Ce 5 janvier 1915, Léon Mortreux envoie ses voeux à son oncle Fernand Bar à Béthune.
Léon ne sait pas encore que son jeune frère Pierre Mortreux a été tué la veille, au cours de l’attaque d’une tranchée allemande, le lundi 4 janvier à Steinbach, en Alsace.
Toujours à Vimoutiers en Normandie, Léon Mortreux a bien reçu les voeux de son frère aîné Jules. En revanche aucune nouvelle de son cadet Pierre.
Dernières nouvelles de Pierre en date du 19 décembre. Jules a envoyé ses vœux de Rodez.
Y est-il encore ?
Dans ses dernières nouvelles en date du 19 décembre, Pierre disait qu’il était en première ligne sur le Front, se plaignant du froid. Il avait quitté la tranchée dans le secteur de Saint-Dié.
Depuis le 25 décembre, Pierre Mortreux était reparti avec le 152è R.I. à l’assaut de l’armée allemande dans le secteur de Steinbach. Deux semaines de violents combats. Une victoire pour l’armée française. La mort pour Pierre Mortreux.
Mais, en ce début d’année 1915, ses frères Léon et Jules ne le savent pas encore.
Les parisiens « indifférents aux soldats »
Dans sa lettre du 5 janvier, Léon indique qu’il a eu une permission fin décembre. Il a quitté Vimoutiers pendant 8 jours pour la capitale. Léon Mortreux a trouvé Paris « indifférent aux soldats » comme si les parisiens n’étaient pas vraiment concernés par les violents combats livrés à quelques centaines de kilomètres de là.
Bien que me doutant trouver Paris très calme je l’ai trouvé trop indifférent aux soldats et même en tenant compte du change des esprits à l’époque de l’entrée dans une année nouvelle , il me semble, à mon sens, que les habitants ne considèrent pas la guerre avec le sérieux qu’elle mérite
Dans sa lettre, Léon Mortreux apparaît touché, attristé par les propos « horripilants » de parisiens vivant « de loin le danger » .
Lettre de Léon Mortreux à Fernand Bar, le 5 janvier 1915.
« Tu auras trouvé Béthune tranquille et nos lettres de souhaits sur la table »
Début 1915, Béthune n’est plus sous le feu de l’ennemi. Le Front s’est déplacé à une quinzaine de kilomètres vers l’Est.
Correspondance de guerre, il y a cent ans …
Paris 5 janvier 1915
Cher oncle,
J’espère que tu auras eu un bon voyage de retour, que tu auras trouvé Béthune tranquille et nos lettres de souhaits sur la table.Je n’ai donc pas eu la chance de te voir à Paris j’aurais tant désiré ce bonheur d’autant plus qu’à cette même époque de ton séjour ici mes sœurs et l’abbé mon parrain se trouvaient aussi à Paris mais les règlements militaires sont là, je n’ai pu et n’ai pas voulu les enfreindre en quittant Vimoutiers sans autorisation.
Bien que me doutant trouver Paris très calme je l’ai trouvé trop indifférent aux soldats et même en tenant compte du change des esprits à l’époque de l’entrée dans une année nouvelle , il me semble, à mon sens, que les habitants ne considèrent pas la guerre avec le sérieux qu’elle mérite, qu’ils ne comprennent pas suffisamment –depuis la retraite de Von Kluck- l’importance de la partie qui se joue.
« N’est-ce pas qu’il est épatant notre 79, que les obus boches n’éclatent pas et…. patati et patata……. Tout ça dit par un ancien colonial retraité fait plaisir mais dit jovialement par un bonhomme à gros ventre, qui fait des affaires, vit de loin le danger, cela est horripilant !
Certes beaucoup plus de raison et de cœur dans nos régions du Nord auxquelles je suis fier d’appartenir ! Si je n’étais pas un gars de là- bas je voudrais être né breton c’est une vraie race, héros inconscients souvent mais combien braves !J’ai quitté Paris, allégrement, lundi, 8 jours de permission suffisaient, davantage entamerait l’énergie et puis ici j’ai retrouvé un camarade sergent à la même section que moi et blessé aussi le 6 septembre. Nous sommes ensemble ici mais à la 31ème Cie. L’ordre ne règne pas ici comme dans beaucoup de dépôts. D’ailleurs, tout est laissé à l’initiative privée et à la bourse du soldat, je pourrai t’en parler davantage après une expérience de quelques jours, c’est l’impression première que je te traduis. J’ai demandé en arrivant si l’on payait les prêts échus aux militaires blessés pendant leur séjour aux hôpitaux, tu penses comme ma demande a surpris Me Lebureau.
Je vois mon porte- monnaie s’amoindrir : à Paris nous avons eu un dîner avec les camarades qui quittaient Vimoutiers, j’ai acheté un sac de couchage, lampe de poche, pince, molletières etc… Je viens te demander de vouloir bien prélever dans mon livret de Caisse d’Epargne cent francs que tu auras la bonté d’envoyer pour moi à Berthe qui t’envoie pour le retrait une procuration en règle.
Je te remercie pour la peine que je te crée, j’espère n’avoir plus besoin de faire des prélèvements, qui sait quand je serai à bout de mes fonds monétaires peut-être la guerre sera-t-elle finie !
J’ai vu à Paris Bivaut, Bouvier, Emma, le cousin Mortreux. J’ai trouvé Papa et Berthe très occupés à leur affaire de timbres. Le principe de l’entreprise est bon mais je trouve qu’ils ont trop de faux-frais.
Dernières nouvelles de Pierre en date du 19 décembre. Jules a envoyé ses vœux de Rodez. Y est-il encore ?
Je te renouvelle mes souhaits partis de Vimoutiers et t’embrasse affectueusement.
LéonVœux pour Marie