04 Sep

La tour de David, le bidonville vertical de Caracas

Jorge Silva, photoreporter pour Reuters au Venezuela, présente son exposition la tour de David à Visa pour l'image.

Jorge Silva, photo-reporter pour Reuters au Venezuela, présente son exposition « La tour de David » à Visa pour l’image. © Laure Fumas

Squat le plus élevé au monde, la tour de David domine Caracas, au Venezuela. Le photographe Jorge Silva a vécu pendant deux mois dans ce gratte-ciel converti en quartier par ses 3 000 habitants.

Le repaire des trafiquants, bandits, assassins et autres kidnappeurs. Un microcosme où la seule loi en vigueur serait celle de la jungle et les règlements de compte monnaie courante. La cave de l’immeuble abriterait même un crocodile prêt à dévorer les visiteurs… La réputation de la tour de David à Caracas n’était plus à faire lorsque Jorge Silva, photo-reporter, y a fait ses premiers pas au début de l’année. « C’était une obsession. Je voulais percer le mystère ». Et surtout faire tomber le mythe. Loin des clichés, le correspondant de Reuters au Venezuela a découvert un quotidien de débrouille et de solidarité.

La tour de David serait le bidonville le plus haut du monde. A Caracas, les 45 étages de béton et de verre mais surtout les 28 étages de bric et de broc, ne passent pas inaperçus. En plein coeur du quartier d’affaires de Candelaria, l’immeuble construit à partir de 1994 devait abriter un centre financier ultramoderne. Le colosse ne gardera du projet initial que le prénom de son créateur, David Brillembourg. Il meurt criblé de dettes. La construction se fige alors que le squelette de la tour est sorti de terre. En 2007, le building est investi par les squatters. Trois mille habitants qui ont fui les bidonvilles de Caracas.

Une femme à l’œuvre dans l’atelier de couture qu’elle a organisé chez elle.

Une femme à l’œuvre dans l’atelier de couture qu’elle a organisé chez elle. © Jorge Silva/Reuters

Les photographies de Jorge Silva exposées à Visa pour l’image mettent à jour une ville dans la ville dont les administrés agissent en parfaite autogestion. « Chaque habitant doit s’acquitter d’un loyer de 300 bolivars (soit 32 dollars) afin d’assurer notamment la propreté des parties communes ». Les épiceries et ateliers de couture se sont installés dans l’immeuble. La communauté a même créé des salles de prière, ainsi que son propre système de transport en commun : des motos taxi pour gravir les 28 étages habités.

« Thais, une mère de famille, habite au 27e avec sa fille. Lorsqu’elle rentre chez elle avec deux pains, elle n’a plus rien quand elle arrive en haut. A chaque palier, elle s’arrête pour discuter avec ses voisines et leur offre un bout de pain… ». La solidarité est de mise, tant le confort est rudimentaire. « Il n’y a pas d’eau courante et l’électricité ne fonctionne pas tout le temps ».

Genesis (9 ans) sur le balcon de l’appartement où elle vit avec ses parents et ses quatre frères et sœurs. © Jorge Silva / Reuters

Genesis (9 ans) sur le balcon de l’appartement où elle vit avec ses parents et ses quatre frères et sœurs.© Jorge Silva / Reuters

Pour les habitants, la tour est plus sûre que le monde extérieur. « Thais a choisi de s’y installer pour fuir l’insécurité de son bidonville », se souvient le photographe. Pendant les deux mois de son reportage, lui, non plus n’a pas ressenti l’insécurité. Enfin celle liée à la délinquance. La tour est dangereuse, mais plutôt à cause des accidents qui s’y produisent. Des enfants sont tombés car les terrasses ne possèdent pas de barrières, les fenêtres n’ont pas de vitres.

Les autorités vénézuéliennes n’ont pas réagi à ces drames. « Chavez a toujours toléré l’existence de cette communauté même s’il a toujours pris soin de ne pas évoquer le cas de la tour », remarque Jorge Silva. « Pour moi, elle était le symbole de la lutte contre les grands argentiers ». Mais après la disparition du leader bolivariste, la politique du gouvernement a quelques peu changé. Les habitants du quartier vont devoir quitter la tour pour être relogés dans des appartements sociaux à 50 kilomètres du centre-ville de Caracas. « Le bâtiment sera peut-être le prochain siège de la Bank of China en Amérique du Sud», commente le photographe. La tour de David n’existera bientôt plus que dans ses clichés.

Laure Fumas et Hendrik Delaire

 

Exposition « La tour de David » : les visiteurs réagissent