28 Déc

Mon zapping

fin d'année-drmaison

Les derniers jours de décembre sont souvent l’heure des bilans, des résumés, des bétisiers… alors je vais écrire en quelques lignes le zapping 2013.

Le « Docteur Maison » est né un matin de juillet. Toujours levé tôt, j’aime sous les pins prendre un petit café serré. J’adore le mélange du bleu du ciel avec le vert des pins, il fait juste un peu frais, le silence me plaît et mon Mac est là devant moi et chuchote : vas-y Antoine écris,  écris tes petites histoires qui tournent dans ta tête, raconte ces tranches de vie que tu côtoies tous les jours depuis 30 ans, donne de l’espoir, de l’amour, du rire, de la tendresse.

Alors j’ai pris mon index droit et, une par une, j’ai tapé sur ces lettres qui, assemblées, ont fait ma première histoire.

J’ai pleuré en racontant la maladie d’Adrien mon ami si cher parti d’une SLA maladie de Charcot, mais j’ai été fou de joie quand sa fille m’a appelé après la lecture de cette histoire : Toinou, merci c’est tellement vrai.

J’ai pleuré… mais de rire quand j’ai raconté mes hospitalisations après mon accident. Je me suis tellement rendu compte que le statut de malade doit être vécu pour que nous, les soignants, augmentions  notre capital d’humanisme.

J’ai eu des frissons quand la maman d’Agathe, après avoir lu son histoire, m’a dit qu’elle dormirait mieux maintenant qu’elle sait ce que je ressentais.

J’ai souri quand j’ai revu mon patient aveugle de naissance, parti avec sa femme aux USA et qui aujourd’hui aperçoit des formes, des couleurs, des visages et qui a découvert les lignes de son histoire sur mon blog.

J’ai repleuré (si quelqu’un a des actions chez les mouchoirs en papier, je suis preneur) quand j’ai pris dans mes bras la petite Gaia, bébé de la maman séropositive ayant dépassé la maladie grâce à une force puissante que l’on nomme Amour. Des patients, la reconnaissant après avoir lu son histoire, se sont levés dans ma salle d’attente et l’ont tous embrassée.

J’ai fait venir mes amis devant ma télé quand on a vu Eric, vainqueur d’une tumeur du cerveau et brillant candidat de Masterchef.

J’ai reçu l’accord de grands champions de rugby pour faire un match en fauteuil roulant pour rencontrer Mathieu, ce tétraplégique au coeur d’or et à la volonté de fer.

Et puis, j’ai appris ce matin le départ de ce grand rugbyman qui m’offrait le café le matin à 6h à Pessac. Ne marchant plus, il avait deux occupations : regarder des matchs et lire mes petites histoires. Tu vas me manquer Jeannot, je te dédie tout ce que j’écris aujourd’hui et sache que si de la haut tu peux, envoie moi plein de courage pour aider mes malades.

Enfin, j’ai ri quand un de mes lecteurs m’a appelé pour me dire que j’exagérais quand je raconte l’histoire de ma rencontre avec une vedette de cinema que je nomme Marylin Monroe pour respecter le secret médical : c’est impossible Docteur, elle est trop âgée !

J’ai plein d’histoire tous les jours, je pleure parfois, je souris toujours, je ris très souvent : j’ai le plus beau métier du monde !

28 Nov

Hymne à l’amour

amours_drmaison

Ils se sont mariés il y a soixante ans. Robert et Roberte ont vécu ce que l’on appelle une petite vie tranquille. Lui était employé des postes et elle, femme de ménage dans un collège. Ils ont eu trois garçons et ont toujours vécu dans la même petite maison à Caudéran. En trois mois, Robert est parti d’un méchant cancer.

Roberte est là, devant l’église, en ce froid de décembre, soutenue par ses enfants derrière ce cercueil fleuri. Comment va-t-elle surmonter son chagrin?

Elle ne tient pas debout, terrassée par le malheur. Ils ne se sont jamais quittés, partageant les joies et les petits tracas de la vie quotidienne.

Le lendemain des obsèques, elle m’appelle :

– Mon petit, comment vais-je pouvoir surmonter ça ?

Cette maison trop grande, ce lit trop grand, cette pipe presque encore fumante posée sur la table de la salle à manger qui prolongent cette tristesse immense qu’elle ressent.

Mes mots sont tellement vides, tellement classiques :

– Il va falloir remonter mamie (je l’appelle toujours mamie car elle me nomme toujours mon petit).

Je lui conseille bien sûr d’aller passer quelques jours chez son fils dans le Médoc, mais elle n’en a pas envie, préférant rester dans cette atmosphère où l’image de son chéri est encore partout. Elle a ressorti les photos d’un vieil album en cuir, leur mariage, leurs premières vacances à la mer, la naissance des enfants, la première 403…

Trois mois se sont écoulés.

Mamie se partage entre ses arrières petits-enfants qu’elle garde le mercredi et une visite dominicale avec les grands. Elle pleure tout le temps, ne mange qu’un bol de soupe le soir et se lève tôt.

Elle me demande de venir la voir souvent; en partageant un petit café, elle me raconte ses souvenirs, ses rires, ses peurs, ses angoisses qu’elle a eus avec son Robert pendant si longtemps.

– Tu sais qu’un jour (il y a 30 ans), il n’est pas rentré de la nuit ? Il a essayé de me faire croire qu’il s’était endormi chez son copain Phiphi. Je ne l’ai jamais cru, il ne me l’a avoué que deux mois avant qu’il ne parte : il avait dormi chez une fiancée mais il m’a juré qu’il n’était jamais rien arrivé. J’ai fait semblant de le croire et pourtant je savais qu’il me prenait pour une naïve. Mais tu sais, petit, ce n’est pas au vieux singe que l’on apprend à faire la grimace.

Les mois s’écoulent et Roberte déprime de plus en plus. J’essaye la parole réconfortante mais je suis obligé de passer à une thérapeutique plus forte : l’antidépresseur ! Le bonbon Prozac qui ne ramène pas le mari mais qui permet de mieux supporter son absence.

Cela fait deux ans que Roberte essaye de survivre. Son inscription au foyer lui donne un but une fois par semaine : scrabble, question pour un champion, des chiffres et des lettres : tout un programme !

Et puis un jour… elle m’appelle. Il est six heures du matin.

– Viens, petit, il faut que je te parle, je ne peux plus tenir, j’ai un secret à te dire…

Mon petit café serré est servi sur le napperon blanc, elle est déjà habillée, rouge à lèvres soulignant ses lèvres fines, bien coiffée, parfumée de ce parfum qui me rappelle ma grand-mère (Heure Bleue de Guerlain) . Elle a un petit sourire coquin.

-« Voilà mon petit, je crois que je suis amoureuse…

– Quoi ?

– Oui, mes enfants m’ont offert un ordinateur pour mes 83 ans. Je n’y comprends rien et j’ai demandé à Kevin (mon petit fils) de me montrer. En rigolant, je lui ai demandé de chercher des noms dans le « facebock » ou « fissebouc », enfin tu sais ce truc où l’on retrouve tout.

– Tu t’es mise sur Facebook, toi ?

– Oui, petit ! Mais ce n’est pas fini, j’ai repensé à mon premier amour quand j’avais 17 ans.

– Et alors ? (émoustillé par ce come back tant d’années après)

– Et alors, je l’ai retrouvé et j’ai appelé…

– J’ai pu lui parler et il m’a de suite reconnue, il était tout gauche, maladroit, il m’a résumé sa vie en deux minutes, puis il a raccroché brutalement. En fait, il est toujours marié et sa femme est très malade. Il m’a rappelé hier, il parlait doucement, il m’a demandé s’il pouvait venir dimanche. Il prétexte qu’il va voir un match de Rugby.

– Roberte, amoureuse pour une liaison coquine ?

– Oui mon petit, coquine !

Depuis six mois, tous les dimanches, Roberte attend son amant (rassurez-vous, c’est en tout bien tout honneur : prostate enlevée, désir coupé !) Il vient de 15h à 17h et, quand les joueurs doivent rentrer aux vestiaires, lui doit rentrer chez lui.

Il lui a acheté un petit piano car elle en jouait quand elle était jeune. Elle a réappris leur chanson préférée : L’Hymne à l’amour d’Edith Piaf…

 

15 Oct

Plus fort que tout !

love_drmaison

J’ai commencé ce blog sans savoir. Aujourd’hui je sais !

Mon rituel du matin, tôt dans la fin de la nuit j’écris mes histoires. Je vois que cela vous touche, vous donne un rire, un sourire, une larme. Moi je suis souvent ému en me rappelant ces drames, ces beaux moments de vie, ces situations bizarres qui font mon quotidien depuis trente ans. Alors j’écris, j’écris, j’aime faire plaisir, j’aime donner.

La période hivernale est malheureusement propice aux maladies et donc mon travail augmente. J’ai peur de ne plus avoir la même spontanéité dans mes écrits.

Je ne veux surtout pas arrêter, je veux donner mais donner mieux. Je veux de la qualité à défaut de quantité. J’ai besoin de faire cela pour vous mais aussi pour moi. Ma vie de médecin est parfois très dure moralement, ce blog me permet de mieux la supporter. Je ne sais comment vous exprimer mon bonheur quand je vois vos commentaires, vos avis, vos réactions. Alors oui je continue mais en vous distillant mes histoires je vais essayer de vous faire autant de bien que vous vous me faites.

J’adore cette phrase de René Char : »Impose ta chance, serre ton bonheur et va vers ton risque. A te regarder, ils s’habitueront »

Tout est dit dans cette maxime !

En fait, non, il en manque  une partie : la lune est belle.

 

Antoine, votre doc

 

04 Sep

De l’autre côté du drap

rockwell

J’ai beau avoir été formé par des années d’hôpital, j’ai beau adorer mes malades, j’essaie de faire preuve de compréhension et de psychologie et pourtant !!

Il a fallu qu’un sacré plancher s’effondre et que mon genou se retrouve derrière mon cou  au bout d’une chute de 2 mètres 60 pour me rentre compte que le métier de malade est beaucoup plus difficile que celui de docteur …

6h45 Rendez vous pour mon irm. J’ai un rendez-vous depuis 15 jours et je suis heureux de ne pas avoir attendu plus longtemps. La radio est au deuxième étage et… l’ascenseur est en panne!! Une jambe foutue, une attelle qui la rend  raide, deux béquilles, un dossier médical sous le bras, un manteau, une écharpe, (il fait 35° vu le chauffage) et un escalier fraichement lavé par une femme de ménage qui me jette un coup agressif et exaspéré car je peux salir. Voilà les travaux d’Hercule (au genou d’argile) qui commencent !

17 minutes après, et 68 marches plus haut, mon manteau et mon écharpe dans cette atmosphère surchauffée provoquent en moi ce que j’appellerais une sudation nauséabonde : je pue!

 » Vous avez la carte vitale ? (ni bonjour, ni ….rien )

– Non,  je l’ai oublié dans ma voiture.

– Allez la chercher sinon impossible de faire l’irm !

– Mais…

– Patient suivant svp.

– Je reviens …. madame.

L’ascenseur est en panne et  la jambe cassée (j’ai toujours aussi chaud, j’ai l’impression que mon odeur de transpiration envahit l’hôpital)

Après un grand effort pour garder mon calme, je négocie mon sésame pour passer dans la cabine .

 » Déshabillez vous complètement et attendezzzz.

La pièce est chauffée à 47°, je ne suis que sueur, odeur et décomposition.

 » Allongez vous dans la machine.

– Mais c’est trop haut !

– Et puis quoi, vous ne voulez pas un escalator ! On est pas aux Galeries Lafayette !

6h 37 je rentre dans le tunnel, j’ai chaud, je transpire, j’ai peur, je suis dans un cercueil, maman je vais mourir!!

Petite notice plastifiée à la main : l’examen durera 25 minutes, il y aura du bruit et si vous avez un malaise appuyez sur cette poire.

 » Un malaise ?

– Oui perte de connaissance, crise d’angoisse, malaise vagal, attention ne bougez pas, ça va commencer !

25 minutes sur une planche de 40 cm sans bouger, la jambe toujours aussi raide, c’est Fort Boyard, il manque «Passe-Partout»…

Il arrive.. un petit bonhomme avec un gros badge marqué interne :

 » C’est fini, c’est pas brillant monsieur, tout est cassé !

– Mais quoi, cassé ?

– Attendez le compte rendu, vous verrez avec le radiologue .

Je passe sur la suite immédiate car la gentillesse de mes confrères m’a permis des passe-droits dont j’ai un peu honte mais qui m’ont fait oublier ce premier contact avec la maladie !

Il fait toujours aussi froid dehors en ce mois de décembre, et toujours aussi chaud dans cet hôpital quand je rentre la veille de mon opération.

J’ai retrouvé ma carte vitale, ouf,  je ne vais pas me faire gronder mais … elle ne marche pas !

 » Alors laissez nous passeport ou carte d’identité. »

Avec un peu d’humour pour cacher mon stress :

 » Vous pourrez me rattraper facilement vu que demain j’ai une prothèse totale. » (elle n’a pas compris mon humour !)

Quand je rentre dans cette chambre vieillie, il fait un froid de loup ce que me confirme l’infirmière (type sergent Garcia aux jambes aussi poilues que grosses)

 » Le chauffage est en panne on va vous mettre un convecteur. Vous devez signer ces papiers. »

Je résume : je peux mourir, je ne porterai pas plainte ; je peux  choper une bactérie, je serai le seul responsable et si je meurs je dois donner le nom de la personne qui aura la chance énorme de recevoir un coup de téléphone pour être prévenue la première !!

 » Pour manger ?  »

J’ose demander au sergent (qui n’est d’ailleurs pas poilue que sur les jambes car j’aperçois, grâce à la lune de décembre, un petit duvet sous labial me rappelant celui de mon fils le jour de ses 14 ans)

 » Soupe poireaux-pommes de terre et compote !

Et moi toujours gentil car mort de peur :

 » Super, j’adore ça ! »

Le réveil le matin après une nuit blanche est violent !

« Il faut vous raser et pas que la jambe ! On vient vous chercher dans une heure. C’est bien la jambe droite ? »

– Oui.

– Alors vous ferez un rond dessus. » (il me manquerait plus que ça qu’il se trompe de jambe !)

Les couloirs sont bizarres quand on est sur le chariot que le brancardier, à la boucle d’oreille très joueur de foot, pousse à vive allure et surtout que la prémédication d’Imnovel me rappelant ma première cuite n’a eu qu’un seul effet : commencer le compte à rebours vers ma future mort ! J’ai peur de ne pas me réveiller !

Pour me rassurer, l’anesthésiste est là dans le bloc. Il est énervé ! Le chirurgien vient d’appeler  pour dire qu’il serait en retard car il a amené ses enfants à l’école!

Je me réveille : un cauchemar ! J’ai mal, je ne sais pas où je suis, j’aperçois des images bleues qui s’agitent en hurlant:  » Ouvrez les yeux, ne bougez pas… il a la tension dans les chaussettes, oxygène, vite oxygène ! »

Je remonte semi comateux et ma chambre n’est pas froide, c’est le pôle nord !

J’ai mal, j’ai froid, j’ai soif mais je suis rassuré : je me suis réveillé !

Le lendemain matin, alors que je viens de trouver le sommeil depuis un quart d’heure on me réveille pour me prendre la température.

 » Je peux boire un peu d’eau ?

– Il faudra voir avec l’infirmière, elle passe dans une heure. »

La première journée se décompose entre sommeil court, piqure de morphine, vomissement et…. envie d’aller aux toilettes.

Je sonne ! La petite lumière rouge clignote et s’accompagne d’un petit bruit strident continue.

42 minutes après,  une aide soignante rentre, coupe la sonnette et aimablement avec un petit accent portugais :

 » Ché pourquoi, Missieu ?

– J’ai besoin du bassin.  » (je ne peux pas bouger,  j’ai la jambe en compote,  elle fait 35 kg et moi 82!

Après un effort démesuré,  j’arrive à poser mon postérieur sur un truc en plastique aussi petit qu’instable.

Par décence je ne veux pas vous détailler ce moment que je peux nommer agréable mais très inconfortable. 56 minutes plus tard, toujours sur le bassin, j’ose timidement resonner.

« 34 kg » portugais revient (elle a perdu un kg en me soulevant !)

 » Che pourquoi Missieu ? »

– Et moi, comme un enfant de deux ans :

– J’ai fini.

– Fini quoi ?

Et comme un débile :

 » La grosse commission!  » (je mets sur le compte de la morphine mon manque de vocabulaire)

Je me sens honteux, je suis mal à l’aise, humilié.

« 34 kg » essaye de me soulever et d’une mauvaise manoeuvre renverse … tout ! Et c’est à ce moment crucial de mon opération qu’arrive … ma famille !! Moi qui suis pudique voir coincé je me retrouve dans une situation que j’ai sûrement connu enfant.

Ce calvaire a duré pendant toute la durée de mon séjour dans cet hôpital. J’ai été très bien soigné et aujourd’hui, je marche dans le bonheur.

Il a fallu être de l’autre coté du drap pour me rendre compte que l’on a beau être un bon médecin, une bonne infirmière il est difficile de comprendre la souffrance physique ou psychologique des malades si on n’a pas vécu la maladie soi-même .

 

 

26 Août

L’ange aux yeux bleus

 

petite fille

Tout n’est pas toujours rose  dans la vie du médecin. Il y a des moments où la souffrance des patients s’imbibe sur moi.

La petite Agathe, âgée de 11 ans se bat depuis 2 ans contre un ostéo sarcome avec des métastases au cerveau. Je la vois tous les matins. Un petit rituel: le café debriefing avec la maman, seule, divorcée. Elle me raconte sa nuit et je rentre dans la chambre où des peluches recouvrent le lit. Le crâne rasé, Agathe n’est qu’un regard. Ses grands yeux bleus scrutent mon visage, mes expressions. Je sais, la maman sait qu’il n’y a plus d’espoir, mais elle attend de moi que je lui dise qu’un miracle peut arriver.

Ce soir, c’est le diner de gala de la maison de retraite dont je suis le médecin référent. La péniche est belle en cette nuit de pleine lune. Nous sommes tous sur le pont, habillés en costumes cravates, et là mon téléphone portable sonne : c’est Flo, « Agathe te réclame, elle respire mal ».

Je ne sais pas trop comment annoncer au directeur que je dois aller voir une patiente, mais pour une fois, j’ose dire la vérité et je m’éclipse rapidement. Je rentre dans la chambre d’Agathe, sa maman me laisse seul et Agathe, ne pouvant pas parler, prend son ardoise magique que je lui avais donnée quelques jours auparavant et, de sa main tremblante, écrit ce petit mot que je n’oublierai jamais: « Antoine si tu m’aimes, et si tu aimes maman, fais-moi partir au ciel. »

Je ne peux vous exprimer ce que l’on ressent dans ces moments-là. Je lui fais un piqure de Tranxene, certes non mortelle mais qui pouvait d’abord apaiser « Tag » (son surnom) et qui pouvait accélérer son départ. Je suis resté toute la nuit dans le lit. Tag, entre sa maman et moi, dormait dans un coma léger d’un ange aux yeux si bleus! Nous avons parlé avec Flo, nous avons ri, nous avons pleuré, nous avons parfois plongé dans un sommeil furtif et, à six heures, Tag respirait toujours et ne donnait pas de nouveaux signes de gravité.

« Je vais rentrer chez moi prendre une douche pour aller travailler.  Je repasse tout à l’heure ».

Je n’avais pas fait 500 mètres que mon téléphone sonne : « C’est fini, Antoine , c’est fini, Tag est partie. »

Ce petit ange a attendu d’être seule avec sa maman pour lui dire au revoir. C’est pour ça que je crois en Dieu, en un mythe créateur, c’est pour ça que j’aime la vie.

25 Août

Parce que c’était lui, parce que c’était moi…

main

 

Il vient de faire son footing. Nous sommes samedi matin je viens de finir mes consultations. Il est transpirant, souriant, beau. Nous sommes en septembre et son teint halé fait ressortir ses yeux si bleus. Adrien, c’est l’homme parfait ! Marié depuis plus de 20 ans avec Isabelle (il n’a eu qu’elle dans sa vie), il a deux enfants superbes, un super job, il a 45 ans. C’est beau la vie !

 » Regarde, Antoine, quand je cours j’ai des muscles qui sautent sans arrêt.  »

Je  ne peux, à cet instant, penser une seconde que je viens de commencer le film le plus triste de ma vie professionnelle. Je suis hors drame, je suis dans la « bisounours life ». Tout le monde rêve de connaitre Adrien, sa femme, belle comme une rose, ses deux enfants Camille et Matéo aussi beaux que vifs et intelligents.

J’examine ses muscles, son dos, ses jambes, tout en lui parlant du dernier match de Toulouse contre Toulon (il adore le rugby).

 » C’est vrai que ça saute tes petits muscles, tu es fatigué ? »

– Pas plus, je viens de courir une heure, je me prépare pour le marathon du Médoc.

– Je vais te faire faire un bilan pour voir si tu n’as pas de carence, magnésium, fer etc. »

Je ne pense à rien, je le regarde, il n’est pas inquiet, sourit, plaisante sur mon écriture plus arabisante que médicale. Ma réflexion sur le bilan sanguin que je demande me fait avoir les yeux dans le vague et par hasard (ou nécessité) ils se posent sur ses mains. Il n’a plus de muscle dans le creux de sa paume droite, juste sous le pouce.

Je lui demande de me la montrer, je la touche, la caresse. Je le regarde, je suis ému, je suis bouleversé. Il ne comprend pas, il me lance: « ça va Antoine ? »

Mon cortex vient de connecter les cellules de ma mémoire d’internat: « fasciculations plus amyotrophie de la loge thénar » = sclérose latérale amyotrophie, maladie de Charcot !

Maladie de Charcot c’est la descente aux enfers, c’est la mort par supplice, ce sont tous les muscles qui se paralysent un par un, sauf ceux des yeux. Le cerveau fonctionne jusqu’à la fin, la mort est atroce et arrive maximum en 3 à 4 ans.

Mon ami est là devant moi, heureux, souriant, se demandant sûrement si son copain qui lui caresse la main de façon attendrissante n’est pas entrain de changer de sexualité alors que  je viens de commencer un compte à rebours de fin de vie, de fin de SA vie.

Je me reprends et l’humour (mon arme de protection fatale) me pousse à lui lancer:  » t’as de beaux yeux tu sais » façon Gabin.

Mon diagnostic clinique est sûr. Je ne veux pas y croire. Ce n’est pas possible, pas lui, pas cet homme merveilleux, cet ami, ce papa, ce mari, ce sportif.

Heureusement que les examens complémentaires existent en médecine. Ils permettent de retarder l’annonce du verdict et surtout de s’y préparer.

 » On va faire le bilan et je vais demander un électromyogramme.

– Tu penses à quoi ? »

Il a l’air soudainement inquiet et ses yeux rieurs d’il y a quelques secondes sont interrogatifs avec les sourcils en accents circonflexes comme si il essayait de pénétrer dans mes circonvolutions cérébrales.

Ma réponse est nulle: « à tout et à rien, t’inquiète pas ».

Il est midi, je monte dans ma voiture. Habituellement je ressens un grand bonheur de finir ma semaine,de rentrer chez moi, décompresser, voir mes enfants et me saouler de matchs de rugby, allongé sur le canapé, le D4 à la bouche.

Mais là, je suis k.o ! J’ai envie de pleurer, je n’y arrive pas. Je roule sans savoir où je vais, je ne pense à rien, je suis mal, j’ai une boule de la taille d’un ballon de foot dans le ventre. Je déteste mon métier, je me déteste, je déteste celui en qui je crois, ce connard de Dieu pourquoi faire du mal:

« Tu peux m’expliquer toi qui fait le beau le créateur, le gentil,  pourquoi tu fais ça? Tu es mauvais, tu donnes la vie pour la reprendre et faire souffrir. Adrien ne t’a rien demandé, tu lui montres un appartement témoin et tu l’enfermes dans un tunnel qui le fait glisser vers la mort ? Tu es un salaud mon Dieu ! »

Le plus dur quand on vit cela, c’est de rentrer en famille, de voir sa femme, ses enfants qui ne savent rien de mon tourment et de faire comme si rien n’était. Parler des devoirs du matin, de la chambre mal rangée, du match de Paul de demain, de la guitare de Louis, des futures vacances en famille. Je voudrais être seul sur une plage du bassin, les pieds sur le sable, la tête dans les étoiles. J’aimerais rencontrer mon Dieu et lui parler face à face et qu’il m’explique.

Le lundi quand je reprends mon travail, j’ai toujours ce sentiment d’être chanceux car je fais le plus beau métier du monde. Il me tarde de commencer ma journée. Ce lundi l’enthousiasme est remplacé par l’angoisse des résultats de l’irm et de l’emg d’Adrien. Mon empressement pour lui faire faire ses examens le surprend. Je suis lâche, je lui raconte que c’est pour vite lui trouver un traitement pour ses fasciculations or il n’y a pas de traitement…

Je suis très fier que l’on dise de moi : « il va très vite mais il a un bon flair diagnostic ». J’aimerais tellement me tromper aujourd’hui, j’aimerais tellement me dire ce soir : »Pourquoi as-tu pensé à une « sla » alors que c’est un manque calcium ou de magnésium ? »

18h- Le téléphone retentit. J’ai le coeur qui bat, j’ai devant moi une pauvre ado de 16 ans qui pleure car son petit copain vient de la laisser.

« Allô, Mareilhac? C’est Philippe, le neuro : « c’est une « belle sla », c’est sûr ! bravo ! »

Ma tête explose, mon coeur se fend en deux et lui ,cet andouille de neuro, technicien électrique me dit « bravo » !!  Bravo de quoi ? bravo pour annoncer à mon meilleur ami qu’il va souffrir, qu’il va mourir dans moins de 3 ans, que sa femme va se retrouver seule avec deux bambins ?

Et puis, pourquoi il dit « belle sla »?  Comment une telle maladie peut -elle être qualifiée autrement que monstrueuse, atroce, injuste ?

Je n’ai pas besoin d’appeler Adrien, il vient lui même, poussé sûrement par le souvenir de ma tristesse en lui caressant la main samedi.

« Alors, tu en penses quoi ? »

Je ne sais pourquoi dans de telles situations j’arrive à parler, des phrases automatiques que je ne maitrise pas mais qui sont justes et à propos.

« Je pense que c’est une atteinte de la moelle, que cela peut aller du plus grave au plus bénin, il va falloir voir un bon neuro ».

– Arrête Antoine, dis moi, tu penses à quoi ?

– Tu m’embêtes Adrien, j ai peur que tu aies une vilaine merde.

– Je le sais depuis samedi, quand je t’ai vu me caresser ma main. J’ai su, j’ai tout cherché sur internet, j’ai une maladie de Charcot, je suis foutu, mais ça va, je vais me battre. Les miracles, tu sais ça existe ».

Ce mec est l’homme parfait, il avait déjà tout et maintenant alors qu’il se sait condamné il a la dignité, le courage, la force.

Le lendemain, sans avoir fermé l’oeil de la nuit, je ressens une oppression énorme, je suis désemparé. Adrien m’a toujours parlé de son meilleur copain à Toulouse. Il est pharmacien, il s’appelle Jean-Luc. Ma seule idée de la journée c’est de le retrouver, de lui parler, de parler à quelqu’un qui aime Adrien. Je n’ai pas le courage d’appeler Isabelle, sa femme. Les réseaux sociaux servent à quelque chose, en regardant sur sa page je vois un de ses amis qui se prénomme « Jean-Luc ». J’appelle et je trouve une voix chaude, humaine, transpirant la ville rouge et Nougaro.

« Je ne vous connais pas mais nous avons un ami très cher en commun, Adrien ».

Le ton de sa voix exprime de suite, la compréhension, il sait que c’est grave.

« C’est bon, arrête j’ai tout pigé. Il est foutu…  » Il se met à éclater en sanglot et …moi aussi. On arrive même plus à parler.

Ce qui a de merveilleux dans la vie, c’est comme il est écrit  dans l’ecclésiaste: « Ce qui fut, cela sera; ce qui s’est fait se refera ».  Et il n’y a rien de nouveau sous le soleil. Jean-Luc est, depuis ce jour-là et encore aujourd’hui, mon indispensable ami.

La leçon de vie que j’ai vécu pendant 3 ans m’a beaucoup plus apporté que les heures allongées sur un divan. Aux cotés d’Adrien et Isabelle, j’ai tout appris, j’ai essaimé une marguerite où je disais bonheur, force, humilité, simplicité, courage, humour, amour, amour, amour jamais tristesse.

On ne peut détailler ces 3 ans où du choc du départ, on passe de l’espoir à la désillusion, de la souffrance à l’agonie.

Deux mois après la certitude du diagnostic, Adrien a voulu manger avec moi. Simplement, il m’ a dit:

« Antoine, prends soin d’eux. »

Je vois mon ami devant moi, me regardant droit dans des les yeux, sur ses deux jambes, comment voulez-vous que je ne lui dise pas.

« Bien sur, je te le promets Adrien, je te le jure ».

Il ne me répond pas il se lève, m’ embrasse et me serre  dans ses bras pendant un long moment.

Trois ans sont passés. Adrien est dans sa chambre, trachéotomisé, il ne bouge rien, il est assisté jour et nuit. Isabelle est là 22h sur 24. Elle essaie pendant deux heures de gymnastique intense de se défouler comme un boxeur à deux mois d’un championnat de boxe. Il a toute sa conscience et ne peut communiquer que par le clignement des paupières. Je lui montre lettre après lettre et la fermeture des paupières signifie que je dois la retenir.

Un soir, Adrien veut me parler, enfin cligner..

Il me rappelle ma promesse …. il est parti cette nuit-là.

Je t’aime, Adrien.