Depuis une dizaine d’années, Jean-Louis Fernandez est l’un des quatre réalisateurs des soirées de projection du Campo Santo. Pendant six jours, il offre aux spectateurs deux mois d’actualité en photos, glanées auprès d’agences du monde entier. Soit 10 000 à 15 000 images à trier pour n’en garder qu’entre 300 et 400 par « chrono ». Un travail colossal, exécuté en deux ou trois mois à Chagny, en Saône-et-Loire. Rivé sur l’écran, à regarder les images défiler, il repère d’un coup d’œil les meilleures.
Avec l’expérience, Jean-Louis Fernandez voit en quelques secondes « si c’est très bon, bon, ou à chier », et ne garde « que les plus fortes », sans jamais se laisser influencer en regardant le nom de leurs auteurs car, dit-il, « un photographe de magazine connu peut prendre de mauvaises photos s’il s’agit de couvrir une actualité chaude ». Ainsi, petit à petit, il passe à 1 500 images. Refait la même opération pour tomber à 500, puis 400, 300…
Le reste de l’année, Jean-Louis Fernandez est photographe. Photographe de scène, de spectacles vivants. Il parle d’un travail de « mémoire de la création ». Et pour la première exposition au sein du nouveau théâtre de l’Archipel, Jean-François Leroy, directeur général de Visa, ne voyait pas un autre que lui.
Témoin privilégié des acteurs, photographe associé à la Comédie de Clermont, Jean-Louis Fernandez était le mieux placé pour habiller l’œuvre de Jean Nouvel. S’il a droit aux honneurs aujourd’hui à travers cette rétrospective intitulée « Intimité », c’est parce que ces deux-là se connaissent de longue date.
Delphine Lelu, actuelle adjointe du directeur de Visa, était son ancienne camarade au lycée de Chalon-sur-Saône. C’est par son intermédiaire qu’il a fait son entrée dans le grand bain de Visa, en 1994. En tant que stagiaire de Jean Lelièvre, ancien réalisateur des projections, il « faisait de la repro à longueur de journée et mettait les diapos sous les caches en verre ». Des heures durant, il dépoussiérait les diapos, encore et encore. « Un gros travail de manutention », des gestes devenus instinctifs qu’il ne peut s’empêcher de reproduire, en racontant son histoire. De statut d’assistant du réalisateur, il est passé, dit-il, « naturellement » à celui de responsable des chronos. Il a quand même eu à prendre son mal en patience pendant dix ans avant de devenir réalisateur attitré du festival.
Des sujets faciles sur les animaux aux conflits les plus atroces, il a affûté son regard sur l’actualité, dominée « plutôt par des horreurs, parce que ce monde est pourri ».
Mais parmi les milliers de photos de morts, il y a encore « des photos qui le bouleversent ». Saisir « ces moments d’émotions » qui s’expriment autour du spectacle, c’est ce qui l’anime. « J’aime rentrer dans la bulle de création du début à la fin, en me fondant parmi les artistes, en m’effaçant tout en jouant au jeu du chat et de la souris ». Il ne tient pas en place. Comme s’il se devait, tel un comédien, d’occuper l’espace scénique de la vie.
C’est la première fois cette année que son travail est exposé à Visa pour l’image, ce festival qui lui tient à coeur. Pourtant en 1994, il était persuadé qu’il « ne serait jamais un bon photographe ». S’il a continué, « c’était pour (son) plaisir », il « s’éclatait à le faire ». Aujourd’hui, à 42 ans, son travail de mémoire est reconnu. Et lui reconnaît sans tabou que « c’est génial, jouissif! Oui. Jouissif « .
Mylène Jourdan et Lucille Topin