22 Août

Les maux dedans #3

bill

Venir le vendredi à 13h30 ne m’arrangeait pas du tout car je commençais mes consultations à 14h à l’autre bout de Bordeaux. J’ai imaginé un moment que c’était volontaire de sa part. Moi qui lui avait annoncé que je ne savais pas dire non, il me demandait l’impossible. En fait, pas du tout, j’ai su par lui qu’il avait perdu une cliente qui venait tous les vendredis, mais qui s’était suicidée et qui lui avait écrit une lettre qu’il m’a lue ce vendredi et dont la conclusion était  « Merci Docteur Mie de m’avoir accompagnée jusqu’à ma mort » !

Je ne comprenais pas, j’étais paumé, je prenais la place d’une suicidée, il me lisait une lettre d’amour pour lui.

Il me lance :

« Alors, on en était où ?

– Dans un stade sans but.

– Continuez.

– Finalement…

– Bien, cela fait 40 euros, en liquide s’il vous plait !

« Oui, voilà, excusez-moi je n’ai pas la monnaie. »

Je lui tendais un billet de 100.

Fou de rage : « C’est la dernière fois ! C’est votre inconscient qui parle! En fait, vous appréciez tellement notre travail que vous pensez que le tarif que je vous demande de 40 euros est trop faible, vous avez raison. Aussi, je garde ce billet, et si vous n’êtes pas d’accord la prochaine fois, vous amènerez le compte exact ! »

J’étais k.o. ! Je descendais cet escalier complètement abasourdi. La séance avait duré 2 minutes, elle s’était arrêtée au mot finalement et il m’avait volé 60 euros !
Je n’avais pas le temps de réfléchir, je devais foncer à mon cabinet. Il était 14h et j’avais sûrement la salle d’attente pleine.
C’est fou mais, alors que je devrais être furieux de tout cela, j’avais comme un sentiment bizarre, un peu comme admiratif, très curieux de la technique, envouté par cet homme qui me terrorisait mais qui me motivait pour réussir ce que j’aime tant faire : arriver à le séduire.

Pendant mes longues heures dans la voiture, j’avais toujours le temps de réfléchir et de repenser à mes minutes passées dans le donjon en haut de l’escalier avec le  » dentiste  » ! C’est ce que le docteur appelait mon  » auto analyse « . Cette semaine-là, j’avais vraiment du travail. Pourquoi m’avait t’il demandé de « remplacer  » une morte ? Pourquoi, lui qui ne parle pas, m’avait t’il raconté son suicide, m’avait t’il lu cette lettre? Pourquoi avait t’il stoppé la séance sur mon « finalement » ? Pourquoi cette histoire de mon inconscient …généreux ?

Je suis tellement motivé que j’arrive à trouver une explication à chaque question. Je suis tellement dans la passion psychanalytique que je n’imagine pas une seconde que les réactions du docteur ne sont autres que thérapeutiques, et bien sur honnêtes !

Pourquoi revenir le vendredi ? Parce que mon travail doit évoluer et une seule séance par semaine ne suffit pas. J’arrive même à m’expliquer que je ne parle que de la face visible de l’iceberg le lundi et, ayant moins de choses superficielles à exprimer, je vais dans la profondeur de mon fameux inconscient le vendredi. J’arrive à penser qu’il a trouvé un analysant intéressant. Pourquoi me parle-t-il de sa suicidée et pourquoi me lit-il la lettre ? Parce que la mort est un sujet qui m’inquiète terriblement, il a compris cela et il veut démystifier la mort à mes yeux. Pourquoi arrête t’il la séance sur un  « finalement » ? Parce que mon inconscient devait sûrement arrêter ? N’avais-je plus rien à dire ?