La star des metteurs en scène Thomas Ostermeier n’a pas attiré les foules pour la première représentation de La Mouette de Tchekhov à Clermont-Ferrand. Ceux qui ont fait le choix de venir ont néanmoins été conquis par ce drôle d’oiseau dont le cri demeure longtemps après le noir final.
La chanson de Bowie qui ouvre le spectacle est prémonitoire: c’est un suicide très rock’n’roll auquel nous allons assister. D’ailleurs, du rock, La Mouette version Ostermeier en a à revendre. Des Doors au Velvet, chaque acte est ponctué de classiques du rock psyché. Cela commence dès qu’on s’installe dans la salle, les amplis, les guitares et les micros nous attendent sur la scène, avec la même impassibilité que les comédiens, tous assis dans un coin de ce cube gris qu’on croit d’abord sans issue. Cette scène, c’est un tableau qui va se dessiner sous nous yeux pendant plus de deux heures, qui va changer de couleur selon l’humeur de l’artiste pour s’achever en un immense all-over noir.
« Qui est allé en enfer voit le monde et les hommes autrement », Anton Tchekhov
C’est par cette citation que tout commence: « Mon oeuvre est imprégnée du voyage au bagne de Sakhaline. Qui est allé en enfer voit le monde et les hommes autrement ». En inscrivant cette citation au fond de la scène, Thomas Ostermeier nous invite d’emblée à lire la pièce de Tchekhov sous un angle bien particulier. Pourtant, les personnages narcissiques et bourgeois de La Mouette nous semblent bien loin des détenus du bagne que l’écrivain-médecin a rencontrés. Mais plus la pièce avance, plus la détresse humaine dans laquelle se trouvent ces six personnages nous frappe, plus le carcan social auquel ils sont attachés nous étouffe.
La traduction d’Olivier Cadiot et la mise en scène de Thomas Ostermeier nous permettent de constater à quel point le texte de Tchekhov n’a pas pris le siècle qui nous sépare de sa création dans la tronche. L’écrivain s’est tellement attardé sur ce qui se passe dans la tête de chacun de ses personnages, que leur époque peut aussi bien être la nôtre. Et bien que devant nous, on parle d’art et de littérature, on palabre sur la page blanche et sur de futiles désirs de gloire, chacune des phrases prononcées nous renvoie à nos propres névroses.
La modernité du propos tient aussi au jeu d’improvisation auquel s’adonnent les comédiens (tous excellents) lorsqu’ils sortent du texte de Tchekhov. On nous parle de Syrie, on se moque du théâtre contemporain ou de la place que tient la culture dans notre société, on entend parler de Donald Trump et on nous chante Bowie. Tout ça est si proche de nous que le drame qui se déroule sous nos yeux nous touche encore davantage.
La Mouette, Jusqu’au 19 novembre 2016 à la Maison de la Culture, Comédie de Clermont-Ferrand.