05 Jan

Léon Mortreux ne sait pas que son jeune frère Pierre a été tué la veille à Steinbach en Alsace

Ce 5 janvier 1915, Léon Mortreux envoie ses voeux à son oncle Fernand Bar à Béthune.

Léon ne sait pas encore que son jeune frère Pierre Mortreux a été tué la veille, au cours de l’attaque d’une tranchée allemande, le lundi 4 janvier à Steinbach, en Alsace.

Toujours à Vimoutiers en Normandie, Léon Mortreux a bien reçu les voeux de son frère aîné Jules. En revanche aucune nouvelle de son cadet Pierre.

 Dernières nouvelles de Pierre en date du 19 décembre. Jules a envoyé ses vœux de Rodez.
Y est-il encore ?

Dans ses dernières nouvelles en date du 19 décembre, Pierre disait qu’il était en première ligne sur le Front, se plaignant du froid. Il avait quitté la tranchée dans le secteur de Saint-Dié.

Depuis le 25 décembre, Pierre Mortreux était reparti avec le 152è R.I. à l’assaut de l’armée allemande dans le secteur de Steinbach. Deux semaines de violents combats. Une victoire pour l’armée française. La mort pour Pierre Mortreux.

Mais, en ce début d’année 1915, ses frères Léon et Jules ne le savent pas encore.

Les parisiens « indifférents aux soldats »

Dans sa lettre du 5 janvier, Léon indique qu’il a eu une permission fin décembre. Il a quitté Vimoutiers pendant 8 jours pour la capitale. Léon Mortreux a trouvé Paris « indifférent aux soldats » comme si les parisiens n’étaient pas vraiment concernés par les violents combats livrés à quelques centaines de kilomètres de là.

Bien que me doutant trouver Paris très calme je l’ai trouvé trop indifférent aux soldats et même en tenant compte du change des esprits à l’époque de l’entrée dans une année nouvelle , il me semble, à mon sens, que les habitants ne considèrent pas la guerre avec le sérieux qu’elle mérite

Dans sa lettre, Léon Mortreux apparaît touché, attristé par les propos « horripilants » de parisiens vivant « de loin le danger » .

Léon Mortreux

Léon Mortreux

Fernand Bar

Fernand Bar

Lettre de Léon Mortreux à Fernand Bar, le 5 janvier 1915.

« Tu auras trouvé Béthune tranquille et nos lettres de souhaits sur la table » 

Début 1915, Béthune n’est plus sous le feu de l’ennemi. Le Front s’est déplacé à une quinzaine de kilomètres vers l’Est.

 

 Correspondance de guerre, il y a cent ans …

Paris 5 janvier 1915
Cher oncle,

J’espère que tu auras eu un bon voyage de retour, que tu auras trouvé Béthune tranquille et nos lettres de souhaits sur la table.

Je n’ai donc pas eu la chance de te voir à Paris j’aurais tant désiré ce bonheur d’autant plus qu’à cette même époque de ton séjour ici mes sœurs et l’abbé mon parrain se trouvaient aussi à Paris mais les règlements militaires sont là, je n’ai pu et n’ai pas voulu les enfreindre en quittant Vimoutiers sans autorisation.

Bien que me doutant trouver Paris très calme je l’ai trouvé trop indifférent aux soldats et même en tenant compte du change des esprits à l’époque de l’entrée dans une année nouvelle , il me semble, à mon sens, que les habitants ne considèrent pas la guerre avec le sérieux qu’elle mérite, qu’ils ne comprennent pas suffisamment –depuis la retraite de Von Kluck- l’importance de la partie qui se joue.

« N’est-ce pas qu’il est épatant notre 79, que les obus boches n’éclatent pas et…. patati et patata……. Tout ça dit par un ancien colonial retraité fait plaisir mais dit jovialement par un bonhomme à gros ventre, qui fait des affaires, vit de loin le danger, cela est horripilant !
Certes beaucoup plus de raison et de cœur dans nos régions du Nord auxquelles je suis fier d’appartenir ! Si je n’étais pas un gars de là- bas je voudrais être né breton c’est une vraie race, héros inconscients souvent mais combien braves !

J’ai quitté Paris, allégrement, lundi, 8 jours de permission suffisaient, davantage entamerait l’énergie et puis ici j’ai retrouvé un camarade sergent à la même section que moi et blessé aussi le 6 septembre. Nous sommes ensemble ici mais à la 31ème Cie. L’ordre ne règne pas ici comme dans beaucoup de dépôts. D’ailleurs, tout est laissé à l’initiative privée et à la bourse du soldat, je pourrai t’en parler davantage après une expérience de quelques jours, c’est l’impression première que je te traduis. J’ai demandé en arrivant si l’on payait les prêts échus aux militaires blessés pendant leur séjour aux hôpitaux, tu penses comme ma demande a surpris Me Lebureau.

Je vois mon porte- monnaie s’amoindrir : à Paris nous avons eu un dîner avec les camarades qui quittaient Vimoutiers, j’ai acheté un sac de couchage, lampe de poche, pince, molletières etc… Je viens te demander de vouloir bien prélever dans mon livret de Caisse d’Epargne cent francs que tu auras la bonté d’envoyer pour moi à Berthe qui t’envoie pour le retrait une procuration en règle. 

Je te remercie pour la peine que je te crée, j’espère n’avoir plus besoin de faire des prélèvements, qui sait quand je serai à bout de mes fonds monétaires peut-être la guerre sera-t-elle finie !

J’ai vu à Paris Bivaut, Bouvier, Emma, le cousin Mortreux. J’ai trouvé Papa et Berthe très occupés à leur affaire de timbres. Le principe de l’entreprise est bon mais je trouve qu’ils ont trop de faux-frais.

Dernières nouvelles de Pierre en date du 19 décembre. Jules a envoyé ses vœux de Rodez. Y est-il encore ?

Je te renouvelle mes souhaits partis de Vimoutiers et t’embrasse affectueusement.
Léon

Vœux pour Marie

 

 

 

04 Jan

« C’est au combat du 4 janvier devant Steinbach que votre fils Pierre Mortreux a été mortellement blessé »

Terrible début d’année pour la famille Mortreux. Ce 4 janvier 1915, l’adjudant Pierre Mortreux, 25 ans, est tué dans « l’enfer de Steinbach » en Alsace, près du Hartmannswillerkopf surnommée « la montagne de la mort »

Ses frères aînés Léon et Jules Mortreux ne savent pas encore que leur jeune frère est mort sur le Front.

La lettre du décès a été envoyée début janvier 1915 à leur père Georges Mortreux. Elle décrit les circonstances de la mort du plus jeune soldat de la famille, Pierre Mortreux.

Ayant reçu l’ordre le 4 janvier à 15h30 de se porter avec sa section à l’attaque d’une tranchée ennemie il se trouva bientôt dans l’impossibilité d’avancer en raison de la violence du feu. Il voulut malgré cela exécuter les ordres donnés et c’est en entraînant ses hommes qu’il fut frappé d’une balle à la tête.

Pierre Mortreux, 24 ans, tué dans " l'enfer de Steinbach " le 4 janvier 1915.

Pierre Mortreux, 25 ans, tué dans  » l’enfer de Steinbach  » en Alsace, le lundi 4 janvier 1915.

Son agonie a été de quelques minutes à peine et il ne perdit pas un instant connaissance. Tranquillisez-vous sa mort a été douce et exempte de toute souffrance.

Pierre Mortreux, 25 ans, trouve la mort à Steinbach … dans « l’enfer de Steinbach » comme l’écrira quelques mois plus tard le Monde Illustré du 8 mai 1915.

Ce courrier précise que Pierre est enterré sur place à Steinbach  sans donner plus d’explications à cause de la censure postale.

la censure postale ne me permet pas de vous donner d’autres détails par correspondance.

Au début de la guerre, la censure postale a pour mission de lire les lettres des poilus pour supprimer les éventuelles informations militaires. Ces renseignements pourraient être repris par la presse et informer l’armée allemande. Par la suite, la censure servira aussi à surveiller le moral des poilus.


L’acte de décès de Pierre Mortreux précise :

Mort pour la France le 4 janvier 1915 à Steinbach Alsace
Genre de Mort Tué à l’ennemi

Extrait de la base de données des morts pour la France de la Première Guerre Mondiale

Extrait de la base de données des morts pour la France de la Première Guerre Mondiale


La  bataille de Steinbach

Fin décembre 1914, le village alsacien de Steinbach, au pied du massif du Hartmannswillerkopf, est tenue par l’armée allemande. En 1914, toute l’Alsace est allemande depuis le traité de Francfort de 1871.

Le gouvernement français veut reprendre l’Alsace abandonnée au Reich. Le secteur de Thann, Cernay, Steinbach, objectif stratégique de la France ouvre la porte vers Mulhouse et sa zone industrielle.

L’ennemi occupe les hauteurs de Steinbach, le plateau d’Uffholtz et la côte 425 qui sépare Steinbach de Vieux-Thann.

Le 24 décembre 1914, la 66è division d’infanterie de l’armée française reçoit ordre d’attaquer. Les poilus du 152è sont aussi engagés dans cette bataille dont l’adjudant Pierre Mortreux.

Commencent alors 15 jours de combats terribles dans le froid de l’hiver alsacien, racontés en détails dans « La boue rouge » par Vincent Bullière.

Le Hartmannswillerkopf, l’un des champs de bataille les plus meurtriers en 1915
Voir le reportage de Anne de Chalendar de france 3 Alsace


14/18 au Hartmannswillerkopf

 

Pierre Mortreux ne verra pas la victoire de l’armée française à Steinbach … un grand fait d’armes selon la presse française. Cette victoire est saluée à l’époque comme le symbole du retour de l’Alsace dans le giron de la France.

Les combats dans le cimetière de Steinbach, dessinés par André Galland en 1915. Publié dans "La boue rouge" par Vincent Bullière

Les combats dans le cimetière de Steinbach, dessinés par André Galland en 1915. Dessin publié dans « La boue rouge » par Vincent Bullière

Ce 4 janvier 1915, Pierre Mortreux est tué au combat, d’une balle dans la tête, dans l’attaque d’une tranchée allemande.

Il est retrouvé sans ses papiers « sans doute a-t-il été fouillé par un soldat ennemi » précise la lettre envoyée au père de Pierre Mortreux.

La tombe de l’Adjudant Pierre Mortreux du 152è Régiment d’Infanterie tué à Steinbach le 4 janvier 1915

Nous avons retrouvé sa montre que nous vous ferons parvenir au plus tôt c’est le seul souvenir qui vous restera de ce pauvre Pierre.

Selon le journal des opérations du 152è R.I., les combats de la journée du 4 janvier à Steinbach ont fait « 23 tués, 68 blessés et 2 disparus »

 

Courrier envoyé à Georges Mortreux annonçant la mort de son fils Pierre Mortreux le 4 janvier 1915 à Steinbach.

Lettre-deces

 

C’est au combat du 4 janvier devant Steinbach (Alsace) que votre fils Pierre a été mortellement blessé.
Voici dans quelles conditions.

Ayant reçu l’ordre le 4 janvier à 15h30 de se porter avec sa section à l’attaque d’une tranchée ennemie il se trouva bientôt dans l’impossibilité d’avancer en raison de la violence du feu. Il voulut malgré cela exécuter les ordres donnés et c’est en entraînant ses hommes qu’il fut frappé d’une balle à la tête.

Son agonie a été de quelques minutes à peine et il ne perdit pas un instant connaissance. Tranquillisez-vous sa mort a été douce et exempte de toute souffrance.

Quant à ses papiers que nous nous serions fait un devoir de vous faire parvenir ils avaient disparu quand nous avons pu nous occuper de son cadavre. Sans doute a-t-il été fouillé par un soldat ennemi pendant les péripéties du combat.

Nous l’avons enseveli à l’endroit où il a payé de sa vie son courage et son dévouement pour lesquels il a d’ailleurs été cité à l’ordre de l’armée. Il repose actuellement à gauche du village de Steinbach.

Vous comprendrez qu’il est bien difficile de vous indiquer exactement l’endroit par correspondance mais étant moi-même Parisien je me ferai un devoir de vous donner de vive voix tous les renseignements complémentaires dès que je pourrai vous rendre visite car la censure postale ne me permet pas de vous donner d’autres détails par correspondance.

Je me fais l’interprète de tous mes camarades pour vous répéter encore combien grande est notre participation à votre douleur.
Comptez sur moi, Monsieur, pour l’adoucir autant que cela me sera possible par quelques détails réconfortants sur notre vie antérieure et cela dès que je pourrai le faire.

Je vous renouvelle encore mes condoléances les plus sincères et vous prie d’agréer ma profonde considération.

P.S. Nous avons retrouvé sa montre que nous vous ferons parvenir au plus tôt c’est le seul souvenir qui vous restera de ce pauvre Pierre.
Comptez également sur nous pour vous retourner toutes correspondances qui pourraient parvenir à son adresse.

 

 

 

25 Déc

La lettre du jour de Noël 1914 de Léon Mortreux

Ce 25 décembre 1914, Léon Mortreux fête Noël à Vimoutiers en « attendant patiemment sa feuille de route ». Mobilisé  début août 1914 dès le déclenchement de la guerre, blessé en septembre 1914 lors de la Bataille de la Marne à Varreddes, Léon ne pensait pas passer Noël 1914 et le jour l’an 1915 à Vimoutiers.

Dans cette lettre du 25 décembre 1914 envoyée à son oncle Fernand Bar à Béthune, Léon Mortreux écrit que les soldats ont été gâtés à Noël par le baron Mackau, le doyen des députés, ancien ministre de la Marine.

Nous sommes trop bien ici. Aujourd’hui Noël, le Baron Mackau nous a gâtés, nous l’avons remercié en … trinquant à sa santé.

Ce même jour de Noël, le 25 décembre 1914, le frère aîné de Léon, Jules Mortreux écrit qu’il avait préparé un réveillon de Noël festif . « Nous avions économiquement arrangé cela avec 4 copains par l’achat d’une superbe dinde ( ici 4 francs 50 ! ) et nous nous préparions à un peu de gaîté pour oublier les nombreux moments tristes mais nous avions compté sans le général imprévu !… le réveillon fût «  bien lugubre ».


Pierre Mortreux part vers « l’enfer de Steinbach »

Pour Pierre, le plus jeune des frères Mortreux, la période des fêtes s’annonce beaucoup moins gaie. L’adjudant Pierre Mortreux affronte le feu de l’ennemi dans l’Est de la France. Dans une lettre du 19 décembre adressée à Jules, Pierre Mortreux écrit  qu’il a « quitté la tranchée »  dans le secteur de Saint-Dié.

Je reçois aujourd’hui une lettre du frangin Pierre. Il se plaint toujours du froid, et se félicite de la toile cirée ! Depuis le 19, date de la lettre ils ont quitté la tranchée, remplacés par des territoriaux

Le 152è Régiment d'Infanterie et l'adjudant Pierre Mortreux font route vers " l'enfer de Steinbach "

Le 152è Régiment d’Infanterie et l’adjudant Pierre Mortreux font route vers  » l’enfer de Steinbach « 

Dans sa lettre adressée à Jules, Pierre Mortreux explique que sa compagnie a été remplacée mi-décembre par les territoriaux, des soldats plus âgés généralement affectés dans des secteurs moins exposés.

Pierre s’attend à passer un Noël plus « tranquille ». Pas vraiment ! 

Selon le journal des marches et opérations des corps de troupe« le 152è Régiment d’Infanterie cesse le 18 décembre 1914 de faire partie de la 41è Division pour passer à la 66è Division. »

Extrait du Journal des Marches et Opérations du 152è Régiment d'Infanterie.

Extrait du Journal des Marches et Opérations du 152è Régiment d’Infanterie.

La veille de Noël 1914, le 152è R.I. reçoit l’ordre d’attaquer sur le Front. 

Dans la nuit de ce 25 décembre 1914, l’adjudant Pierre Mortreux  et  son régiment quittent le cantonnement de Fellering, près de Mulhouse vers 3 heures du matin. Aujourd’hui, le temps de marche annoncé par la Google Maps indique 4h16. En fait, il y a cent ans, les troupes ont mis toute la journée pour atteindre l’objectif.

Pierre fait route vers une zone beaucoup plus exposée. Son régiment a reçu l’ordre d’attaquer sur le Front, dans le secteur de Steinbach,

Quelques mois plus tard le Monde Illustré parlera de ...« l’enfer de Steinbach » 

Léon Mortreux

Léon Mortreux

Fernand Bar

Fernand Bar

 

Lettre de Léon Mortreux à Fernand Bar, le 25 décembre 1914

« Pour vrai que les Boches évacuent notre Nord ils sont envers lui d’une insolence dont rien ne donne idée. »

 

La tréve de Noël

A Béthune, Fernand Bar et la famille ont retrouvé le sommeil. Les obus allemands ne tombent plus sur la ville. Le Front s’est éloigné de quelques kilomètres.

j’ai eu la joie d’apprendre par la presse que l’ennemi avait été chassé d’Halluch d’où cessation du bombardement de Béthune.

Ce 25 décembre 1914, les armes se sont tuent, dans le Pas-de-Calais comme sur de nombreux sites le long des 750 kilomètres de la ligne de Front.

C’est la trêve de Noël … pour quelques heures.

 Correspondance de guerre, il y a cent ans …

 

25 décembre 1914

Cher oncle,

Je ne pensais pas t’adresser ma lettre de l’an d’ici, de Vimoutiers mais que veux-tu on m’y garde de force, soldat obéissant je n’ai cure d’encourir une punition, en guettant l’ambulance sans ordre pour le dépôt allemand donc patiemment notre feuille de route qui ne saurait tarder à venir. 

Nous sommes trop bien ici. Aujourd’hui Noël, le Baron Mackau nous a gâtés, nous l’avons remercié en … trinquant à sa santé. 

Par Berthe je viens d’avoir de tes nouvelles – édition la plus récente. Suis ravi de te savoir très bien portant en dépit des souffrances passées.

Pierre n’écrit pas parait-il. Qu’on pense cependant à l’encombrement de la poste en ce moment ! Berthe lui a envoyé une lampe électrique, mais il n’y a rien de surprenant à ce qu’il ne l’ait pas encore. Je connais ici une dame dont un colis envoyé par elle aux tranchées mit 2 mois pour parvenir à l’intéressé ! Continuons donc d’attendre nos missives de l’adjudant sans accorder foi à aucun pronostic malheureux qui pourrait naître en nous à son égard.

Jules m’a écrit le 10 décembre. Je le suppose toujours à Rodez. De Chartres j’ai de bonnes nouvelles et sais que mon oncle Paul et les petites sont repartis à Amiens. Le cousin Paul Bar et Augustin viennent de m’écrire, tu sais tout ce qu’ils peuvent me dire touchant les évènements que nous traversons.

Je t’ai moi-même envoyé une épitre vers le 15 de ce mois, j’ai eu depuis la joie d’apprendre par la presse que l’ennemi avait été chassé d’Halluch d’où cessation de bombardement de Béthune. Pour vrai que les Boches évacuent notre Nord ils sont envers lui d’une insolence dont rien ne donne idée.

Que pourrais-je mieux te souhaiter qu’une délivrance rapide de ces poux gris, que l’on applique vite en abondance l’onguent qui fait les étouffer !
Volontiers je m’arrête à l’idée que si tu compares –après tout la chose est possible- le souvenir que t’a laissé le jour de l’an de 1870 et celui de 1915, il y a différence du tout au tout. Celui-ci est fait d’expérience.

Sans doute nos environs sont dévastés qui autrefois avaient été respectés par l’ennemi, la mortalité par bravoure est plus grande aujourd’hui l’artillerie tapant plus fort. Mais n’avons-nous pas la certitude de la victoire ? Cette certitude fait accepter avec foi les dégâts passagers causés par les Germains.

Tristes sont certainement certains foyers, pensons que les défunts ont eu la plus belle mort.

A ce propos je relis une de tes dernières lettres. Tu m’as écrit que « tu comprenais mes pleurs ». C’est de sueurs que je t’ai parlé ainsi que tu pourras te le confirmer en voyant ma lettre (vers fin octobre) si tu l’as encore. Je me proposais à l’époque d’envoyer ces pages de toi en communication mais n’ai pas osé le faire, pensant qu’on me prendrait pour un pleutre en supposant que j’avais « pleuré ».

Pardonne-moi, je ne suis pas plus brave qu’un autre. Je vois ici autour de moi de braves soldats –pas vantards- qui en ont vu bien davantage que moi surtout ceux qui ont fait la retraite de Belgique, et combattu dans des villes occupées par l’ennemi. J’aurais tort de considérer mes faibles bras comme ceux d’un Lord, mais, sur l’honneur jamais je n’ai pleuré !

Ma prochaine lettre t’arrivera très vraisemblablement du dépôt de Marvejols, d’ici là vous serez bon de m’écrire à Paris car il faut bien supposer que j’y serai prochainement en jouissance d’une permission de 8 jours.

Crois à ma plus grande affection pour toi et à ma plus vive reconnaissance. Accepte les meilleurs souhaits d’un petit soldat de France qui espère avoir encore quelques doigts l’an prochain pour à nouveau t’offrir ses vœux.

Je t’embrasse affectueusement.
Léon

Souhaits à Marie

 

 

18 Déc

« La lutte sera longue et chacun doit s’attendre à avoir l’honneur d’y participer »

Ce vendredi 18 décembre 1914, Jules ne se fait plus d’illusion sur la durée de la guerre. Le soldat Jules Mortreux attend son départ du Dépôt de Rodez pour une destination encore inconnue, dans le Nord ou l’Est de la France.

A Rodez, le 122ème va toujours dans le Nord vers Ypres renforcer l’armée anglaise. L’autre régiment, le 276ème rejoint toujours l’Argonne dans l’Est. Mais où que ce soit, ce sera long !

On nous a lu au rapport une note ministérielle nous disant que la lutte sera longue et que chacun de nous, même territorial, doit s’attendre à avoir l’honneur d’y participer ; c’est les seuls bruits de paix que nous possédions en ce moment


Dans cette lettre de Jules Mortreux adressée à son oncle Fernand Bar à Béthune, Jules espère un départ pour Ypres en collaboration avec l’armée anglaise … pour des raisons pécuniaires.

Il parle de ses frères. Léon Mortreux « pivote » toujours à Vimoutiers et attend son évacuation sur son Dépôt de Marvejols. 

En revanche, les nouvelles de Pierre Mortreux sont inquiétantes. Il affronte les allemands dans l’Est de la France où se déroulent de « violents combats ». Il décrit « des paysages tristes … entourés de tombes ». 

J’ai reçu dernièrement une carte de Pierre il décrit le paysage « un campement du temps des Gaulois, mais bien triste, car de sérieux combats ayant eu lieu dans ces parages, je suis entouré de tombes. Il fait froid, et les nuits nous semblent interminables. Avec ça, l’ordinaire sur lequel nous comptons pour nous réchauffer, nous arrive toujours froid. A part ça, « le moral est bon »

Jules Mortreux

Jules Mortreux

Fernand Bar

Fernand Bar

 

Lettre de Jules Mortreux à Fernand Bar, envoyé le 18 décembre 1914

« Tant mieux si Béthune est un peu plus calme et si tu peux enfin fermer l’oeil en paix »

 

 

Correspondance de guerre, il y a 100 ans …

 

Rodez 18 décembre 1914
276 – 30 Cie Dépot

Mon cher Oncle,

Je viens te remercier pour la lettre bien intéressante du 14 décembre que j’ai lue avec un vif intérêt. Tant mieux si Béthune est un peu plus calme et si tu peux enfin fermer l’œil en paix. Je te remercie encore pour la délicate attention que tu témoignes à mon égard au point de vue monétaire. Toutefois en réunissant le débris de mes modestes capitaux, j’arriverai peut-être à en avoir assez pour adoucir quelquepeu l’ordinaire qui en a besoin.

Je me fais à ma litière, et j’arrive même maintenant à y faire des roupillons qu’envieraient certainement les habitants des tranchées neigeuses ! Nous pensons souvent à nos frères d’armes et les blessés qui arrivent chaque jour de ces parages (la plupart pieds gelés) nous apportent chaque jour de leurs fraîches nouvelles.

J’ai reçu dernièrement une carte de Pierre qui décrit le paysage « un campement du temps des Gaulois, mais bien triste, car de sérieux combats ayant eu lieu dans ces parages, je suis entouré de tombes. Il fait froid, et les nuits nous semblent interminables. Avec ça, l’ordinaire sur lequel nous comptons pour nous réchauffer, nous arrive toujours froid. A part ça, « le moral est bon »

Léon est toujours dans son hôpital, attendant son évacuation sur son Dépôt. On a demandé aujourd’hui des interprètes anglais, je me suis fais inscrire et mon capitaine m’a maintenu. J’ai donc chance d’aller voir le Nord.

Mon souhait est que ce soit avec l’armée anglaise (raison pécuniaire) car on nous place aussi avec l’armée française qui est en relation avec l’aile anglaise et là, ce n’est certainement pas la bonne place car on nous use comme homme de communication, et nous sommes souvent ou fait prisonniers ou visés. Enfin nous verrons ça par expérience, peut-être irai-je jusque Béthune, t’acheter du matériel pour nos alliés, j’espère que tu me réserveras une petite commission !

Il y a eu deux départs cette semaine, un pour le 76 dans l’Argonne, l’autre pour renforcer le 122 à Ypres. Il y en a un autre cette semaine, dont je devais être pour le 276 à Soissons. C’est mon inscription comme interprète qui me laisse ici momentanément à la disposition du chef de corps, mais je crains bien, à cause de cela, d’être envoyé comme interprète avec le prochain renfort du 122, régiment également localisé ici, et qui va toujours en renforcement à Ypres, par conséquent en collaboration avec l’armée anglaise.

As-tu des nouvelles du Général Laithiez ? Je vais lui envoyer un mot, il doit appartenir, s’il est toujours à Montauban au même corps d’armée que moi et ce peut m’être utile.

Je vais mieux, ne tousse plus, et n’éprouve pas ici des rhumatismes, étant à l’abri. Bien que ce soit que pluies et boues depuis quelques temps, ce qui n’a rien d’agréable pour les marches d’entraînement !

On nous a lu au rapport une note ministérielle nous disant que la lutte sera longue et que chacun de nous, même territorial, doit s’attendre à avoir l’honneur d’y participer ; c’est les seuls bruits de paix que nous possédions en ce moment. Il y a dans mon régiment pas mal de parisiens boute-en-train qui nous égaient un peu pour nous faire oublier les moments noirs qui nous viendraient, si nous réfléchissions trop souvent !

Au revoir, mon cher Oncle, espérons toujours que tout ira pour le mieux pour nous et pour tous. Je t’embrasse de tout cœur.

Jules Mortreux

08 Déc

« Les journaux ont parlé dernièrement de 25 à 30 obus par jour sur Béthune »

Ce mardi 8 décembre 1914, Léon Mortreux écrit à son oncle à Béthune. Le Sergent Léon Mortreux se languit toujours à Vimoutiers. Dans cette lettre envoyée à Fernand Bar, il raconte que les départs sur le Front sont retardés à cause du changement de tactique des armées. Impatient de repartir affronter l’ennemi, Léon veut en finir avec cette guerre qui ne fait que débuter.

Depuis novembre 1914, les armées françaises, britanniques et allemandes ont changé de stratégie militaire. De la guerre de mouvement, le conflit s’est installé dans une guerre de tranchées. Les mouvements de troupes sont moins nombreux.

Toujours ironique dans ses courriers, Léon Mortreux évoque le mois d’août 1914, les marches en campagne, « les patelins traversés en riant … on changeait de sites, on mourrait dans des champs ensoleillés ». 

Il évoque même les bons moments ! … l’exploration des poulaillers et des caves.

Et puis qu’est ce qui fait le « soldat », si ce n’est un vieux fond de canaillerie qui vit en nous et nous incite à profiter vite car demain !

Ironique, lucide sur ce qui l’attend, Léon craint de voir cette guerre de tranchées s’éterniser pour s’installer dans « un état de paix armé à minimum d’hostilités »

Léon Mortreux

Léon Mortreux

Fernand Bar

Fernand Bar

Lettre de Léon Mortreux à Fernand Bar, le 8 décembre 1914

« Quels canards racontent ces journalistes ! Il faut cependant reconnaître qu’ils ont parfois un réel mérite à chercher à leurs sources les sujets de leurs narrations »

 


Pourquoi nos contrées du Nord souffrent davantage 

A Béthune, les obus allemands ont fait de nombreuses victimes et d’importants dégatsLéon Mortreux espère que sa contrée du Nord se relèvera vite de cette guerre après avoir souffert plus que d’autres. Dans l’attente de partir sur le Front, il continue de « pivoter » au Dépôt de Vimoutiers. Il écrit et lit beaucoup les journaux, les « canards » comme il les nomme, pour s’informer sur l’évolution de la guerre près de Béthune.

Carte-14-18-NPdC

Les journaux ont parlé dernièrement de 25 à 30 obus par jour sur Béthune, mais sans grand dommage, est-ce que cette ration journalière continue à vous être servie et pouvez-vous enfin dormir ? 

Ce 8 décembre 1914, Léon ne sait pas que depuis début décembre l’armée allemande s’éloigne à une quinzaine de kilomètres de Béthune pour s’enterrer dans les tranchées.

Correspondance de guerre, il y a cent ans …

8.12.1914
Cher oncle,

Et me voici encore à Vimoutiers ! Comment se fait-il ? C’est parce que les luttes sur le front sont moins meurtrières et qu’on n’expédie pas de blessés pour nous remplacer.

A tous égards ne nous en plaignons pas et en ce qui me concerne les nouveaux tissus de cicatrisation qui couvrent ma blessure ne pourront pas gagner en force et en élasticité du fait de mon séjour qui se prolonge ici. 

C’est en donnant crédit à un rapport « de cuisine » que j’avais cru me voir désigné à partir le 27 novembre ou le 1er décembre, or il n’y a pas eu d’évacuation de Vimoutiers depuis le 17 novembre !

Notre médecin n’est prévenu que la veille par Argentan quand il doit mettre en route un convoi de convalescents pour faire place à ceux qui arrivent prendre leurs places ici ; entre le départ et la nouvelle fournée il y a juste le temps matériel de changer les draps.

C’est dire qu’Argentan n’est pas loin de Vimoutiers et qu’il règne ici au moins une propreté élémentaire.
Je ne puis donc essayer de t’indiquer une date pour mon départ crainte de me tromper à nouveau ; j’aimerais apprendre par une lettre que tu adresserais ici que tu es toujours bien portant, ma foi si je suis parti quand ta missive parviendra à V., on me la fera suivre.

Les journaux ont parlé dernièrement de 25 à 30 obus par jour sur Béthune, mais sans grand dommage, est-ce que cette ration journalière continue à vous être servie et pouvez-vous enfin dormir ou sommeiller car il faut enfin admettre que l’ennemi s’est décidé à mettre une sourdine à l’orchestre.

J’espère aussi que les vivres ne vous font plus défaut ?
Que sont devenues, à part toi, les grosses légumes de Béthune, Viez, Campion, etc… et à St-Pol ton ami Rodez ?

Puisque tu m’as donné leurs différentes adresses j’ai écrit à Fruges et à St-Aignan. Martial m’a répondu pour mon oncle Auguste disant que ce dernier souffrait de cystite mais heureusement allait mieux. Il me dit qu’il m’envie de pouvoir servir le pays alors que lui, dans les circonstances douloureuses que nous traversons, lui est inutile.

J’aurais désiré avoir quelques détails sur la vie là-bas, sur H. Bracq et son tout jeune fils mais l’écrivain était arrivé au bout de ses 4 pages et ne m’en a rien dit. Aucune nouvelle de Pierre, soit directement ou par Paris ? Jules continue de pivoter à Rodez en attendant qu’on l’appelle sur le front. Nous correspondons facilement.

Jugeant mon départ d’ici imminent j’avais comme à toi conseillé aux Parisiens de ne pas m’écrire, je les prie maintenant de reprendre la bonne habitude de la correspondance bi-hebdomadaire. As tu de leurs nouvelles ? Je ne puis t’en rien dire car il y a plusieurs jours que je ne les ai lus ainsi que Flore.
Point de détails sur mon oncle Paul et sur nos jeunes sœurs. J’ignore où ils sont ? As tu toujours Dussart le camarade de Marie Delelis à laquelle je souhaite bonne continuation de courage et de santé ?

Ici vilain temps humide, pluies fréquentes, et vous à Béthune ? J’ai des ouvrages sur le 1er Empire et chaque matin je parcours des journaux (3 ou 4 pour me faire l’opinion). Quels canards racontent ces journalistes !

Il faut cependant reconnaître qu’ils ont parfois un réel mérite à chercher à leurs sources les sujets de leurs narrations, absolvons les donc de leurs calembredaines passées devant le témoignage de leur héroïsme présent.

Je voudrais apprendre par eux et par toi que l’ennemi est enfin évacué de l’Artois et la Flandre française. Quelle triste guerre que cette guerre de tranchées, ça s’éternise et va devenir presque un état de paix armée à minimum d’hostilités.

Enfin consolons-nous en pensant que si l’on agit ainsi c’est que c’est le bon moyen, nous avons des chefs capables. Et pourquoi sont-ce nos contrées du Nord qui en souffrent davantage ? C’est parce qu’entre toutes elles sont les plus capables de se relever. Voilà ce que je me dis.

J’ai tout de même eu la veine de venir au bon moment de la campagne quand on bougeait, on traversait les patelins en riant ; puis l’exploration des poulaillers et des caves – j’ai fait comme les camarades – sainte Excuse priez pour nous – avait son charme, plus que ça, même.

On changeait de sites, on mourait dans des champs ensoleillés. Et puis qu’est-ce qui fait le « soldat » si ce n’est un vieux fond de canaillerie qui vit en nous et nous incite à profiter vite car demain ! En somme je ne suis jamais si bien convaincu que tout est à tout le monde que ce mois d’août dernier.

Je conclus avec nos pères et nos amis anglais « qu’honni soit qui mal y pense » mais la guerre en tranchées… pas intéressante. Ça ne fait rien, contentons-nous de ce qu’on a et en attendant qu’on m’y envoie le plus vite possible je t’embrasse de tout mon cœur.

Ton neveu reconnaissant.
Léon

30 Nov

« Sachons nous défendre à l’attaque. C’est un droit et une justice. »

Dans ce nouveau courrier écrit par Jules Mortreux à son frère Léon, Jules a griffonné un drapeau français dans un coin de la lettre comme pour souligner son patriotisme. En cette période de doutes, il partage avec son frère quelques certitudes sur le sens du droit et de la justice.

n’attaquons pas mais par respect pour nous-mêmes sachons nous défendre à l’attaque. C’est un droit et une justice.  .

Ce lundi 30 novembre 1914, Jules Mortreux attend toujours à Rodez l’ordre de départ de son régiment sur le Front. En cette fin novembre, il neige, il fait froid, et le climat avec les gens du cru est tout aussi gelé

Dans cette lettre, il raconte la vie de son régiment et décrit une ambiance de plus en plus lourde.

Les relations entre les poilus et les habitants sont très tendues, voire détestables.

les braves habitants en ont profité pour doubler tous les prix … chacun fait du patriotisme à sa façon !

Au sein même de l’armée française, l’ambiance n’est pas, non plus, au réchauffement et à la franche camaraderie.

A l’intérieur du Dépôt de Rodez, la tension monte entre les régiments, souvent jusqu’aux coups de poing, entre le 76è Régiment de Béthune et le 122è Régiment  de Rodez. Les soldats, peu encadrés, sont de plus en plus livrés à eux mêmes.

nous sommes 800 dans ma compagnie, as-tu déjà vu ça ?

Jules Mortreux

Jules Mortreux

Léon Mortreux

Léon Mortreux


Lettre de Jules Mortreux à Léon Mortreux, le lundi 30 novembre 1914
Selon les dernières informations, Jules ne partira pas de Rodez pour le Front avant deux semaines. Léon pressent son départ de Vimoutiers pour début décembre.

 

« Béthune dans la zone dangereuse »

Dans cette lettre du 30 novembre 1914, Jules Mortreux raconte qu’il a reçu des nouvelles de son oncle Fernand Bar à Béthune, sous les obus. Les allemands bombardent la ville où l’armée britannique a installé son cantonnement.

« Un obus est tombé sur la Charité. » L’orphelinat de Béthune a aussi souffert.

Depuis plusieurs semaines, l’armée allemande pilonne le béthunois et l’arrageois. Arras est dévasté. Les habitants ont quitté la ville raconte La Voix du Nord.

 Correspondance de guerre, il y a cent ans …

 

Jules – 30 novembre 1914
Mon cher Léon,

J’ai donc à te remercier de tes 2 lettres du 20 et 26 instant. Certainement, je suis de ton avis, pardonnons; n’attaquons pas mais par respect pour nous-mêmes sachons nous défendre à l’attaque. C’est un droit et une justice. 

Je t’écris donc encore à Vimoutiers puisque tu me dis ne pas partir avant vendredi. Si tu passes à Chartres voir la cathédrale, une de nos cathédrales types de la période de transition XII au XII siècle, visible par les deux clochers d’architecture différents, voir aussi la crypte. C’est d’ailleurs, avec une vieille église, St Remy je crois, les deux seules choses intéressantes du pays.

Je suis encore de ton avis, pour la promiscuité malsaine dont tu parles, s’il n’y avait que celle-là, mais il y a aussi la promiscuité morale, bien souvent insupportable aussi. En ce moment où le soldat est pour ainsi dire livré à son initiative individuelle, un peu par la force des choses … nous sommes 800 dans ma compagnie, as-tu déjà vu ça ?

Il est vrai qu’à Rodez les bains simples coûtent 1,25 franc. Il faut te dire que l’auvergnat est le plus sale type que l’on ait inventé, avare et sale. Vu l’arrivée des troupes ici, les braves habitants en ont profité pour doubler tous les prix (chacun fait du patriotisme à sa façon !), de plus ils ont l’esprit étroit des gensses du midi. Il y a ici en garnison régulière le cent-vingt-deux d’où rivalité stupide entre le 76 et le dit 122 composé naturellement de gus (sérieux) ayant l’accent.

Cela se termine souvent dans les rues par des coups de poings ! Non, je ne viendrai pas user mes rentes par ici. Avec cela qu’il fait toujours un temps épouvantable, neige, froid, boue. Ce qui n’ajoute guère de charmes aux marches d’entraînement ou manœuvres journalières !

Nous trimons dur, mais d’après les derniers renseignements je ne pense pas toutefois partir avant 15 jours. A propos de permission voici comment ça se passe ici. Quand un poilu est envoyé de son hôpital il arrive directement à son dépôt, dit pour eux de convalescence, là, il couche sur un peu de paille, avec un couvre-pied pour tout potage, et dans une salle non chauffée. S’il veut une nourriture substantielle il a le droit de l’aller prendre en ville.

Quand, par ce procédé, il a les reins bien assouplis, ayant été reconnu bon par le major, on le reverse dans une section de marche. Il a le droit toutefois de poser une permission de 8 jours, trajet compris, mais … tout homme revenu de permission fait partie du premier renfort. Cette seconde notion a été promulguée après la première. Tu parles si l’afflux des demandes de permission a subitement baissé ! –Conclus.

Reçu lettre très intéressante de mon oncle Fernand, il est en plein dans la zone dangereuse Béthune étant journellement bombardée. Un obus est tombé sur la Charité. L’orphelinat a paraît-il souffert aussi !

Merci pour l’article intéressant de Barrès, Je l’avais déjà lu. De ton avis en plein jour de réflexion about the generation who must fight for the right.

Donne moi toujours ta prochaine adresse fixe, comme toi, j’en ai à te raconteur plusieurs choses intéressantes, mais non urgentes. Je vais mieux, mais les débuts furent diablement durs, je commence à me refaire les pieds.

De tout cœur mon cher Léon, en attendant la réunion finale. When ? It is long indeed !

Jules Mortreux

Bonjour à Mohamed
Beware of the gambler !!!

 

 

 

26 Nov

« Je vois ici de grandes tristesses »

Ce 26 novembre 1914, Jules Mortreux écrit une très longue lettre à son oncle Fernand Bar à Béthune.

Jules est maintenant rétabli. En cantonnement à la 30è Cie au Dépôt de Rodez, le soldat Mortreux fait partie des compagnies de marche. D’ici une quinzaine de jours, Jules sera sur le Front avec « le 276 vers Soissons ou le 76 dans les marécages de l’Argonne ».

Dans sa section composée de soldats ayant déjà vu le feu, les poilus parlent beaucoup des précédents combats, exprimant « un désir de vengeance »

Je vois ici de grandes tristesses, et il vous vient à leur vue un désir de vengeance, que l’on doit avoir une certaine satisfaction à mettre à exécution, espérons encore que nous le ferons honorablement.

Ce 26 novembre 1914, Jules Mortreux a bien compris que la guerre est loin d’être terminée. De la guerre de mouvement, les armées française, britannique, allemande sont passées à une guerre de tranchées.

Mon régiment a énormément souffert ! Malgré cela, il y en a beaucoup ici qui commencent à trouver le temps long, et la grande question du jour est de savoir quand tout cela finira.

 

Jules Mortreux

Jules Mortreux

Fernand Bar

Fernand Bar

 

 

Lettre de Jules Mortreux à Fernand Bar, le 26 novembre 1914

 

 

 

Jules prend tous les jours des nouvelles de la famille à Béthune … avec le décalage dû à la lenteur du courrier. Il suit avec attention les combats dans le Pas-de-Calais.

Dans sa lettre du 26 novembre, Jules Mortreux sait que l’ennemi se trouve à quelques kilomètres, aux portes de Béthune bombardé depuis plusieurs semaines.

 conservons le ferme espoir qu’ils n’entreront jamais dans Béthune


Journal de campagne des frères Mortreux

Ce 26 novembre 1914, les 3 frères Mortreux combattent ou attendent de retrouver le Front avec leur compagnie.

Le plus jeune, l’adjudant Pierre Mortreux du 152è affronte les allemands dans les Vosges dans de très violentes batailles. Le sergent Léon Mortreux du 246è devrait rejoindre le Dépôt de Marjevols. Et le plus âgé, le soldat Jules Mortreux du 276è s’apprête à partir pour Soissons ou la foret de l’Argonne.

Correspondance de guerre, il y a cent ans …

 

Jules – 26 novembre 1914
Rodez- (Aveyron) 276e de Ligne-30e Cie de Dépôt.

Avec un grand plaisir Mon Cher Oncle je reçois aujourd’hui par l’intermédiaire de Berthe ta lettre du 16 Novembre. Je n’ai fait que passer à Coulommiers, car le dépôt de mon régiment étant à Rodez, j’y fus ensuite envoyé.

En effet je fus bien touché, et vais mieux aujourd’hui quoique pas encore bien solide, je n’ai pu supporter les fatigues du début, surtout que, bien qu’étant dans le midi, il fait ici une température très rude, à cause de l’altitude de 750 mètres, neige, pluie, glace, boue etc… Nous sommes à cela logés dans un grand séminaire, sans feu, et couchons sur un peu de paille, avec une couverture. Ceci pour nous habituer à la dure.

Les premières nuits furent blanches, maintenant je commence à dormir et les reins s’assouplissent, malgré les rhumes successifs. Mais tout ceci est encore du pain blanc à côté de la tranchée, ne nous plaignons donc pas !

Je continue mon traitement grâce aux Sœurs de Charité du pays, chez qui je vais 2 fois par jour prendre de la tisane –ad hoc- je leur en suis bien reconnaissant, car s’il nous fallait compter sur la sensibilité des majors, ils n’en ont pas le temps ! Il y a en plus de cela une telle bande de carottiers, que pour être surs de n’être point grugés, ils envoient sans hésitation les malades plutôt que de se croire grugés. Ils n’ont pas tout à fait tort.

N’ayant plus maintenant de maladie visible je ne puis donc songer à rester ici, et fais partie des compagnies de marche qui encadrent, au fur et à mesure la jeune classe, dont il reste d’ailleurs peu ici. Les renforts en cet instant se succèdent rapidement, et je m’attends à partir dans la quinzaine, peut-être aurai-je tout de même le plaisir de te lire encore avant mon départ.

Si je renforce le 276 j’irai vers Soissons, si c’est pour le 76, dans la forêt (je ferais mieux de dire) les marécages de l’Argonne.

Ma section est entièrement composée de soldats ayant déjà vu le feu ; je préfère cela car ainsi je serai avec des troupiers expérimentés, ce qui est un grand avantage.
J’ai déjà d’ailleurs tellement entendu de récits de témoins oculaires, qu’elle est à moitié faite. Si j’exprimais un regret ce serait celui d’avoir peut-être plus à craindre la pluie que les projectiles, enfin, qui sait, peut-être quelques bonnes nuits de tranchées feront disparaître tout cela !

J’ai suivi avec grand intérêt les détails que tu me donnes sur Béthune, tu dois commencer maintenant à t’habituer, mais conservons le ferme espoir qu’ils n’entreront jamais dans la ville. Mais que devient Francis ? Personne n’a entendu parler de lui ! Léon guéri, va retrouver son dépôt, après une convalescence à Paris. Pierre est parti pour les Vosges la semaine dernière.

On a demandé récemment au bataillon les soldats parlant Anglais, pour être envoyés comme interprètes à l’armée Anglaise je pense, je me suis fait inscrire, si le poste est plus dangereux, il peut, je pense m’éviter en partie l’humidité de la tranchée, de plus si l’on se fait casser la figure c’est au moins pour 52 francs par semaine au lieu de 0.25, c’est encore une petite consolation.

Toi qui te trouves au centre de ces braves, tu pourrais peut-être me dire, car tu peux certainement causer avec des officiers dont la majorité cause français, où mieux avoir accointance avec des interprètes et me dire leur rôle. Peut-être alors irais-je par là, te serrer la main. On est souvent employé je pense comme agent de liaison.

Le dernier jour de mon séjour à Paris, je suis passé par hasard Avenue Daumesnil et suis entré voir après le Général Laithiez. Il était là (bien qu’ayant donné ordre de ne voir personne) étant venu de Montauban, faire une cure à Enghien. Il doit être reparti maintenant, et m’a envoyé une carte en me demandant des nouvelles de toi, de Léon, et de moi, et m’annonçant le décès de l’adjudant Léon. Il doit en faire des discours !

Papa et Berthe s’étant inquiétés un peu tard de leurs moyens d’existence, je désire à l’instar de Léon et Pierre leur venir en aide, j’ai donc laissé entre les mains de Berthe un petit papier qu’elle emploiera au moment opportun l’autorisant à retirer pour moi 100 francs sur mon livret, je crois qu’il n’en reste guère plus.

Plein d’espoir toujours, de bonne volonté et de courage, je t’embrasse bien mon cher oncle, en espérant avec toi que ce coup de torchon se terminera sans trop de souffrances et de larmes.

Mon régiment a énormément souffert ! Malgré cela, il y en a beaucoup ici qui commencent à trouver le temps long, et la grande question du jour est de savoir quand tout cela finira. Chacun émet son avis, le mien est qu’il n’en est pas un seul de bon car c’est une question … sans solution surtout maintenant où les événements n’ont vraiment pas l’air sur certains points de se dérouler bien vite, et la guerre de tranchées, étant un moyen de longueur, peut-être le seul à employer du reste, il nous faudra beaucoup de patience et nous avons encore du travail sur la planche !

Allons donc résolument sur la grand route où l’on nous conduit, sans nous préoccuper de ce qui nous attend au bout. Ne réfléchissons pas, ce serait au détriment de la machine, et tout dépend du bon fonctionnement de celle-ci.

Je vois ici de grandes tristesses, et il vous vient à leur vue un désir de vengeance, que l’on doit avoir une certaine satisfaction à mettre à exécution, espérons encore que nous le ferons honorablement. 

Mais je déraille et je m’égare, il ne me reste plus mon cher oncle qu’à te souhaiter bonne chance aussi puisque tu es dans la zone dangereuse, et en attendant de trinquer à la victoire, toute l’affection de ton neveu.

Jules Mortreux

25 Nov

« Les allemands ont bombardé l’hôpital de Béthune »

Jules Mortreux est au cantonnement au Dépôt de Rodez depuis une dizaine de jours. Pour combien de temps encore ? Jules l’ignore.

Il vient de recevoir une lettre de son frère. Léon Mortreux s’attend lui aussi à quitter Vimoutiers pour monter au feu.

Dépôt de Rodez

Dans la lettre du 25 novembre 1914, Jules Mortreux annonce à son frère un départ imminent avec les renforts pour rejoindre  le Front, entre Reims et Verdun.

Si je renforce le 76 j’irai dans la forêt de l’Argonne qui n’est plus parait-il qu’un vaste marécage, boue jusqu’aux genoux !

Jules Mortreux

Jules Mortreux

Léon Mortreux

Léon Mortreux

 

Lettre de Jules Mortreux à Léon Mortreux, envoyée le 25 novembre 1914

 

 

 

 

L’hôpital de Béthune bombardé

Par la lettre de Léon, Jules apprend que « les allemands ont bombardé l’hôpital de Béthune. »

Des maisons, l’école maternelle, le collège des garçons, celui des filles, le théâtre municipal ont été touchés par les obus.

En ce mois de novembre, des dizaines d’obus tombent tous les jours sur la ville. Deux personnes ont été tuées entre le 16 et le 23 novembre raconte jour après jour @Béthune1418.

 

Correspondance de guerre, il y a cent ans …

 

Rodez, 25 nov. 1914

Mon cher Léon,

Bien reçu ta lettre du 17 et aujourd’hui celle du 20. Merci. Mais n’as-tu donc pas reçu celle que je t’ai écrite d’ici le 15 ? Tu n’en fais pas mention !

Je te répondrai plus explicitement dès que tu m’auras donné ton adresse prochaine et fixe et si je suis encore ici, car les renforts partent rapidement, ce qui fait prévoir que l’on en a besoin.

Ça doit barder. Surtout du côté de Soissons où fonctionne le 276.

Si je renforce le 76 j’irai dans la forêt de l’Argonne qui n’est plus parait-il qu’un vaste marécage, boue jusqu’aux genoux !

Berthe a les adresses des curiosités en question, plastrons etc… je te recommande encore la toile cirée…
Vas-tu à Fontainebleau ?

J’ai eu connaissance de ce que tu annonçais à propos de Béthune, je vois aujourd’hui que les allemands ont bombardé l’hôpital. 

Je vais mieux, grâce aux soins que je vais quérir chez les Sœurs de Charité de la ville, qui portent bien leur nom. Elles rendent d’énormes services, officieusement, et sont bénies pour le Rt. Car s’il nous fallait compter sur les petits soins de ces messieurs de devoir ! enfin…

Reçu lettre de Flore m’annonçant ton séjour à Chartres si … tu y vas, vois la cathédrale, curieuse et typique, la seule chose intéressante je crois du pays avec une autre église – St Remy je crois si j’ai bon souvenir.

Flore m’annonce le départ de Pierre, que j’ai lu aussi par ta première lettre. Je lui souhaite du bon temps, tout au moins meilleur que celui que nous avons ici, vent, neige, glaces, boue etc.

Au quartier liberté pleine et entière, élasticité des règlements, tout laisse à l’initiative privée et aussi à la bourse privée. Je plains celui qui n’a pas de don !

Absolument, vu ton avis pour la promiscuité des types sales. C’est dégoûtant. Donne-moi des nouvelles de Paris, ici il court différents bruits, faut-il leur donner crédit !

De tout cœur mon vieux frère.

Jules

 

 

 

22 Nov

« Aujourd’hui dimanche me parvient ta lettre fermée m’annonçant les dépravations des Boches dans le Nord »

Ce jour-là, le 22 novembre 1914, le Sergent Léon Mortreux vient de lire une lettre de Fernand Bar. Les nouvelles de Béthune ne sont pas bonnes.

Des obus allemands tombent tous les jours sur la ville, comme « une canonnade incessante ». Léon parle de « dépravations des Boches dans le Nord ».

Ce dimanche 22 novembre 1914, Léon Mortreux semble d’abord rassuré. La maison familiale rue de la Délivrance à Béthune n’a pas eu « l’insulte de l’ennemi »

Oui il serait temps de déplacer cette guerre du nord, boutons l’allemand à travers la Belgique et le reconduisons chez lui au pas gymnastique.

Quelques lignes plus loin, Léon Mortreux paraît beaucoup plus inquiet.

Léon Mortreux

Léon Mortreux

Fernand Bar

Fernand Bar

 

Lettre de Léon Mortreux à Fernand Bar, envoyée le dimanche 22 novembre 1914

 

 

 

En ce mois de novembre, « la tension nerveuse très grande » est présente dans les courriers échangés par les frères Mortreux et la famille à Béthune .

Quatre mois après le début des combats contre l’armée allemande, on perçoit l’impatience de plus en forte pour en finir avec cette guerre qui a commencé pour l’armée française le 3 août 1914.

Correspondance de guerre d’il y a 100 ans …

Léon-Fernand-Dim-22-11-14JPG

 

22-11-1914

Aujourd’hui dimanche me parvient ta lettre fermée m’annonçant les dépravations des Boches dans le Nord. Que de crimes ces misérables entassent !

Je suis très heureux que le 9 rue de la Délivrance n’ait pas eu l’insulte de l’ennemi et mon plus cher vœu est que cette maison bénie te demeure un abri inviolé.

Je comprends facilement qu’une canonnade incessante comme celle qui retentit autour de nous ne permette qu’un repos très relatif, la tension nerveuse étant de ce fait très grande.

Mon oncle Paul subit donc aussi une part du préjudice qui atteint Beuvry ! Quelle bonne pensée il a eu d’emmener Marie et Augustine en des contrées moins terrorisées.

J’espère que Barlin n’a pas été atteint.

Je te remercie infiniment de tous les détails que tu me donnes et de l’adresse de mon oncle Auguste, puissent ces tristes événements ne pas trop influencer son grand âge.

Oui il serait temps de déplacer cette guerre du nord, boutons l’allemand à travers la Belgique et le reconduisons chez lui au pas gymnastique.

Je ne te parle pas de courage, tu peux nous en vendre à tous, mais patience et foi en nos armes.

Merci encore et baisers affectueux.

Léon

Bonjour à Marie. Je suis sûr qu’elle est trop brave pour se cacher dans la cave, près de Gaspard, quand les marmites tournent.

 

 

20 Nov

« Je viens de lire dans le journal que l’ennemi avait pris récemment Béthune pour objectif »

Entre les frères Mortreux sur le Front, à l’arrière, et la famille, les courriers et les informations circulent beaucoup en ce mois de novembre 1914.

Dans cette nouvelle lettre envoyée par le Sergent Léon Mortreux à son oncle Fernand Bar à Béthune, Léon écrit que son jeune frère Pierre Mortreux affronte les allemands depuis un mois sur le Front des Vosges avec le 152è. Jules Mortreux, son frère aîné, a rejoint le Dépôt à Rodez avec la 30è Compagnie. Léon vient de recevoir des nouvelles de Jules alors qu’il écrivait cette lettre,

Ce vendredi 20 novembre 1914, Léon sait que Béthune a échappé aux allemands. Il l’a lu dans le journal.

Désormais, rétabli, le Sergent Léon Mortreux s’attend à partir de Vimoutiers dans les jours à venir pour rejoindre le Front.

Quand je pense à nos situations, mes 2 frères et moi et que je vois près de moi de pauvres types mariés je me félicite pour nous que nous n’ayons pas pris femme.

Dans cette nouvelle lettre envoyée à Fernand Bar, Léon Mortreux ne se fait pas d’illusion sur son destin.

Quelle chance n’avons-nous pas, nous pouvons ainsi mourir crânement comme ces beaux officiers de l’empire !

Léon prend des nouvelles de la famille, Flore, Martial, Paul, des uns et des autres. Il parle aussi du temps … il neige à Vimoutiers.

Léon Mortreux

Léon Mortreux

Fernand Bar

Fernand Bar

 

Lettre de Léon Mortreux à Fernand Bar envoyée le 20 novembre 1914

« L’enveloppe de la lettre m’est arrivée ouverte comme celle d’une carte de visite. » 

 

Béthune bombardée tous les jours

En ce mois de novembre 1914, les obus allemands tombent sur Béthune où les britanniques ont installé leur cantonnement.

Les maisons, le collège, le théâtre municipal sont touchés par les bombardements. La ville compte déjà de nombreuses victimes dont des enfants. Léon n’a encore pas ces informations.

 Je viens de lire dans le journal que l’ennemi avait pris récemment Béthune pour objectif et qu’il avait été arrêté. J’ai appris que vous êtes à court de tout là-bas, jusqu’au pain qui manquait …

 

Correspondance de guerre d’il y a cent ans …

 

Cher oncle,

Pierre m’envoie une carte m’annonçant qu’il est parti le 11 octobre pour le 152ème actif sur le front dans les Vosges. De Jules je n’ai pas l’adresse exacte à Coulommiers. Je viens de lire dans le journal que l’ennemi avait pris récemment Béthune pour objectif et qu’il avait été arrêté. J’espère que vous n’avez pas été éprouvés du fait de ce parti pris des allemands.

C’est avec douleur que j’ai appris combien vous aviez été à court de tout là-bas, jusqu’au pain qui manquait dis-tu, c’est terrible ! Avec grand plaisir je lirais que maintenant le train de vie y est sinon ordinaire du moins le moins anormal possible.

J’ai dit à Paris qu’ils pouvaient t’écrire et que les lettres te parvenaient. Pas d’autres nouvelles de mon oncle Paul sinon qu’il passera à Paris le 18.

Flore, son mari Martial Robert vont bien.

J’espère que malgré les mille soucis inhérents à l’état actuel de nos pays la santé résiste à la fatigue et que tu es bien portant. Je t’ai dit que j’étais presque guéri et partirais d’ici ce mois de novembre.

Quand je pense à nos situations, mes 2 frères et moi et que je vois près de moi de pauvres types mariés je me félicite pour nous que nous n’ayons pas pris femme. Ce pauvre Jules qui avait été déjà prêt de se fiancer ! Quelle chance n’avons-nous pas, nous pouvons ainsi mourir crânement comme ces beaux officiers de l’empire !

On va avancer notre départ d’ici car, parait-il, on n’y recevra plus que des malades non plus des blessés. Tu serais donc bien bon de m’envoyer tes prochaines lettres à mon dépôt 246e 20e Ct( ?) à Marvejols. Il est maintenant question de pouvoir aller à Paris, j’essaierai d’obtenir pour cette ville la courte permission que promet la circulaire ministérielle.

As-tu maintenant quelques détails sur nos parents au feu ? J’ai risqué l’envoi d’une carte à mon oncle Auguste à St-Aignan.

Je partirai d’ici sans regret. Il pleut depuis quelques jours c’est d’un monotone… il y a certainement plus de distractions sur le front !

Dans l’espoir de te lire aussi fréquemment que possible, je t’embrasse de tout mon cœur.

Ton neveu affectionné

Léon

20-11-1914

Souvenir à Marie
Nous avons eu de la neige le 18.
Jules m’écrit qu’il est au 276é à ??? 30é Cie Dépôt à Rodez.
L’enveloppe de la lettre m’est arrivée ouverte comme celle d’une carte de visite.

 

 

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