Ce 25 décembre 1914, Léon Mortreux fête Noël à Vimoutiers en « attendant patiemment sa feuille de route ». Mobilisé début août 1914 dès le déclenchement de la guerre, blessé en septembre 1914 lors de la Bataille de la Marne à Varreddes, Léon ne pensait pas passer Noël 1914 et le jour l’an 1915 à Vimoutiers.
Dans cette lettre du 25 décembre 1914 envoyée à son oncle Fernand Bar à Béthune, Léon Mortreux écrit que les soldats ont été gâtés à Noël par le baron Mackau, le doyen des députés, ancien ministre de la Marine.
Nous sommes trop bien ici. Aujourd’hui Noël, le Baron Mackau nous a gâtés, nous l’avons remercié en … trinquant à sa santé.
Ce même jour de Noël, le 25 décembre 1914, le frère aîné de Léon, Jules Mortreux écrit qu’il avait préparé un réveillon de Noël festif . « Nous avions économiquement arrangé cela avec 4 copains par l’achat d’une superbe dinde ( ici 4 francs 50 ! ) et nous nous préparions à un peu de gaîté pour oublier les nombreux moments tristes mais nous avions compté sans le général imprévu !… le réveillon fût « bien lugubre ».
Pierre Mortreux part vers « l’enfer de Steinbach »
Pour Pierre, le plus jeune des frères Mortreux, la période des fêtes s’annonce beaucoup moins gaie. L’adjudant Pierre Mortreux affronte le feu de l’ennemi dans l’Est de la France. Dans une lettre du 19 décembre adressée à Jules, Pierre Mortreux écrit qu’il a « quitté la tranchée » dans le secteur de Saint-Dié.
Je reçois aujourd’hui une lettre du frangin Pierre. Il se plaint toujours du froid, et se félicite de la toile cirée ! Depuis le 19, date de la lettre ils ont quitté la tranchée, remplacés par des territoriaux
Dans sa lettre adressée à Jules, Pierre Mortreux explique que sa compagnie a été remplacée mi-décembre par les territoriaux, des soldats plus âgés généralement affectés dans des secteurs moins exposés.
Pierre s’attend à passer un Noël plus « tranquille ». Pas vraiment !
Selon le journal des marches et opérations des corps de troupe, « le 152è Régiment d’Infanterie cesse le 18 décembre 1914 de faire partie de la 41è Division pour passer à la 66è Division. »
La veille de Noël 1914, le 152è R.I. reçoit l’ordre d’attaquer sur le Front.
Dans la nuit de ce 25 décembre 1914, l’adjudant Pierre Mortreux et son régiment quittent le cantonnement de Fellering, près de Mulhouse vers 3 heures du matin. Aujourd’hui, le temps de marche annoncé par la Google Maps indique 4h16. En fait, il y a cent ans, les troupes ont mis toute la journée pour atteindre l’objectif.
Pierre fait route vers une zone beaucoup plus exposée. Son régiment a reçu l’ordre d’attaquer sur le Front, dans le secteur de Steinbach,
Quelques mois plus tard le Monde Illustré parlera de ...« l’enfer de Steinbach »
Lettre de Léon Mortreux à Fernand Bar, le 25 décembre 1914
« Pour vrai que les Boches évacuent notre Nord ils sont envers lui d’une insolence dont rien ne donne idée. »
Des chants de Noël résonnent dans les tranchées et des échanges se produisent… c’est la trêve de Noël
— BETHUNE 14 18 (@BETHUNE1418) 25 Décembre 2014
La tréve de Noël
A Béthune, Fernand Bar et la famille ont retrouvé le sommeil. Les obus allemands ne tombent plus sur la ville. Le Front s’est éloigné de quelques kilomètres.
j’ai eu la joie d’apprendre par la presse que l’ennemi avait été chassé d’Halluch d’où cessation du bombardement de Béthune.
Ce 25 décembre 1914, les armes se sont tuent, dans le Pas-de-Calais comme sur de nombreux sites le long des 750 kilomètres de la ligne de Front.
C’est la trêve de Noël … pour quelques heures.
Correspondance de guerre, il y a cent ans …
25 décembre 1914
Cher oncle,
Je ne pensais pas t’adresser ma lettre de l’an d’ici, de Vimoutiers mais que veux-tu on m’y garde de force, soldat obéissant je n’ai cure d’encourir une punition, en guettant l’ambulance sans ordre pour le dépôt allemand donc patiemment notre feuille de route qui ne saurait tarder à venir.
Nous sommes trop bien ici. Aujourd’hui Noël, le Baron Mackau nous a gâtés, nous l’avons remercié en … trinquant à sa santé.
Par Berthe je viens d’avoir de tes nouvelles – édition la plus récente. Suis ravi de te savoir très bien portant en dépit des souffrances passées.
Pierre n’écrit pas parait-il. Qu’on pense cependant à l’encombrement de la poste en ce moment ! Berthe lui a envoyé une lampe électrique, mais il n’y a rien de surprenant à ce qu’il ne l’ait pas encore. Je connais ici une dame dont un colis envoyé par elle aux tranchées mit 2 mois pour parvenir à l’intéressé ! Continuons donc d’attendre nos missives de l’adjudant sans accorder foi à aucun pronostic malheureux qui pourrait naître en nous à son égard.
Jules m’a écrit le 10 décembre. Je le suppose toujours à Rodez. De Chartres j’ai de bonnes nouvelles et sais que mon oncle Paul et les petites sont repartis à Amiens. Le cousin Paul Bar et Augustin viennent de m’écrire, tu sais tout ce qu’ils peuvent me dire touchant les évènements que nous traversons.
Je t’ai moi-même envoyé une épitre vers le 15 de ce mois, j’ai eu depuis la joie d’apprendre par la presse que l’ennemi avait été chassé d’Halluch d’où cessation de bombardement de Béthune. Pour vrai que les Boches évacuent notre Nord ils sont envers lui d’une insolence dont rien ne donne idée.
Que pourrais-je mieux te souhaiter qu’une délivrance rapide de ces poux gris, que l’on applique vite en abondance l’onguent qui fait les étouffer !
Volontiers je m’arrête à l’idée que si tu compares –après tout la chose est possible- le souvenir que t’a laissé le jour de l’an de 1870 et celui de 1915, il y a différence du tout au tout. Celui-ci est fait d’expérience.Sans doute nos environs sont dévastés qui autrefois avaient été respectés par l’ennemi, la mortalité par bravoure est plus grande aujourd’hui l’artillerie tapant plus fort. Mais n’avons-nous pas la certitude de la victoire ? Cette certitude fait accepter avec foi les dégâts passagers causés par les Germains.
Tristes sont certainement certains foyers, pensons que les défunts ont eu la plus belle mort.
A ce propos je relis une de tes dernières lettres. Tu m’as écrit que « tu comprenais mes pleurs ». C’est de sueurs que je t’ai parlé ainsi que tu pourras te le confirmer en voyant ma lettre (vers fin octobre) si tu l’as encore. Je me proposais à l’époque d’envoyer ces pages de toi en communication mais n’ai pas osé le faire, pensant qu’on me prendrait pour un pleutre en supposant que j’avais « pleuré ».
Pardonne-moi, je ne suis pas plus brave qu’un autre. Je vois ici autour de moi de braves soldats –pas vantards- qui en ont vu bien davantage que moi surtout ceux qui ont fait la retraite de Belgique, et combattu dans des villes occupées par l’ennemi. J’aurais tort de considérer mes faibles bras comme ceux d’un Lord, mais, sur l’honneur jamais je n’ai pleuré !
Ma prochaine lettre t’arrivera très vraisemblablement du dépôt de Marvejols, d’ici là vous serez bon de m’écrire à Paris car il faut bien supposer que j’y serai prochainement en jouissance d’une permission de 8 jours.
Crois à ma plus grande affection pour toi et à ma plus vive reconnaissance. Accepte les meilleurs souhaits d’un petit soldat de France qui espère avoir encore quelques doigts l’an prochain pour à nouveau t’offrir ses vœux.
Je t’embrasse affectueusement.
LéonSouhaits à Marie