11 Fév

« J’apprends ce matin à Paris la mort de Pierre » Léon Mortreux

Terrible nouvelle, triste lettre ce 11 février 1915 !

Léon Mortreux est brisé par ce qu’il vient d’apprendre. Son jeune frère Pierre Mortreux est mort à la guerre. Pierre avait 25 ans.

Ce 11 février 1915, Léon Mortreux apprend la tragique nouvelle par les services de l’armée à Paris. Pierre Mortreux a été tué à la bataille de Steinbach le 4 janvier 1915 … il y a déjà plus d’un mois.

Pierre Mortreux tué à Steinbach le 4 janvier 1915

Pierre Mortreux tué à Steinbach le 4 janvier 1915

La lettre inachevée de Léon Mortreux 

En cantonnement à Fontainebleau le 3 février 1915, Léon Mortreux avait commencé une lettre pour son oncle Fernand Bar … une lettre inachevée.

Cette lettre comprend deux parties, écrites à des dates différentes.

Dans la première partie de cette correspondance de guerre, Léon parle de lui, de ses chères provinces du Nord, d’affection familiale, de principes religieux.

Léon parle aussi et encore de Pierre. Il apparaît très inquiet à son sujet … comme un pressentiment.

 Oui le silence de Pierre est inquiétant. Volontiers je donnerais ma vie, je désire même que cela arrive pour qu’il conserve la sienne, lui calme, travailleur, qui a su plaire à tous et donner à sa conduite un but défini. Puisse mon souhait se réaliser.

Changement de ton dans la seconde partie de cette lettre. Le pressentiment est devenu la terrible réalité.

Léon Mortreux

Léon Mortreux

Fernand Bar

Fernand Bar

Lettre de Léon Mortreux à Fernand Bar, envoyée le 11 février 1915

Brisé par la douleur après la mort de son frère Léon écrit : « Je tiens à t’envoyer inachevée cette lettre que j’avais commencée à Fontainebleau, avant d’être malade, que je n’avais pas finie, certaines phrases ne me plaisant plus.

Correspondance de guerre, il y a cent ans …

 

11 février

J’apprends ce matin ici à Paris la mort de Pierre. Je tiens à t’envoyer inachevée cette lettre que j’avais commencée à Fontainebleau, avant d’être malade, que je n’avais pas finie, certaines phrases ne me plaisant plus.

Elle se trouvait donc avec les papiers que j’apporte en communication à Berthe et à papa.

Comme tu verras elle contraste avec la légèreté de celle que je t’ai adressée hier.

Je souffre beaucoup et n’ai qu’une hâte mourir aussi venger mon frère.

Je t’embrasse de tout cœur.

Léon

 

La lettre inachevée de Léon … magnifiquement écrite

En caserne à Fontainebleau, Léon Mortreux avait commencé cette correspondance de guerre pour son oncle le 3 février 1915 … une lettre inachevée.

Dans cette lettre magnifiquement écrite, Léon confie ses sentiments. Entre « ses moments de découragement immenses », et « sa vie atone », entre « le blagueur et « l’homme sérieux »

Et puis vient « ce silence inquiétant de son frère ». 

Alors, comme une rupture, un déchirement, un trait vient couper le texte dans la dernière page de la lettre.

 Lettre commencée le 3 février 1915, puis Léon reprend sa correspondance  le 11 février 1915

Fontainebleau 3 février 1915

Cher Oncle,

Ton mandat-carte m’a été remis hier soir et c’est de tout cœur que je viens te remercier de ta générosité.

Je ne méritais pas autant et ceux de nos défenseurs qui sans blessures combattent depuis le début de la campagne ont, eux, toutes les raisons pour qu’on les admire.

J’ai tous motifs moi de me donner entièrement à la lutte qui se joue. Ce sont nos chères provinces du Nord qui sont envahies, cela redouble mon courage de vaincre et puis, bien que ressentant grandement l’affection familiale je n’ai pas pour m’obséder l’idée lancinante de laisser femme et enfants. Si donc, les opérations militaires étant supposées allant au mieux l’état faisait un tri des défenseurs et en renvoyait bon nombre dans leurs foyers, bien loin de me regarder comme lésé de rester à la bataille j’en serais très fier.

Oui le silence de Pierre est inquiétant. Volontiers je donnerais ma vie, je désire même que cela arrive pour qu’il conserve la sienne, lui calme, travailleur, qui a su plaire à tous et donner à sa conduite un but défini. Puisse mon souhait se réaliser.

Je tomberai bravement je te jure (je n’emploie pas à dessein le conditionnel car les allemands, positifs, ne l’aiment pas) en pensant à ma famille, à toi.

Souvent dans la vie j’ai eu des moments de découragement immenses et n’étaient les principes religieux qui m’ont été donnés dans mon enfance, je te dis cela à toi je crois que je me serais supprimé. Et pourtant c’eût été un outrage, une saleté immonde envers tous, envers la mémoire de notre mère surtout !

Que veux-tu, il est écoeurant de voir comment le blagueur réussit sur l’homme sérieux, combien tout est mesquin, frelaté, impur.

J’ai eu jeune le malheur de voir trop clair et peu énergique, peu reconnaissant d’être vite blasé. Certes je ne suis pas meilleur qu’un autre mais je déplore qu’au milieu de l’ambiance je n’aie pas su me mieux conserver, car en dépit de l’assertion de l’évangile, et comme beaucoup, je ne suis pas né méchant.

Sur terre il faut manger les autres ou périr soi-même, faible j’étais destiné à être dévoré. Voilà aujourd’hui une superbe occasion de me racheter, de jeter un linceul propre sur la vie atone que j’ai menée.

Puisse-t-elle venir cette mort, qu’au moins j’aie été utile à quelque chose, que je n’avilisse pas plus tard la conscience propre que je me serai refaite dans les combats. Il y aura toujours une différence infranchissable entre celui qui a été au feu ou a été exposé aux projectiles et celui qui aura ignoré ces dangers, or cela, j’en suis sûr ne sera pas senti.

 

 Fin de la lettre inachevée.