13 Nov

Les maux dedans #11

folie_drmaison

Alors que je sortais le compte exact bien sur de ma poche, il se mit à me parler comme on dirait à la télé « en off »;

– voilà, mon fils fête son anniversaire demain et j’aimerai lui donner un vrai maillot des Girondins et son rêve serait d’avoir celui de Jean-Pierre Papin !

Là, c’était mon petit chat qui me remonte sur mes genoux avec le ronron demandeur des croquettes. Et comme je donne toujours des croquettes à mon chat et bien j’ai donné le maillot de JPP à mon psy !

J’essayais de trouver une explication psychanalytique, du style, il veut me pousser à dire non, il veut voir l’étendue de ma faiblesse ou…de ma générosité.
Et là, ce jour-là je ne voyais aucun approche thérapeutique dans le maillot de Jpp ! Mais un psy sûrement compétent mais manipulateur.
Comment je lisais les différentes techniques de psychanalyse, j’en concluais qu’on devait toujours passer par des phases de répulsion, après celles de transfert.

Je faisais la gueule, tout au moins je me disais que je faisais la gueule car devant lui je ne montrai rien, je me suis juste permis de lui demander de changer le jeudi car je préférais le mercredi et là, surprise, il a accepté.
Ce n’est peut être rien un jour, mais pour moi, compétiteur dans l’âme, c’est une victoire sur mon dominateur. Certes, je pense aujourd’hui que ce changement devait l’arranger car il partait à Paris tout les jeudi en tant que président de l’école de la cause Freudienne, mais j’avais quand même dans mon fort intérieur marqué un point.

Quand il revenait le vendredi, après avoir hurlé son « Venezzzz » il m’accueillait avec une voix de plus en plus radiophonique et je ne comprenais pas ces différences de timbre entre un début et une fin d’un couloir.
Pour moi cela devenait machinal, presque robotisé, je dis « bonjour », j’enlève ma veste, je m’allonge, je regarde devant moi ce masque africain tout frisé comme lui, je regarde ce tableau jaunâtre, et j’attends le top départ: « alors on en était où ? »

J’aime bien son « on », cela veut dire que ce n’est pas mon analyse mais « notre » analyse. Au début je préparais mes séances et je savais par quoi j’allais commencer, maintenant, je ne pense à rien avant et je dis une première phrase et hop, je déroule mon inconscient sur le tapis du docteur Mie.

– voilà j’ai lu Freud ce dimanche et je me suis arrêté sur l’hystérie et les conversions hystériques décrites par Freud.
(je ne le voyais pas mais j’ai senti que je venais de dire une phrase clé, car le sortant de son endormissement habituel, j’entendais son esprit se réveiller, son gros, gros mont-blanc se mettre en route et le petit carnet qui se remplissait de cette phrase que je venais dire sur l’hystérie. Est-ce que cela voulait dire que je venais de trouver mon diagnostic ? Est-ce que cela voulait dire que je l’intéressais,enfin ?
Je ne peux donner la réponse mais ce que je peux dire c’est que cette séance aura été capitale si ce n’est pour lui, en tout cas pour moi et surtout pour l’écriture de ces lignes).

– « oui,continuez

– j’ai repensé à mes malaises, mes pertes complètes de connaissance, je me suis trouvé, ici, une explication, la culpabilité, la mort d’Eric, la présence de Sylvie, sa femme. Aujourd’hui après cette lecture de Freud je pense que ces malaises sont une forme de conversion hystérique si bien décrite dans…….

– continuez, continuez, bon sang !

(pour une fois il était excité, il n’arrêtait pas d’écrire tout ce que je lui disais, tout au moins je l’imaginai car je ne le voyais pas).

– alors après cette lecture de Freud je pense que le mot « hystérie » correspond à ces malaises. Il est vrai que je me pose la question, vu le coté organique de la symptomatologie, vu la bradycardie et vu la perte de connaissance totale. Le dernier malaise que j’ai eu et qui était plus important que d’habitude a inquiété tout mon entourage, même ma femme m’ a cru morte.
(Chers amis lecteurs ce n’est pas une faute de frappe, j’ai bien écrit et j’avais bien dit « morte »).

– Vous venez de dire morte
– oui ,pardon je me suis trompé !
– nous en resterons là cela fait 45 et en liquide, s’il vous plaît »

Cette séance là est le tournant de mon travail, de mon aliénation, de mon cauchemar car c’est à partir de là que tout a commencé…

05 Nov

Les maux dedans #10

chat_drmaison

C’est vrai que tous les jours je me demande si je suis bête, « bilongoté » comme on dit en Afrique ou bien si je suis en train de vivre quelque chose que tous les analysés par un lacanien vivent.
Ne pouvant pas trop parler devant ce parterre de gens de cinéma, et comme je suis un peu têtu, je rappelle Vincent dès le lendemain.
Quand je dis cela, ça prouve la place énorme, oui énorme, que ce petit frisé a pris dans mon cortex. Le prétexte de ma venue chez Vincent était bien sûr différent que des questionnements sur un analyste même ami intime de Gérard Miller ou de la famille de Lacan !

J’abordai très vite le sujet avec ce copain qui n’a pas l’habitude de mâcher ces mots.
 » Ce mec est fou Antoine, c’est lui qui devrait consulter, et surtout c’est un dormeur. »

– Un dormeur ? »

– Oui, un jour où j’étais allongé, je me suis rendu compte qu’il dormait ! Je me suis levé et j’ai crié à son oreille :  » Tu dors Mie ! Tu crois que je vais te donner 40 euros pour te voir cluquer ? »

– Il a dû te parler de l’attention flottante freudienne ?

– Freud ou pas Freud, je me suis cassé et je ne l’ai jamais revu ! »

J’ai très vite arrêté cet entretien. Je me sentais mal à l’aise, j’étais si motivé par ma démarche, si fier aussi de m’y tenir trois fois par semaine que les doutes que je ressentais parfois prenaient une importance gênante.
Je me suis dit pour me rassurer que Vincent n’était pas moi et que sa personnalité et son coté brut de décoffrage ne pouvaient pas aller avec un Lacanien. Cela voulait dire aussi que j’étais surement et suffisamment compliqué pour que l’analyse me soit bénéfique.

Alors, c’est avec un enthousiasme de débutant que je repartis pour de nouvelles séances chez le dormeur « flottant ».

Tous les lundis matin, à six heures, ma petite voiture était téléguidée jusqu’au 202 de la rue Saint-Rémi.L’escalier toujours aussi abrupt entraînait un essoufflement et quelques minutes dans la salle d’attente me permettaient  de retrouver une élocution normale sur le divan. Mais ce jour là, il m’attendait devant la porte et me conduisit immédiatement, sans passer par la case d’attente, sur son divan. On aurait dit qu’il était pressé, il me parla sèchement :

 » On en était où ?

– Je ne m’en souviens pas

– Et voilà, c’est là le problème, vous ne vous rappelez pas! J’ai des inquiétudes sur vous Monsieur, vous ne travaillez pas assez, vous ne devez vivre que pour ça et pour votre inconscient.

– Je ne comprends pas.

– Et en plus, vous ne comprenez pas ! »

Alors il se mit à me raconter son séjour dans son orphelinat bulgare, ces enfants attachés dans un lit de fer, ces infirmières qui dormaient à coté d’eux toute la nuit. Je ne comprenais pas le rapport entre ses inquiétudes sur mon mauvais travail et cette œuvre humanitaire dans un pays de l’Est !
Une fois de plus, je nageais dans le doute. J’arrivais avec les idées de Vincent dans ma tête puis il m’engueulait et il touchait ma sensibilité ce qui remettait son compteur crédibilité à son maximum.

Une fois de plus, je pensais que tout était organisé, tout était voulu, tout était cadré comme dans les formules physiques de Monsieur Lacan.

C’était un de ces vendredis où mon repas était remplaçé par une nourriture intello-psycho- laca ..mienne plus une dose d’embouteillage, tout ça sans café pour 45 euros en liquide s’il vous plait. Pas de café certes, mais la tasse de thé dont la fumée se mélangeait à celle d’un cigare tordu (genevois)!
La séance avait bien commencé. Je parlais avec aisance de mon travail, de ma famille, de mes amis. Il était plus loquace que d’ habitude, il avait de l’humour, ses jeux de mots fusaient  et moi j’étais bien.

J’étais bien comme …quand on a son chat qui, si sauvage d’ordinaire, vient un soir, on ne sait pourquoi, se mettre sur vos genoux. On se dit que ça y est, la bête est dompté et puis vous voulez la caresser et là, hop, il s’en va à toute vitesse se mettre sous la vieille table du salon.
Avec le docteur Mie, c’était pareil qu’avec mon chat ! Ce jour-là donc, il n’était certes pas sur mes genoux mais il était zen et un petit état de satisfaction m’habitait.

Tu vois, Antoine, ce mec a du cœur! Il est brillant, il se donne à fond pour son travail et il est fort comme analyste. Mon choix du hasard était le bon.
Mais comme le petit chat qui part sous la table du salon, le génie redevenait un animal sauvage : il arrêta net son attitude empathique et  me lança un : »allons, continuez, continuez !! »

– Mais je ne sais pas quoi dire.

– Ce qui vient, dites ce qui vous vient.

– Mais, j’ai rien à vous dire.

–  Ce n’est pas à moi que vous devez dire, c’est à votre inconscient !

– Vous me parlez de mon inconscient, je ne connais même pas mon conscient !

– Nous en resterons là, cela fait 45 et en liquide s’il vous plait. »

02 Oct

Les maux dedans #6

 

freud_drmaison

Je continuais à idéaliser la psychanalyse et mon gourou. J’essayais de lire tous les séminaires de Lacan et, un jour de folie, je voulus me lancer dans les livres de Freud. Oh, surprise ! Après avoir avalé en deux jours les théories psychanalytiques, je me rendis compte que non seulement c’était facile à lire mais que je comprenais tout et que j’avais envie d’en acheter d’autres.

Je n’aurais jamais dû lui dire mes ressentis!

 » Monsieur, quand on ne comprend rien, on ne parle pas. Vous n’avez rien compris à Freud pas plus qu’à Lacan, vous en êtes au début, vous êtes à la maternelle ! Alors jouez au rugby mais ne lisez pas !

– Mais c’est dur ce que vous me dites !

– Je m’en fous, vous n’avez pas le droit de dire que Lacan est complexe. C’est lui qui est limpide, les autres sont compliqués. Reprenons ! »

Je n’avais rien à dire, je me sentais humilié et je disais: « Je n’ai rien à dire ! »
 » Alors partez ! Mais donnez moi 40 euros en liquide svp ! »

Je fus très touché par cette séance et, en relisant mon carnet aujourd hui, je ressens le même malaise. Mais ce qui toujours a été surprenant dans nos relations, c’est que, la fois d’après, il paraissait calme, détendu, voir empathique.  Il m’annonça une grande nouvelle :  » Voilà, j’ai créé un groupe pluri-disciplinaire qui se réunit le premier mercredi de chaque mois dans un local allées de Tourny. Il est constitué de kiné, de psychologue, d’orthophoniste, d’infirmière. Il me manque un Généraliste de votre trempe, alors je veux que vous veniez. D’accord ? »
Comment refuser,  je devenais un confrère, j’allais travailler avec mon gourou, celui qui dictait ma vie, mon inconscient, mon passé, mon avenir peut être.
 » Cela commence quand ? »
– Mercredi prochain, 20h.
– Ok. » (je ne réfléchissais pas, j’étais trop content)

Je ne savais pas comment se déroulaient ces réunions et, comme j’aime bien faire, je préparai cette réunion en mettant sur le papier un cas clinique intéressant. Je ne fus pas déçu, la composition de ce groupe était bizarre. Il y avait une grande psychologue aussi belle qu’illuminée, une vielle homéopathe, cheveux gris, petit cartable d’écolier et qui notait tout, une infirmière de cancéro qui avait servi de chauffeur à notre docteur et qui paraissait avoir une complicité avec lui dépassant le cadre professionnel, une kiné d’un centre de rééducation, une gynéco qui passait son temps à croquer la tête de Mie et… moi, le généraliste suivant une analyse. En regardant tout ce petit monde, j’imaginais que chaque membre avait un lien avec le chef de cette secte psychanalytique. Ces réunions se déroulaient toujours de la même façon. Un membre du groupe présentait un cas clinique et, à tour de rôle, nous l’ interprétions à notre manière. La conclusion revenait au docteur psy, de façon brillante, je dois dire. A minuit, on se quittait non sans avoir mangé des petits gâteaux offerts par un laboratoire. Cela me faisait drôle de savoir que, 6 heures après, j’allais retrouver mon collègue ! J’en étais tout excité mais fus bien déçu. Je m’attendais à une discussion ou une allusion: pas du tout!  J’entendis hurler: « Alors, vous venez ? », et le regard sombre d’un ayatollah m’indiqua de m’allonger sur ce divan aussi petit qu’inconfortable ! Je tentai bien de reparler de cette réunion qui m’avait enthousiasmé mais lui ne répondit rien, comme si je n’étais pas y allé. Mon interprétation était vite faite, c’était génial: il dissociait le malade et le confrère, aussi j’arrêtai là les commentaires et je repris mon travail, en parlant d’un sujet complètement inintéressant. Son manque de sommeil était frappant et,  dans mon dos, j’entendis des bâillements et des bruits aéro- digestifs montrant bien qu’il était en hypoglycémie .

Je me rendis compte en montant dans ma voiture que Mie envahissait ma vie : trois fois par semaine, plus le mercredi, plus la préparation des réunions, plus les lectures, les revues de presse et les discussions avec mes amis sur les bienfaits de la psychanalyse, lacanienne qui plus est !