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Jean-François Macaire et Alain Rousset
Le cabinet Ernst & Young doit dévoiler le jeudi 07 avril prochain, à la commission des finances du Conseil régional Aquitaine-Limousin-Poitou-Charentes, les conclusions de son audit sur l’état des finances de la nouvelle collectivité et en particulier de l’ex-région Poitou-Charentes. Compte tenu des « 132 millions d’impayés » dévoilés par Alain Rousset, nous sommes en mesure d’affirmer que la somme totale des engagements financiers pris par l’ancienne région Poitou-Charentes, et donc à honorer par la nouvelle région, atteindrait un milliard d’euros, soit trois fois plus que la somme officielle de l’endettement affiché.
L’ex-région Poitou-Charentes a, en effet, eu recours à plusieurs systèmes de financement pour ses investissements, dont certains présentent un très haut niveau de risque de dérapage financier. Ces opérations financières, que nous allons détailler, permettaient à la majorité de Jean-François Macaire, d’afficher un taux d’endettement moyen par habitant de 202 euros fin 2014 (source Ceser Poitou-Charentes), très inférieur à la moyenne nationale des régions située à 303 €/habitant. Mais pour la nouvelle région ALPC, la facture risque d’être extrêmement salée et en particulier le financement en crédit-bail de l’achat de 32 rames TER.
L’endettement bancaire : 380 millions d’euros d’encours
Au 31 décembre 2014 selon le compte administratif, l’ex-région Poitou-Charentes présentait un endettement de 379,6 millions d’euros, comme en témoigne le tableau ci-joint, publié au compte administratif.
Extrait du compte administratif 2014.
Le taux moyen prévisionnel de l’encours était estimé début 2015, à 3,10 %, pour une annuité d’environ 42 millions d’euros, selon le rapport du CESER, sur le budget 2015. Dans cet avis, rendu en décembre 2014, le CESER Poitou-Charentes souligne, cependant :« la structuration de la dette en 2015 évolue par rapport à 2014 car 40% de la dette sera en taux fixes au lieu de 59% en 2014, 60% de la dette sera reconstituable ou indexée sur des taux variables ». Le tableau présente, en effet, 39 crédits différents dont seulement 13 sont à taux fixes (F), 13 sont à taux variable simple (V) et 16 ont un taux complexe (C), « c’est à dire un taux variable qui n’est pas seulement défini comme la simple addition d’un taux annuel de référence et d’une marge exprimée en point de pourcentage ».
Déjà, la Chambre Régionale des Comptes avait souligné dans son rapport d’observations de mars 2014, que « 16% de l’encours total de cette dette » fin 2010 (47,9 millions d’euros),« comportaient des facteurs de risques significatifs ».
Alain Rousset a, quant à lui, avancé le chiffre de 130 millions « d’emprunts structurés », autrement appelés « emprunts toxiques ». Ces crédits ont des taux d’intérêts variables, indexés sur de très complexes calculs financiers, et peuvent être très avantageux les premières années, à moins de 3%, et devenir complètement incontrôlables avec des taux dépassant les 15%. Leur renégociation est très complexe et souvent très coûteuse, les organismes prêteurs imposant de lourdes pénalités financières. Dans Sud-Ouest, le président de la commission des finances Olivier Chartier a, lui, évoqué jusqu’à « 200 millions d’emprunts potentiellement toxiques ». Il faut comprendre que l’encours de la dette (380 millions d’euros) correspond au capital restant du et pas au coût réel de l’endettement (capital + intérêts). La charge pour la nouvelle région sera donc bien supérieure et plus les taux des crédits seront défavorables plus le remboursement final sera important pour la nouvelle région ALPC. Si l’on ajoute à ces 380 millions fin 2014, les crédits souscrits en 2015, 89 millions d’euros selon le budget primitif, et les frais de renégociation de la « dette toxique », estimés entre « 50 et 100 millions d’euros », le poids réel de la dette représente à lui seul plus d’un demi-milliard.
La Caisse des dépôts et consignations
En revanche, une part de cet endettement bancaire de l’ex-région Poitou-Charentes a été souscrit auprès de la Caisse des dépôts et consignations, au travers de cinq crédits pour un montant de 69 millions d’euros. Ces crédits bénéficient tous de taux faibles et de la notation 1A, le meilleur classement possible.
Le soutien de la BEI pour les lycées
Autre financement avantageux, en décembre 2013, Ségolène Royal a signé avec la Banque Européenne d’investissement (BEI) un contrat de financement d’un montant de 185 millions d’euros destiné à financer des travaux de modernisation et de rénovation de 38 lycées et 15 établissements d’enseignement professionnel supérieur. A cette époque, le communiqué de presse de la région soulignait que « l’atout majeur de cette enveloppe est d’offrir à la région des conditions financières très favorables grâce à la notation « AAA » de la BEI ». Au compte administratif 2014 figure une première tranche de 30 millions d’euros pour un crédit à taux fixe de 1,78%, lui aussi classé 1A.
Le crédit-bail pour le financement des TER : 350 millions d’euros
Pour l’instant, Alain Rousset n’a pas évoqué cet épineux sujet, alors qu’il présente pourtant un risque majeur de dérives financières pour la nouvelle région et n’offre pratiquement aucune porte de sortie. Ségolène Royal a fait le choix pour financer l’achat de 32 rames de TER à partir de 2007, d’avoir recours à une formule de crédit bail auprès d’un organisme bancaire. Le principe est simple : les rames de trains sont achetées par la banque, qui les loue ensuite à la région pendant une trentaine d’années, moyennant un loyer annuel. Au terme du contrat, la région peut racheter les rames pour l’euro symbolique. Cela évite à la collectivité d’avoir à augmenter son endettement du montant total de l’achat des rames, et lui permet d’inscrire chaque année, dans le budget de fonctionnement, simplement le montant du loyer annuel. L’opération n’apparaît donc pas dans le montant de l’endettement global.
Cependant, cette formule, choisie également par d’autres collectivités locales comme la région Centre pour ses TER, ou la ville de Brest pour son tramway, présente un considérable inconvénient financier. Le coût total de l’opération s’annonce très élevé. Ces 32 rames TER représentent une valeur commerciale d’achat de 175 millions d’euros. Selon les chiffres des annexes du compte administratif de l’ex-région Poitou-Charentes, elles coûteront au final (30 ans pour les unes, et 34 ans pour les autres) la somme de 354 millions d’euros, soit le double de leur valeur de départ. Cette formule présente un autre inconvénient majeur, l’augmentation chaque année du montant du loyer. Fixé au départ à 4 millions d’euros par an, il atteint 7 millions d’euros en 2014 et représentera 9,5 millions d’euros en 2018, avec une évolution extrêmement difficile à calculer, mais toujours très défavorable.
Le président de la commission des finances, Olivier Chartier affirme que ce « dispositif est extrêmement dangereux » pour les comptes de la nouvelle région. Il est, enfin, quasiment impossible d’en sortir, car, selon un spécialiste, « il faudrait rembourser d’un seul coup l’intégralité des loyers restants ».
Les engagements au capital de sociétés et les garanties d’emprunt
Là aussi, il s’agit d’une véritable bombe à retardement, au même titre que le crédit bail pour les TER. Selon les chiffres publiés dans les annexes du compte administratif 2014, l’ex-région Poitou-Charentes est engagée à hauteur de 93 912 291 euros auprès d’un nombre impressionnant de sociétés, soit au titre de participation au capital, soit comme garantie d’emprunt. Si les entreprises, en question, vont bien, c’est sans conséquence pour le budget régional. Si, en revanche, elles viennent à disparaître, la région devra assumer ses engagements. Un spécialiste explique : « si par exemple, elle est engagée à hauteur de 50% dans le capital d’une société liquidée, la région devra assumer 50% des dettes contractées par celle-ci ». Et il ajoute « ces sommes devraient normalement être provisionnées mais elles n’apparaissent pas dans les bilans ».
En conclusion, il apparaît donc bien, que l’ex-Région Poitou-Charentes était financièrement engagée à hauteur d’environ 1 milliard d’euros et que la nouvelle région ALPC devra, tôt ou tard, assumer. Cette situation financière n’a pas fini d’exploser au grand jour et chacun attend maintenant avec impatience les conclusions de l’audit.
Mais si votre serviteur a pu établir cet inquiétant, et sans doute encore partiel, diagnostic, avec quelques recherches sur internet, comment croire les élus, quand ils prétendent n’avoir rien su plus tôt ?
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