22 Août

Beetle Juice

Cela fait plus de 30 ans que je vis un rêve éveillé en accomplissant mon travail de médecin. Passionné à l’âge de 11 ans au cours d’un week-end à la campagne chez un ami de classe dont le papa est médecin. Ce jour-là, je me suis juré qu’Hippocrate aurait un disciple de plus.

Le premier jour de ma vie professionnelle est excitant. Le choix de mes vêtements m’a pris plus de temps que le petit déjeuner, que je n’ai pas pu avaler vu le stress que je ressentais. Bon, tu es jeune et donc pour augmenter ta crédibilité, il faut donner un air sérieux. Je ressors la cravate de mon père complètement ringarde et je mets un jeans porte-bonheur que je porte à chaque examen. Il est huit heures, tout est bien rangé sur le bureau, les ordonnances à mon nom sont là trônant comme la couronne d’un nouveau roi. Je suis à coté du téléphone, prêt à le saisir dès la première sonnerie. Je ne fais rien, je suis excité, j’ai peur, mais impatient… tiens « un patient »… Jeu de mot très lacanien qui me fait sourire aujourd’hui après mes mésaventures psychanalytiques que je ne tarderai pas à vous raconter.

9h11

Le téléphone, vert caca d’oie à clavier rond, se met à sonner. J’attends une, deux, trois sonneries (il ne faut pas que je montre que je n’ai rien faire !

« Allô, cabinet médical, j’écoute.

– Bonjour Docteur, je viens d’arriver dans le quartier et j ‘ai vu votre plaque. Pouvez-vous venir me voir ? J’ai uriné tout rouge ».

Alors là, j’y suis ! Je suis au pied de mon Everest ! J’essaie de prendre une voix très assurée et je pose les quelques questions d’usage afin de reprendre mes esprits et de gagner du temps.

« Vous avez quel âge ?

– 72 ans ans, docteur.

– Vous habitez où ?

– Au 45 de votre rue (et merde je n ‘ai pas le choix de dire qu ‘il me faudra du temps, c’est juste à coté. Il a dû voir ma voiture).

 » Bien, je finis une consultation et je viens.  »

Je tremble, j’ai froid, je tourne en rond, je suis au pied du mur, j ‘ai peur !!!!! Bon, Mareilhac, il faut te reprendre, quand on a joué contre Lavardac en seizième de finale, tu avais aussi peur et pourtant tu as su surmonter, alors fonce !

Je vérifie mon cartable, stéthoscope, ordonnance, brassard, la parfaite mallette de l ‘apprenti docteur de « Toys are Us » ne serait pas mieux remplie.

Une idée, et si je regardais un petit bouquin du style « La mèdecine pour les Nuls » ?

Hématies, hématique .. hema,.. hématurie …cause, diagnostic, traitement… Aïe, 12 pages : bon, je parcours vite.

J’arrive devant le 45 et ma main tremblante appuie sur cette sonnette qui, pour moi, résonne comme le coup de feu d’un départ d’une course de 100 mètres aux Jeux Olympiques.

Le petit papi avec sa robe de chambre d’intérieur bordeaux et ses pantoufles écrasées m’ouvre ce vieux portail noir rouillé et me fait un sourire, qui me libère de ma trouille indescriptible.

 » Je viens de m’installer ici pour me rapprocher des enfants. Je suis de Cudos, à coté de Langon et ce matin, j’ai pissé rouge !! »

– Ne vous inquiétez pas, on va voir ça.

On aurait dit un vieux médecin paternaliste en fin carrière alors que si j’avais eu des couches, j’aurais surement … Je reprends dans ma tête le plan de l ‘examen d’une hématurie, la durée, les signes d’accompagnement, les antécédents, et l ‘examen clinique.

Allongé sur son vieux lit au matelas de laine déformé depuis 50 ans, le papi regarde ma façon de l’ examiner, avec un regard inquiet et attendrissant.

Moi, je me rassure en reprenant dans l’ordre, inspection, palpation, percussion… je ne trouve rien ! Alors, je lui annonce qu ‘il va  devoir faire analyses complémentaires.

« Comme vous voulez docteur, je n’ ai rien à faire depuis que j’ai perdu ma pauvre femme d’ un cancer de l’utérus. »

Cela ne m ‘arrange pas ! je pense alors que ce papi lâche prise après le décès de sa femme et donc je pense qu il faut être encore plus vigilant et demander tout. Je prends mon joli bloc et je commence à écrire  l’arsenal des examens complémentaires pour une hématurie: prise de sang, radio, écho, urographie intra veineuse, scanner etc. Et c’est sûrement là que le déficit de la sécurité sociale a commencé et c’est sûrement là que cette Caisse Primaire de malheur a dû me désigner comme seul et unique responsable – 30 ans après ça dure encore !

Papi semble rassuré, et moi , je dois faire , en fait, ce qui me sera le plus dur : me faire payer!

Je n’ose pas lui annoncer qu’il me doit 85 francs. Je lui dis simplement  » n’hésitez pas à me rappeler quand vous aurez tous les résultats » et là, au lieu de me régler la première consultation de ma vie, il me sort d’un vieux sac un pot de confiture à l’abricot.

 » Prenez-le docteur, c’est ma femme qui les faisait. »

Heureux néanmoins de ce premier contact avec la médecine, je lui serre la main et et je repars en passant par la cuisine. Les restes du repas de la veille sont là sur la toile cirée à carreaux  rouges et blancs et, au milieu, un saladier avec des restes de betteraves et tel Raymond Souplex dans les cinq dernières minutes, je pousse  un : « Bon sang, mais c’est bien sur! » L’hématurie n’en est pas une, c’est la coloration rouge par la betterave.

Premier diagnostic culinaire mais un premier diagnostic !

Médecin de campagne à la ville

24 décembre, 19H

Je suis épuisé, je rentre chez moi afin de me préparer pour le réveillon de Noël familial. A peine franchi le pas de  la porte sonne le  téléphone de la maison. Je suis au travail depuis 6 heures du matin et j’avoue que je n’ai aucune envie de repartir. Aie !! j’ ai oublié de brancher mon répondeur.

Alors .. adaptation immédiate : je décroche et j’ imite mon propre répondeur : « Bonjour vous êtes en communication avec le répondeur du Docteur  Mareilhac, je ne suis pas là pour l’instant mais veuillez me laisser un message après l’obtention du bip sonore »  Biiiiip. La voix de ma vieille patiente Marcelline suffit pour me rassurer sur la non gravité de l’appel (elle m’ appelle souvent le soir car ça la rassure).

 » Bonsoir, Docteur Antoine , je voudrais savoir si vous pouvez passer dans 8 jours pour mon renouvellement et j’en profite pour vous souhaiter un très bon Noël. »

Sûrement attendri par cette voix chevrotante de Marcelline, je lâche un MERCI, ayant oublié en fait que je n’étais qu’un simple répondeur !

Le lundi suivant, Marcelline s’émerveille des progrès de la technologie, et moi, je suis un peu confus de ma supercherie.