26 Août

Le bon Docteur Cerey

médecine

 

Mes journées de jeune « toubib » comme ils disent, sont de plus en plus remplies et me rendent tous les jours de plus en plus heureux. Je vis un rêve éveillé. Quand Madame Boniface rentre dans mon bureau cette après-midi du mois juin, je n’imagine pas ce qui m’attend. C’est le genre de petite boule ronde, avec des petits mollets très musclés, qui fait des petits pas, et rentre dans mon bureau en terrain conquis. « Il n’est pas là le docteur Cerey? »

« Non, je suis son successeur ». Le bon Dr Cerey est le vieux médecin, aux yeux rieurs très bleus et aux moustaches bien remplies, qui faisait de la médecine à l’ancienne. Il faisait tout et …entre autre de la gynéco.

 » Voilà docteur, j’ai une  MVRCIP.

– Une quoi?

– Une mvrcip, toubib, il va falloir reprendre vos cours.

– Veuillez m’excuser, je dois aller chercher un papier dans ma voiture. »

Je me précipite dans la salle de derrière et je parcours mon petit guide. Impossible de trouver ce mot barbare! Je me rappelle ce que disent tous nos vieux patrons de l’hôpital (« Sachez, mes jeunes confrères, que vous en savez toujours plus que vos malades. Ne montrez jamais votre ignorance! ») et donc…

« Alors cette MVRCIP ? ça vous fait mal ?

– Surtout ça me gratte et c’est pas facile de se gratter là, devant mes petits enfants. » Et elle montre fort disgracieusement un gratouillis de son entre jambes.

Yes!! j’ai trouvé les deux premières lettres MV : « mycose vaginale » ! En fait, par déduction, le reste des lettres veut dire « récidivant chronique idiopathique permanente », abréviation qui ne veut rien dire du tout mais que mamie Boniface arbore telle une légion d’honneur.

 » Bon je vais vous examiner » -Quel stress! J’ai réussi à éviter dans tous mes stages de médecine ceux de gynéco préférant les travaux pratiques très individualisés …et rien que la pose du spéculum me pose un problème: dans quel sens? Sois logique, Antoine, tu t’y connais un peu quand même! Même si l’anatomie de Madame Boniface après six grossesses était légèrement différente de celle de mes conquêtes récentes, je réussis du premier coup à pénétrer dans cet abime que seul Roger, son mari, connait si bien.

Je me trouve devant un champ de ruine,  écarlate au rouge vermillon d’où perle une trace blanchâtre prouvant ainsi la perspicacité de mon diagnostic. Mycose !!

« Le docteur Cerey, il me met cette lotion » (me montrant du doigt un petit flacon datant à mon sens d’après-guerre).

Je m’exécute de suite et sur le bout d’une compresse je badigeonne, je badigeonne, et là, la pauvre mamie se met à hurler! J’arrête de suite mon badigeonnage intempestif et je constate les traits grimaçants de cette pauvre Madame Boniface et je me sens désemparé, mais je continue mon badigeonnage.

Deux mois plus tard, c’est avec un grand sourire et la démarche toujours aussi rapide que la mamie pénètre dans mon cabinet avec un grand sourire. « Docteur, vous êtes magique, je venais tous les mois pour ma mvrcip, et là je suis guérie! »

J’espère que tous les patients qui liront ces lignes n’auront pas peur à retardement, quand ils apprendront que je me suis trompé. La lotion de badigeon n’était pas la bonne, ayant pris une alcoolique à 90 ° au lieu d’une aqueuse !!

L’ange aux yeux bleus

 

petite fille

Tout n’est pas toujours rose  dans la vie du médecin. Il y a des moments où la souffrance des patients s’imbibe sur moi.

La petite Agathe, âgée de 11 ans se bat depuis 2 ans contre un ostéo sarcome avec des métastases au cerveau. Je la vois tous les matins. Un petit rituel: le café debriefing avec la maman, seule, divorcée. Elle me raconte sa nuit et je rentre dans la chambre où des peluches recouvrent le lit. Le crâne rasé, Agathe n’est qu’un regard. Ses grands yeux bleus scrutent mon visage, mes expressions. Je sais, la maman sait qu’il n’y a plus d’espoir, mais elle attend de moi que je lui dise qu’un miracle peut arriver.

Ce soir, c’est le diner de gala de la maison de retraite dont je suis le médecin référent. La péniche est belle en cette nuit de pleine lune. Nous sommes tous sur le pont, habillés en costumes cravates, et là mon téléphone portable sonne : c’est Flo, « Agathe te réclame, elle respire mal ».

Je ne sais pas trop comment annoncer au directeur que je dois aller voir une patiente, mais pour une fois, j’ose dire la vérité et je m’éclipse rapidement. Je rentre dans la chambre d’Agathe, sa maman me laisse seul et Agathe, ne pouvant pas parler, prend son ardoise magique que je lui avais donnée quelques jours auparavant et, de sa main tremblante, écrit ce petit mot que je n’oublierai jamais: « Antoine si tu m’aimes, et si tu aimes maman, fais-moi partir au ciel. »

Je ne peux vous exprimer ce que l’on ressent dans ces moments-là. Je lui fais un piqure de Tranxene, certes non mortelle mais qui pouvait d’abord apaiser « Tag » (son surnom) et qui pouvait accélérer son départ. Je suis resté toute la nuit dans le lit. Tag, entre sa maman et moi, dormait dans un coma léger d’un ange aux yeux si bleus! Nous avons parlé avec Flo, nous avons ri, nous avons pleuré, nous avons parfois plongé dans un sommeil furtif et, à six heures, Tag respirait toujours et ne donnait pas de nouveaux signes de gravité.

« Je vais rentrer chez moi prendre une douche pour aller travailler.  Je repasse tout à l’heure ».

Je n’avais pas fait 500 mètres que mon téléphone sonne : « C’est fini, Antoine , c’est fini, Tag est partie. »

Ce petit ange a attendu d’être seule avec sa maman pour lui dire au revoir. C’est pour ça que je crois en Dieu, en un mythe créateur, c’est pour ça que j’aime la vie.

Djobi, djoba

 

roulotte

Paul, mon fils, vient de finir un tournoi de rugby poussin. Nous sommes dans la forêt d’Andernos, il fait noir car nous sommes restés au barbecue local. Je m’égare dans un petit chemin et me retrouve nez à nez avec une camionnette. J’ose klaxonner. La porte s’ouvre et descendent trois gros gaillards dont le faciès typique m’indique leur origine : des gens du voyage, des gitans. Ils ont des barres de fer! Je verrouille la voiture. Polo a peur et moi, je suis terrorisé!

« On va mourir Papa, on va mourir ! »

Le plus gros, le plus agé se présente contre ma vitre, me regarde droit dans les yeux, et soudain pointe son index dans ma direction.

« Antoine, Antoine , c’est Jean Ba ! » j’ai tellement peur que je ne sais plus si je cauchemarde, si je le connais, si je peux lui foncer dessus.

« Jean Ba, ton pilier gauche en cadet! » Là , je me rappelle un petit frisé tout maigre au regard très bleu qui jouait pilier et qui n’avait peur de rien. Trente ans plus tard, le pilier est comme un cube au visage basané, mais aux pépites toujours aussi expressives.

Nos retrouvailles dans cette forêt sombre ont quelque chose de surréaliste. Lui, fou heureux de joie, son petit ailier qu’il protégeait naguère pendant les bagarres générales, encore plus heureux de savoir qu’il venait de trouver son médecin généraliste, et moi, heureux d’être sain et sauf après avoir pensé être dépouillé par une bande de gitans!

Il n’a pas fallu longtemps pour que Jean Ba m’ utilise comme son docteur.

Il est 4 heures du matin : « Antoine c’est Jean Ba, tu peux venir? Ma petite ne va pas bien du tout, elle a 2 mois, elle s »étouffe ! »

Je pars, heureux de la confiance qu’il m’accorde. Je suis excité d’être impliqué dans un milieu marginal et qui bouleverse mes habitudes de petit médecin d’une bourgeoisie bordelaise.

Arrivé a l’adresse  indiquée, je ne vois qu’un terrain vague sur lequel se trouve quatre caravanes. J’ose m’avancer… avec une petite tachycardie bien naturelle vu le décor, et je vois un vieux monsieur qui s’approche de moi avec un fusil à la main. J’ai peur,  je demande si c’est bien là qu’habite Jean Ba.

 » Non, on connait pas , partez, partez, on a rien à se reprocher!

– Mais je viens pour sa petite fille, je suis docteur.

– Ah bon, je croyais que t’étais un flic. »

Jean Ba sort de sa caravane somptueuse: « Rentre vite, Antoine, elle va mal ».

Le décor est cinématographique. La grand mère est là, toute vêtue de noir. La maman,la femme de Jean Ba, pleure. Elle a une chemise de nuit rose fuchsia et doit avoir 25 ans pas plus. Le feu crépite devant la porte et permet d’entrevoir le petit couffin dans lequel la petite Shirley (toujours des prénoms originaux chez les gitans ) respire très mal. C’est une crise de bronchiolite, c’est sûr! Shirley est une belle petite boule chevelue. Elle les même yeux bleus que son papa.

L’examen confirme mes premières impressions, elle a un fort tirage pulmonaire, son état est critique.

 » Elle va mourir?  » me demande Jean Ba.

– Non, mais il serait plus prudent de l’amener à  l’hos…,  et il m’interrompt brutalement : « Jamais,  tu m’entends, Antoine? Jamais bébé ira a l’hosto, tu vas la soigner là, en famille. »

– Mais …

– Je vais aller chercher dans ma voiture  ma trousse d’urgence.

– Ouais, vas-y mon Toine. »

L’injection de cortisone dans ces petites fesses, les bouffées de ventoline avec le baby inhaler ont eu raison de la bronchiolite.  Je suis resté jusqu’à 8h du matin, j’ai bu du café devant le feu, j’ai mangé une soupe garbure. La peur que j’avais ressentie en arrivant devant le vieux et son fusil s’est transformée en une incroyable scène de cinema au décor de Geoffroy Larcher .

Le lendemain, en arrivant devant la porte arrière de mon bureau où je rentre pour m’installer tranquillement, je vois un super vélo rouge neuf, avec un mot écrit au feutre vert sur une page de cahier scolaire : « MERSSI MON TOINE D’AVOIR SOVE MA PETITE SHIRLEY. JEAN BA

Je téléphone immédiatement: « Mais il ne fallait pas, Jean ba, c’est très gentil, mais … »

– T’inquiètes pas, mon toine, il n’est pas volé, je l’ai juste emprunté à Carrefour. » Je deviens ce jour-là médecin et recelleur!

25 Août

Ma prison à moi

prison

 

Vendredi 6 janvier

Comme je ne supporte pas d’ être inactif, je décide de travailler la seule après-midi de repos que j’ai. Je deviens médecin vacataire de la maison d’arrêt de Gradignan !

Une gifle… voilà, je reçois une grosse gifle. Le bruit, les hurlements à travers les fenêtres, le clic-clac de toutes les portes, les sas, les surveillants qui me regardent comme si j’ étais un extra-terrestre.

Mon arrivée  à l’ucsa (l’infirmerie) a quelque chose de cinématographique: des infirmières qui travaillent comme des abeilles autour d’une ruche, deux matons qui font de l’humour de … charcutiers, ce dont je rafole du style « eh… Kadhi, tu avances ou t’as les jetons?  »  Le pauvre Khadi, ne comprenant pas de suite, notre kiki de maton prit le temps de lui répéter avec gentillesse: « oui, caddie… les jetons. »

Sans plus attendre, on m’installe dans mon bureau et l’on me dit tout naturellement:  » voilà une sonnette au cas où … »

Mon premier patient, 5o ans, chauve, tatoué de partout, une dentition identique à la mienne après mon fabuleux match à Lavardac où ce gros connard de deuxième ligne m’avait, d’un magistral coup de poing, envoyé mes canines et autres molaires sur l’herbe grasse de ce terrain du Lot-et-Garonne .

On m’avait bien prévenu, Adrien, ne soit pas emphatique, ne tutoies pas, ne sois que médical, ne demande rien, soigne et donc ….

« Salut, qu’est-ce qu’il t’arrive? Tu es malade? Qu’est-ce que je peux faire pour toi? » Désolé mais je ne peux pas faire autrement, il faut que je sois sympathique.

« Ben, je passe aux assises mercredi et je veux être calme sinon je vais  tout casser même avec les bracelets. »

Surtout, Adrien, ne demande jamais pourquoi ils sont là, et donc :

 » Tu as fait quoi pour passer aux assises?

– On m’accuse d’avoir tué un mec et de l’avoir brulé ! et doc, je vous jure je ne l’ai pas tué !  »

Et moi toujours dans mon rôle de Docteur Bisounours : « c’est vraiment pas juste !  »

– Ouais, surtout que j’en ai  tué six dans ma vie, que je les ai découpés ou brulés et que j’avoue, mais le seul que je n’ai pas fait on m’accuse, alors là c’est dégueulasse! »

Je ne vous cacherai pas que le Dr Ouioui que je suis, ressentit un petit frisson que je dissimulai d’une réponse médicale: « donc, tu veux un antistress? »

En sortant, Kiki le maton lui cria: « Dépêche-toi, grosse saucisse! »  Je comprends pour une fois assez vite cette blague de potache en me rappelant son nom « Mr Francfort ».

Je consulte ce jour-là, une dizaine  de patients, du petit dealer aux chauffeurs de go-fast. Je suis émerveillé, heureux de vivre quelque chose de nouveau comme à la télé et surtout dans ce monde prison, je me sens libre car mon téléphone est par obligation resté dans ma voiture!

Le vendredi suivant, je repars vers « graduche » (nom de la prison de Gradignan) avec une joie intense.

Mon premier malade est  un ancien maitre d’hôtel (82 ans) d’une grande maison et qui avait eu depuis quelques temps des pulsions de montrer son gros kiki à sa fenêtre. Ce beau vieillard, au regard très bleu et aux cheveux bien gominés, continue son rôle de major d’homme, m’ouvre la porte, me tire ma chaise et finit ces phrases par des « s’il vous plaît,  avec plaisir Cher Docteur, veuillez m’excuser » etc , etc. Il a mal au dos et veut que je lui fasse changer son matelas! Cela me change vraiment de mes malades habituels qui viennent plus souvent pour des dépressions conjugales ou des harcèlements professionnels.

Après ce premier mois de ma nouvelle vie, je retiens une phrase que m’a dite un homme célèbre, emprisonné pour une affaire d’état très médiatisée: « Docteur, merci d’ apporter votre humanisme dans un monde si inhumain. » Voilà, j’avais gagné mon premier test !

Ces premières rencontres carcérales me démystifient le mot « prison ». J’ai toujours dit que, si un jour,  je dois être emprisonné, je pense que je me suiciderais avant. Je suis attiré par cet inconnu, je m’imaginais ces cellules, cette vie rythmée par les clics clacs des clefs, ces longs  couloirs, cette promiscuité, ce monde de violence, de sexe, de drogue, ce manque d’intimité.

Pour ne pas penser à tout ça, je me concentre sur  l’humain, sur la médecine, sur le rire, l’humour. Il m’arrive parfois de sourire de choses atroces tellement elles sont inadaptées à notre monde réel.  » Tu vas rester longtemps en prison? demandai-je à un petit homme trapu qui, lui aussi, vu sa dentition, aurait pu être édenté par ce gros, gros connard de Lavardac.

Il me répond avec calme et un grand sourire:  » Autant que de morceaux de l’amant de ma femme que j’ai découpés avec la scie, c’est à dire 25, euh… je voulais dire 26  car je me suis fais prendre et  on a retrouvé mes empreintes sur le sexe que j’avais déposé dans la boite aux lettres de ma femme. »

Mon premier bilan, en fait, n’est  pas dans le concret. C’est le mot « liberté » qui  raisonne  dans ma tête avec un autre sens. Moi, je ne suis pas libre, je suis emprisonné dans mes névroses, mes culpabilités, mes passions. De voir un être qui passe 22h sur 24h enfermé dans 9 mètres carrés, j’en arrive même a me demander si il n’est pas plus libre que moi!

Je prends l’habitude de fumer un D4 de Partagas à chaque fois que je pars à « Graduche ». J’aime fumer ce barreau par analogie avec ce qui est  le symbole de la maison d’arrêt, pour moi c’est la maison de départ de ma nouvelle vie.

Petit signe de reconnaissance devant la salle d’attente, des patients nouveaux, des anciens qui reviennent, mon succès relatif me rassure mais prouve que des années de psychanalyse n’ont pas eu le résultat escompté.

Le premier qui se présente est un jeune instit de 30 ans, beau gosse, calme, avenant. Comme d’habitude  je lui demande pourquoi il est là. Il me raconte avec un ton de faux offusqué, qu’on lui reproche une « relation non consentie » (selon ces propres termes) avec un enfant de 11 ans. Une montée de reflux gastrique remonte dans ma gorge, une nausée immédiate m’oblige de sortir du bureau. Kiki le maton  me reprend de suite: « Ne le laisse pas seul, tu n’as pas le droit! » Je reviens en ne pensant qu’à une chose « sois médical Adrien ! »

Si je suis franc, j’avoue ne pas l’avoir bien soigné et, pour une fois, cette connerie de pub « les antibiotiques ce n’est pas automatique » trouve un sens. En effet, son angine blanche mérite un antibio et moi, je lui ai donné un dolipranne 500. Je ne peux pas! Je pense à mon petit à 11ans qu ‘un instit vicieux aurait pu maltraiter.

Puis vient le choc, on frappe à ma porte, rentre Brahim.  Il s’approche de moi et se met à fondre en larmes, moi, pas loin.

15 jours avant, alors que je cherche un cuisinier pour faire un méchoui que j’offre à mon neveu, on me fait rencontrer un amour de mec, un algérien de 40 ans qui fit de ce baptême une réussite totale. Plein d’attention, de générosité il me raconte sa vie, son divorce, l’absence de ses enfants partis avec leur maman, ses difficultés financières, je ressens un énorme élan de sympathie pour lui .

 » Mais qu’est-ce que tu fais là? »

– T’as pas vu les journaux ? la tentative de meurtre à Bazas c’est moi ! »

Il me raconte alors un épisode digne d’esprits criminels ou des experts. Dimanche soir, sa femme venant de Nantes, vient lui montrer ses enfants et récupérer sa pension alimentaire. Ce sont mes quelques billets de banque du méchoui que Brahim s’apprête à lui donner. Alors sa fille ainée demande à ses parents de bien l’écouter: « Papa, Maman je veux vous dire que le copain de maman (son beau père) m’a plusieurs fois embêtée et plus …  »

Sa maman nie, rigole:  » Tu dis n’importe quoi, tu es bien comme ton père! »

Brahim devient fou, prend un couteau de décoration, se jette sur elle et la perfore de 4 coups de couteaux dans le coeur, les épaules et le foie. Elle git par terre, les petits hurlent, Brahim est comme un fou, appelle les voisins et téléphone aux secours, aux pompiers, à la police.

Jamais, en écoutant Brahim,  je n’imagine qu’il puisse me mentir. Je sais qu’il dit vrai, je le sens triste, il a honte, il a tout perdu. Depuis, j’essaye d’être objectif, de penser à une manipulation, un mensonge. Je pense aussi aux enfants, à la famille de la maman, je doute de tout et surtout je doute. Je reprends mon humanisme, je lui donne les quelques cigarettes que j’ai et  lui demande de faire un bon tous les vendredis pour venir me voir.

Le soir, dans mon lit, je pense à lui, dans sa cellule à 3 dans 9 mètres carrés. Moi, dans mon lit, apparemment heureux et pourtant…

Je suis très fier, aujourd’hui, je reçois ma carte magnétique, pour rentrer dans la prison et avoir les fabuleuses clefs dont 500 détenus rêvent dans leur sommeil.

22 Août

Les maux dedans #3

bill

Venir le vendredi à 13h30 ne m’arrangeait pas du tout car je commençais mes consultations à 14h à l’autre bout de Bordeaux. J’ai imaginé un moment que c’était volontaire de sa part. Moi qui lui avait annoncé que je ne savais pas dire non, il me demandait l’impossible. En fait, pas du tout, j’ai su par lui qu’il avait perdu une cliente qui venait tous les vendredis, mais qui s’était suicidée et qui lui avait écrit une lettre qu’il m’a lue ce vendredi et dont la conclusion était  « Merci Docteur Mie de m’avoir accompagnée jusqu’à ma mort » !

Je ne comprenais pas, j’étais paumé, je prenais la place d’une suicidée, il me lisait une lettre d’amour pour lui.

Il me lance :

« Alors, on en était où ?

– Dans un stade sans but.

– Continuez.

– Finalement…

– Bien, cela fait 40 euros, en liquide s’il vous plait !

« Oui, voilà, excusez-moi je n’ai pas la monnaie. »

Je lui tendais un billet de 100.

Fou de rage : « C’est la dernière fois ! C’est votre inconscient qui parle! En fait, vous appréciez tellement notre travail que vous pensez que le tarif que je vous demande de 40 euros est trop faible, vous avez raison. Aussi, je garde ce billet, et si vous n’êtes pas d’accord la prochaine fois, vous amènerez le compte exact ! »

J’étais k.o. ! Je descendais cet escalier complètement abasourdi. La séance avait duré 2 minutes, elle s’était arrêtée au mot finalement et il m’avait volé 60 euros !
Je n’avais pas le temps de réfléchir, je devais foncer à mon cabinet. Il était 14h et j’avais sûrement la salle d’attente pleine.
C’est fou mais, alors que je devrais être furieux de tout cela, j’avais comme un sentiment bizarre, un peu comme admiratif, très curieux de la technique, envouté par cet homme qui me terrorisait mais qui me motivait pour réussir ce que j’aime tant faire : arriver à le séduire.

Pendant mes longues heures dans la voiture, j’avais toujours le temps de réfléchir et de repenser à mes minutes passées dans le donjon en haut de l’escalier avec le  » dentiste  » ! C’est ce que le docteur appelait mon  » auto analyse « . Cette semaine-là, j’avais vraiment du travail. Pourquoi m’avait t’il demandé de « remplacer  » une morte ? Pourquoi, lui qui ne parle pas, m’avait t’il raconté son suicide, m’avait t’il lu cette lettre? Pourquoi avait t’il stoppé la séance sur mon « finalement » ? Pourquoi cette histoire de mon inconscient …généreux ?

Je suis tellement motivé que j’arrive à trouver une explication à chaque question. Je suis tellement dans la passion psychanalytique que je n’imagine pas une seconde que les réactions du docteur ne sont autres que thérapeutiques, et bien sur honnêtes !

Pourquoi revenir le vendredi ? Parce que mon travail doit évoluer et une seule séance par semaine ne suffit pas. J’arrive même à m’expliquer que je ne parle que de la face visible de l’iceberg le lundi et, ayant moins de choses superficielles à exprimer, je vais dans la profondeur de mon fameux inconscient le vendredi. J’arrive à penser qu’il a trouvé un analysant intéressant. Pourquoi me parle-t-il de sa suicidée et pourquoi me lit-il la lettre ? Parce que la mort est un sujet qui m’inquiète terriblement, il a compris cela et il veut démystifier la mort à mes yeux. Pourquoi arrête t’il la séance sur un  « finalement » ? Parce que mon inconscient devait sûrement arrêter ? N’avais-je plus rien à dire ?

Les maux dedans #2

sofa

 

La semaine suivante fut curieuse. Comme pour tout, j’aime aller à fond et me passionner. Je repars chez Mollat, je feuillette et achète des nouveaux livres sur Lacan. Je me procure moi aussi un fameux petit carnet où je décide de préparer mes futures séances.  Je ne comprends toujours pas trop les livres mais je progresse, je les lis à l’endroit!

Ce nouveau lundi, excité par un nouveau rendez vous, je me lève très tôt et pars presque heureux d’ avoir un nouveau but. 6h 23,  je sonne, 2mn d’attente… l’ouverture de la porte, l’escalier et là, derrière la porte, notre Alain Souchon, ben ladenien hirsute m’accueille, si on peut dire :

 » 6h30, c’est 6h30 et pas 6h23!

– Veuillez m’excuser.

– Venezzzz. »

Je rentre dans le bureau où, déjà, l’odeur du cigare envahit la pièce plus sombre que jamais. Seule une petite lampe de bureau et l’éclairage de la rue permettent d’y voir.

Je m’assois en face de lui et là, pour ne pas avoir ce vide de la dernière fois, je m’apprête à parler en premier, et là, surprise, il me lance avec un petit sourire :

« Alors, on en était où? »

Je le trouve plus humain, normal quoi. J’avais préparé mon introduction, et voilà qu’il faut que je réponde à une question! Eh bien, je suis content de revenir!

« Continuezzzzzz! »

– Cela me gène un peu de dire que je consulte un psychiatre alors je dis à tout le monde que je suis en traitement chez un dentiste!

– Oui, normal pour vos maux dedans! »

Ça y est, je viens de tout comprendre des théories lacaniennes!  Il faut bien dire qu’à partir de cette phrase, l’ Alain Souchon du pauvre, le Ben Laden des riches ou le Woody Allen de la psy devenait un vrai thérapeute et le doute que j’avais pu ressentir s’effaçait. Ce n’était pas un imposteur, c’était bien un enfant de Lacan, génie, gourou et sauveur.

J’ai eu le tort de lui montrer que je trouvais fabuleux ce jeu de mot, moi qui en fais toute la journée, souvent plus bête que fin mais qui me font rire et parfois font rire les autres. Alors il se croit obligé de reprendre un air méchant, obscur et me relance par un:

« Oui, continuezzzz! »

Je reprends donc le fil conducteur de ce que je voulais dire avant d’être interrompu et je sors:

 » Voilà,  je suis à un stade sans but dans ma vie et cela me dérange, j’ai besoin de but. »

D’un air enjoué il part alors dans une tirade cinématographique :

 » C’est merveilleux, vous vous rendez compte, cher monsieur, de ce que vous venez de me dire? Non, quoi ? non, vous ne voyez pas ? mais c’est dingue ! Il faut voir, entendre l’inconscient!  Vous pensez que vous venez pour vous reposer ici ? »

Son ton était fort, agressif et bizarre. Je ne savais pas si c’était de la comédie ou si c’était thérapeutique. En tout cas,  il commençe par m’expliquer que moi, sportif, ex rugbyman,  je parlais de stade sans but.  Il ne comprenait pas la différence entre des buts de football et des poteaux de rugby, et je ne comprenais rien à ce que venait faire mon inconscient sur une pelouse. Enfin, je savourais ces premières joutes analytiques quand la phrase cloche retentit:

 » Bien… ça fait 40 euros, en liquide s’il vous plait. A vendredi, 13h30.

– 13h30? Vendredi? Pas lundi, 6h30?

– J’ai dit vendredi 13h30. »

Machinalement je regardai ma montre et je constatai que cette séance n’avait durée que 7 minutes! Mais, toujours optimiste, je pensai que ce qui comptait c’était le contenu et qu’une immense piste de réflexion s’était ouverte: que faire d’un stade sans but?

C’était nouveau, j’avais besoin de nouveauté dans ma vie, j’avais toujours eu parallèlement à ma vie familiale et professionnelle des passions. Au début,  j’étais joueur de rugby, puis j’ai eu la chance d’être médecin des Girondins de Bordeaux avec tous les plus grands joueurs puis je suis devenu président du SBUC, et aujourd’hui, je sentais que la psychanalyse et son gourou, le fabuleux docteur Mie, allait être le nouveau moteur de ma vie.

La saison des transferts

Le transfert, haut symbole de psychanalyse, est bien connu. Je le vis au quotidien mais parfois on s’y attend pas, ça arrive.

2 mai ! Je me souviens, c’est le jour de l’anniversaire de mon père et on m’attend pour repas festif.

19h ! Le téléphone sonne et je réponds toujours tel Zorro, je pense que c’est une histoire de vie et de mort ! La voix paniquée de cette institutrice de 40 ans divorcée, à peine audible : « Venez vite, docteur, venez vite ».

Je saute dans ma voiture et fonce pour peut-être sauver une vie, éviter un suicide, masser un coeur arrêté, injecter un corticoide pour une crise d’asthme …

Je monte 4 à 4 les trois étages de cette petite résidence modeste où l’odeur de piperade excite mes papilles avant mon repas familial.

Elle m’attend cheveux hirsutes devant la porte.

 » Ah, vous voilà, docteur ! » Elle claque la porte sans contrôler ses gestes, elle titube, elle  parle seule: elle est bourrée !!!!

 » Vous êtes pas prêt de repartir car je vous aimmmmmmme… hic, docteurrrrrrr. »  Elle prend les clefs de la porte et  les jette par le balcon!

Je vous fais le point: 20h enfermé dans un appartement au 3ième étage avec une instit bourrée en manque d’affection et le gâteau de mon père commence à fondre sous les 78 bougies allumées ! Je reprends mon rôle de médecin:  » Madame Faure, vous avez abusé d’un peu trop d’alcool, calmez-vous et donnez-moi vos clefs ! Je vais vous faire une piqûre.  »

 » Si c’est pour moi voir mon cul, pas besoin de piqûre (elle commence à se déshabiller, titube et tombe par terre renversant une table jonchée de cadavres de bouteilles vides. Je suis perdu, je suis fou de rage, je ne sais pas quoi faire. Notre maitresse d’école est toujours à poil marmonnant des mots grossiers, sexuels et répétant sans cesse son amour pour moi.

C’est grâce à un mouvement d’humeur terrible dont je suis capable que le double des clefs finissent par tomber d’un vieux sac. Le lendemain, Madame Faure m’a donné un petit coup de fil et a présenté ses excuses. Je n’ai plus jamais revu cette pauvre instit’ en mal d’amour.

Mordu par l’Urssaf !

Les premiers mois de ma nouvelle vie sont essentiellement faits de longues attentes seul au cabinet où quelques patients se suivent, un par un, tout au long de la journée.

Il m’ arrive, parfois, en début d’après-midi, de faire même une petite sieste sur ma table d’examen!

Une après-midi, je suis réveillé par une vielle dame qui vient de se faire mordre par son petit chien. Je me lève précipitamment avec la marque du drap d’ examen inscrit sur mon front et je fonce  mettre ma blouse blanche afin de retrouver un peu de crédibilité médicale. La plaie sur la lèvre est importante et la pauvre mamie n’a qu un seul mot à sa bouche (ensanglantée) « Urssaf », « Urssaf » ! Je ne comprends rien, je me réveille d’une sieste ….médicale, du sang partout et une vieille dame qui hurle « Urssaf ». je dois rêver..

Pour moi, « Urssaf » c’est un mot tabou car tous mes vieux confrères m’ont toujours dit : « Méfie toi de l ‘urssaf, méfie toi de l’urssaf… », j’ai peur !

Alors, j’ose poser la question: « Pourquoi vous criez « Urssaf », Madame ? » « Ben, docteur c’est le nom de mon petit chien, mon pauvre mari l’a appelé comme ça pour ne pas oublier de payer ses cotisations ! »

Beetle Juice

Cela fait plus de 30 ans que je vis un rêve éveillé en accomplissant mon travail de médecin. Passionné à l’âge de 11 ans au cours d’un week-end à la campagne chez un ami de classe dont le papa est médecin. Ce jour-là, je me suis juré qu’Hippocrate aurait un disciple de plus.

Le premier jour de ma vie professionnelle est excitant. Le choix de mes vêtements m’a pris plus de temps que le petit déjeuner, que je n’ai pas pu avaler vu le stress que je ressentais. Bon, tu es jeune et donc pour augmenter ta crédibilité, il faut donner un air sérieux. Je ressors la cravate de mon père complètement ringarde et je mets un jeans porte-bonheur que je porte à chaque examen. Il est huit heures, tout est bien rangé sur le bureau, les ordonnances à mon nom sont là trônant comme la couronne d’un nouveau roi. Je suis à coté du téléphone, prêt à le saisir dès la première sonnerie. Je ne fais rien, je suis excité, j’ai peur, mais impatient… tiens « un patient »… Jeu de mot très lacanien qui me fait sourire aujourd’hui après mes mésaventures psychanalytiques que je ne tarderai pas à vous raconter.

9h11

Le téléphone, vert caca d’oie à clavier rond, se met à sonner. J’attends une, deux, trois sonneries (il ne faut pas que je montre que je n’ai rien faire !

« Allô, cabinet médical, j’écoute.

– Bonjour Docteur, je viens d’arriver dans le quartier et j ‘ai vu votre plaque. Pouvez-vous venir me voir ? J’ai uriné tout rouge ».

Alors là, j’y suis ! Je suis au pied de mon Everest ! J’essaie de prendre une voix très assurée et je pose les quelques questions d’usage afin de reprendre mes esprits et de gagner du temps.

« Vous avez quel âge ?

– 72 ans ans, docteur.

– Vous habitez où ?

– Au 45 de votre rue (et merde je n ‘ai pas le choix de dire qu ‘il me faudra du temps, c’est juste à coté. Il a dû voir ma voiture).

 » Bien, je finis une consultation et je viens.  »

Je tremble, j’ai froid, je tourne en rond, je suis au pied du mur, j ‘ai peur !!!!! Bon, Mareilhac, il faut te reprendre, quand on a joué contre Lavardac en seizième de finale, tu avais aussi peur et pourtant tu as su surmonter, alors fonce !

Je vérifie mon cartable, stéthoscope, ordonnance, brassard, la parfaite mallette de l ‘apprenti docteur de « Toys are Us » ne serait pas mieux remplie.

Une idée, et si je regardais un petit bouquin du style « La mèdecine pour les Nuls » ?

Hématies, hématique .. hema,.. hématurie …cause, diagnostic, traitement… Aïe, 12 pages : bon, je parcours vite.

J’arrive devant le 45 et ma main tremblante appuie sur cette sonnette qui, pour moi, résonne comme le coup de feu d’un départ d’une course de 100 mètres aux Jeux Olympiques.

Le petit papi avec sa robe de chambre d’intérieur bordeaux et ses pantoufles écrasées m’ouvre ce vieux portail noir rouillé et me fait un sourire, qui me libère de ma trouille indescriptible.

 » Je viens de m’installer ici pour me rapprocher des enfants. Je suis de Cudos, à coté de Langon et ce matin, j’ai pissé rouge !! »

– Ne vous inquiétez pas, on va voir ça.

On aurait dit un vieux médecin paternaliste en fin carrière alors que si j’avais eu des couches, j’aurais surement … Je reprends dans ma tête le plan de l ‘examen d’une hématurie, la durée, les signes d’accompagnement, les antécédents, et l ‘examen clinique.

Allongé sur son vieux lit au matelas de laine déformé depuis 50 ans, le papi regarde ma façon de l’ examiner, avec un regard inquiet et attendrissant.

Moi, je me rassure en reprenant dans l’ordre, inspection, palpation, percussion… je ne trouve rien ! Alors, je lui annonce qu ‘il va  devoir faire analyses complémentaires.

« Comme vous voulez docteur, je n’ ai rien à faire depuis que j’ai perdu ma pauvre femme d’ un cancer de l’utérus. »

Cela ne m ‘arrange pas ! je pense alors que ce papi lâche prise après le décès de sa femme et donc je pense qu il faut être encore plus vigilant et demander tout. Je prends mon joli bloc et je commence à écrire  l’arsenal des examens complémentaires pour une hématurie: prise de sang, radio, écho, urographie intra veineuse, scanner etc. Et c’est sûrement là que le déficit de la sécurité sociale a commencé et c’est sûrement là que cette Caisse Primaire de malheur a dû me désigner comme seul et unique responsable – 30 ans après ça dure encore !

Papi semble rassuré, et moi , je dois faire , en fait, ce qui me sera le plus dur : me faire payer!

Je n’ose pas lui annoncer qu’il me doit 85 francs. Je lui dis simplement  » n’hésitez pas à me rappeler quand vous aurez tous les résultats » et là, au lieu de me régler la première consultation de ma vie, il me sort d’un vieux sac un pot de confiture à l’abricot.

 » Prenez-le docteur, c’est ma femme qui les faisait. »

Heureux néanmoins de ce premier contact avec la médecine, je lui serre la main et et je repars en passant par la cuisine. Les restes du repas de la veille sont là sur la toile cirée à carreaux  rouges et blancs et, au milieu, un saladier avec des restes de betteraves et tel Raymond Souplex dans les cinq dernières minutes, je pousse  un : « Bon sang, mais c’est bien sur! » L’hématurie n’en est pas une, c’est la coloration rouge par la betterave.

Premier diagnostic culinaire mais un premier diagnostic !