22 Août

Les maux dedans #2

sofa

 

La semaine suivante fut curieuse. Comme pour tout, j’aime aller à fond et me passionner. Je repars chez Mollat, je feuillette et achète des nouveaux livres sur Lacan. Je me procure moi aussi un fameux petit carnet où je décide de préparer mes futures séances.  Je ne comprends toujours pas trop les livres mais je progresse, je les lis à l’endroit!

Ce nouveau lundi, excité par un nouveau rendez vous, je me lève très tôt et pars presque heureux d’ avoir un nouveau but. 6h 23,  je sonne, 2mn d’attente… l’ouverture de la porte, l’escalier et là, derrière la porte, notre Alain Souchon, ben ladenien hirsute m’accueille, si on peut dire :

 » 6h30, c’est 6h30 et pas 6h23!

– Veuillez m’excuser.

– Venezzzz. »

Je rentre dans le bureau où, déjà, l’odeur du cigare envahit la pièce plus sombre que jamais. Seule une petite lampe de bureau et l’éclairage de la rue permettent d’y voir.

Je m’assois en face de lui et là, pour ne pas avoir ce vide de la dernière fois, je m’apprête à parler en premier, et là, surprise, il me lance avec un petit sourire :

« Alors, on en était où? »

Je le trouve plus humain, normal quoi. J’avais préparé mon introduction, et voilà qu’il faut que je réponde à une question! Eh bien, je suis content de revenir!

« Continuezzzzzz! »

– Cela me gène un peu de dire que je consulte un psychiatre alors je dis à tout le monde que je suis en traitement chez un dentiste!

– Oui, normal pour vos maux dedans! »

Ça y est, je viens de tout comprendre des théories lacaniennes!  Il faut bien dire qu’à partir de cette phrase, l’ Alain Souchon du pauvre, le Ben Laden des riches ou le Woody Allen de la psy devenait un vrai thérapeute et le doute que j’avais pu ressentir s’effaçait. Ce n’était pas un imposteur, c’était bien un enfant de Lacan, génie, gourou et sauveur.

J’ai eu le tort de lui montrer que je trouvais fabuleux ce jeu de mot, moi qui en fais toute la journée, souvent plus bête que fin mais qui me font rire et parfois font rire les autres. Alors il se croit obligé de reprendre un air méchant, obscur et me relance par un:

« Oui, continuezzzz! »

Je reprends donc le fil conducteur de ce que je voulais dire avant d’être interrompu et je sors:

 » Voilà,  je suis à un stade sans but dans ma vie et cela me dérange, j’ai besoin de but. »

D’un air enjoué il part alors dans une tirade cinématographique :

 » C’est merveilleux, vous vous rendez compte, cher monsieur, de ce que vous venez de me dire? Non, quoi ? non, vous ne voyez pas ? mais c’est dingue ! Il faut voir, entendre l’inconscient!  Vous pensez que vous venez pour vous reposer ici ? »

Son ton était fort, agressif et bizarre. Je ne savais pas si c’était de la comédie ou si c’était thérapeutique. En tout cas,  il commençe par m’expliquer que moi, sportif, ex rugbyman,  je parlais de stade sans but.  Il ne comprenait pas la différence entre des buts de football et des poteaux de rugby, et je ne comprenais rien à ce que venait faire mon inconscient sur une pelouse. Enfin, je savourais ces premières joutes analytiques quand la phrase cloche retentit:

 » Bien… ça fait 40 euros, en liquide s’il vous plait. A vendredi, 13h30.

– 13h30? Vendredi? Pas lundi, 6h30?

– J’ai dit vendredi 13h30. »

Machinalement je regardai ma montre et je constatai que cette séance n’avait durée que 7 minutes! Mais, toujours optimiste, je pensai que ce qui comptait c’était le contenu et qu’une immense piste de réflexion s’était ouverte: que faire d’un stade sans but?

C’était nouveau, j’avais besoin de nouveauté dans ma vie, j’avais toujours eu parallèlement à ma vie familiale et professionnelle des passions. Au début,  j’étais joueur de rugby, puis j’ai eu la chance d’être médecin des Girondins de Bordeaux avec tous les plus grands joueurs puis je suis devenu président du SBUC, et aujourd’hui, je sentais que la psychanalyse et son gourou, le fabuleux docteur Mie, allait être le nouveau moteur de ma vie.