31 Août

Business meeting

chauffeur

 

Ce qui est fabuleux dans mon métier c’est la diversité des gens qui le compose. Je passe en 15mn d’un élu bordelais, maire ou député à un voyou qui a passé plus de 20 ans en prison. J’aime les gens, j’aime  » le hors cadre « , j’aime écouter ces histoires fabuleuses, ces anecdotes qui parsèment mes journées. Souvent complice de leur secret, je me régale de rentrer dans leur univers.

Le grand patron internationnal bordelais vient me voir une fois par mois. Il arrive, conduit par son chauffeur habillé de façon aussi impeccable que son patron. Costume bleu marine, cravate bleue ciel, chemise blanche avec les manches qui dépassent juste de quelques centimètres de façon parfaitement symétriques. Les cheveux sont légèrement gominés; on dirait toujours qu’ils sortent tous les deux de la douche.

Le rituel est bien rodé. La voiture de fonction arrive vers 16 h. Henry, le chauffeur, descend, remet en ordre son costume, tire les manches de sa chemise afin de bien vérifier l’égalité recherchée, contourne par devant sa berline plus lustrée que jamais et ouvre la porte arrière gauche. Puis sort notre personnalité (Robert), petit coup d’oeil circulaire comme si il y avait toutes les télés du monde (il n’y a que moi derrière ma vitre en train de regarder cette petite scène rigolote), remise du costume en ordre, tirage des manches et d’un coup de main, remet le peu de cheveux qu’il possède en arrière. Robert dit un mot à l’oreille de son chauffeur. On dirait un secret défense de la plus haute importance. Le chauffeur remonte dans la voiture et prend une allure de petit chien que l’on laisserait dans le véhicule après lui avoir dit:  » Riri, tu es mignon, tu vas rester bien calmement, tu m’attends et ne fais pas de bêtises ! »

Notre Robert national rentre dans le cabinet avec le sourire que j’appelle commercial et me lance toujours la même phrase:  » Comment va notre bon docteur ? » et il rajoute après un temps d’arrêt: « Et comment va la vie ? Merci encore de me recevoir et de votre complicité… »

Un peu pompeusement je lui répond: « C’est bien normal, Monsieur Cac40 ! Allons, voyons cette tension. »

Il retire alors son costume qu’il pose délicatement sur le rebord de la chaise. Il enlève ses boutons de manchettes et retrousse la manche de sa belle chemise amidonnée. Je  lui trouve toujours la même pression, je lui annonce son 13/8 mensuel. Il remet son bouton, retend la manche, recoiffe ses cheveux,  me donne sa carte vitale (il insiste  malgré mon « oh, je ne vais pas vous faire payer pour une prise de tension ! ») et  là…..

Et là, cela devient plus intéressant car écrire un livre pour voir un élu se faire prendre la tension, j’avoue que vous, mes chers lecteurs, pourriez être déçus.

 » Bon, cher Doc, le devoir m’appelle.  » Il me laisse un billet de cinquante euros sur la table et rajoute, comme en colère, « pas de monnaie, je vous en prie. »

Notre Robert s’avance alors vers la porte arrière de mon bureau, et non vers la porte principale, sort en cachette à pied pour …. aller  retrouver sa maitresse dans un appartement jouxtant mon cabinet.

Henri, le chauffeur attend dans la voiture sur le parking croyant que la consultation dure longtemps. Robert, pendant ce temps-là, s’amuse des plaisirs de la vraie vie, me rendant complice de cet adultère …médical !

Trente minutes après, les cheveux toujours bien tirés en arrière, Robert, rouge comme un coq, légèrement essoufflé, pénètre par ma porte secrète et me lance avec un clin d’oeil complice un:  » Voilà, c’est fait, au mois prochain pour une nouvelle vérification de tension. »

Robert passe devant la salle d’attente, serre quelques mains de patients tous flattés d’être soigné par le même médecin que cette vedette internationale. Il salue la secrétaire, bien surprise que j’ai gardé un patient une demie heure, moi qui suis si expéditif habituellement.

Le chauffeur sort de sa voiture, remet ses manches au centimètre imposé par les codes du Cac 40 et s’inquiète de la santé de son chef:

« Alors, tout va bien Monsieur ? »

Notre Robert, avec un aplomb énorme, lui répond toujours la même phrase : « Oh,  mon pauvre Henri, en vieillissant les raideurs se déplacent….