26 Sep

Les maux dedans #5

rouge_drmaison

C’est vrai que j’ai eu des doutes: du génie à l’imposteur voire truand. Je me demandais souvent quelle était la véritable identité du docteur Mie. Je m’obligeais à ne pas y penser et à suivre mon intuition car si cela n’était pas le cas j’arrêterais et je ne le voulais absolument pas. Les séances se succédaient à un rythme infernal  à raison de trois fois par semaine ; c’était pour moi un véritable casse tête de caser ce rendez vous dans mes journées de médecin mais j’y arrivais tellement était grande ma motivation. Je marquais sur mon petit carnet l’essentiel de mon « travail » et, lorsqu’ il m’annonça qu’il partait en vacances pour 15 jours, j’étais partagé entre la joie de souffler un peu, d’éviter ces trajets en voiture et la déception d’interrompre une analyse couchée si prometteuse pour moi !

Le retour sur le divan fut bizarre. Au préalable je dus affronter une situation peu confortable puisque je me retrouvai dans la salle  d’ attente avec deux de mes patients que j’avais adressés au Dr Mie mais qui n’étaient pas censés savoir que je consultais moi aussi! Je me sentis obligé de justifier ma présence par la préparation d’une conférence avec lui ! Cela ne changea en rien son attitude et il me hurla depuis son bureau au fond du couloir un « Venezzzz » qui ressemblait plus à un ordre qu’à l’invitation à la préparation de la dite conférence.

Ce jour là, j’avais plein de choses à dire car les 15 jours de vacances de mon inconscient m’avaient permis d’accumuler un tas de reflexions à exprimer. Pour une fois, j’eus le sentiment d’un premier progrès. Je lui racontai que j’étais ému de venir dans ce quartier rempli de souvenirs pour moi. En effet mes grands parents habitaient au 204 et lui au 202. J’avais eu une admiration et un amour immenses pour eux et j’avais toujours l’impression que ma mémoire n’ avait jamais effacé ces moments magiques.

Ce jour-là, après l’introduction habituelle « alors, on en était où ? »,  je me suis mis à lui parler de la mort de mon grand père et du véritable big bang qu’elle a provoqué chez le petit garçon que j’étais. C’est pendant cette séance que j’ai découvert pourquoi je n’aimais pas la couleur rouge ! L’intérêt de cette anecdote n’est que très personnel mais mérite que je m’y arrête pour montrer pourquoi je sentais que la psychanalyse lacanienne était merveilleuse !

C’est mon grand père qui m’a initié au rugby et, ce jour là, le 8 mai, se déroule une demi finale à Bordeaux. Je dois y aller avec mon grand père, mais il est à l’hôpital depuis deux semaines. Agen–Dax,voila l’affiche de la demi finale. Ma mère m’appelle à 17 heures pour annoncer le score à mon grand père. Je lui dis sans réfléchir Dax alors que c’était Agen mais mon grand père préférait Dax et Dax jouait en rouge. Ma mère arrive 2 heures plus tard et, à la question, « comment va-t-il ? », elle me répond qu’il est très fatigué mais que ça va. Puis, elle dit en parlant toute seule,  » je suis ridicule habillée comme ça », (elle avait un pull rouge vif ) et elle part mettre un noir ! Je savais qu’ à ce moment là, pour la première fois, ma mère me mentait et, qu’irrémédiablement, à tout jamais, la couleur rouge serait le symbole de la mort, du mensonge et de la trahison .

Cette histoire, banale somme toute, me confortait. La psychanalyse lacanienne était indispensable pour expliquer nos actes, nos pensées et nos choix inconscients. C’est pourquoi mon admiration pour le vecteur qui avait provoqué cela ne faisait que confirmer mon idée : le Docteur Mie était un Génie! (à l’heure où je vous parle je n’ai plus aucun à priori sur cette couleur rouge et j’en porte souvent, preuve que les dons de guérison du bon docteur sont réels !!)

Il ne prenait ses vacances que pendant les vacances scolaires. Je savais que j’avais devant moi 7 semaines de séances. A raison de 3 fois par semaine et vu la réussite de la dernière, je pensais que j’allais avancer à très grande vitesse et que mon inconscient allait subir une super défragmentation comme celle que devrait subir le pc sur lequel j’écris.

Je ne vous cacherais pas que je traversais de grandes périodes de doute où je n’avançais que très peu. Mes relations avec le psy étaient bizarres, variables, décevantes, frustrantes et rarement agréables. Il était souvent d’humeur massacrante, comme le jour, où il m’ a surpris en train de téléphoner avec mon portable dans la salle d’attente. Au lieu de commencer par la satané phrase « on en était où? »  il se lança dans des cris, des hurlements : « Votre portable m’est insupportable ! », me précisant son jeu de mot lacanien qu’il pensait que je n’avais pas saisi. Il m’interdisait de l’amener même éteint ! Je précise que jamais je ne l’avais allumé pendant les séances. Là aussi je positivais en me rassurant, en me disant que cette autorité et ces colères étaient indispensables à mes progrès. Les jours où j’en avais vraiment marre c’était là qu’il était d’humeur plus légère et que je l’entendais écrire sur son fameux petit carnet avec son stylo plus gros que gros : un Mont Blanc.

Les séances ne duraient jamais plus de 10 à 15 minutes. J’avais l’impression que son emploi du temps était chronométré. Il commençait à 6h 15 et finissait à 20h et ne s’arrêtait pas entre midi et deux ! Je me suis aperçu que ce n’était qu’un homme, malgré cette incroyable puissance  de travail, le jour où je l’ ai surpris en train de dormir en ronflant dans mon dos. J’ai attendu deux ou trois minutes avant d’arrêter de parler et j’ai bougé afin qu’il s’en rende compte et là, très sur de lui, il me dit tout de go :  » Voilà ce que Freud appelait l’attention flottante, c’est là où j’emmagasine tout et surtout ne croyez pas que je dormais !! Bien, cela fait 40 euros, en liquide s’il vous plait. »