23 Sep

Juan Leal et Daniel Luque

Juan Leal est au début de sa carrière, il commence l’escalade vers les sommets de la tauromachie. Rien ne dit qu’il arrivera en haut. Et s’il y arrive, nul ne sait quand. Mais une chose est sûre : il a choisi le sentier le plus escarpé, celui qui file tout droit et où se trouvent tous les dangers. Il appartient de toute évidence à la famille des toreros qui se sont forgés une personnalité en exposant au maximum leur anatomie à portée de cornes.
Diego Robles, qui fut le mozo de espadas de Paco Ojeda, explique que lors de ses deux premières saisons Ojeda n’a jamais quitté une arène sans qu’il faille lui recoudre – au minimum – la taleguilla. Est-ce un hasard? Paco Ojeda est le modèle de Juan Leal.
On se rappelle les débuts de Sébastien Castella, il y a 15 ans. Ses infatigables détracteurs lui reprochaient d’être sans cesse bousculé par les toros. Lui n’a jamais dévié de cette ligne. On voit où il est arrivé. Exactement à la place que vise Juan Leal : en haut!

Vendredi à Nîmes, devant un public trop peu nombreux et avare de son enthousiasme, Juan Leal a une nouvelle fois indiqué le chemin qu’il entendait emprunter pour arriver à ses fins.
Le toro de « El Torero » n’était pas spécialement un enfant de chœur et la faena n’est certes pas un modèle de fluidité. Mais à revoir les quelques courts extraits que j’ai filmés depuis le callejón, je suis convaincu d’une chose. Si Juan n’y arrive pas, ce ne sera pas faute de s’en être donné les moyens.

 

 

Daniel Luque est un sale gosse, répète-t-on dans le mundillo. Il engueule à haute voix (et en public) les membres de sa cuadrilla : ce n’est pas très « classe ». Il s’obstine à coller en fin de faena  ses enchaînements sans queue ni tête, ou plus exactement sans début ni fin, des deux mains et sans ayuda : ce n’est pas de très bon goût. Son paternel hurle des encouragements permanents à tort et à travers : ce n’est pas très discret.

Bref, il est insupportable.

Ajoutons que quand il n’est pas à l’affiche, il ballade dans le callejón une dégaine de morveux rigolard, lunettes de banlieusard et T.shirt de loulou. Pas très torera, comme tenue.

Luque en un mot, c’est le contraire de Finito de Córdoba, un parangon de l’élégance torera celui-là! Silhouette parfaite, œil de velours et sourire éclatant. Et avec ça, le charme de l’âge mur et une réputation « d’artiste ». Ce qualificatif – artiste – qui, partout ailleurs désigne un créateur, donc une personne courageuse et déterminée, s’emploie le plus souvent en tauromachie pour parler d’un torero inconstant, parfois même chichiteux. Passons.

Finito et Luque toréaient le même jour lors de la feria des Vendanges, dimanche 21 septembre. Le matin, Finito a coupé une oreille d’un triste toro de Zalduendo au terme d’une faena interminable et d’une estocade plus interminable encore. Le nombreux et bienveillant public nîmois s’est régalé de ses postures, de sa façon de marcher autour du toro et de quelques « détails » en début ou fin de certaines séries. Quant à moi, je l’avoue, je n’ai pas vraiment mordu au truc ce matin-là. Le toro était vraiment mou, il faisait chaud, et le sirop du ‘Concerto d’Aranjuez » (joué sur un tempo que Richard Anthony lui-même aurait trouvé trop ralenti) déversé sur toutes ces sucreries a fini d’engluer le tout.

Le soir, Luque a « touché » un toro de Daniel Ruiz sans autre intérêt particulier que d’aller et venir sans poser trop de problème. Il y avait une moitié d’arène à peine. Et personne dans les gradins n’était prédisposé à savourer des « artisteries ». Mais Luque ignore sans doute la convention qui établit qu’à Nîmes les « artistes « toréent le matin et les autres le soir.

J’ai revu les images tournées par Antoine Saravia et Michel Dumas. Quelque chose me dit que si le matin Finito avait proposé un début de faena aussi fluide les arènes auraient retenti de mille cris de joie et beaucoup d’aficionados seraient tombés en pâmoison.

Regardez.

 

 

Joël Jacobi

06 Sep

Le grand moment de Juan Bautista

Juan BautistaJe peux me tromper, je me trompe souvent. Mais j’ai vraiment l’impression que si Juan Bautista propose demain à Bayonne et samedi prochain à Arles une tauromachie aussi souveraine, aussi relâchée qu’hier à Fontanès, chez Gilles et Mathieu Vangelisti, alors les gens vont vraiment se régaler.

S’il a la chance – si nous avons la chance – qu’un toro charge avec autant de noblesse que les vaches d’hier, on risque de vivre des moments vraiment très intenses.

J’assiste à des tientas depuis des années. Et toujours avec autant de gourmandise. Il y a quelque chose de délicieux dans ces moments partagés avec un torero dans l’intimité du campo. Pour le matador et pour l’éleveur, c’est une séance de travail. Ce qui explique que pour l’aficionado invité, passées les premières minutes, cela peut quelquefois se transformer en un interminable pensum. La vache tombe, le picador hurle, le torero s’escrime, le ganadero s’empiffre de charcutailles et nous, on s’ennuie à mourir, on se demande comment s’évader de là sans être trop impoli.

Rien de tout ça hier. La ganadería San Sebastián, nouvelle venue dans le paysage taurin français, est installée en plein terroir viticole, à Fontanès, tout près de Saint Mathieu de Tréviers dans l’Hérault. Les silhouettes tutélaires du Pic Saint Loup et de l’Hortus surplombent la finca, où poussent les pins, les cades et les chênes kermès qui griffent les mollets des randonneurs venus de Montpellier depuis plusieurs générations. Les yeux de Vangelisti père et fils brulent d’une même passion. Surtout, les quatre vaches tientées ce samedi, d’origine Jandilla, ont toutes présenté ce mélange de noblesse et de piquant qui font le délice des aficionados et révèlent la technique du torero.

Juan Bautista, on le sait, est un technicien hors pair. Mais hier, vêtu comme pour aller faire le marché du samedi aux Lices, il a montré un je ne sais quoi en plus. Quelque chose qui tient de la décontraction, de l’autorité tranquille qui me laisse penser que demain à Bayonne et samedi prochain à Arles…

 

Joël Jacobi