06 Sep

Photojournalisme et engagement personnel : une frontière souvent floue

Chili Vie quotidienne / Nuit de la Saint Sylvestre à Valparaiso. La Pica de Yuri tenue par un militant de gauche propose sous le portrait du president Allende des sandwiches bon marche aux noms révolutionnaires. (Crédit photo : Georges BARTOLI / Fedephoto)

Militantisme. Un mot que beaucoup de photojournalistes refusent d’entendre dès qu’il s’agit de parler de leur métier. « Deux choses différentes » pour certains, « incompatible » ou « antinomique » pour d’autres. La frontière entre journalisme et engagement personnel parait pourtant bien floue .

« Le journaliste est là pour raconter une situation, une histoire. Il ne doit pas verser dans la seule dénonciation. Si l’on prend le travail de Darcy Padilla sur le sida, par exemple, il est admirable en ce sens. Elle ne dit pas que c’est inadmissible, elle montre que c’est inadmissible. La portée est beaucoup plus forte ». Assise à la terrasse du couvent des Minimes au cœur du festival Visa pour l’image, Marie-Pierre Subtil, rédactrice en chef de la revue photographique « 6 mois »,  est catégorique : la question du militantisme ou de l’engagement personnel doit être dissociée du métier de journaliste. Une distance doit être posée entre le sujet traité et le journaliste.

Un point de vue partagé par Julien Goldstein, photojournaliste à l’agence Getty Images, qui expose à Visa son travail sur le Kurdistan : « J’ai de la sympathie pour le peuple kurde mais ma démarche n’est pas militante. Si j’étais militant, je ne pourrais pas faire le pas de côté ou le pas en arrière pour regarder aussi ce qui ne va pas chez eux.

Pourtant, la frontière est ténue. Lorsqu’on évoque les raisons qui ont poussé les photojournalistes à épouser cette carrière, beaucoup avancent la volonté d’éclairer sur le monde qui nous entoure. La plupart assument leur sensibilité, mais refusent d’employer le mot de militantisme. Trop fort, trop connoté. On préfère plutôt parler d’un regard, d’un certain engagement. La réalité est aussi à chercher du côté économique, où l’étiquette partisane n’a pas souvent bonne presse.

Georges Bartoli a toujours été connu en tant que journaliste militant, encarté au parti communiste. Il a pourtant travaillé pour des journaux aux lignes éditoriales différentes, Le Figaro, l’Humanité ou La Croix. Georges Bartoli a aussi couvert des meetings du Front National ou de l’UMP. Lorsqu’il a débuté, il avoue avoir dû faire des concessions. « J’ai mis certaines de mes convictions de côté pour pouvoir être sûr d’obtenir une autre commande auprès d’un journal. Mais, je me suis toujours défini comme un journaliste et un citoyen militant, l’un n’empêche pas l’autre et je préfère quelqu’un qui assume sa subjectivité  que quelqu’un qui prétend être objectif. L’objectivité n’existe pas dans ce métier. Je pense que toutes les positions radicales et engagées sont louables. Mais il faut être capable de les assumer économiquement». Tout en gardant une distance avec le sujet traité, les photojournalistes interrogés reconnaissent avoir cette certaine part de subjectivité, ne serait-ce que par leurs choix : celui de l’angle, du reportage, du cadrage…

En Argentine, le collectif Sub allie commandes de journaux internationaux et projets personnels, plus engagés. Ils trouvent leur équilibre dans le partage de leurs revenus et vivent tous du fruit de leur travail. Leur fonctionnement coopératif leur est apparu comme une évidence pour concilier les deux aspects du métier : l’actualité et les commandes pour le côté financier, les projets au long cours par conviction.

Colombie, Mine d’émeraudes de Coscuez dans le departement de Boyaca. (Crédit photo : Georges BARTOLI / Fedephoto)

A Barcelone, le jeune collectif « Fractures » s’est  monté dans une démarche militante. Leur volonté assumée est d’offrir un autre regard que celui véhiculé dans ce qu’ils définissent comme les « médias de masse ». Ils travaillent actuellement sur un projet photographique autour de la crise en Espagne et en Grèce pour « montrer les méfaits du capitalisme et la façon dont les gens continuent à vivre malgré cette prétendue crise »

Pour financer leur projet, ils ont régulièrement recours au système de financement communautaire sur internet, le « crowdfunding ». Un système qui permet de faire financer un projet par le don des internautes. Pour autant, les quatre membres du collectif ne vivent pas de leur travail de photojournaliste et enchainent les petits jobs pour pouvoir joindre les deux bouts. Ils ne désespèrent pas arriver à en vivre pleinement un jour, mais n’en font pas leur but principal. « Nous voulons raconter des histoires qui nous tiennent à cœur et nous assumons notre côté militant. Nous voulons aussi montrer que le photojournalisme n’est pas forcément objectif, qu’il s’agit d’un regard sur une question de société. C’est ensuite au lecteur de se faire sa propre idée », explique Will Sands, un des membres du collectif Fractures. Reste que la diffusion est indissociable.

A Visa, le collectif Fractures espère pouvoir rencontrer d’éventuels diffuseurs, bien qu’ils cherchent aussi à échanger sur le métier de photojournaliste avec leurs pairs. Un métier de passionnés où diverses opinions se confrontent, se rencontrent, s’affirment. Et au-delà des dissensions, ne s’agit-il pas du seul et même métier de photojournaliste? Un photographe qui raconte une histoire, celle des autres, à travers son objectif.

Thomas Belet