25 Août

Ma prison à moi

prison

 

Vendredi 6 janvier

Comme je ne supporte pas d’ être inactif, je décide de travailler la seule après-midi de repos que j’ai. Je deviens médecin vacataire de la maison d’arrêt de Gradignan !

Une gifle… voilà, je reçois une grosse gifle. Le bruit, les hurlements à travers les fenêtres, le clic-clac de toutes les portes, les sas, les surveillants qui me regardent comme si j’ étais un extra-terrestre.

Mon arrivée  à l’ucsa (l’infirmerie) a quelque chose de cinématographique: des infirmières qui travaillent comme des abeilles autour d’une ruche, deux matons qui font de l’humour de … charcutiers, ce dont je rafole du style « eh… Kadhi, tu avances ou t’as les jetons?  »  Le pauvre Khadi, ne comprenant pas de suite, notre kiki de maton prit le temps de lui répéter avec gentillesse: « oui, caddie… les jetons. »

Sans plus attendre, on m’installe dans mon bureau et l’on me dit tout naturellement:  » voilà une sonnette au cas où … »

Mon premier patient, 5o ans, chauve, tatoué de partout, une dentition identique à la mienne après mon fabuleux match à Lavardac où ce gros connard de deuxième ligne m’avait, d’un magistral coup de poing, envoyé mes canines et autres molaires sur l’herbe grasse de ce terrain du Lot-et-Garonne .

On m’avait bien prévenu, Adrien, ne soit pas emphatique, ne tutoies pas, ne sois que médical, ne demande rien, soigne et donc ….

« Salut, qu’est-ce qu’il t’arrive? Tu es malade? Qu’est-ce que je peux faire pour toi? » Désolé mais je ne peux pas faire autrement, il faut que je sois sympathique.

« Ben, je passe aux assises mercredi et je veux être calme sinon je vais  tout casser même avec les bracelets. »

Surtout, Adrien, ne demande jamais pourquoi ils sont là, et donc :

 » Tu as fait quoi pour passer aux assises?

– On m’accuse d’avoir tué un mec et de l’avoir brulé ! et doc, je vous jure je ne l’ai pas tué !  »

Et moi toujours dans mon rôle de Docteur Bisounours : « c’est vraiment pas juste !  »

– Ouais, surtout que j’en ai  tué six dans ma vie, que je les ai découpés ou brulés et que j’avoue, mais le seul que je n’ai pas fait on m’accuse, alors là c’est dégueulasse! »

Je ne vous cacherai pas que le Dr Ouioui que je suis, ressentit un petit frisson que je dissimulai d’une réponse médicale: « donc, tu veux un antistress? »

En sortant, Kiki le maton lui cria: « Dépêche-toi, grosse saucisse! »  Je comprends pour une fois assez vite cette blague de potache en me rappelant son nom « Mr Francfort ».

Je consulte ce jour-là, une dizaine  de patients, du petit dealer aux chauffeurs de go-fast. Je suis émerveillé, heureux de vivre quelque chose de nouveau comme à la télé et surtout dans ce monde prison, je me sens libre car mon téléphone est par obligation resté dans ma voiture!

Le vendredi suivant, je repars vers « graduche » (nom de la prison de Gradignan) avec une joie intense.

Mon premier malade est  un ancien maitre d’hôtel (82 ans) d’une grande maison et qui avait eu depuis quelques temps des pulsions de montrer son gros kiki à sa fenêtre. Ce beau vieillard, au regard très bleu et aux cheveux bien gominés, continue son rôle de major d’homme, m’ouvre la porte, me tire ma chaise et finit ces phrases par des « s’il vous plaît,  avec plaisir Cher Docteur, veuillez m’excuser » etc , etc. Il a mal au dos et veut que je lui fasse changer son matelas! Cela me change vraiment de mes malades habituels qui viennent plus souvent pour des dépressions conjugales ou des harcèlements professionnels.

Après ce premier mois de ma nouvelle vie, je retiens une phrase que m’a dite un homme célèbre, emprisonné pour une affaire d’état très médiatisée: « Docteur, merci d’ apporter votre humanisme dans un monde si inhumain. » Voilà, j’avais gagné mon premier test !

Ces premières rencontres carcérales me démystifient le mot « prison ». J’ai toujours dit que, si un jour,  je dois être emprisonné, je pense que je me suiciderais avant. Je suis attiré par cet inconnu, je m’imaginais ces cellules, cette vie rythmée par les clics clacs des clefs, ces longs  couloirs, cette promiscuité, ce monde de violence, de sexe, de drogue, ce manque d’intimité.

Pour ne pas penser à tout ça, je me concentre sur  l’humain, sur la médecine, sur le rire, l’humour. Il m’arrive parfois de sourire de choses atroces tellement elles sont inadaptées à notre monde réel.  » Tu vas rester longtemps en prison? demandai-je à un petit homme trapu qui, lui aussi, vu sa dentition, aurait pu être édenté par ce gros, gros connard de Lavardac.

Il me répond avec calme et un grand sourire:  » Autant que de morceaux de l’amant de ma femme que j’ai découpés avec la scie, c’est à dire 25, euh… je voulais dire 26  car je me suis fais prendre et  on a retrouvé mes empreintes sur le sexe que j’avais déposé dans la boite aux lettres de ma femme. »

Mon premier bilan, en fait, n’est  pas dans le concret. C’est le mot « liberté » qui  raisonne  dans ma tête avec un autre sens. Moi, je ne suis pas libre, je suis emprisonné dans mes névroses, mes culpabilités, mes passions. De voir un être qui passe 22h sur 24h enfermé dans 9 mètres carrés, j’en arrive même a me demander si il n’est pas plus libre que moi!

Je prends l’habitude de fumer un D4 de Partagas à chaque fois que je pars à « Graduche ». J’aime fumer ce barreau par analogie avec ce qui est  le symbole de la maison d’arrêt, pour moi c’est la maison de départ de ma nouvelle vie.

Petit signe de reconnaissance devant la salle d’attente, des patients nouveaux, des anciens qui reviennent, mon succès relatif me rassure mais prouve que des années de psychanalyse n’ont pas eu le résultat escompté.

Le premier qui se présente est un jeune instit de 30 ans, beau gosse, calme, avenant. Comme d’habitude  je lui demande pourquoi il est là. Il me raconte avec un ton de faux offusqué, qu’on lui reproche une « relation non consentie » (selon ces propres termes) avec un enfant de 11 ans. Une montée de reflux gastrique remonte dans ma gorge, une nausée immédiate m’oblige de sortir du bureau. Kiki le maton  me reprend de suite: « Ne le laisse pas seul, tu n’as pas le droit! » Je reviens en ne pensant qu’à une chose « sois médical Adrien ! »

Si je suis franc, j’avoue ne pas l’avoir bien soigné et, pour une fois, cette connerie de pub « les antibiotiques ce n’est pas automatique » trouve un sens. En effet, son angine blanche mérite un antibio et moi, je lui ai donné un dolipranne 500. Je ne peux pas! Je pense à mon petit à 11ans qu ‘un instit vicieux aurait pu maltraiter.

Puis vient le choc, on frappe à ma porte, rentre Brahim.  Il s’approche de moi et se met à fondre en larmes, moi, pas loin.

15 jours avant, alors que je cherche un cuisinier pour faire un méchoui que j’offre à mon neveu, on me fait rencontrer un amour de mec, un algérien de 40 ans qui fit de ce baptême une réussite totale. Plein d’attention, de générosité il me raconte sa vie, son divorce, l’absence de ses enfants partis avec leur maman, ses difficultés financières, je ressens un énorme élan de sympathie pour lui .

 » Mais qu’est-ce que tu fais là? »

– T’as pas vu les journaux ? la tentative de meurtre à Bazas c’est moi ! »

Il me raconte alors un épisode digne d’esprits criminels ou des experts. Dimanche soir, sa femme venant de Nantes, vient lui montrer ses enfants et récupérer sa pension alimentaire. Ce sont mes quelques billets de banque du méchoui que Brahim s’apprête à lui donner. Alors sa fille ainée demande à ses parents de bien l’écouter: « Papa, Maman je veux vous dire que le copain de maman (son beau père) m’a plusieurs fois embêtée et plus …  »

Sa maman nie, rigole:  » Tu dis n’importe quoi, tu es bien comme ton père! »

Brahim devient fou, prend un couteau de décoration, se jette sur elle et la perfore de 4 coups de couteaux dans le coeur, les épaules et le foie. Elle git par terre, les petits hurlent, Brahim est comme un fou, appelle les voisins et téléphone aux secours, aux pompiers, à la police.

Jamais, en écoutant Brahim,  je n’imagine qu’il puisse me mentir. Je sais qu’il dit vrai, je le sens triste, il a honte, il a tout perdu. Depuis, j’essaye d’être objectif, de penser à une manipulation, un mensonge. Je pense aussi aux enfants, à la famille de la maman, je doute de tout et surtout je doute. Je reprends mon humanisme, je lui donne les quelques cigarettes que j’ai et  lui demande de faire un bon tous les vendredis pour venir me voir.

Le soir, dans mon lit, je pense à lui, dans sa cellule à 3 dans 9 mètres carrés. Moi, dans mon lit, apparemment heureux et pourtant…

Je suis très fier, aujourd’hui, je reçois ma carte magnétique, pour rentrer dans la prison et avoir les fabuleuses clefs dont 500 détenus rêvent dans leur sommeil.