Depuis quatre ans, le webdocumentaire a sa place aux côtés des expositions photos de Visa pour l’image. A son apparition, les photojournalistes y ont vu une opportunité de diversifier leur activité et de mieux financer leurs reportages. Si aujourd’hui, son économie reste incertaine, cette nouvelle forme de journalisme ne cesse de se développer et d’explorer des narrations singulières.
Cette année, le webdocumentaire « Défense d’afficher » réalisé par Jeanne Thibord, Sidonie Garnier et François Le Gall remporte le prix France 24-RFI, décerné à Visa pour l’image. Ce récit multimédia explore la culture du graff dans huit villes du monde. A chaque lieu, sa problématique : la condition des femmes à Bogota, l’omniprésence de la publicité à Paris, la crise économique à Athènes… Avec le street art en fil rouge du récit.
Tout au long de ce webdoc interactif, l’internaute se promène dans les rues à l’aide de flèches, comme dans un jeu vidéo, pour s’arrêter devant des graffs. Ces oeuvres s’ouvrent sur des vidéos, commandées à des réalisateurs locaux. « On voulait montrer que le graff n’est pas seulement un truc de vandales », explique François Le Gall.
Découvrez la bande annonce d’un des huit films tournés pour « Défense d’afficher »
BLEEPS / ATHENES [subtitled EN/FR] par DEFENSE_DAFFICHER
Un travail de deux ans pour cette équipe qui a reçu un chèque de 8 000 euros le 5 septembre. Sept autres webdocumentaires étaient en lice pour le prix : « Rewalk » sur la recherche médicale, « François Duprat, une histoire de l’extrême droite », « Pourquoi t’y crois » sur l’engagement politique, « Homs, au cœur de la révolte syrienne », « Afghanistan : 10 ans, 100 regards », « Adieu Camarades ! » sur la vie derrière le rideau de fer, et « Paroles de conflits », un parcours cycliste à la rencontre des victimes des guerres.
Pour les réalisateurs de « Défense d’afficher », le choix d’internet était une évidence. « La forme s’est imposée assez vite, explique Jeanne Thibord. Le public intéressé par le street art utilise beaucoup internet. De plus, la télé n’est plus vraiment un lieu de création. Le web, c’est une autre écriture, moins linéaire, moins classique. »
Même sentiment pour Raphaël Beaugrand qui a parcouru 10 000 km en vélo pour « Paroles de conflits« . Il voulait lui aussi sortir des contraintes de la télévision. « Il y a peut-être plus d’émotion à la télévision mais le webdocu permet au spectateur d’aller plus loin et de mieux comprendre les sujets traités. Le format permet en effet de mêler trois médias en un. »
A l’heure actuelle, le financement d’un webdocumentaire est encore très difficile. « Une aide du Centre National de la Cinéma permet de débloquer d’autres financements. Mais sans le CNC, tu n’as pas un sou qui rentre », raconte Jeanne Thibord. « Défense d’afficher » a coûté 260 000 euros. « Certes, on a été bien financés, mais on ne sera jamais payé à la hauteur du travail fourni. » Une cinquantaine de personnes apparaît au générique. Un projet rendu possible grâce au CNC (100 000 euros), à l’apport de France Télévisions (75 000 euros. L’un des plus gros financeurs avec Arte de webdocumentaires) et les subventions de la Région Franche-Comté (22 000 euros). « Nous ne sommes peut-être pas le meilleur exemple. Beaucoup de webdocumentaires sont autofinancés, avec des budgets très réduits », précise Jeanne Thibord.
Pour financer « Paroles de conflits », Raphaël Beaugrand a, quant à lui, misé sur le crowdfunding, c’est à dire un appel à souscription sur le net. « Au fur et à mesure, j’ai réussi à récolter 18 000 euros sur le site Kiss kiss bank bank ». C’était le premier webdocumentaire français financé par ce système. On pouvait suivre en direct mon parcours, via un blog et faire un don pour me permettre de poursuivre mon voyage. » A son retour, pour rentabiliser son projet, Raphaël a également produit une version télé de son sujet dans un format documentaire de 90 minutes.
Depuis lundi, jour de l’annonce du lauréat du prix France 24-RFI, le webdocu « Défense d’afficher » a trouvé une nouvelle visibilité. « Avec l’audience de RFI, on touche de nouveaux publics, notamment la francophonie. Notre travail est cité partout », précise François Le Gall. Avec cette nouvelle notoriété, l’équipe va pouvoir lancer de nouveaux projets ambitieux, « mais rien n’est acquis dans ce milieu », tempère Jeanne. « C’est maintenant qu’on est attendu. »
Camille Peter et Christophe Hubard