12 Déc

Les maux dedans #17

lever-drmaison

Voila pourquoi j’ai écrit !

Deux semaines se sont passées. Je savoure quotidiennement cette fin de psychanalyse. J’avoue que parfois, allongé dans mon lit, je me dis qu’il a peut-être réussi dans sa mission, qu’il m’a appris à dire « non ».

J’ai honte de penser cela, quand je me remémore cette mascarade, ses cris, ses humeurs, ses demandes, ses humiliations, ses sommes d’argent demandées.

Puis un jour, au cabinet ma secrétaire me passe un appel.

« Bonjour Antoine, c’est le docteur Mie. J’aimerais que vous repreniez vos séances, pouvons-nous nous voir jeudi ?

-Je crois que vous n’avez pas compris, j’arrête.

-Vous faites une erreur, c’est dangereux pour vous, je vous en conjure.

-J’arrête! » (et je raccroche)

Huit jours plus tard, sur mon portable je vois le numéro de son cabinet qui m’appelle, je ne décroche pas. Il va réitérer ses tentatives peut être 15 fois ! Je ne décroche jamais.

Un matin, un numéro inconnu me réveille.

« C’est le docteur Mie, j’ai besoin de vous voir, c’est urgent.

-Vous êtes malade ?

-Non je ne veux pas que l’on arrête notre relation sur un mal entendu.

-Où ?

-Chez moi, jeudi 6 heures. »

Ce jour-là, j’ai eu le doute, je ne savais quoi penser. Y avait-il de l’humain chez le gourou ? Est-ce encore une manoeuvre machiavélique?

Quel intérêt pour lui de continuer ? Sa clientèle est énorme, il a un emploi du temps monstrueux, alors pourquoi ?

Je n’y suis pas allé ce jeudi matin. J’ai même tout fait pour ne plus penser à lui. J’ai fait comme dans un couple qui se déchire et qui, un jour, décide d’enlever de leur cortex la personne. Comme dirait un adolescente, « je l’ai zappé » !

Pendant 18 mois, le nom de docteur Mie est sorti de ma vie. Mais, comme le méchant génie des bandes dessinées, un jour…

Un jour est venue à mon cabinet Pascale, la jeune femme qui suivait une psychanalyse sans le savoir avec le même thérapeute que moi.

« Antoine, tu connais un psy qui s’appelle docteur Mie ?

-euh oui, de réputation…

-Arrête, ne me mens pas, tu as fait une psychanalyse avec lui !

-Quoi ? (le mauvais génie sortait de sa lampe par les mains frêles de Pascale )

-Arrête, je le sais .

-Bon d’accord, mais comment le sais-tu et quel est le problème ?

-Il n’y a pas de problème mais il n’y a pas que moi qui le sais. Nous sommes nombreux, très nombreux.

Je suis à ce moment-là tremblant, blême, abasourdi.

-Explique moi !

-Je suis allé à une séance signature du livre du docteur Mie, j’ai acheté son livre.

-Quoi ?

Il vient de faire un livre et il est vendu chez Mollat.

-Et alors ?

-Alors, page 45 (Pascale sort de son sac le livre et l’ouvre à cette fameuse page qu’elle a soigneusement agrafée d’un trombone.)

-Je te lis ?

-Vite !

-« C’est donc François 45 ans qui vient me voir un jour, lui médecin, deux enfants ancien joueur de rugby, président d’un club huppé de première division pour soit disant apprendre à dire Non¨…. »

-Alors, ce n’est pas toi ce François ? A part le prénom tu en connais beaucoup des médecins de 45 ans avec une telle description ?

J’ai ouvert la porte de mon bureau, j’ai simplement dit à Pascale : je préfère que tu partes. Je me suis assis, j’ai pleuré longtemps, longtemps.

Un seul mot tournait dans ma tête: VIOL, VIOL,VIOL.

Cela fait plus de dix ans, ma vie aujourd’hui est belle, mon métier est le plus merveilleux du monde mais comme l’enfant abusé n’oublie jamais j’ai essayé, j’ai consulté un vrai psy, il m’ a aidé mais pour guérir complètement, j’avais besoin d’écrire, j’avais besoin de dire, j’avais besoin de …..revivre.

N.B.  toute similitude avec une personne existante ne saurait être une coïncidence.

 

 

11 Déc

Les maux dedans #16

cri_drmaison

Cette fois-ci après quatre ans, j’arrive enfin à avoir du recul et à sortir de mon aveuglement total. Sûrement que j’étais en souffrance pour chercher bêtement le nom d’un psychanalyste dans un annuaire téléphonique, sûrement que j’étais têtu pour résister à des affronts répétés, sûrement que je croyais avoir à faire à un thérapeute compétent, sûrement que mon esprit compétiteur et gagneur m’ont poussé au delà de tout pour gagner cette partie de bras de fer contre lui.

Je rentre dans ce bureau, ce matin là, il fait très froid dehors mais je suis bouillant de détermination. Je suis le petit trois-quart aile qui doit plaquer ce deuxième ligne devant la ligne d’essai. Si je ne le fais pas mon équipe perd et si je n’arrête pas mes séances, c’est moi qui suis perdu.

-« Venezzzzz »

D’un ton fort depuis la salle d’attente j’hurle à mon tour : « J’arrive !!!!!! »

-Vous êtes malade de crier comme cela, vous…vous croyez où ?

-Chez un tortionnaire monsieur !

-Reprenons

-NON, je ne reprendrai pas, j’arrête mes séances.

-D’abord allongez-vous et reprenons où nous en étions, à votre soit disant copain qui venait de mourir sur un terrain.

-NON, je ne m’allongerai pas, je crois que vous ne comprenez pas: j’arrête !

-Ne soyez pas un enfant (d’une voix calme forcée)

-Je suis un homme libre, j’ai décidé d’arrêter sans explication mais déterminé.

-Vous ne pouvez pas faire ça! Notre travail a été magnifique, je vous ai associé dans mes groupes.

-NON, j’arrête!

J’essaye d’ouvrir la porte, il m’en empêche avec son pied.

-Antoine (il ne m’a jamais appelé Antoine!) vous devez continuer c’est vital pour vous.

-Non, laissez-moi partir.

-Alors, d’accord mais allongez vous pour me l’annoncer.

Je m’allonge sur ce divan pourri où l’odeur du tapis le recouvrant me donne cette force puissante qui me rappelle mes années de tortures.

-Docteur Mie, j’ai décidé d’arrêter mon travail avec vous et c’est définitif.

(je suis fier, bravo Toinou, c’est merveilleux tu as dit NON à ce gourou.

-On en restera là, à jeudi, cela fait 48 euros et en liquide !

Je me lève, je prends mon manteau, je laisse mes 48 euros sur la table, je ne le regarde pas, je lui dit simplement:

– A jamais, Docteur Mie.

A peine avais-je le dos tourné qu’il se mit à crier :

« A jeudi, à jeudi votre inconscient vous poussera vers vers moi. »

Je ne me retournai pas dans ce couloir de la liberté, je fonçai vers la porte d’entrée n’écoutant pas ses cris hystériques

« Votre inconscient vous ramènera vers moi. A jeudi, à jeudi ! »

Ma voiture était garée juste en bas de chez lui. Il ouvre la fenêtre et hurle : « A jeudi! »

Je le regarde depuis le trottoir, lui, sa tête frisée dépassant de cette fenêtre ovale.

Mettant mes mains en forme de haut parleur je crie comme jamais je ne l’ai fait dans ma vie:

« NON, NON, NON! »

 

05 Déc

Les maux dedans #15

chaines-drmaison

Je suis revenu lundi avec 48 euros dans la poche, je me suis allongé et j’ai continué ma journée noire à La Rochelle.
C’est moi qui ai fait le bouche à bouche à Eric. Je me rappelle encore le goût sucré de ses lèvres, ce sentiment bizarre d’embrasser mon meilleur ami, mon frère, mon clone.
Je me rappelle encore qu’au bout de 22 minutes l’électrocardiogramme posé par le Samu a montré un redémarrage du coeur et je me rappelle encore que mes deux bras tendus en signe de victoire à ce moment précis ont entrainé un tonnerre d’applaudissements de tout le stade. C’était la première fois que je faisais lever des spectateurs aussi longtemps!
Mes larmes de l’avant veille recommençaient à emprunter les sillons de mes joues mais lui, le prédateur dormant, semblait m’écouter, me comprendre, me soutenir.
Ce redémarrage cardiaque ne dura pas et moi je baissai mes bras, regardai ma montre et, en me retournant vers le Samu, je balbutiai: on arrête tout, c’est trop long 26 minutes.
J’arrêtai mon monologue et un silence de cathédrale envahit ce vieux bureau enfumé par un cigare lacanien. Pendant 5mn, et c’est long 5mn, on aurait dit que l’âme d’ Eric nous avait envahis.
Il me dit un au revoir timide et accepta mes 48 euros que moi, le morpion, j’avais réuni en pièce de 2 euros ! Je pensai alors très fort que je venais de lui mettre un uppercut et que la victoire au poing se dessinait.

Cette soit disant victoire allait entrainer des suites désagréables. Le mercredi, la réunion pluri-disciplinaire avait comme thème la mort du proche. Je n’avais rien préparé et, quelle ne fut ma surprise, quand notre Gérard Miller bordelais après une brève introduction me donna la parole pour parler d’une expérience professionnelle. Il me faisait comprendre par des sous entendus que je devais non pas discuter d’un cas clinique mais du récit « enlarmé » que j’avais exposé sur son divan deux jours plus tôt.

En fait je payais un psychanalyste très cher pour rien mais je devais obtenir des réponses d’ un cercle de paumés psychologues. Soyons honnête, j’étais ravi de pouvoir parler de mes sentiments sans pour autant que l’on sache qu’il s’agitait des miens (toujours aussi compliqué ce pauvre Antoine naviguant entre le manque de confiance en moi et un égo démesuré !)
L’explication des intervenants était intéressante  et constructive. Chacun y allait de sa petite phrase et moi je maitrisais le sujet parfaitement : j’étais moi même le sujet ! Puis vint l’explication de la psychologue lacanienne. Elle devait soit avoir fumé une marie jeanne directement arrivée de Colombie ou alors elle était vraiment barjo :

– « Le problème ici est bien clair: nous avons un petit a sur un grand A, nous avons un transfert relationnel du corps vers l’âme et réciproquement, qui de la matière ou de l’esprit va s’entremêler dans ce noeud boromerien ? En fait l’amour dépasse le vivant ! »

Evidemment je ne pouvais répondre et je me demandais si j’étais inculte, nul en psychologie ou bien un gros con ?

Le tour de table se terminait toujours par la conclusion du gourou, chef de la secte. J’avais hâte d’entendre sa version, de savoir ce qu’il avait pensé de ce drame. Et bien ma déception fut à la hauteur de ma peine: immense.

– « Nous avons là un cas très simple de tristesse d’un être vers un autre géré par une immaturité affective et qui ferait bien d’aller voir les orphelinats bulgares pour comprendre les théories psychanalytiques de l’école de la cause freudienne. »

Si j’avais pu ou eu le courage j’aurais dû raconter à ce moment là toutes les perversions de cet homme envers moi, pauvre paumé.
Le lendemain je devais avoir une séance chez lui. Trop ébranlé par la soirée de la veille, je prenais mon téléphone et je me trouvais une excuse bidon du style ma mère est hospitalisée. J’imaginais qu’il n’était pas dupe et je croyais naïvement qu’il savait très bien pourquoi j’annulais. Sa réponse fut simple et cinglante:

– « à lundi »

En fait je me présentai lundi matin matin et là je trouvai la porte clause: on était le premier jour des vacances scolaires et monsieur ne travaillait pas. Encore une fois je me torturai en me demandant si son attitude était celle d’un étourdi, d’un méchant ou bien c’est moi qui n’avait pas compris que le « à lundi » était celui de la semaine prochaine.
Je profitai pleinement de cette période vide de Mie pour faire un point essentiel sur mon travail psychanalytique, sur mes tourments, en fait sur ma vie tout simplement.
J’ai atteint un âge raisonnable, j’ai réussi les différentes étapes de ma vie professionnelle, je nage en eaux troubles concernant ma vie de famille, mes relations avec les autres, mais surtout je suis dans un labyrinthe confusionnel sur ma propre existence, sur mon MOI.
J’essayai de faire une synthèse rapide depuis le début de mes séances. Passé le stade de l’excitation, j’étais tombé tout d’abord dans le questionnement puis le doute, la colère, la haine. Puis retour à la passion, à l’admiration, le dévouement, la tristesse, la joie, le rire, les pleurs. En fait mes relations avec Mie me permettaient de vivre en raccourci ce que des hommes ou des femmes mettent une vie entière pour parfois ne pas y arriver.
Avais-je besoin de lui pour vivre cela ? Ne l’aurais-je pas vécu un jour simplement seul ? Dans mon fort intérieur, j’avais honte d’être si naïf, si stupide, si bête parfois pour réagir comme un faible alors que dans ma vie extérieure j’essayais de démontrer le contraire.

20 Nov

Les maux dedans #12

cerveau_drmaison

Après cette séance rien ne fut comme avant. Dirigée si on peut dire par lui, il reprenait les derniers termes et me mettait sur la voie qu’il avait tracée.

– Alors votre femme vous a cru « morte » ?

– Je vous ai dit que c’était juste une faute de français et non un délire inconscient.

– Je ne vous dis rien, c’est vous ou plutôt votre inconscient (en trois séances il venait de me parler plus qu’en deux ans)

– Je continue à penser que, certes l’hystérie peut revêtir plein de manifestations mais je ne pense pas qu’elle puisse entrainer un arrêt cardiaque nécessitant un défibrillateur.

(c’est là que j’en aurai eu besoin) il se mit à hurler:

 » Vous ne comprenez rien de rien, vous vous foutez de moi, partez, partez et revenez lundi avec un discours intelligent. Et cela fait 45 euros, en liquide svp. »

J’avais vraiment envie d’arrêter cette mascarade, son agressivité, sa versatilité. Mais pour qui il se prend ce Lacan bordelais?  J’en ai marre, je le déteste. Heureusement on abordait une période de vacances et donc Monsieur partait faire de l’humanitaire bulgare.
Je profitais de ce repos cérébral pour faire le point, j’en profitais pour lire des livres plus simples, à mon goût (Ma vie de Young) et reprendre goût à la psychanalyse en évitant de penser à celui qui est le vecteur de cette analyse. Je me forçais à oublier le docteur et à ne penser qu’aux progrès que j’avais cru faire.
Je repense souvent à cette séance sur le malaise et l’adjectif féminin que j’avais attribué au mot « mort ». Je me suis souvent aperçu, depuis que cette erreur de grammaire revient souvent dans la bouche de mes patients. Combien de fois un homme conjugue au féminin un mot masculin sans pour autant que l’on s’y attarde?
Ce qui m’interrogeait c’était ce changement d’attitude, ces notes qu’il écrivait dans mon dos depuis peu de temps, alors que pendant deux ans il m’avait bercé d’un ronronnement de prédateur qui ne sentait rien dire de bon.

L’épisode de ce mot « morte » a été le coup de poignard qui aurait pu m’achever mais qui a été surtout le commencement d’une souffrance énorme qui dure et qui s’estompe enfin grâce à l’écriture d’aujourd’hui.
Les séances se sont succédées avec toujours le même fil conducteur. Parfois j’avais des choses à dire de façon ponctuelle, précise, sur des événements familiaux, sur des problèmes professionnels. Alors le stylo s’arrêtait, le bâillement reprenait et l’impatience se traduisait par un « allez, continuez, voyons ».

– « Mais j’ai envie de vous parler de ce problème familial que je traverse, je n’ai pas envie de revenir sur un lapsus sans conséquence

– Sans conséquence ?

Et là je lui expliquai enfin que je venais chez lui pour dire ce que je voulais et non pas pour dire ce que lui voulait !

C’était une victoire, je venais de dire enfin ce que je pensais. Mais cette victoire relative était à mon sens celle de la psychanalyse, je venais de m’affirmer ! Et voilà, en une seule seconde, je passe d’un doute énorme sur ma démarche, puis je tombe en extase tout ça parce que j’ose dire à un tyran de psy que j’ ai envie de dire ce que je veux !!!

Il parut contrarié par ma surprenante rébellion, et son ton de parole, fut monocorde comme si il voulait me faire comprendre : « Mon petit coco tu veux marquer des points mais n’oublie pas que c’est moi qui tiens les commandes ».

Je continuais mes réunions du mercredi pluri disciplinaire. J’avais amené avec moi un ami kiné, un pur, un enfant des Landes, il ne lui manquait que les échasses et le béret. La première fois qu’il est venu, il a cru que c’était l’émission tv surprise-surprise de Bellivo ! Il faut dire que c’était la belle psychologue lacanienne qui nous présentait un cas clinique et cela donnait quelque chose comme :

« Ce qui compte en ce rapport analysé-analysant, c’est le petit a sur le grand A, c’est ce nœud bromérien qui enveloppe l’autre autour de la souffrance qu’autrui ressent par la force de son phallus »

Mon landais de copain (jeannot) prit la parole avec son naturel habituel :
« Je ne pipe rien à ce que madame nous raconte, elle nous parle de math, de sexe ou de psychanalyse ? Cela serait plus simple si on disait : « Cette patiente souffre à cause de son père et basta !»

A ce moment-là, je ne savais plus où me mettre, je regardais le docteur Mie du coin de l’œil, la psy rangeait ses notes et mon Jeannot arborait un sourire de satisfaction égal à celui qu’il avait quand il marquait un essai à Pontenx les forges !

Deux minutes de silence suivirent cette tirade landaise avant que le chef ne prenne la parole :

« Voilà exactement pourquoi ces réunions sont indispensables. Nous pouvons non pas opposer le savoir à la logique mais nous pouvons les réunir par la parole. »

La présence de mon ami à chaque réunion apportait une décontraction et avait surtout le grand avantage de détendre notre gourou. Il me commentait à toutes les séances du vendredi les réactions de Jeannot.
Je ne serais pas honnête si je ne vous disais pas que mon orgueil était ébranlé par cette admiration de mon psy sur mon ami. Moi qui m’étais lancé à fond dans le lacanisme, moi qui lisais de l’hébreu lacanien, et qui subissais les folies d’un ayatollah, je payais des séances pendant lesquelles durant 5 minutes on me parlait de la simplicité et de la pureté du langage d’un fils de résinier.
Mais avec cette diversion j’oubliais un peu les hauts et les bas de mon analyse et surtout la versatilité du meneur des séances.

Un matin très motivé, c’est moi qui revenais sur mon travail analytique pur.

-« Cela fait bientôt trois ans que je viens et j’aimerais faire le point.

– Faites, faites!

– J’aimerais que nous le fassions à deux.

Pas de réponse, temps mort pendant deux minutes et c’est long deux minutes. Je me crois obligé de parler, et là, il m’assène :

– Nous en resterons là, cela fait 45 et en liquide svp. »

Une fois de plus frustration, colère intérieure, et pas un mot de plus, je ne pouvais rien lui dire. Par contre devant la porte avec mes billets dans la main, il aimait me parler de la dernière réunion, de tel ou telle patiente que j’avais eu le tort et je dis bien le tort de lui envoyer.
J’écris cela aujourd’hui parce qu’il y a eu le drame mais à l’époque je pensais bien faire et surtout je ne comprenais pas comment des gens intelligents ne pouvaient pas faire une analyse.

09 Oct

Les maux dedans #7

psy_drmaisonJe pensais que pendant une analyse on se devait de parler de sa vie intime, sexuelle et je me promettais de révéler à mon confesseur frisoté, non des secrets d’alcôves mais peut être des questionnements, des doutes et des réflexions sur les notions de plaisirs, de frustrations, de différences homme et femme. Très motivé,  j’abordai cette séance avec détermination en me servant comme préambule du résumé d’une émission grand public qui m’avait interessé la veille. Alors qu’il ne parlait jamais, ce jour là,  je ne pus en placer une. Il se mit à délirer sur le pauvre docteur Rufo pédo-psy très médiatisé qui était l’ invité de cette émission.

« C’est un scandale, ce mec n’a rien compris! On ne doit pas vulgariser ce que le vingtième siècle a fait de mieux en imposant la psychanalyse. Je vous interdis de me citer cet usurpateur de la psychiatrie et je vous interdis de regarder ces émissions! Vous avez beaucoup mieux à faire et notamment préparer un colloque où je vous demande d’intervenir dans un mois sur les groupes pluridisciplinaires à l’auditorium. »
Alors là, j’étais paumé ! J’avais envie de progresser pendant mes séances et j’étais très frustré de ne pas le faire mais, d’un autre coté, je me réjouissais d’avoir, si l’on peut dire, séduit ce chef qui me mettait sur le devant de la scène en tant que conférencier psychanalytique lacanien.

J’ai préparé cette réunion comme un fou. Je présentais un cas clinique intéressant sur une ambigüité sexuelle d’un ou plutôt d’une patiente. Je faisais un effort de bibliographie en me tapant tous les derniers articles concernant ce sujet, j’apprenais par cœur mon contenu et,  le jour J, un samedi, je devais me retrouver à l’estrade avec lui et un psychologue parisien devant un parterre de médecins psy et autres personnes concernés. Eh bien, devinez ce qui se passa ? Il me téléphone 5 minutes avant le début sur mon portable (tiens, je croyais que c’était insupportable les portables) et il me sort avec une voix libidineuse:  » Antoine, je suis désolé mais j’ai dû partir en Bulgarie pour m’occuper d’un orphelinat et je ne suis donc pas là, veuillez m’excuser. »

Plusieurs réactions dans mon cerveau ébranlé : la peur de me retrouver seul, la déception de son absence, la colère de m’avoir pris pour un con et la surprise qu’il m’appelle par mon prénom ! Tout ça mélangé en 3 minutes alors que je dois parler devant 300 personnes !
La conférence s’est bien déroulée, néanmoins il me tardait de pouvoir lui exprimer ma colère lors de la prochaine séance . Celle ci n’arriva que 15 jours plus tard, vacances du Kouchner bulgare oblige! J’avais eu le temps de me calmer mais je digérai très mal son alibi bidon d’être obligé de partir 5 minutes avant une conférence prévue depuis six mois !

02 Oct

Les maux dedans #6

 

freud_drmaison

Je continuais à idéaliser la psychanalyse et mon gourou. J’essayais de lire tous les séminaires de Lacan et, un jour de folie, je voulus me lancer dans les livres de Freud. Oh, surprise ! Après avoir avalé en deux jours les théories psychanalytiques, je me rendis compte que non seulement c’était facile à lire mais que je comprenais tout et que j’avais envie d’en acheter d’autres.

Je n’aurais jamais dû lui dire mes ressentis!

 » Monsieur, quand on ne comprend rien, on ne parle pas. Vous n’avez rien compris à Freud pas plus qu’à Lacan, vous en êtes au début, vous êtes à la maternelle ! Alors jouez au rugby mais ne lisez pas !

– Mais c’est dur ce que vous me dites !

– Je m’en fous, vous n’avez pas le droit de dire que Lacan est complexe. C’est lui qui est limpide, les autres sont compliqués. Reprenons ! »

Je n’avais rien à dire, je me sentais humilié et je disais: « Je n’ai rien à dire ! »
 » Alors partez ! Mais donnez moi 40 euros en liquide svp ! »

Je fus très touché par cette séance et, en relisant mon carnet aujourd hui, je ressens le même malaise. Mais ce qui toujours a été surprenant dans nos relations, c’est que, la fois d’après, il paraissait calme, détendu, voir empathique.  Il m’annonça une grande nouvelle :  » Voilà, j’ai créé un groupe pluri-disciplinaire qui se réunit le premier mercredi de chaque mois dans un local allées de Tourny. Il est constitué de kiné, de psychologue, d’orthophoniste, d’infirmière. Il me manque un Généraliste de votre trempe, alors je veux que vous veniez. D’accord ? »
Comment refuser,  je devenais un confrère, j’allais travailler avec mon gourou, celui qui dictait ma vie, mon inconscient, mon passé, mon avenir peut être.
 » Cela commence quand ? »
– Mercredi prochain, 20h.
– Ok. » (je ne réfléchissais pas, j’étais trop content)

Je ne savais pas comment se déroulaient ces réunions et, comme j’aime bien faire, je préparai cette réunion en mettant sur le papier un cas clinique intéressant. Je ne fus pas déçu, la composition de ce groupe était bizarre. Il y avait une grande psychologue aussi belle qu’illuminée, une vielle homéopathe, cheveux gris, petit cartable d’écolier et qui notait tout, une infirmière de cancéro qui avait servi de chauffeur à notre docteur et qui paraissait avoir une complicité avec lui dépassant le cadre professionnel, une kiné d’un centre de rééducation, une gynéco qui passait son temps à croquer la tête de Mie et… moi, le généraliste suivant une analyse. En regardant tout ce petit monde, j’imaginais que chaque membre avait un lien avec le chef de cette secte psychanalytique. Ces réunions se déroulaient toujours de la même façon. Un membre du groupe présentait un cas clinique et, à tour de rôle, nous l’ interprétions à notre manière. La conclusion revenait au docteur psy, de façon brillante, je dois dire. A minuit, on se quittait non sans avoir mangé des petits gâteaux offerts par un laboratoire. Cela me faisait drôle de savoir que, 6 heures après, j’allais retrouver mon collègue ! J’en étais tout excité mais fus bien déçu. Je m’attendais à une discussion ou une allusion: pas du tout!  J’entendis hurler: « Alors, vous venez ? », et le regard sombre d’un ayatollah m’indiqua de m’allonger sur ce divan aussi petit qu’inconfortable ! Je tentai bien de reparler de cette réunion qui m’avait enthousiasmé mais lui ne répondit rien, comme si je n’étais pas y allé. Mon interprétation était vite faite, c’était génial: il dissociait le malade et le confrère, aussi j’arrêtai là les commentaires et je repris mon travail, en parlant d’un sujet complètement inintéressant. Son manque de sommeil était frappant et,  dans mon dos, j’entendis des bâillements et des bruits aéro- digestifs montrant bien qu’il était en hypoglycémie .

Je me rendis compte en montant dans ma voiture que Mie envahissait ma vie : trois fois par semaine, plus le mercredi, plus la préparation des réunions, plus les lectures, les revues de presse et les discussions avec mes amis sur les bienfaits de la psychanalyse, lacanienne qui plus est !

26 Sep

Les maux dedans #5

rouge_drmaison

C’est vrai que j’ai eu des doutes: du génie à l’imposteur voire truand. Je me demandais souvent quelle était la véritable identité du docteur Mie. Je m’obligeais à ne pas y penser et à suivre mon intuition car si cela n’était pas le cas j’arrêterais et je ne le voulais absolument pas. Les séances se succédaient à un rythme infernal  à raison de trois fois par semaine ; c’était pour moi un véritable casse tête de caser ce rendez vous dans mes journées de médecin mais j’y arrivais tellement était grande ma motivation. Je marquais sur mon petit carnet l’essentiel de mon « travail » et, lorsqu’ il m’annonça qu’il partait en vacances pour 15 jours, j’étais partagé entre la joie de souffler un peu, d’éviter ces trajets en voiture et la déception d’interrompre une analyse couchée si prometteuse pour moi !

Le retour sur le divan fut bizarre. Au préalable je dus affronter une situation peu confortable puisque je me retrouvai dans la salle  d’ attente avec deux de mes patients que j’avais adressés au Dr Mie mais qui n’étaient pas censés savoir que je consultais moi aussi! Je me sentis obligé de justifier ma présence par la préparation d’une conférence avec lui ! Cela ne changea en rien son attitude et il me hurla depuis son bureau au fond du couloir un « Venezzzz » qui ressemblait plus à un ordre qu’à l’invitation à la préparation de la dite conférence.

Ce jour là, j’avais plein de choses à dire car les 15 jours de vacances de mon inconscient m’avaient permis d’accumuler un tas de reflexions à exprimer. Pour une fois, j’eus le sentiment d’un premier progrès. Je lui racontai que j’étais ému de venir dans ce quartier rempli de souvenirs pour moi. En effet mes grands parents habitaient au 204 et lui au 202. J’avais eu une admiration et un amour immenses pour eux et j’avais toujours l’impression que ma mémoire n’ avait jamais effacé ces moments magiques.

Ce jour-là, après l’introduction habituelle « alors, on en était où ? »,  je me suis mis à lui parler de la mort de mon grand père et du véritable big bang qu’elle a provoqué chez le petit garçon que j’étais. C’est pendant cette séance que j’ai découvert pourquoi je n’aimais pas la couleur rouge ! L’intérêt de cette anecdote n’est que très personnel mais mérite que je m’y arrête pour montrer pourquoi je sentais que la psychanalyse lacanienne était merveilleuse !

C’est mon grand père qui m’a initié au rugby et, ce jour là, le 8 mai, se déroule une demi finale à Bordeaux. Je dois y aller avec mon grand père, mais il est à l’hôpital depuis deux semaines. Agen–Dax,voila l’affiche de la demi finale. Ma mère m’appelle à 17 heures pour annoncer le score à mon grand père. Je lui dis sans réfléchir Dax alors que c’était Agen mais mon grand père préférait Dax et Dax jouait en rouge. Ma mère arrive 2 heures plus tard et, à la question, « comment va-t-il ? », elle me répond qu’il est très fatigué mais que ça va. Puis, elle dit en parlant toute seule,  » je suis ridicule habillée comme ça », (elle avait un pull rouge vif ) et elle part mettre un noir ! Je savais qu’ à ce moment là, pour la première fois, ma mère me mentait et, qu’irrémédiablement, à tout jamais, la couleur rouge serait le symbole de la mort, du mensonge et de la trahison .

Cette histoire, banale somme toute, me confortait. La psychanalyse lacanienne était indispensable pour expliquer nos actes, nos pensées et nos choix inconscients. C’est pourquoi mon admiration pour le vecteur qui avait provoqué cela ne faisait que confirmer mon idée : le Docteur Mie était un Génie! (à l’heure où je vous parle je n’ai plus aucun à priori sur cette couleur rouge et j’en porte souvent, preuve que les dons de guérison du bon docteur sont réels !!)

Il ne prenait ses vacances que pendant les vacances scolaires. Je savais que j’avais devant moi 7 semaines de séances. A raison de 3 fois par semaine et vu la réussite de la dernière, je pensais que j’allais avancer à très grande vitesse et que mon inconscient allait subir une super défragmentation comme celle que devrait subir le pc sur lequel j’écris.

Je ne vous cacherais pas que je traversais de grandes périodes de doute où je n’avançais que très peu. Mes relations avec le psy étaient bizarres, variables, décevantes, frustrantes et rarement agréables. Il était souvent d’humeur massacrante, comme le jour, où il m’ a surpris en train de téléphoner avec mon portable dans la salle d’attente. Au lieu de commencer par la satané phrase « on en était où? »  il se lança dans des cris, des hurlements : « Votre portable m’est insupportable ! », me précisant son jeu de mot lacanien qu’il pensait que je n’avais pas saisi. Il m’interdisait de l’amener même éteint ! Je précise que jamais je ne l’avais allumé pendant les séances. Là aussi je positivais en me rassurant, en me disant que cette autorité et ces colères étaient indispensables à mes progrès. Les jours où j’en avais vraiment marre c’était là qu’il était d’humeur plus légère et que je l’entendais écrire sur son fameux petit carnet avec son stylo plus gros que gros : un Mont Blanc.

Les séances ne duraient jamais plus de 10 à 15 minutes. J’avais l’impression que son emploi du temps était chronométré. Il commençait à 6h 15 et finissait à 20h et ne s’arrêtait pas entre midi et deux ! Je me suis aperçu que ce n’était qu’un homme, malgré cette incroyable puissance  de travail, le jour où je l’ ai surpris en train de dormir en ronflant dans mon dos. J’ai attendu deux ou trois minutes avant d’arrêter de parler et j’ai bougé afin qu’il s’en rende compte et là, très sur de lui, il me dit tout de go :  » Voilà ce que Freud appelait l’attention flottante, c’est là où j’emmagasine tout et surtout ne croyez pas que je dormais !! Bien, cela fait 40 euros, en liquide s’il vous plait. »

18 Sep

Les maux dedans #4

docteurmaison_cerveau

Pendant plus de six mois j’ai continué ces séances au rythme de deux fois par semaine le lundi à 6h30 et le vendredi à 13h30. J’étais toujours assis en face de mon gourou et au fur et à mesure nos relations évoluaient.
Il ne venait plus me chercher dans la salle d’attente après avoir ramené le patient précédent, il allait dans son bureau, me faisait patienter, surtout le vendredi le jour où j’étais pressé et il me hurlait depuis son bureau : »VENEZ !!!! ».

Un jour, à la fin d’une séance, il m’annonce comme un cadeau : « Voilà, il est temps maintenant de s’allonger. J’étais super content, en fait, j’allais être comme dans les films sur le divan, lui derrière moi en train de réfléchir et moi, immobile en train de sortir de mon cortex des phrases, des jouissances, des frustrations, des tourments.
Je ne suis pas déçu, si on peut dire, car si je voulais être allongé, j’allais être allongé !! il rajoute à mon cadeau une séance supplémentaire.  » Vous viendrez le jeudi à 6h15, c’est primordial,  vous en avez trop besoin et notre travail progresse trop lentement ! »

« Oui, mais le jeudi pour moi ce n’est pas pratique pour mon travail »

– A jeudi,  j’ai dit ! »

Une fois de plus, je ne râlais même pas. J’essayais de trouver une explication, et même je pensais en mon fort intérieur: il est vraiment super fort ce Lacan des pauvres !

Je devenais lacanien toute la journée, j’écoutais mes patients me parler de leur rhume, de leurs hémorroïdes, de leurs histoires de cul et j’arrivais à trouver des signes, des manifestations de leur inconscient même à en être grivois. Un jour, une vieille fille qui me faisait part de sa détresse dans sa solitude, de sa panique de finir seule et moi, l’élève du fameux docteur Mie, je lui jette en pleine figure:  » Voilà,  vous êtes pas… niquée ! C’est là le problème ! »

Je lisais des articles sur internet, j’envoyais tous mes copains chez les lacaniens et même chez le grand des grands, le fameux Dr Mie ! Ce qui peut paraître bizarre, mais le docteur me disait que chez les Lacaniens rien n’était comme chez les autres et que c’était la « différence positive ».

Je passais mes dimanches à lire des articles, à regarder des revues et, un matin d’un dimanche de printemps, quelle émotion ! Je découvre qu’il existe une association se nommant « l’école de la Cause Freudienne » dont le président n’était autre que notre fabuleux gourou bordelais, le docteur de mes maux dedans mon « Phiphi » national !!.

Ce n’était donc pas un imposteur, c’était le fils spirituel de Jacques Lacan et peut être le nouveau monstre de la psychanalyse.
Evidement, dès la prochaine séance, je me précipite pour lui faire part de ma découverte et là, je me suis aperçu que sa modestie avait sûrement été oubliée lors de ces réunions à Paris. Il jouissait en me racontant son cheminement, sa rencontre avec Lacan, ses relations avec sa fille, son gendre et que c’est toute cette petite famille qui avait imposé au monde de la psychanalyse le nom du Dr Mie !

Cette séance avait durée plus que d’ habitude, 25 minutes au moins! On avait parlé que de lui et; juste à la fin, il m’avait lancé : « Et où en êtes vous avec votre inconscient ? »

Ma réponse fut aussi courte que sincère : « J’y travaille, j’y travaille ! »

– Bien ! Cela fait 40 euros, en liquide s’il vous plait. »

Debout devant la porte pour la première fois, il me parla sans être mon psy : « ça vous intéresse cette école Lacanienne ? » Très flatté par cette soudaine complicité, je répondais que j’avais trouvé enfin une nouvelle passion et que cela me rendait heureux. Alors, si cela vous plaît, faites savoir autour de vous, dans votre clientèle, votre entourage amical, que cela existe et que nous faisons une revue que l’on vend 2 euros.

 » Vous en voulez une ? »

Bien sur que j’acceptai et, pensant que c’était un cadeau, je le mettai dans mon cartable. Là, il se mit presque en colère:

« Je vous ai dit 2 euros ! »
– Ah oui pardon !
– D’ailleurs, donnez-moi 20 euros et vendez-le à vos relations ! »

– Ok , à lundi. »

22 Août

Les maux dedans #3

bill

Venir le vendredi à 13h30 ne m’arrangeait pas du tout car je commençais mes consultations à 14h à l’autre bout de Bordeaux. J’ai imaginé un moment que c’était volontaire de sa part. Moi qui lui avait annoncé que je ne savais pas dire non, il me demandait l’impossible. En fait, pas du tout, j’ai su par lui qu’il avait perdu une cliente qui venait tous les vendredis, mais qui s’était suicidée et qui lui avait écrit une lettre qu’il m’a lue ce vendredi et dont la conclusion était  « Merci Docteur Mie de m’avoir accompagnée jusqu’à ma mort » !

Je ne comprenais pas, j’étais paumé, je prenais la place d’une suicidée, il me lisait une lettre d’amour pour lui.

Il me lance :

« Alors, on en était où ?

– Dans un stade sans but.

– Continuez.

– Finalement…

– Bien, cela fait 40 euros, en liquide s’il vous plait !

« Oui, voilà, excusez-moi je n’ai pas la monnaie. »

Je lui tendais un billet de 100.

Fou de rage : « C’est la dernière fois ! C’est votre inconscient qui parle! En fait, vous appréciez tellement notre travail que vous pensez que le tarif que je vous demande de 40 euros est trop faible, vous avez raison. Aussi, je garde ce billet, et si vous n’êtes pas d’accord la prochaine fois, vous amènerez le compte exact ! »

J’étais k.o. ! Je descendais cet escalier complètement abasourdi. La séance avait duré 2 minutes, elle s’était arrêtée au mot finalement et il m’avait volé 60 euros !
Je n’avais pas le temps de réfléchir, je devais foncer à mon cabinet. Il était 14h et j’avais sûrement la salle d’attente pleine.
C’est fou mais, alors que je devrais être furieux de tout cela, j’avais comme un sentiment bizarre, un peu comme admiratif, très curieux de la technique, envouté par cet homme qui me terrorisait mais qui me motivait pour réussir ce que j’aime tant faire : arriver à le séduire.

Pendant mes longues heures dans la voiture, j’avais toujours le temps de réfléchir et de repenser à mes minutes passées dans le donjon en haut de l’escalier avec le  » dentiste  » ! C’est ce que le docteur appelait mon  » auto analyse « . Cette semaine-là, j’avais vraiment du travail. Pourquoi m’avait t’il demandé de « remplacer  » une morte ? Pourquoi, lui qui ne parle pas, m’avait t’il raconté son suicide, m’avait t’il lu cette lettre? Pourquoi avait t’il stoppé la séance sur mon « finalement » ? Pourquoi cette histoire de mon inconscient …généreux ?

Je suis tellement motivé que j’arrive à trouver une explication à chaque question. Je suis tellement dans la passion psychanalytique que je n’imagine pas une seconde que les réactions du docteur ne sont autres que thérapeutiques, et bien sur honnêtes !

Pourquoi revenir le vendredi ? Parce que mon travail doit évoluer et une seule séance par semaine ne suffit pas. J’arrive même à m’expliquer que je ne parle que de la face visible de l’iceberg le lundi et, ayant moins de choses superficielles à exprimer, je vais dans la profondeur de mon fameux inconscient le vendredi. J’arrive à penser qu’il a trouvé un analysant intéressant. Pourquoi me parle-t-il de sa suicidée et pourquoi me lit-il la lettre ? Parce que la mort est un sujet qui m’inquiète terriblement, il a compris cela et il veut démystifier la mort à mes yeux. Pourquoi arrête t’il la séance sur un  « finalement » ? Parce que mon inconscient devait sûrement arrêter ? N’avais-je plus rien à dire ?

Les maux dedans #1

cortex

 

Ça y est !

C’est décidé,  je vais faire une psychanalyse!  ça fait bien non? Un peu américain, un peu « american beauty ».  J’ ai 45 ans, j’ai eu une vie bien remplie, beaucoup de réussites extérieures, mais un grand bazar intérieur. Alors je prends le bottin, pages jaunes, la rubrique psy, je ferme les yeux, et avec mon index, je pointe, au pif: docteur Philippe Mie, rue Saint-Rémi, Bordeaux !
J’ai l’habitude d’aller toujours vite, alors le portable d’une main, la clope de l’autre, le genou sous le volant afin de maintenir un cap sur la chaussée et … hop!  Allô, Docteur Mie?  Et là,  une voix feutrée comme la nuit à la radio quand une psychologue prend les communications des pauvres désespérés qui n’ont jamais atteint l’orgasme.

« Ouiiiiiiiii,  bonsoir que puis-je pour vous ? »

-Je voudrais un rendez vous avec vous.
-Pourquoi ? »

J’avais envie de lui répondre parce que tout va bien et que j’ai envie de vous donner du fric.

-Parce que je souhaite vous consulter.
-Demain 15h.
-Je ne peux pas, je suis médecin et je consulte l’après-midi.
-Alors 6h30, lundi.
-Ok, pas de problème je commence tôt.
-C’est votre problème, pas le mien, à lundi. »

Je ne vous cache pas que cette première approche avec la psychanalyse est plutôt surprenante, mais bon, je la veux, je l’aurai ma psychanalyse.

Après cette impulsivité téléphonique, je commençais à cogiter un peu. Est- il freudien, youngien, lacanien ou je ne sais quel autre race de psy?

La rencontre fortuite avec un copain psychiatre autour d’un stade de rugby me permet de lui demander s’ il connait le Dr Mie : « Oh, oh, un Lacanien pur souche; mais compétent, pourquoi tu me demandes cela? » Et là, comme d’habitude dans ce genre de circonstance, le gros mensonge: « Euh, c’est pour un ami qui cherche un analyste lacanien ».

Bon,  je sais qu’il est lacanien mais je ne sais pas ce qu’est un lacanien. Alors direct chez Mollat, la grande librairie de Bordeaux et au rayon psy, je cherche Lacan bien sûr,  je trouve et j’achète deux livres pour le weekend !!

Je me rappellerai toujours cette lecture des premiers chapitres. Je ne comprenais rien, de rien de rien, mais bon, j’étais presque fier d’être rentré dans ce monde intello, psycho, socio et voir ma femme, me regardant avec un sourire admiratif en train de lire, suffisait à mon bonheur, même si je tenais le livre à l’envers!

J’ai toujours aimé me lever tôt, et savoir qu’un homme de l’art, médecin comme moi, psychiatre, se levait aussi tôt me réjouissait et je traversais tout Bordeaux avec une émotion, un petit frisson, comme si j’avais donné un rendez vous à une femme par Meetic sur le net.

Je n’avais pas fait attention à l’adresse mais, en descendant de voiture,  je remarquais que le cabinet était situé à coté de l’ancienne maison de mes grands parents, maison qui m’avait remplie de bonheur, de souvenirs merveilleux et que j’avais quittée il y a plus de 35 ans! Bonne augure tout ça!

Par contre, ce petit escalier en colimaçon m’apparaissait comme un Everest surtout pour un vieux rugbyman ayant laissé son genou sur un terrain de Saint-Sever. Enfin, pour prendre du plaisir, il faut souffrir!

La salle d’attente est toute petite, avec une odeur de vieux. Les revues sur une petite table Ikea sont surprenantes, ce n’est pas un vieux match ou un Elle de 1968 comme dans tous les cabinets mais c’est beaucoup plus Art press, des livres d’humour juif, un livre sur Lacan,  un magazine de photos très pornographiques.

J’entends un murmure au fond du couloir,  preuve qu’il ya quelqu’un. Je suis fébrile, impatient et un peu craintif. Puis ça y est, un bruit de porte, un au revoir lugubre, des pas, et l’arrivée dans la salle d’attente d’un homme tout de noir vêtu, frisé comme un mouton (noir), un nez qui me parait immense, un teint que je qualifierais d’ « olivâtre » et cette fameuse voix à la Meni Grégoire que j’avais entendue lors de ma prise de rendez-vous: « Vous venezzzzz? »

Alors là, pas de surprise pour la description du bureau: petit, sombre, une odeur de cigare, des tapis partout (vu l’allure et le teint du propriétaire je ne peux m’empêcher de penser: il a dû en vendre dans sa première vie!) un petit divan recouvert d’un autre tapis,  des tableaux abstraits, sombres eux aussi, des masques africains noirs, et quelques grigris frisés comme la chevelure de mon psy! Une tasse de thé encore fumante, un fauteuil en cuir tout vieux, bien sûr, situé derrière le divan et perpendiculairement, un petit bureau ancien avec un cendrier plein, des papiers et un petit carnet, un fameux petit carnet!

Je me suis toujours demandé si j’allais devoir m’allonger dès la première séance ou si j’allais m’asseoir devant lui. D’un signe de la main, il m’invite à m’asseoir et je peux dire que cela me rassure. Je me voyais mal allongé dès le premier jour.

Je suis mal à l’aise et il ne fait rien pour m’aider. Il ne me dit rien, moi non plus. Deux bonnes minutes se passent avant que je ne prononce le premier mot:

« Je viens vous voir parce que je voudrais savoir dire un mot que mon cerveau n’ a pas dans ses archives le mot: NON! »

Je suis assez fier de cette première déclaration et, comme j’ai lu dans les livres que la parole est primordiale chez les lacaniens, je pense que mon Alain Souchon (il lui ressemble en brun) va pouvoir s’éclater. Eh bien, pas du tout! Toujours aussi lugubre, il ne dit rien. Alors gêné, je me sens obligé de continuer et je lui raconte en quelques phrases ma vie que je pourrais résumer en: amours, rugby, médecine! Dix minutes plus tard,  il se lève, prononce un mot qui sera récité à chaque fin de séance comme la cloche du collège:

« Bien ! cela fera 40 euros en liquide, s’il vous plaît, et vous viendrez lundi prochain à 6h30! »

La descente de l’escalier en colimaçon fut encore plus difficile que la montée surtout que mon genou n’était pas revenu de Saint-Sever !

Je monte dans ma voiture, j’éteins la radio, j’allume ma cigarette et je réfléchis. J’éprouve un mélange de frustration, de plaisir, de déception, mais bon,  je m’en fous: je suis en analyse !!