04 Sep

« On portait des masques à gaz et des boucliers ». Aris, photoreporter grec

Aris Messinis, photojournaliste à l'AFP depuis 2003.

Entre février et juin 2012, les rues d’Athènes ont connu des scènes d’une rare violence, conséquence d’une crise économique sans précédent. Louisa Gouliamaki, Angelos Tzortzinis et Aris Messinis, photojournalistes au bureau de l’AFP, couvraient toutes les manifestations, travaillaient au milieu des affrontements.

« L’onde de choc grecque », c’est le titre de leur exposition au Couvent des minimes. Aris Messinis nous en parle et nous livre son regard sur la situation de son pays.

C’est la première fois que vous exposez au festival Visa pour l’image. Qu’est-ce cela représente pour vous ?

« Je suis heureux d’être exposé ici. C’est probablement le plus grand festival de photo au monde. Ces photos ne sont pas une seule et même histoire. C’est une sélection, une partie de ce qu’on nous avons couvert. Cela représente avant tout deux années de travail, de dur travail… Dangereux parfois.»

Les photographies choisies pour cette exposition montrent avant tout les affrontements et  les violences entre manifestants et policiers. Pourquoi ?

« Ce sont des choses réelles, auxquelles vous pouvez assister dans les grosses manifestations. C’est le résultat de longs mois de crise et malheureusement, cela risque de durer encore un moment. La colère des gens a grandi et toutes les catégories sont touchées : les vieux, les jeunes, les familles… Même les chiens ! (rires. NDLR, sur l’une des photos, un chien aboie sur des policiers. Il est devenu un symbole pour beaucoup de manifestants) »

Vous parlez de scènes semblables à celles d’une guerre civile, est-ce vraiment comparable ?

« Ça ressemble à une guerre civile sans les armes. Nous sommes chanceux de ne pas avoir en Grèce de répression dure. Mais les réactions sont exactement les mêmes. Le peuple se bat littéralement contre le gouvernement. Malheureusement, ça peut encore aller plus loin. Aujourd’hui, il n’y a plus de classe moyenne : il existe les pauvres, les très pauvres, les riches et les très riches. Quand vous divisez une nation en deux, les choses ne peuvent qu’ empirer. Il y a 25 % de la population au chômage. Imaginez dans cinq ans… ».

Aviez-vous peur ?

« Oui. La peur est notre meilleure conseillère. Mais il faut savoir l’oublier pour faire au mieux notre travail. Nous portions des masques à gaz et des boucliers. Les masques à gaz contre les larmes, les boucliers contre les pierres. Les photographes sont exposés des deux côtés : manifestants et policiers. Parce que vous êtes au milieu. Quand vous voyez un homme en feu, peu importe s’il s’agit d’un manifestant ou d’un policier, d’un homme bon ou mauvais. C’est un homme en feu. Vous vous dites que vous auriez pu être à sa place. En tant que photographe, vous n’êtes pas une cible mais quand un cocktail Molotov est lancé à côté de vous, vous savez que vous auriez pu être cet homme en feu. »

Etes-vous optimiste sur l’avenir de votre pays ?

« Absolument pas. Le gouvernement augmente les impôts, c’est le problème principal. Cette année, je paye le double de ce que j’ai payé l’an dernier: 40 % de mon salaire est ponctionné par les impôts. Le gouvernement réclame aux gens l’argent qu’ils n’ont pas. Ça ne peut pas durer. »

Pensez-vous qu’une sortie de la zone Euro puisse être une solution pour la Grèce ?

« Ceci est mon avis personnel. Au début, je pensais que non mais personne ne veut aider la Grèce, la Grèce elle-même ne veut pas aider son pays. En sortant de la zone Euro, cela risque d’être difficile pendant cinq ans, ce sera sûrement très dur mais si nous sommes sérieux, et que nous faisons attention, nous pouvons grandir et retrouver une stabilité économique.»

Propos recueillis par
Julien Depelchin et Emilie Coudrais