Dans une revue scientifique américaine, un article indique que les sportifs prennent des diurétiques et des hypnotiques pour lutter contre le mal des montagnes, un cocktail dangereux pour leur sécurité en haute montagne.
De 20.000 à 30.000 alpinistes tentent de gravir le Mont-Blanc chaque année. Et près de 36 % des candidats prennent un ou plusieurs médicaments durant leur ascension, selon une étude publiée jeudi 2 juin dans la revue scientifique américaine Plos One.
« Il y avait beaucoup de rumeurs sur la prise de médicaments par les alpinistes: pour se doper, pour augmenter leurs performances. Mais il n’y avait pas de données objectives sur la situation », a expliqué Paul Robach, professeur et chercheur à l’Ecole nationale de ski et d’alpinisme (ENSA) à Chamonix et coauteur de l’étude.
Après des rumeurs, les études objectives
L’article montre qu' »il y a beaucoup de prise médicamenteuse […] mais on ne distingue pas une réelle volonté des alpinistes de se doper pour augmenter leurs performances. On a plutôt retrouvé des médicaments qui permettent de prévenir ou traiter le mal des montagnes ».
Pour arriver à cette conclusion, les chercheurs de l’ENSA, aidés notamment par le laboratoire HP2 de l’Université Grenoble Alpes, ont eu recours à un système automatique de prélèvement d’urine fixé aux siphons des urinoirs. Ce dispositif a été installé à l’été 2013 au refuge du Goûter (3.835 mètres) et au refuge des Cosmiques (3.613 mètres), sur les deux principales voies d’ascension du Toit de l’Europe occidentale (4.808 mètres). Il a permis de prélever 430 échantillons d’urine, anonymement et à l’insu des alpinistes.
Au moins 1 médicament détecté pour plus d’un tiers des alpinistes
La présence d’au moins un médicament a été détectée dans 35,8% des cas, dont de nombreuses substances interdites par l’Agence mondiale antidopage (AMA). Les médicaments les plus souvent détectés étaient les diurétiques (qui augmentent la sécrétion urinaire) et les hypnotiques (somnifères). Les diurétiques sont prescrits pour lutter contre le mal aigu des montagnes (insomnies, maux de tête, vomissements, etc.) et une étude antérieure avait déjà montré que 33 % des alpinistes utilisaient de l’acétazolamide (molécule du Diamox, un diurétique) lors de l’ascension du Kilimandjaro (5.892 m).
Par ailleurs, près de 13 % des candidats au Mont-Blanc absorbent des hypnotiques, ce qui peut être « préjudiciable » aux alpinistes se levant en pleine nuit, peu de temps après la prise du médicament, souligne l’étude. Cela risque en effet d’affecter leur vigilance « à un moment où un niveau élevé d’attention est requis ».
A contrario, à l’exception de trois cas de cocaïne, l’utilisation de stimulants est marginale, de même que celle de corticoïdes.
Cocktail de médicaments problématique en haute montagne
L’étude met en garde contre l’utilisation simultanée de plusieurs médicaments, détectée dans 33 échantillons (dont un cas avec cinq substances différentes). L’association d’un diurétique et d’un hypnotique n’est en effet pas recommandée en altitude tandis que la prise de deux diurétiques peut provoquer une déshydratation accrue, problématique en haute montagne où la déshydratation est déjà rapide.
« On pourrait se passer de la plupart de ces médicaments », estime Paul Robach, évoquant une « béquille médicamenteuse pas forcément saine ».
Les auteurs soulignent en outre qu’ils ont probablement « sous-estimé » l’utilisation de médicaments par les alpinistes, en écartant les prélèvements qui pouvaient être contaminés par l’urine d’un autre alpiniste, soit plus de 15% des échantillons.
Ils appellent enfin à étendre cette méthode d’échantillonnage aux grandes compétitions d’endurance (afin d’évaluer la prévalence du dopage) ou aux stations services (pour étudier la prise de psychotropes chez les automobilistes).