07 Sep

Mani : « Le reportage de guerre n’est pas une fin en soi »

Bien que conservant son pseudonyme, Mani témoigne devant les médias (Crédit photo : Camille Peter)

Mani a reçu le Visa d’or humanitaire de la Croix-Rouge pour avoir été l’un des rares photographes à partager le quotidien des opposants à Bachar al-Assad.

Etiez-vous en Syrie au moment où le conflit s’est déclenché ?

Non, j’étais au Pakistan pour un reportage sur les communautés transgenres et les communautés soufies. Je n’ai pas couvert ce qu’on a appelé le printemps arabe. Mais j’ai un lien fort avec la Syrie. Ça s’est imposé à moi. Il fallait que je fasse quelque chose là-bas. J’y ai vécu plusieurs années entre les années 1990 et 2000. La situation étant ce qu’elle était, en novembre 2011, aucun photographe n’était parvenu à rentrer dans les zones d’opposition et à documenter la répression. Etant donné les liens que j’avais avec la Syrie, le fait que je parle arabe, je me suis dit qu’il y avait une possibilité. Je me suis dit qu’il fallait essayer.

Comment expliquer que vous y soyez parvenu ?

J’ai des contacts déjà, des amis sur place qui pouvaient assurer aux responsables de la rébellion que j’étais quelqu’un de confiance. Ils étaient très méfiants vis à vis des journalistes étrangers. Ils avaient peur des infiltrations. Je pense que pour quelqu’un qui ne connaissait pas le pays, qui ne parlait pas la langue, c’était difficile d’établir cette confiance. Aujourd’hui, c’est différent.C’est devenu plus aisé de rentrer clandestinement. Les autorités ont perdu le contrôle d’une partie du territoire. A l’époque, c’était beaucoup plus compliqué de pouvoir évoluer.

Vous avez utilisé un pseudonyme, pourquoi ?

Parce que je voulais pouvoir rentrer et sortir du pays de manière officielle. Je ne voulais donc pas que les autorités puissent faire le lien entre moi et mes publications. Je n’avais pas du tout envie d’attirer l’attention sur moi. Peu de temps avant mon arrivée, un journaliste franco-algérien qui travaillait pour Le Monde avait été arrêté, torturé, et incarcéré pendant près de trois semaines. Aujourd’hui, j’y retourne de manière clandestine. Je n’ai plus ce souci-là. Lorsque je travaille du côté de l’opposition, je n’ai plus besoin de montrer patte blanche à la frontière.


La Syrie dans Homs vue par Mani par F3languedocroussillon

Quels étaient vos interlocuteurs sur le terrain ?

Je travaillais avec les jeunes des quartiers qui sont devenus des activistes de l’information. Ce sont eux qui filment, qui documentent ce qui se passe dans leur quartier et qui ensuite envoient tout ça dans les rédactions du monde entier et notamment les télévisions satellitaires arabes. J’ai travaillé avec les membres de l’Armée syrienne de libération. Puis dans les centres clandestins avec les médecins et les infirmiers. Ce n’est pas mon seul travail mais le sujet du déni de soins en Syrie est très important car les blessés sont menacés d’arrestation, de torture, de disparition s’ils se rendent dans les hôpitaux publics. Un réseau d’hôpitaux parallèles s’est constitué, je trouvais important de le documenter.

La mort de Rémi Ochlik a-t-elle changé votre manière de travailler ?

La mort de Rémi, la mort de Marine, et dernièrement, celle de cette journaliste japonaise. Oui, c’est quelque chose qui pèse au-dessus de nos têtes. Plus on apprend le décès de nouveaux journalistes, plus on réalise que c’est tout à fait envisageable que ça nous arrive. Personnellement, je suis plus prudent. Mes antennes sont bien en alerte. [Rire] Désormais, lorsque je vais au front, je travaille vite, il ne faut pas se promener. Parfois aussi, on ne ressent pas le danger. Un obus peut très vite tomber quand tout était calme deux secondes avant. Le calme est trompeur. Avant, je restais plus longtemps dans les zones où il y avait du danger.

Aviez-vous l’expérience des zones de conflit ?

Au Pakistan, régulièrement, des bombes explosaient ici ou là, mais je n’étais pas dans des zones d’affrontements entre l’armée et les talibans. C’est mon premier conflit. Je suis allé en Syrie trois fois mais je ne suis pas spécialisé dans le reportage de guerre. Pour moi, ce n’est pas une fin en soi. Il se trouve qu’en Syrie, une grave crise s’est déclenchée et j’ai senti le besoin d’y aller. Je ne pense pas que je serais allé en zone de guerre si ce pays m’avait été inconnu. Il y a beaucoup d’autres histoires et de reportages qui ne sont pas liés à la guerre et qu’il est très important de documenter.

Réaction de Mani face à sa photo prise le 3 février dernier, au lendemain du bombardement du quartier de Khalidiya, à Homs :

Mani : « C’était terrifiant de voir tous ces cercueils » by voir visa pour l’image

Propos recueillis par Mylène Jourdan et Hugo Daumas