06 Sep

Photojournalisme sous influence

En avril dernier, le photographe Pedro Ugarte a fait partie de la centaine de journalistes invités à couvrir le centenaire de la naissance de Kim Il-Sung, en Corée du Nord. (Crédit photo : Dimitri Kucharczyk)

Difficile pour un photographe de refuser un voyage de presse en Corée du Nord, cet OVNI politique coupé du reste du monde. Ce genre d’invitation le place pourtant dans une situation embarrassante : comment réussir à informer sans être influencé, alors que le voyage est organisé par le régime pour célébrer le centième anniversaire de la naissance de son père fondateur, Kim Il-Sung ? Les voyages de presse, les reportages « embedded », le suivi d’hommes politique rompus aux techniques de communication… Le journalisme passe une bonne partie de son temps à résister aux tentatives de contrôle de l’information. Illustration au couvent des Minimes, où les photoreporters de l’AFP Pedro Ugarte et Ed Jones exposent leurs images prises en avril au pays de Kim Jong-un. Accepter les limitations d’un gouvernement pour informer ? « Impossible d’accéder à la Corée du Nord autrement », se justifie Pedro Ugarte. « Donc il faut essayer de montrer les choses, l’humanité des gens avec les limitations fixées par les membres du gouvernement. » Montrer les choses lorsqu’on ne peut accéder qu’aux cérémonies officielles, aux visites organisées et au lancement d’une fusée destinée à impressionner le monde extérieur ? Un exercice difficile, voire impossible.

11 avril 2012, Pyongyang. Des techniciens suivent le lancement de la fusée Unha-3 depuis un centre de contrôle situé dans la banlieue de Pyongyang. (Crédit photo : Pedro Ugarte/AFP)

Accompagné dans tous ses déplacements d’un « guide/interprète », le photoreporter n’a pu qu’effleurer la réalité nord-coréenne et ses images se focalisent sur des détails. Alors, fallait-il accepter toutes ces restrictions ? « Evidemment, ce n’est pas idéal. J’aurais préféré pouvoir aller partout et faire ce que je voulais. Mais vous devez faire avec les règles de vos hôtes. C’est la même chose en Afghanistan lorsque vous allez avec l’armée. Avant de partir, vous devez accepter les règles. » Militaires et photographes : entre sécurité et contrôle Circuler avec l’armée est avant tout un problème de sécurité, dit Massoud Hossaini, prix Pulitzer 2012, qui expose aussi à Visa pour l’image. « Je suis Afghan, mais je travaille pour l’AFP, une agence de presse étrangère. Aux yeux des talibans, je suis donc un agent de l’étranger et je ne peux pas aller en reportage seul. C’est trop dangereux. » En 2010, il s’était pourtant plaint de ces expéditions « embedded » durant lesquelles il accompagnait les militaires de l’OTAN. Il dit aujourd’hui qu’il s’était surtout plaint de n’être pas tenu au courant des sorties, d’être en quelque sorte tenu à l’écart.

16 avril 2012, Pyongyang. Les choeurs de l'armée nord-coréenne se produisent à l'€™occasion du 100e anniversaire de la naissance du dirigeant Kim Il-Sung. (Crédit photo : Ed Jone / AFP)

En zone de guerre, les photographes sont parfois dépendants de l’armée pour réaliser leurs reportages. Cette protection, aussi nécessaire soit-elle, peut devenir un moyen d’influencer, sinon de contrôler l’information. Massoud Hossaini assure qu’il n’a pas eu de problèmes avec les soldats américains qui ne lui ont jamais fixé aucune barrière. Ce n’était pas le cas avec les Britanniques et les Français, désireux d’éloigner les appareils photo de leur vie quotidienne. Dans le monde politique, une volonté de maîtriser sa communication Il n’y a pas qu’en Corée du Nord ou dans les zones de conflit que le photographe doit défendre son indépendance. Les hommes politiques veulent de plus en plus maîtriser leur image et contrôlent toujours davantage le champ d’action des photographes. Rangés devant la scène lors des meetings ou dans des tracteurs lorsque Nicolas Sarkozy fait sa promenade à cheval, leur point de vue se rétrécit à mesure que la communication s’étend. Un défi quotidien pour le photojournaliste, s’il veut continuer à montrer le monde comme il peut le voir. Et non pas comme on tente de le lui montrer.

Lucille Topin et Dimitri Kucharczyk