On a cru un temps que la reprise par les médias de photos d’amateurs concurrencerait celles des professionnels. L’exposition « 30 photos qui n’ont pas changé le photojournalisme » déconstruit ce mythe.
Kadhafi en sang, Saddam Hussein la corde au cou ou le Concorde en feu. Ces clichés réunis au Couvent des Minimes, parfois bouleversants mais d’une qualité approximative, sont l’œuvre d’amateurs : témoins ou acteurs d’événements. L’exposition de Samuel Bollendorff et d’André Gunthert, « 30 photos qui n’ont pas changé le photojournalisme », intrigue au milieu des photoreportages de Visa. Elle montre que le pro et l’amateur n’ont pas le même statut, que l’un ne marche pas sur les plates-bandes de l’autre.
« La photo amateur est un document brut »
« La photo d’amateur ne constitue qu’un témoignage », lance Samuel Bollendorff. « Il y a toujours eu un premier témoignage, puis des journalistes qui vont sur place pour le recueillir. Elle ne concurrence pas et n’a pas à être prise pour de la concurrence d’images professionnelles. » L’un des deux initiateurs de l’exposition estime que l’enjeu « est de déconstruire ce mythe. On raconte 10 ans d’une idée à laquelle on essaie de mettre fin ».
Un point de vue partagé par les photojournalistes présents à Visa pour l’image. Ils ne craignent pas le grand méchant amateur et sa « première » photo, celle reprise des centaines de milliers de fois sur les réseaux sociaux. Pour Guillaume Herbaut, « la démarche est différente. Nous travaillons sur le long cours, avec le but de fournir des clés sur la société. La photo amateur est un document brut. Nous, nous ramenons du sens ». Un avis partagé par Jean-François Leroy, le directeur du festival.
Gaël Turine ne se dit pas non plus opposé à la photo amateur et son utilisation par les médias. Si critique il y a, elle touche les organes de presse : « Ils y ont trouvé leur compte, ils ont une réflexion purement financière, sans aucune notion artistique. C’est cela qui me dérange ». Son confère italien Pierpaolo Mittica soulève un autre problème : « Avec la photo d’un non professionnel, on ne sait pas toujours si l’information est correcte ».
« S’inspirer des nouvelles pratiques plutôt que d’en avoir peur »
Sur les 30 photos exposées, une large majorité sont des clichés issus de vidéos ou caméras de surveillance. Pour Samuel Bollendorff, ce choix est aussi une manière d’avoir des éléments de contexte, de savoir comment la scène a été captée, avec quelle volonté de sens. Pour la photo, cette identification est plus difficile : « Lorsqu’ils publient, on peut espérer que les journaux fassent un travail de croisement, de vérification. Malheureusement, admet le photoreporter indépendant, parfois, ça n’est pas le cas ».
Son binôme à Visa, le chercheur André Gunthert, considère aussi que la photo prise par le simple passant n’empiète pas sur le travail au long cours des photojournalistes. Il pense au contraire que la presse a tout à gagner à aller chercher de nouvelles idées en dehors de son milieu. « Au lieu d’avoir peur des nouvelles pratiques, le métier doit s’en inspirer, assure le professeur de l’Ecole des hautes études en sciences sociales. Le gif animé, le diaporama ou les tutoriels sur tout et n’importe quoi sont des pistes à emprunter. » Ou comment faire d’un risque une opportunité.
Vincent DANET et Guillaume VERDU