02 Sep

Vista Hermosa, la prison aux mains du Gang boss

Prison Vista Hermosa, Ciudad Bolivar, Venezuela, mars 2013. Soirée de fête dans la prison avec les familles des détenus. Sébàstian Liste.

Prison Vista Hermosa, Ciudad Bolivar, Venezuela, mars 2013.Soirée de fête dans la prison avec les familles des détenus. Sébàstian Liste.

Dans le pays de Chavez, plus de la moitié des centres de détention sont entre les mains des détenus. Après avoir côtoyé la violence des favelas au Brésil, le photographe Sebastián Liste ouvre les portes de Vista Hermosa, la plus vaste des prisons auto-gérées de Caracas.

« Avec la mort la mort de Chavez, une nouvelle révolution a commencé. Celle du chaos. » Sebastián Liste, photographe et sociologue de formation, a suivi pendant deux ans le quotidien des barrios vénézuéliens. En contact étroit avec les gangs, il entend parler des prisons autogérées.

Plusieurs mois de tentatives vaines avant de rencontrer Wilmer Brizuela, dit Wilmito, le parrain de Vista Hermosa, la plus grande des prisons de Caracas. Une fois le contact établi, il est convié à venir photographier l’anniversaire de la fille du chef. Elle a 15 ans, et la fête a lieu au sein même de la prison.

Le photographe se retrouve propulsé dans une atmosphère « surréaliste », où le bon rhum côtoie des bouteilles de whisky dix-huit ans d’âge. « J’ai d’abord été invité une heure, puis la journée. Finalement, à 3 heures du matin, ils m’ont proposé de rester pour la nuit », raconte  Sébastián Liste.

Les 24 heures deviennent une semaine. Installé dans sa propre cellule, il partage le quotidien de ceux qui ont créé leur propre société et leurs lois.

« Il fallait rapidement apprendre leur règles et au jour le jour, les détenus m’ont fait confiance », raconte Sebastián Liste.

Première règle d’or, ne jamais toucher à la famille d’un détenu en visite dans le camp. Deuxième règle, ne pas « salir ». Comprendre ne pas manquer de respect à ses prochains. Troisième règle, rester à sa place dans la hiérarchie imposée par Wilmito.

« Les détenus ne peuvent pas parler directement à un autre prisonnier plus haut placé que lui, dans cette micro-société structurée. » L’impôt destiné à assurer la protection et à financer les besoins primaires de la prison, participe à classer les détenus sur l’échelle sociale de Vista Hermosa. « Ceux qui n’ont pas les moyens de payer, se retrouvent à la merci des autres. »

 L’autorité du « Pran »

Wilmito, aussi surnommé le « Pran », a pris la tête de l’établissement en 2005 : « À la base, cet ancien boxeur n’était pas un délinquant ultra-violent. Pour survivre, il a fini par s’imposer grâce à sa force et sa clairvoyance », explique Sebastián Liste.  A la tête d’un vaste trafic de drogue et de prostitution, le « Pran » se vante de mieux gérer la prison que les autorités vénézuéliennes et génère un chiffre d’affaire de 3 millions de dollars par an. « C’est quelqu’un de vraiment intelligent, il savait comment structurer la prison. » L’argent est réinjecté pour aménager les locaux. Terrain de base-ball aux dimensions officielles, piscine olympique, gymnase, salle de musculation, ring de boxe… Le roi donne même des cours de boxe à ses « sujets ».

Comme partout, il y a ceux qui sont favorisés et ceux qui sont moins bien lotis. À Vista hermosa, c’est le cas des homosexuels, regroupés dans un quartier de la prison et dévolus aux tâches ménagères et la cuisine. Vivant dans de minuscules cellules, ils n’ont pas le droit de quitter leur quartier, excepté pour travailler. Miroir de la société vénézuélienne, les problèmes de fond comme la toxicomanie sévissent. Ceux qu’on surnomme les « gandules », toxicomanes, délinquants sexuels ou encore les rebelles qui n’auraient pas respecté les lois non écrites de Wilmito, se retrouvent parqués dans des cellules. La prison dans la prison : ils sont surveillés par des détenus-geôliers.

 

Prison Vista Hermosa (« belle vue »), Ciudad Bolivar, Venezuela, mars 2013.

Prison Vista Hermosa (« belle vue »), Ciudad Bolivar, Venezuela, mars 2013.

« Une image concrète »

Les matons repoussés derrière les murs et les barbelés, un malfrat qui règne en maître sur plus de deux milles prisonniers, une police et une économie privées… Certains pourraient y voir une forme de laxisme de la part du gouvernement vénézuélien.

 « Ce n’est pas que le gouvernement ne puisse rien faire puisqu’il pourrait très bien envoyer l’armée, mais plutôt qu’il ne peut pas être partout », répond Sebastián Liste

« Ce retournement de situation dans les prisons du pays – 27 sur 34 sont en autogestion – ne s’est pas fait du jour au lendemain », explique le photographe. « Les conditions de détention étaient déjà dégradées. Les conflits avec les matons se faisaient de plus en plus réguliers. A un moment, les prisonniers finissaient par avoir des armes aussi puissantes que celles des surveillants. » Des tirs ont été échangés. « On peut dire que l’autogestion est le fruit d’une décision mutuelle. »

Aujourd’hui, une seule règle compte : ceux qui sont à l’extérieur restent à l’extérieur, ceux qui sont à l’intérieur, à l’intérieur. Un pacte tacite sous peine d’un bain de sang. Une manière aussi de contenir la haine qu’entretiennent les clans, l’un envers l’autre. Les frontières sont bien marquées, mais il existe tout de même des liens. Des liens de corruption, entre autres. « La première fois que je suis allé à la prison, les familles des détenus faisaient la queue pour rentrer. J’attendais dans un coin et je me suis fait fouiller par la Garde nationale qui ne voulait pas me faire rentrer. Wilmito est arrivé puis a adressé un mot au garde, qui m’a finalement laissé passer. »

Avec "De l'autre côté du mur de l'enceinte", Sébastiàn Liste signe une des expositions phares de Visa pour l'image.

« De l’autre côté du mur de l’enceinte », Sébastiàn Liste/ NOOR pour Time Magazine.

Avec « De l’autre côté du mur d’enceinte, une prison du Venezuela aux mains des détenus », l’un des reportages phares de la 26e édition de Visa pour l’image, Sebastiàn Liste apporte une image plus complète de la réalité de la société carcérale au Vénézuela. Vagues échos et rumeurs entouraient jusqu’alors ces lieux de détention. « On entendait parler de détenus avec des kalachnikovs, mais rien n’avait été confirmé officiellement. Je fournis aujourd’hui une image concrète de ce que pouvait imaginer la population. J’espère ainsi, pouvoir ouvrir un dialogue ».

A voir au Couvent des minimes jusqu’au 14 septembre.

Olivia COMTE et Amandine LEFEVRE