Depuis près de trente ans, les élus et les habitants du Limousin rêvent d’un train à grande vitesse pour rejoindre Paris. Tous ont grandi avec l’image du « Capitole », le train le plus rapide de France, mis en service le 15 novembre 1960, et reliant Paris à Toulouse, via Limoges, à 200 km/h et en tout juste 7 h. Mais depuis, les années 90, malgré un investissement politique et financier incontestable, ce territoire et ses représentants ont connu des déconvenues à répétition. Aujourd’hui, il faut toujours, au mieux, trois heures, pour effectuer le trajet Limoges-Paris. Et l’annulation par le Conseil d’Etat, de la déclaration d’utilité publique, de la LGV Limoges-Poitiers, va condamner toute une région à devoir patienter encore des décennies avant de pouvoir monter dans un train à grande vitesse.
L’idée d’un TGV à Limoges est née à la fin des années 80. En avril 1990, Michel Delebarre, Ministre des Transports évoque pour la première fois, un TGV Paris/Limoges en présentant le schéma directeur national des lignes à grande vitesse. Neuf ans plus tôt, François Mitterrand a inauguré la première ligne Paris-Lyon, et devant le succès de ce TGV, toute la France rêve de grande vitesse. Ce schéma prévoit près de 3500 km de lignes TGV à construire en vingt ans et l’échéance parait si proche que déjà les élus limousins se disputent autour d’un possible tracé. Le maire de Limoges Alain Rodet plaide pour un barreau Limoges-Poitiers, alors que son éternel rival, Robert Savy, président du Conseil Régional milite, et finit par l’emporter, pour l’axe historique, Paris-Orléans-Limoges-Toulouse.
Le « Y renversé »
En 1996, le projet TGV limousin connait sa première grande déception. Le ministre des transports d’Alain Juppé, Bernard Pons remet en cause le schéma national, jugé beaucoup trop coûteux et irréaliste, et en particulier le projet limousin de « Y renversé », une ligne commune de Paris à Orléans, prolongée par deux branches, l’une vers Clermont-Ferrand, l’autre vers Limoges.
Le train pendulaire
Cependant, à cette époque, sous la pression notamment du sénateur de l’Indre RPR, François Gerbaud, mari de l’attaché de presse de Jacques Chirac, Lydie Gerbaud, le gouvernement lance l’idée d’un train pendulaire sur l’axe historique POLT. Cette technologie permet aux rames TGV de circuler à grande vitesse sur une ligne classique, en les équipant d’un système inclinant la cabine pour compenser l’effet de la force centrifuge. La facture est beaucoup moins importante : seulement 10% de plus qu’un train classique pour le matériel roulant et 20% pour l’infrastructure (au total 310 millions d’euros de l’époque). Pendant plusieurs années, les élus limousins s’accrochent à ce projet, contre l’avis de la SNCF qui y est totalement opposée. Des essais ont même lieux en 1997, en présence de Louis Gallois, PDG de la SNCF. Une convention est signée en novembre 2001, entre l’Etat, RFF, et les trois régions Centre, Limousin et Midi-Pyrénées pour réaliser le projet.
Le barreau Limoges-Poitiers
Mais, le 18 décembre 2003, à l’occasion d’un Comité Interministériel d’Aménagement du Territoire, Jean-Pierre Raffarin, Premier Ministre de Jacques Chirac, dénonce unilatéralement la convention et enterre le train pendulaire, jugé trop cher et pas assez rentable. La déception est atténuée par l’engagement pris par Jacques Chirac, quelques jours plus tard, le 10 janvier lors de ses vœux aux Corréziens : « le récent CIAT a décidé d’engager l’étude sur la réalisation d’une voie nouvelle de TGV entre Limoges et Poitiers. Relier rapidement le Limousin au réseau européen du train à grande vitesse est devenu une exigence. Je m’attacherai personnellement, avec Bernadette (…) à ce qu’un calendrier de réalisation puisse être arrêté et satisfaisant dans les meilleurs délais ».
A partir de ce jour, le Limousin et ses élus s’engagent dans ce projet de barreau LGV entre Limoges et Poitiers, 115 kilomètres de voie unique à construire, entre Iteuil dans la Vienne, et le Palais-sur-Vienne, près de Limoges, pour un montant estimé à 1,6 milliards d’euros. Pendant dix ans, toutes les étapes sont franchies : définition d’un tracé, enquête publique, première phase d’études financées. Les obstacles sont tous contournés, de l’avis défavorable de la Cour des Comptes à celui du Conseil d’Etat, en passant par les nombreuses manifestations d’opposants. Finalement, sous la pression de François Hollande, devenu Président de la République, le projet obtient sa déclaration d’utilité publique en janvier 2015.
Un grand rêve pour un petit territoire
Seulement, comme toujours depuis, trente ans, l’idée d’un train à grande vitesse à Limoges se heurte à une réalité irrémédiable : il coûte trop cher au regard de la faible population desservie. Comment amortir une LGV Limoges-Poitiers, quand la nouvelle liaison Tours-Bordeaux, qui prévoit 20 millions de passagers en 2017, va générer 150 à 200 millions de déficit pour la SNCF ? Le rapporteur public qui demande l’annulation de la DUP se fonde sur ce simple constat : une ligne à grande vitesse pour le Limousin est un rêve beaucoup trop grand pour un si petit territoire, qui n’est même plus aujourd’hui une région administrative et dont l’ex-capitale est condamnée à rester, certes une ville où il fait bon vivre, mais une très ordinaire cité de province.
Pendant, toutes ses années, les collectivités locales ont dépensé beaucoup d’argent pour donner corps à ce rêve, des dizaines de millions d’euros pour la LGV Limoges-Poitiers. Il est tentant de demander des comptes, à tous ces élus, qui comme Alain Rodet, Jean-Paul Denanot, Gérard Vandenbroucke, Marie-Françoise Pérol-Dumont, ont investi l’argent public, sans doute en pure perte.
La réalité, aujourd’hui, c’est que pour se rendre en train à Paris, depuis la si belle gare des Bénédictins, il faut, comme en 1960, toujours près de 3 heures.