et de bonheur.

Quand je pénètre dans la chambre de Monsieur le député Pierre Louis, je regarde sur le mur les photos qui décorent la chambre. Sa remise de légion d’honneur par Georges Pompidou, sa voiture de député avec son chauffeur, ses petits enfants jouant avec l’écharpe tricolore. Mais Monsieur le député aujourd’hui répète sans cesse :

« Fusil, canon, bazooka !»

L’infirmière qui m’accompagne essaie de le calmer et constatant que le lit est inondé, le sermone comme un enfant :

« Monsieur le député au lieu de crier fusil, canon, bazooka, vous auriez dû m’appeler. Je vous aurais passé le pistolet.

– Voilà, c’est ça, c’est Pistolet que je voulais dire!!!! »

Christiane est veuve depuis longtemps. Elle n’a pas toute sa tête mais a de rares moments de lucidité. Philippe, son voisin de table, est un ancien médecin. Depuis trois mois il courtise Madame. Son éducation perdure malgré son absence totale de conscience. C’est surprenant de voir que l’on peut  oublier son nom, ses enfants mais que l’on continue à faire le baise-main et à tirer la chaise pour aider sa voisine. Christiane, elle non plus, n’imprime pas tout très bien mais reste sensible à ses attentions. Elle se remaquille, met son rouge à lèvres (qui déborde certes car ses yeux ont le même âge qu’elle). Un matin, je les trouve dans le même lit. L’infirmière de nuit veut me parler et m’incite à sortir de la chambre.

« Docteur, je les ai surpris en train de faire l’amour cette nuit ! »

Elle est choquée, pas moi ! Je trouve ça beau et surtout je me dis égoïstement qu’il me reste de bons moments à vivre !

En fait, avec Alzheimer : on mange, on dort, on tombe amoureux, on s’occupe de nous et on ne se préoccupe plus de l’augmentation des impôts.

Les après-midi, à la maison de retraite, on organise des ateliers :

Musique, par exemple ! On essaie de faire trouver le chanteur ou la chanteuse. Moi, je suis sûr que je gagnerai quand je serai vieux si on me passe Luis Mariano et sa Belle de Cadix .

Peinture ! Ils font des ronds, des carrés dignes de la maternelle. Ils s’appliquent, mettent des couleurs dans tous les sens. Un jour Louise, petite mamie toujours triste, complètement déconnectée de la vraie vie, n’ayant plus de famille, ne pouvant dire d’où elle vient, là où elle est et là où elle ira, est assise devant sa feuille de papier Canson. Alors que ses voisins de table font des bébés têtards violets ou rouges, elle prend son pinceau, le trempe délicatement dans son petit gobelet et commence à peindre. Quand je repasse une heure plus tard,  Louise est repartie dans sa chambre avec son aquarelle. Elle l’a mise sur sa table de nuit. Cela représente une vieille maison de campagne avec une belle pelouse et des hortensias bleus et roses (j’adore les hortensias). L’aquarelle est magnifique !

« C’est elle qui l’a faite !» me précise l’infirmière. On n’en revient pas!

Louise a tout oublié de sa vie sauf que sa vie c’était la peinture : Louise était artiste peintre !

 

 

 

 

 

04 Sep

De l’autre côté du drap

rockwell

J’ai beau avoir été formé par des années d’hôpital, j’ai beau adorer mes malades, j’essaie de faire preuve de compréhension et de psychologie et pourtant !!

Il a fallu qu’un sacré plancher s’effondre et que mon genou se retrouve derrière mon cou  au bout d’une chute de 2 mètres 60 pour me rentre compte que le métier de malade est beaucoup plus difficile que celui de docteur …

6h45 Rendez vous pour mon irm. J’ai un rendez-vous depuis 15 jours et je suis heureux de ne pas avoir attendu plus longtemps. La radio est au deuxième étage et… l’ascenseur est en panne!! Une jambe foutue, une attelle qui la rend  raide, deux béquilles, un dossier médical sous le bras, un manteau, une écharpe, (il fait 35° vu le chauffage) et un escalier fraichement lavé par une femme de ménage qui me jette un coup agressif et exaspéré car je peux salir. Voilà les travaux d’Hercule (au genou d’argile) qui commencent !

17 minutes après, et 68 marches plus haut, mon manteau et mon écharpe dans cette atmosphère surchauffée provoquent en moi ce que j’appellerais une sudation nauséabonde : je pue!

 » Vous avez la carte vitale ? (ni bonjour, ni ….rien )

– Non,  je l’ai oublié dans ma voiture.

– Allez la chercher sinon impossible de faire l’irm !

– Mais…

– Patient suivant svp.

– Je reviens …. madame.

L’ascenseur est en panne et  la jambe cassée (j’ai toujours aussi chaud, j’ai l’impression que mon odeur de transpiration envahit l’hôpital)

Après un grand effort pour garder mon calme, je négocie mon sésame pour passer dans la cabine .

 » Déshabillez vous complètement et attendezzzz.

La pièce est chauffée à 47°, je ne suis que sueur, odeur et décomposition.

 » Allongez vous dans la machine.

– Mais c’est trop haut !

– Et puis quoi, vous ne voulez pas un escalator ! On est pas aux Galeries Lafayette !

6h 37 je rentre dans le tunnel, j’ai chaud, je transpire, j’ai peur, je suis dans un cercueil, maman je vais mourir!!

Petite notice plastifiée à la main : l’examen durera 25 minutes, il y aura du bruit et si vous avez un malaise appuyez sur cette poire.

 » Un malaise ?

– Oui perte de connaissance, crise d’angoisse, malaise vagal, attention ne bougez pas, ça va commencer !

25 minutes sur une planche de 40 cm sans bouger, la jambe toujours aussi raide, c’est Fort Boyard, il manque «Passe-Partout»…

Il arrive.. un petit bonhomme avec un gros badge marqué interne :

 » C’est fini, c’est pas brillant monsieur, tout est cassé !

– Mais quoi, cassé ?

– Attendez le compte rendu, vous verrez avec le radiologue .

Je passe sur la suite immédiate car la gentillesse de mes confrères m’a permis des passe-droits dont j’ai un peu honte mais qui m’ont fait oublier ce premier contact avec la maladie !

Il fait toujours aussi froid dehors en ce mois de décembre, et toujours aussi chaud dans cet hôpital quand je rentre la veille de mon opération.

J’ai retrouvé ma carte vitale, ouf,  je ne vais pas me faire gronder mais … elle ne marche pas !

 » Alors laissez nous passeport ou carte d’identité. »

Avec un peu d’humour pour cacher mon stress :

 » Vous pourrez me rattraper facilement vu que demain j’ai une prothèse totale. » (elle n’a pas compris mon humour !)

Quand je rentre dans cette chambre vieillie, il fait un froid de loup ce que me confirme l’infirmière (type sergent Garcia aux jambes aussi poilues que grosses)

 » Le chauffage est en panne on va vous mettre un convecteur. Vous devez signer ces papiers. »

Je résume : je peux mourir, je ne porterai pas plainte ; je peux  choper une bactérie, je serai le seul responsable et si je meurs je dois donner le nom de la personne qui aura la chance énorme de recevoir un coup de téléphone pour être prévenue la première !!

 » Pour manger ?  »

J’ose demander au sergent (qui n’est d’ailleurs pas poilue que sur les jambes car j’aperçois, grâce à la lune de décembre, un petit duvet sous labial me rappelant celui de mon fils le jour de ses 14 ans)

 » Soupe poireaux-pommes de terre et compote !

Et moi toujours gentil car mort de peur :

 » Super, j’adore ça ! »

Le réveil le matin après une nuit blanche est violent !

« Il faut vous raser et pas que la jambe ! On vient vous chercher dans une heure. C’est bien la jambe droite ? »

– Oui.

– Alors vous ferez un rond dessus. » (il me manquerait plus que ça qu’il se trompe de jambe !)

Les couloirs sont bizarres quand on est sur le chariot que le brancardier, à la boucle d’oreille très joueur de foot, pousse à vive allure et surtout que la prémédication d’Imnovel me rappelant ma première cuite n’a eu qu’un seul effet : commencer le compte à rebours vers ma future mort ! J’ai peur de ne pas me réveiller !

Pour me rassurer, l’anesthésiste est là dans le bloc. Il est énervé ! Le chirurgien vient d’appeler  pour dire qu’il serait en retard car il a amené ses enfants à l’école!

Je me réveille : un cauchemar ! J’ai mal, je ne sais pas où je suis, j’aperçois des images bleues qui s’agitent en hurlant:  » Ouvrez les yeux, ne bougez pas… il a la tension dans les chaussettes, oxygène, vite oxygène ! »

Je remonte semi comateux et ma chambre n’est pas froide, c’est le pôle nord !

J’ai mal, j’ai froid, j’ai soif mais je suis rassuré : je me suis réveillé !

Le lendemain matin, alors que je viens de trouver le sommeil depuis un quart d’heure on me réveille pour me prendre la température.

 » Je peux boire un peu d’eau ?

– Il faudra voir avec l’infirmière, elle passe dans une heure. »

La première journée se décompose entre sommeil court, piqure de morphine, vomissement et…. envie d’aller aux toilettes.

Je sonne ! La petite lumière rouge clignote et s’accompagne d’un petit bruit strident continue.

42 minutes après,  une aide soignante rentre, coupe la sonnette et aimablement avec un petit accent portugais :

 » Ché pourquoi, Missieu ?

– J’ai besoin du bassin.  » (je ne peux pas bouger,  j’ai la jambe en compote,  elle fait 35 kg et moi 82!

Après un effort démesuré,  j’arrive à poser mon postérieur sur un truc en plastique aussi petit qu’instable.

Par décence je ne veux pas vous détailler ce moment que je peux nommer agréable mais très inconfortable. 56 minutes plus tard, toujours sur le bassin, j’ose timidement resonner.

« 34 kg » portugais revient (elle a perdu un kg en me soulevant !)

 » Che pourquoi Missieu ? »

– Et moi, comme un enfant de deux ans :

– J’ai fini.

– Fini quoi ?

Et comme un débile :

 » La grosse commission!  » (je mets sur le compte de la morphine mon manque de vocabulaire)

Je me sens honteux, je suis mal à l’aise, humilié.

« 34 kg » essaye de me soulever et d’une mauvaise manoeuvre renverse … tout ! Et c’est à ce moment crucial de mon opération qu’arrive … ma famille !! Moi qui suis pudique voir coincé je me retrouve dans une situation que j’ai sûrement connu enfant.

Ce calvaire a duré pendant toute la durée de mon séjour dans cet hôpital. J’ai été très bien soigné et aujourd’hui, je marche dans le bonheur.

Il a fallu être de l’autre coté du drap pour me rendre compte que l’on a beau être un bon médecin, une bonne infirmière il est difficile de comprendre la souffrance physique ou psychologique des malades si on n’a pas vécu la maladie soi-même .

 

 

02 Sep

Certains l’aiment chaud !

marylin monroe

 

Il est 13h15, j’avale mes deux cafés serrés et me prépare à ma micro sieste. L’insupportable portable sonne. Il interrompt ce moment que j’adore pendant lequel, en 10minutes, j’arrive à plonger dans un cycle de sommeil et repartir à mes consultations.

 » Allo, Antoine, ma nièce et mon neveu sont à l’aéroport, ils reviennent de Los angeles et elle est complètement pliée en deux ; elle souffre d’une lombalgie.

Alors là, deux situations, celle que j’ai dans ma tête : et Merde ….moi qui voulait dormir !

la deuxième: la réalité !

 » Qu’elle vienne vite, je la fais passer par la porte de derrière, je la consulte avant tout le monde ! »

Ils sont déjà là quand je gare ma voiture. J’avoue que je ne suis pas de très bonne humeur mais je me dépêche d’ouvrir la porte.

Il y a toujours une sorte de miracle, j’oublie mes états d’âme, suis transformé, heureux de faire ce métier de rêve.

Je m’assois derrière mon bureau et eux, timides, restent debout face moi attendant mon « asseyez vous je vous en prie ».

Ils ne sont pas beaux, ils sont sublimes ! Elle est vêtue d’une petite robe noire toute simple. Ses yeux sont des pépites noisette. Sa petite fossette lui donne un air coquin et son léger accent anglais ne fait que rajouter à ce charme fou.

Lui est grand, on devine un corps de rêve sous ce tee-shirt moulant aussi bleu que ses yeux. Il parle calmement, gentiment, sourit tout le temps.

 » Merci, Docteur, de nous recevoir si vite, ma femme a souffert pendant tout le voyage. Nous arrivons chez mon oncle et je voudrais vraiment qu’elle soit soulagée.

Essayant d’oublier mon manque de micro-sieste et la beauté de mes nouveaux patients, je passe à l’interrogatoire rapide et je suggère à beauté fatale de s’allonger sur ma table d’examen.

La petite robe noire est très moulante, et je suis obligé de lui demander de l’ôter. Très à l’aise, elle l’enlève et la confie à son mari.

Je sais, un médecin ne regarde rien en dehors des éléments médicaux. Parfois on peut faire un bon travail dans de sublimes conditions .

Allongée sur cette table, elle me regarde inquiète scrutant tous mes gestes. J’ai l’impression d’avoir entre mes mains une poupée de porcelaine. Elle a mal, très mal quand je soulève sa jambe droite. Je lui explique que c’est le signe de Lassegue, marque d’une sciatique évidente hyperalgique.

Elle ne semble pas rassurée et son regard est soucieux.

 » Yes doc, but j’ai senti dans l’avion like une déchirure sous la fesse droite, ce n’est pas un claquage… hein doc ? »

Elle se lève juste vêtue de ses sous-vêtements aussi délicats que …petits et se propose de se pencher sur la table afin que je vérifie la déchirure éventuelle.

Son mari me regarde avec confiance et semble me dire « allez y, allez y mais soulagez la !!

Je vérifie donc ce muscle fessier, dans sa partie interne, d’un claquage éventuel. Elle, debout, à moitié couchée sur la table.

Je confirme donc mon diagnostic, mon toucher très intime ayant à mon sens éliminé l’autre hypothèse .

De retour à mon bureau, je demande de façon aussi bête que machinale :

 » Vous avez la carte vitale?

– Non! je suis citoyenne américaine.

Toujours dans ma routine :

 » Ce n’est pas grave, je vous fais une feuille. Vous vous appelez comment?

Pour respecter le secret médical, je vais donc utiliser un nom d’emprunt mais qui correspond à l’importance dans le monde cinématographique de cette femme aux yeux  noisettes.

 » Monroe. »

Et moi, toujours aussi concentré et très loin de penser au cinéma :

 » Vous êtes la fille du docteur Monroe ? (un médecin bien connu dans le bordelais)

– Euh, non… je suis Marilyn Monroe !!!

Alors là, Antoine tu viens de faire une gaffe énorme, tu viens de demander à une star planétaire son nom !

Tu la vois tous les jours dans des spots tv, tu as vu tous ses films, tu dis souvent que c’est la plus belle femme du monde, tu ne l’a pas reconnue, tu l’as examinée, tu as appuyé ton doigt sur ses fesses et là, tu as l’air …stupide!

Voyant mon embarras elle a la délicatesse de me dire (avec toujours son petit accent)

 » Je suis très heureuse que vous pas reconnaître me. Vous m’avez surement mieux soignée.

 

Marilyn est revenue me voir avec sa radio le lendemain …elle avait bien dormi. Pas moi !