10 Mar

« Nous sommes à Vauquois au milieu d’une montagne de cadavres, la guerre dans toute sa sauvagerie » Jules Mortreux

En ce mois de mars 1915, Jules Mortreux vit l’horreur de « la guerre dans toute sa sauvagerie » à Vauquois.

Dans cette dernière lettre écrite lors d’un court cantonnement à Courcelles en Lorraine, Jules Mortreux décrit les journées terribles, les combats sanglants et meurtriers avec l’ennemi allemand, les montagnes de cadavres … et même l’odeur.

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Sur les pentes enneigées de Vauquois dans le froid depuis plusieurs semaines, Jules Mortreux écrit qu’il a vu la mort de près, « la faucheuse ».

Après 8 assauts consécutifs qui nous ont coûté peut-être 10 000 hommes, nous sommes enfin arrivés à prendre pied sur le village, qu’il faut maintenant disputer ruine par ruine à l’ennemi, qui y est enraciné et terré comme des lapins.

« La guerre de taupes » à Vauquois

Lorsqu’il écrit cette lettre, Jules Mortreux ignore à ce moment-là que la bataille de Vauquois est une des plus meurtrières de la guerre 14-18. La bataille pour la butte de Vauquois s’installe dans une guerre de position pour plusieurs années.

Les deux camps creusent des tranchées et des kilomètres de galeries souterainnes pour déposer des bombes, sous terre, en dessous des tranchées de l’ennemi.

Dans cette lettre adressée à son frère Léon, Jules Mortreux décrit « une guerre de taupes » et les attaques successives de son régiment pour prendre cette butte stratégique entre Reims et Verdun.

Jules Mortreux

Jules Mortreux

Léon Mortreux

Léon Mortreux

Lettre de Jules Mortreux à Léon Mortreux, envoyée le 10 mars 1915

« Je te souhaite encore mon cher Léon de faire connaissance le plus tard possible avec cette guerre de « taupes » et surtout par ce temps épouvantable. »

 

Ce 10 mars 1915, Jules Mortreux ne sait toujours pas que son autre frère Pierre est mort en Alsace à la bataille de Steinbach. Jules est inquiet.

Encore une fois, Jules partage son angoisse avec retenue, et interroge son frère Léon …« Toujours sans nouvelles de Pierre ????? » 

Mais Léon ne dit rien. Léon, informé du décès de leur jeune frère Pierre depuis un mois n’en parle pas à Jules. Il veut, sans doute, l’épargner d’une terrible douleur qui s’ajouterait à l’horreur de la guerre. Cette atroce nouvelle fragiliserait Jules dans ses combats à Vauquois.

Correspondance de guerre, il y a cent ans …

Courcelles – 10 mars 1915

Mon cher Léon,

J’ai bien reçu, « in the fiels » tes 2 cartes des 25 février et 3 mars – et les coupures du Petit Béthunois qui m’ont vivement intéressé. Merci.

Tu me demandes de te narrer les derniers évènements, et je le ferais avec plaisir si j’en avais le temps. Nous sommes pour 2 jours à l’arrière, après en avoir vu de cruelles je t’assure, sur le village de Vauquois, qui restera mémorable dans mon existence ! J’ai vu bien des fois passer la « faucheuse » de près, encore avant-hier où un de mes camarades a été tué d’un obus au moment où nous causions ensemble.

Après 8 assauts consécutifs qui nous ont coûté peut-être 10 000 hommes, nous sommes enfin arrivés à prendre pied sur le village, qu’il faut maintenant disputer ruine par ruine à l’ennemi, qui y est enraciné et terré comme des lapins. C’est de nombreux coups de fourchette en perspective ; nous reprendrons cela demain !

Ils nous font beaucoup de tort avec leurs fameux crapouillots qui ne sont ni plus ni moins que des obus lancés à courtes distances.

Le 31 où est le fils Moreau, et fait Brigade avec moi a pris également part à l’assaut, je suis allé hier au village voisin pour le voir, il était absent. Il a dû en voir aussi ! En tous cas il est sauf et toujours souriant parait-il.

Le plus terrible ennemi est encore le froid, la neige et la pluie, la boue, nous sommes toujours trempés et nous sommes arrivés à notre court cantonnement exténués et dans un piteux état je te l’assure. Nous sommes totalement abrutis par le canon et les crapouillots (encore pire comme détonation) nous aurions bien besoin d’un bon repos « well earned ».

Vivement un peu de soleil ! C’est notre plus grand vœu.

Toujours sans nouvelles de Pierre ?????

Je te souhaite encore mon cher Léon de faire connaissance le plus tard possible avec cette guerre de « taupe » et surtout par ce temps épouvantable.

Avertis-moi de ton départ, le plus tard possible et crois mon cher Léon, à toute ma fraternelle affection.

Jules

Nous sommes à Vauquois au milieu d’une montagne de cadavres, c’est l’aspect de la guerre dans toute sa sauvagerie, l’odeur et la vision de l’hécatombe en plein, ça vous coupe l’appétit. D’ailleurs nous ne mangeons qu’une fois par jour et froid le soir. Car, dans la journée impossible d’accéder à la tranchée.

Te dire combien aujourd’hui nous apprécions une botte de paille et un café chaud, tu dois le deviner ! Mme Rouvin ( ?) m’envoie toujours des petits colis fort judicieusement, elle est bien gentille.

Au revoir encore mon vieux frère, et confiance.

Jules

 Achète donc le « journal » du 11 mars tu y verras un article intéressant sur le village de Vs (« Lettres du Front »)