Depuis mercredi, la photo d’un enfant syrien retrouvé mort sur une plage turque interroge la presse internationale et enflamme les réseaux sociaux depuis hier. Il s’appelait Aylan Kurdi, avait 3 ans, et venait de Kobané. Son corps a été rejeté sur la plage de Bodrum avec ceux de onze autres personnes, dont sa mère et son frère âgé de 5 ans.
La Turquie et l’Angleterre, notamment, ont choisi de publier ce cliché en Une. En France, les médias ont mis du temps à réagir avant de la diffuser également.
Présents à Perpignan, les professionnels de la photo s’interrogent : fallait-il la publier ? Si oui, était-ce le meilleur moyen de secouer l’opinion publique ?
Jean-François Leroy, directeur du festival Visa pour l’image
« C’est une vraie photo de photojournalisme. Si on avait vu que les vêtements de l’enfant sur la plage, cela aurait été du documentaire, pas du photojournalisme. »
« Je ne comprends pas la réaction de la presse française, parce que si vous voulez, malheureusement, des photos d’enfants syriens morts tentant de traverser la Méditerranée, j’en reçois tous les jours. Qu’est-ce qui fait que celle-là marche ? Je ne peux pas l’analyser. Il y a un emballement Facebook, Twitter… Et la photo circule. (…) Je pense que le rôle du photojournaliste est de témoigner du monde dans lequel il vit. Après, il y a l’interminable débat « Est-ce que cette photo est choquante ? » Non, c’est la situation qui est choquante. Si cette photo a un impact, le journaliste fait son travail. »
Giulio Piscitelli, photographe italien
Il expose De là-bas à ici : l’immigration et l’Europe-forteresse à Visa.
« Etre surpris par cette photo relève de l’hypocrisie. Il y a deux semaines, 300 migrants ont perdu la vie au large de la Libye. Il y avait aussi des enfants. Des photos ont été relayées, et ça n’a pas choqué autant de personnes. C’est une bonne chose que de telles images soient publiées dans les médias, mais rien n’avance du côté des gouvernements. Ils doivent garantir la sécurité des migrants en bateau. On entend « Plus jamais ça », mais ça peut continuer encore longtemps. »
Juan Manuel Castro Prieto, photojournaliste
Il expose Pérou, Vallée sacrée à Visa.
« Pour moi, la violence d’une image est nécessaire. Il faut montrer la réalité. C’est important pour la société de montrer les problématiques de l’immigration. C’est le devoir du photographe de presse. »
Olivier Jobard, photojournaliste, exposé dans le cadre de #VISA OFF
Il travaille sur la thématique de la migration depuis une dizaine d’années.
« Cette image va peut-être permettre aux gens de prendre conscience. Cela fait des mois que nous, photojournalistes, tirons la sonnette d’alarme. Les médias ont un vrai rôle à jouer dans la vision des migrants. Moi, j’essaie de raconter des histoires qui permettent d’incarner les migrants, de les identifier, de les humaniser. Leur donner des noms pour qu’on les considère. Qu’on essaye peut-être, à travers ces histoires là de se dire que, finalement, ça aurait pu être moi. »
Eric Barrat rédacteur en chef service photo AFP
ERIC BARADAT RED CHEF AFP SERVICE PHOTO réagit… par F3languedocroussillon
Diana Zeyned Alhindawi, photojournaliste
Visa d’or humanitaire du CICR (Comité international de la Croix-Rouge), elle expose « Viols : procès de Minova » (RDC) à Perpignan.
« C’est nécessaire de montrer cette image. Le monde doit se réveiller. Il faut que les politiques se réveillent et agissent. »
Adrienne Surprenant, photojournaliste
Elle expose En attendant le canal au Nicaragua à Visa.
« Ce n’est pas la photo qui est dure, c’est la réalité qui est cruelle. On a pour rôle de montrer la réalité, un rôle de documentaliste. »
Sergey Ponomarev, photojournaliste russe
Il expose La Syrie d’Assad à Visa.
« On devrait utiliser cette photo autant que possible. On a vu auparavant que certaines photos pouvaient arrêter les guerres. Les photojournalistes ont un rôle de médiateur. Il faut faire sortir les gens de leur bulle pour leur montrer la réalité. »
Gabriel Brau
Photographe espagnol
« C’est la réalité donc il faut la montrer. Il y a beaucoup de photos choquantes. Mais il les faut pour nous faire réfléchir. »
Gertrude O’Byrne iconographe
GERTRUDE O’BYRNE iconographe réagit à la photo… par F3languedocroussillon
Stefan Wittwen
Il travaille dans une agence photo en Suisse
« C’est plus fort que 200 pages sur le sujet. En Suisse, on n’est pas forcément conscient, donc cela montre la réalité. »
Colombe de Meurin
CEPIC
« Toutes les photos ne sont pas pertinentes à montrer, mais celle-ci est importante. Comme il n’y a pas de sang, elle n’est pas impossible à regarder par de jeunes personnes. »
Lars Hogsted
Photographe freelance au Danemark
« J’ai vu la photo à la télévision. J’ai été obligé de l’éteindre. C’est choquant, ça m’a ému et changé ma réaction sur ce sujet. On voit tellement d’images. Avec ce cliché, on passe à un palier supérieur. »
Eirik Brekke
Photographe
« La seconde photo où l’homme prend l’enfant dans les bras est assez forte. Ce n’est pas nécessaire de montrer le visage de ce petit garçon. »
Laetitia Guillemin
Présidente de l’Association nationale des iconographes et iconographe au Monde diplomatique
« Je ne suis pas pour ce genre de photos. Il y a d’autres moyen que la manière frontale. Utiliser un enfant pour dénoncer la non-politique européenne sur la question n’est pas la solution ».
Dimitri Beck
Rédacteur en chef de Polka magazine
« J’ai été très touché par cette image, elle m’a choqué, ému. Nous la publions d’ailleurs cet après-midi sur notre site web et nos réseaux sociaux. Je ne comprends pas pourquoi la presse française ne l’a pas publiée plus tôt. Cette image est très dure, mais très importante, elle peut changer les choses ».
Christopher Morris, photographe de guerre américain
Membre fondateur de l’agence VII Seven, en contrat pour le Time magazine
« Dire que la photo d’un enfant ne devrait pas être montrée est de la pure hypocrisie. Les médias français sont lâches de ne pas la publier. Si vous ne publiez pas ces photos, là est le crime : vous cachez la réalité. »
Viviane Dalles, photojournaliste française
Lauréate du prix « Canon de la femme photojournaliste 2014 ». A l’hôtel Pams, elle expose Mères ados.
« Il n’y a pas de mots quand on voit cette photo. Mais, ce qui m’inquiète, c’est jusqu’à quels degrés de violence on doit montrer les images pour que les gens comprennent la situation dramatique de la guerre en Syrie. J’espère que cette photo va faire changer les choses ».
Pascal Maitre, photographe français
Il expose Fleuve Congo au Couvent des minimes à Visa
« Cela m’est arrivé d’avoir des enfants morts devant moi et j’ai fait les photos. À partir du moment où je ne peux plus rien faire, je fais les photos. Cette image peut permettre, par la réaction en chaîne qu’elle provoque, d’amorcer quelque chose qui peut changer les choses. Mais ce n’est pas une seule photo qui les fera changer ».
Stéphanie Sinclair, photojournaliste américaine
Elle expose Les déesses vivantes du Népal à l’Eglise des Dominicains
« La plupart des photographes documentaires devraient prendre cette image. Et elle a besoin d’être publiée . Même si c’est tragique, cela permettra peut-être à certaines personnes de réaliser à quel point la situation en Syrie est sérieuse et combien les réfugiés ont besoin d’être mieux pris en charge ».
Patrice Terraz
Photographe à l’agence Signatures
« Je n’aurais pas fait cette image, mais à partir du moment où elle est faite, il faut la publier ».
Mohamed Abdiwahab, photojournaliste
Il expose Somalia à Visa
« J’étais choqué quand j’ai vu la photo. Ça me désolé. »
A la Une de la presse internationale :
Une image à la Une, une seule. Jusqu’à la nausée. #JaieteMigrant pic.twitter.com/tbLM08ymFM — Alex de La Fontaine (@aldelafontaine) 2 Septembre 2015