Ils témoignent d’un moment clé de l’Histoire. Quarante deux clichés de photo-reporters, dont trois de Robert Capa, illustrant la chute de Barcelone en janvier 1939 et la fuite des Républicains, sont exposés ensemble pour la première fois.
Soixante-quinze ans plus tard, cet épisode est encore bien présent dans la mémoire de ceux qui l’ont vécu. « Mon père quitte l’Espagne à pied le 4 février pour rejoindre les soldats républicains. il dit adieu à ses parents et prend juste avec lui un pull et un pantalon bleu marine, raconte Marie-Rose Tourné. Une fois en France, ils sont arrêtés et enfermés au camp d’Argelès. Quand mon père a vu ces pauvres gens qui crevaient de faim, malades, le manque d’hygiène, il a décidé de fuir, il s’est fait passer pour un pêcheur Français. Comme il avait les yeux bleus et les cheveux blonds, qu’il parlait bien français, les gardes l’ont laissé passer. À Perpignan, il a rejoint une amie et nous a retrouvés à Toulouse ». Marie-Rose Tourné, 82 ans, vit aujourd’hui à Perpignan.
En ce mois de février 1939, les photoreporters du monde entier sont sur place pour témoigner de la chute de Barcelone vécue par le père de Marie-Rose. Un épisode qui ouvre la voie au photojournalisme. « L’œil du monde était à Perpignan, raconte Eric Forcada, commissaire de l’exposition. Les lignes de communication étaient coupées, le studio d’Augustin Chauvin, boulevard Clémenceau à Perpignan est devenu le QG des journalistes ». Il est le relais local de l’agence américaine Wide World Photo pour The New York Times.
Les 42 clichés de l’exposition, Eric Forcada les a achetés il y a six mois à l’hôtel Drouot à Paris. Ils retracent la période qui va de la chute de Barcelone à la Retirada. Il a décidé de les exposer à la Casa de la Généralitat de Perpignan jusqu’au 20 décembre. « Il était important de les restituer au public », explique-t-il. Celui-ci a généralement des liens avec la guerre d’Espagne.
Auteurs en voie d’identification
Les photos sont exposées à plat, dans des vitrines. Les trois clichés de Capa montrent les réfugiés au Boulou, devant les Douches publiques. David Seymour-Chim est lui au Perthus et photographie le long cortège des réfugiés qui ont passé la frontière dans la montagne. La plupart des autres photographes sont inconnus. C’est le début du photojournalisme, ils ne signent pas leurs clichés. Le spécialiste en histoire de l’art compte bien arriver à les sortir de l’anonymat. « Nous allons tenter d’identifier les lieux et les auteurs à l’aide d’archives. C’est un patrimoine visuel qui n’a pas été travaillé. »
Les témoins de cette histoire, sont aujourd’hui très âgés. Si Marie-Rose Tourné, réfugiée à Toulouse avec ses parents alors qu’elle avait sept ans, trouve indispensable de préserver cette mémoire, certains pensent qu’il est trop tard. Pierre Verdaguer, réfugié à Ille-sur-Têt en 1939 après un rapide passage par le camp du Boulou, n’ira pas voir l’exposition. « Quand nous sommes arrivés en France, nous avons été maltraités, et maintenant, on en fait tout un tralala. C’est à ce moment là qu’il fallait faire quelque chose.»
Amandine LEFEVRE et Julie PHILIPPE
« De la chute de Barcelone à la Retirada. Report of Wide World Photo for The New York Times », du 1er septembre au 20 décembre, Casa de la Generalitat a Perpinyà, rue de la fusterie, Perpignan.
Contexte : en l’espace de deux semaines, près d’un demi-millions d’Espagnols débarquent dans les Pyrénées. Le département passe de 250 000 personnes à 800 000 personnes. L’urgence humanitaire se double alors d’une crise sanitaire. La France, qui ne s’attendait pas à un tel afflux, crée trois immenses camps de concentration sur la côte roussillonnaise.