15 Oct

Plus fort que tout !

love_drmaison

J’ai commencé ce blog sans savoir. Aujourd’hui je sais !

Mon rituel du matin, tôt dans la fin de la nuit j’écris mes histoires. Je vois que cela vous touche, vous donne un rire, un sourire, une larme. Moi je suis souvent ému en me rappelant ces drames, ces beaux moments de vie, ces situations bizarres qui font mon quotidien depuis trente ans. Alors j’écris, j’écris, j’aime faire plaisir, j’aime donner.

La période hivernale est malheureusement propice aux maladies et donc mon travail augmente. J’ai peur de ne plus avoir la même spontanéité dans mes écrits.

Je ne veux surtout pas arrêter, je veux donner mais donner mieux. Je veux de la qualité à défaut de quantité. J’ai besoin de faire cela pour vous mais aussi pour moi. Ma vie de médecin est parfois très dure moralement, ce blog me permet de mieux la supporter. Je ne sais comment vous exprimer mon bonheur quand je vois vos commentaires, vos avis, vos réactions. Alors oui je continue mais en vous distillant mes histoires je vais essayer de vous faire autant de bien que vous vous me faites.

J’adore cette phrase de René Char : »Impose ta chance, serre ton bonheur et va vers ton risque. A te regarder, ils s’habitueront »

Tout est dit dans cette maxime !

En fait, non, il en manque  une partie : la lune est belle.

 

Antoine, votre doc

 

08 Oct

Les choux et les roses

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« Ils sont arrivés se tenant par la main », chantait Piaf.

Ils sont rentrés dans mon bureau, Benjamin que je connais depuis sa naissance et sa petite fiancée Marie-Lou. Ils ont à peine dix huit ans. Benjamin me présente sa chérie, étudiante comme lui dans une école de commerce.

« Voilà doc’, nous n’avons jamais eu de relations sexuelles et nous voudrions faire les choses comme il faut. »

Je suis surpris qu’à l’heure de la libération des jeunes un petit couple vienne me demander conseil. Est-ce mon étiquette de médecin ou celle de complice des jeunes qui pousse ces amoureux, en ce beau mois de mai, à venir me demander conseil, voire une permission pour réaliser la concrétisation de leur amour naissant.

Lui est sportif, joue au football à un très au niveau, elle prend plaisir à peindre ou dessiner.

Je suis un peu gêné, mal à l’aise mais je les félicite de cette démarche courageuse.

« C’est la première fois ?

– Oui.

J’ai expliqué l’importance de la prise de sang, de tous les tests et la nécessité de consulter une gynécologue.

Sans faire le vieux donneur de leçons, j’ai timidement parlé d’amour, d’honnêteté et d’avoir les plus belles conditions pour réaliser ce que l’on oublie jamais. Comme dit Brassens : « on oublie tout des campagnes mais on oublie jamais la première fille que l’on a pris dans ses bras « .

Je conseille bien sûr l’utilisation des préservatifs et d’une pilule contraceptive et leur redis toute mon émotion devant une telle requête.

Des mois plus tard, ils sont revenus plus à l’aise (moi aussi) pour renouveler les prescriptions, plus amoureux que jamais. Un rayon de soleil illumine ma pièce chaque fois que je les vois.

L’été est là, ils partent faire un voyage tous les deux et me demande une petite trousse d’urgence. Ils sont beaux, responsables, amoureux. Ce qui est merveilleux avec mon métier c’est que je revis tous les jours à travers mes patients toutes les étapes de ma vie, tous mes souvenirs de bonheur.

Cinq ans plus tard, Benjamin et Marie-Lou reviennent. Ils n’ont pas cet air touchant et attendrissant de la première fois, ils sont inquiets.

Marie-Lou a des douleurs pelviennes (bas ventre), elle présente de grosses hémorragies. Benjamin est très stressé. Je tente en vain de les rassurer mais je n’y arrive pas. Je demande des examens complémentaires, une écho, une prise de sang.

« Doc’, vous pouvez faire un test de grossesse. J’ai envie d’un petit footballeur ou d’une petite artiste alors on essaie… »

Fin de matinée, j’ai deux nouvelles à leur annoncer : le test BHCG est positif (elle est enceinte) mais l’écho est mauvaise. Il y a un doute sur l’emplacement : forte suspicion de grossesse extra-utérine. Elle doit aller vite à l’hôpital.

De voir ces amoureux me regarder avec leurs yeux d’enfants partir à la maternité me bouleverse. Hier encore, ils étaient si heureux de savoir qu’elle pouvait être enceinte, aujourd’hui ils sont dans le stress et le doute.

Je suis passé le soir après avoir eu le gynéco. Elle a fait une GEU (grossesse extra utérine). On l’a opérée et malheureusement on a dû lui faire une ablation de la trompe et de l’ovaire gauche.

J’essaie toujours de positiver (on m’appelle souvent Carrefour). Je suis un éternel optimiste!!

« Les petits ne soyez pas tristes. Premièrement, vous pouvez faire des enfants, vous n’êtes pas stériles, deuxièmement, il reste une autre trompe. La nature est bien faite !

« C’est sûr, doc’?

– Bien sûr.

Pendant trois ans, ils ont tout essayé pour faire ce petit footballeur ou cette petite artiste. Un véritable parcours du combattant !

Test de fertilité pour Benjamin avec la fameuse épreuve du spermogramme (on doit aller au labo et essayer dans une atmosphère hostile d’avoir une jouissance. L’imagination joue un rôle primordial vu le contexte…). Et pour elle, hystérographie, test de perméabilité, etc…

Hélas, l’autre trompe n’est pas perméable et le constat est là : Marie-Lou ne peut pas avoir d’enfant naturellement !

Commencent alors les fécondations in vitro, les injections d’hormones, les dates, les heures de rendez- vous précises, les attentes à l’hôpital, chez le gynéco…

Les fausses joies: ça y est, nous avons quatre embryons, il faut que ça tienne !

Une nouvelle déception, ça n’a pas tenu.

Pendant trois ans, ils passent de joies en peines, d’espoirs en désillusions. Puis, un jour, ils se rendent à l’évidence : « Nous n’aurons pas de bébé par ces moyens là ! »

Ils sont toujours aussi amoureux et je leur rappelle souvent la première fois qu’ils sont venus me demander « la permission. »

Leur désir est si grand qu’en ce lundi de juin, ils viennent me voir.

« Doc’, nous avons bien réfléchi, nous voulons adopter un enfant.

– C’est merveilleux les petits, j’aimerais tellement vous voir pleinement heureux !

– On sait, la route est longue mais on y arrivera. »

Pendant deux ans et demi, ils ont marché sur cette route si difficile du chemin de l’adoption : papiers, examens, visas etc…

Ils sont partis au Brésil. Un petit Anthony (un clin d’oeil pour mon prénom) attend son nouveau papa et sa nouvelle maman !

Ils sont revenus avec lui deux mois plus tard, un poupon frisé, souriant,  arrivant au paradis de l’amour au rythme de la samba.

 

Aujourd’hui Anthony est professionnel de football. Eux, ils vont le voir au stade… en se tenant par la main.

 

 

 

07 Oct

Pani problem

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Un jour, un poète a dit « pour réussir sa vie il faut faire un enfant, planter un arbre et écrire un livre. »

Quand il naît, il pèse 5kg600, c’est le phénomène de cette petite maternité de la Guadeloupe. Romuald est le premier enfant de Placide et Joséphine. Ils ont eu beaucoup de difficultés pour avoir cet enfant. De courbes de température en fécondation in vitro, le poupon arrive en vedette dans l’île du soleil et du rhum.

Je peux décrire cet univers paradisiaque car, un jour, j’ai décidé d’abandonner mes huîtres et mon bassin pour traverser l’Atlantique et goûter aux plaisir des cocotiers, accras et langoustes.

Je soigne les grands-parents depuis mes débuts. Ce sont les personnes les plus attachantes que je connaisse, ils ont l’art de transformer le morose en gaieté, la pluie en soleil, l’eau en…rhum.

Je ne vais jamais chez eux le matin, je passe en fin de journée. Le ti-punch m’est servi (après mon examen) et je repars chez moi avec une joie énorme et des pommettes bien rouges. (Heureusement j’habite à côté).

Romuald vit avec sa maman, le papa s’est égaré ailleurs. Elle forme avec lui un petit couple indissociable. C’est le poupon que toute petite fille a ou rêve d’avoir : des billes noires rieuses, des cheveux très courts, tout bouclé, un petit ventre rond avec un nombril saillant preuve d’un estomac toujours bien rempli.

Quand j’arrive pour mes vacances au pays des foulards et des madras j’ai le devoir de rentre visite à Joséphine et Romuald : ordre du grand-père, mon voisin bordelais.

Je ne peux pas oublier cette soirée : le décor, les saveurs de vanille et surtout l’accueil que je nomme « arrangé » en rapport avec les nombreux verres absorbés.

Romuald à 15 ans.

On dirait un homme ! Il pèse 100kg, mesure 1m 60, c’est un petit cube ! Il est essoufflé à chaque pas et, devant nous, à cet apéritif, se goinfre de lamblis de langoustes, d’arachides, de beignets de crevettes. Sa maman est presque fière de voir son chéri en grande forme. Moi, même légèrement éméché de Nelson ou Trois Rivières, je suis inquiet de la surcharge pondérale de Romuald.

La maman ne semble pas se rendre compte du risque pour la santé de Romuald. Elle est plutôt fatiguée par l’énergie et le caractère difficile de son fils.

« Il n’arrête pas, il faut que je me fâche tout le temps. Il ne fait que ce qu’il veut, docteur, je suis débordée mais il est si mignon que j’autorise tout.

Romuald de sa frimouse bien ronde nous envoie un beau sourire charmeur que je traduis en créole : paniproblem mam, laisse moi manger, je t’aime !

Mon séjour au paradis antillais terminé, dès mon retour je raconte au grand-père mon escapade et la rencontre de Romuald. C’est un vieux monsieur aux cheveux gris bouclés, une canne à la main mais droit comme un bâton. La salle à manger est une réplique d’un salon antillais. Des vieux fauteuils en cuir, un ventilateur au plafond et des odeurs de vanille imprègnent le salon. Je lui fais part de mon inquiétude pour son petit-fils, son poids, son caractère tyranique avec sa maman, l’épuisement de sa fille de devoir élever seule un enfant trop gâté.

« Il mange sa mère mon pov doc’ ! »

La simplicité de l’image de ce sage antillais correspond tout à fait à la réalité. Cet enfant surprotégé n’a pas de limite. Excessif en tout, il dévore sa maman qui, se culpabilisant de l’élever seule, lâche prise et cède à tous ses caprices.

« Je vais le faire venir à Bordeaux. Cela reposera ma fille et moi je vais lui apprendre l’autorité.

Romuald arrive en ce début d’année, plus gros que jamais ! Les 115 kg sont là et l’essoufflement majeur ! Il passe son temps dans le vieux rocking-chair à se basculer la Game Boy à la main. Le vieux papi essaie de lui parler gentiment, parfois en colère : rien n’y fait.

Romual semble complètement déprimé. Il faut dire que de passer des Trois Ilets à Lestonnat peut rendre triste un enfant né sur la plage des cocotiers.

A table Romuald mange très peu, son papi me le fait remarquer.

« Il ne mange rien avec nous à table et pourtant il ne maigrit pas d’un gramme, Doc il faut faire quelque chose !

Je décide de monter dans la chambre pour discuter avec le petit. Sa chambre est triste comme lui, pas un poster, pas un jouet ! Seule une photo de sa maman sur la plage des Salines avec son papa.

« ça va Romuald?

– ça va.

– Tu es triste de ne pas être avec maman là-bas ?

– Non, ça va, mais elle me manque.

– Ton poids, ça t’embête ?

– Oui parce que papi me gronde et je ne mange pas !

Il est allongé sur le lit et moi assis à côté de lui devant son bureau. Machinalement, j’entrouve le tiroir et découvre un nombre incalculable de papiers de Mars, Nuts et autres bonbons.

– Romuald, mais tu manges en cachette?

– S’il te plaît, ne le dis pas, ne le dis pas ! Papi va le dire à maman.

– D’accord, mais veux-tu faire un contrat avec moi ?

– Quoi?

– On va faire tout pour te faire maigrir et, quand tu seras au poids idéal, tu rentres chez toi avec maman.

– Et je pourrai jouer au basket comme Michael?

– Michael?

– Michael Jordan pardi!

Vu la surcharge, un simple régime ne suffirait pas. Alors, je décide de proposer au papi et à la maman un très gros sacrifice : partir pensionnaire pendant un an  dans un centre spécialisé des Pyrénées Orientales.  Les enfants y sont pris en charge avec sport, régime et suivi scolaire intense.

La maman est venue aux vacances de Noël. Le conseil de famille décide de suivre mon plan. Romuald est d’ accord à la seule condition : pouvoir un jour jouer au basket en club!

Il est parti en pesant 123 kg à seize ans !

En septembre suivant, il est revenu beau comme un dieu. Il a beaucoup grandi et a perdu 32 kg.

Sa maman est venue le rechercher si heureuse de le retrouver après un an de « diète affective ».

Je lui ai donné le maillot de Boris Diaw, capitaine de l’équipe de France que j’ai eu la chance de rencontrer.

Romuald joue capitaine de son équipe et est promis à un bel avenir professionnel et sportif. La vie est belle !

 

 

25 Sep

D’homme à homme

cowboy

Il est parfois difficile de parler à ses parents même quand on se croit adulte.

Carlos est un immigré espagnol dont la famille est arrivée après la guerre d’Espagne. Il est grand, costaud, plaisante tout le temps. Maçon, il a crée sa petite entreprise. Il a un accent qui sent bon l’huile d’olive, les tapas et la sangria. Il est marié avec Isabelle depuis 30 ans. Elle partage son temps entre comptabilité et  gestion de la maison. Deux enfants, deux beaux hidalgos, cheveux gominés, 28 et 29 ans. (Manuel et Pedro)

Carlos, c’est le râleur ! Il ne sait jamais être calme, il travaille comme un fou, a construit sa propre maison mais ne l’a jamais finie. Il y a toujours des tonnes de gravas, de ciment, de tuyaux quand je vais chez eux. Il me fait rire avec son esprit bougon permanent : un rhume et c’est la fin du monde!

 » Poutadios, Antonio, tou va me soigné sinon je te zigouille la garganta! No rigole pas, je vais mourir ! »

– Mais ce n’est qu’un rhume, Carlos !

– Yo m’en fou, j’ai du trabajo à la casa.

Sa femme, exaspérée, me regarde derrière ses lunettes, finissant une facture.

« Et n’oublie pas la TVA! »

La maison sent toujours l’odeur de cuisine, de friture et la bouteille de Rioja est toujours sur la table. J’ai souvent droit de déguster ce vinaigre réveillant systématiquement mon petit ulcère mais on ne refuse rien à monsieur Don Carlos !

Pedro, le fils ainé, a réussi ses études. Il a fait une école de commerce et, après des stages à Bordeaux, a très vite compris qu’il devait partir loin de cette entreprise familiale où il ne serait toujours que le fils de Carlos et non le commercial de l’entreprise. Il est installé à Madrid et réussit très bien dans une grosse boîte de publicité.

Manuel, avant tout, c’est le beau gosse ! 1m85, il a enchainé échec scolaire sur échec scolaire, a triplé sa seconde et, en désespoir de cause, Don Carlos l’a inscrit dans un CAP de plomberie.

« Tu comprends, il passe son diplôme, je le prends avec moi et il pourra continuer à jouer au foot. On travaille ensemble histoire que je le forme et basta, je repars venger mon padre en finissant ma vie là où Franco nous a chassés ! »

Manuel vient me voir timidement pour que je lui remonte le moral. La vie avec un volcan espagnol n’est pas facile.

« Je suis Tanguy, maman me couche, m’apporte mon petit déjeuner au lit, papa me hurle dessus. Il veut que je sois le plombier le meilleur du monde, le Saunier Duval de Bordeaux. Moi, je n’ai pas du tout envie de faire ce métier et encore moins de travailler avec eux. »

Il est complètement dépressif. Je le connais depuis la naissance et son physique d’Apollon ne correspond pas du tout avec celui du plombier qui bricole.

« Tu veux faire quoi ?

– Danser!

– Danser, toi qui joues au foot? Tu ressembles plus certes à Delon qu’à Ribery mais de là à être danseur……

– J’aime la musique, la danse, le Tango mais, avec Don Carlos, tu joues au foot, tu portes le maillot du Réal de Madrid et tu mets ta salopette!!

– Tu sors souvent en pub le soir?

– Parfois, mais le Vieux m’empêche souvent. Alors, je fais le mur avec la complicité de Maman.

-Tu sais que tu as 28 ans, Manuel. Tu dois t’affirmer, communiquer avec Carlos (facile à dire quand on est médecin, moins quand on est un papa comme moi).

– Je sais mais j’ai peur de lui (il se met à pleurer) et puis je n’arrive pas à lui dire …

– Quoi ?

– Que je suis homo! »

En me disant cela, je vois un éclair dans ses yeux, un éclair de bonheur de partager enfin son secret avec moi, son complice d’un jour, son médecin de toujours.

« Dis lui !

– Impossible, il est anti homo, anti danseur, anti musique, anti moi quoi!

– Tu veux que je lui parle ?

Un sourire lumineux !

– Oh oui, Doc je veux, je veux vite, je veux revivre « .

 

Bon, Antoine, tu as peut être parlé un peu vite. Il va falloir trouver les mots, les bons pour faire comprendre à Don Carlos que son fils n’est pas comme lui, et surtout pas comme il voudrait qu’il soit.

Les cas gênants je les traite toujours en fin de journée quand le tumulte de la journée s’apaise. Je reçois » mon dernier rendez-vous ».  C’est celui où je discute et prends mon temps. Je peux faire passer des messages parce que je suis calme et détendu.

 

« Olà, Don Carlos !

– Arrête de faire le stupide, je suis inquiet. Pourquoi tu m’as fait venir, j’ai le crabe ? (traduction internationale de cancer)

– Non, rien de grave, je veux te parler de Manu.

– Il est malade?

– Non au contraire tout va bien, très bien.

– Tu me fais venir à ton cabinet, le soir tard, alors que je dois livrer un chantier pour me dire que mon branleur de fils va bien ! Tou té fou de moi !!(reprenant son accent hispanico-béglais)

– Il va bien physiquement mais moralement, ce n’est pas la grande forme.

– Il va nous faire une petite déprime, le chouchou de sa maman. Il a tout pour être bien, il loge chez nous, on le protège, on lui paye son CAP etc, etc…

– Il voudrait te parler, il n’y arrive pas !

Carlos devient tout calme, tout mal à l’aise, comme s’il sortait son habit de méchant, de père autoritaire.

– Mais qu’il est stupide ce Manuel, je peux tout entendre, je le sais très bien ce qu’il a à me dire.

– Tu penses à quoi ?

– Que je n’aurai jamais un petit fils pour reprendre la boutique, qu’il ne jouera jamais au Réal et que je vais devoir manger avec son petit copain.

-Tu savais ?

– Bien sûr que je sais mais cela me chamboule un peu.

– Tu sais, il va être heureux que tu lui parles. Aujourd’hui, il est vraiment mal.

– Mais qu’il est bête, ce Manu, je l’invite avec toi ce soir (au diable le chantier) avec son copain et il verra bien qui est Don Carlos !

 

Le repas dans le restaurant espagnol fut fabuleux : sangria, paella et coming-out !

 

 

 

17 Sep

L’amour d’une mère

mustachC’est un véritable couple Georgette et Françoise. Georgette, la maman, c’est tablier nylon, bigoudis et cigarettes Gitane sans filtre. Françoise c’est une femme de 40 ans, cheveux courts poivre et sel toujours habillée de la même façon : pantalon flanelle grise trop grand, pull-over gris et chemise écossaise type bucheron canadien.

Elle vivent ensemble, vingt quatre sur vingt quatre, il n’y a pas d’homme dans leur vie. Georgette travaillait à la Caf. Elle est en invalidité pour insuffisance respiratoire. C’est vrai qu’elle a un sponsor perpétuel de la marque Gitane (sans filtre).

Françoise, c’est un mystère ! Elle ne travaille pas, a consulté et a fait plusieurs stages en milieu psychiatrique mais peut discuter et avoir un raisonnement logique .

Quand je vais chez elles, il faut que je traverse un rideau de fumée pour me rendre dans la cuisine, lieu unique de vie des deux complices. La toile cirée est de rigueur, les cendriers pleins et les assiettes de la veille non débarrassées. On me propose toujours un café, un café à l’italienne dans le petit récipient adapté.

Le refus de ma part c’est un affront: «Fanfan, elle fait si bien le kawa, c’est d’ailleurs tout ce qu’elle fait cette fainéante!»

J’essaie de savoir pourquoi Fanfan ne travaille pas, pourquoi elle est étiquetée, comme dit sa mère, »neuneu ».

Elles collectionnent les Télé Sept jours, elles font tous les mots fléchés, elles découpent les photos de Michel Drucker et les rangent dans une chemise en plastique. Elles ne se plaignent jamais, elles vont faire les courses une fois par semaine avec la voisine. Elles ont leur vie et elles sont bien.

Ce jour là, Georgette m’appelle tôt :

« Fanfan ne veut pas se lever ce matin, passe la gronder, c’est le jour de Carrefour!!

– Mais elle est malade?

– Elle dit qu’elle ne peut plus marcher qu’elle a sûrement de l’artérite aiguë.»

J’arrive en me disant que c’est sûrement un petit blocage psy habituel chez Fanfan quand elle n’a pas eu son émission tv ou que sa mère lui a diminué sa dose de cigarettes.

Je perfore l’écran de fumée, je me retrouve dans la cuisine pour discuter avec Georgette.

« Antoine, elle ne tourne pas rond, elle fait caprice sur caprice elle ne veut pas se laver (on dirait qu’elle discute de son bébé de 10 mois).

En rentrant dans la chambre, c’est un champ de ruine ! Fanfan pleure, les murs aux papiers peints déchirés sont vieillis et on retrouve les motifs que toutes les petites filles ont eu dans l’enfance. Le poupon aux yeux très bleus repose sur la table, le petit singe kiki qui suce son pouce est sur l’oreiller. Le temps s’est arrêté depuis 37 ans.

« Alors Fanfan, tu ne veux pas te lever?

– Non, j’ai mal aux jambes ! »

Rien qu’en passant une petite dizaine de minutes avec elle, en lui parlant de tout et surtout de rien, Fanfan s’est levée et m’a fait son petit café habituel. Preuve de ce trouble hystérique que Sigmund n’aurait pas démenti.

C’est quand même un mystère et mon esprit d’enquêteur est très déçu de ne pas le percer.

Pendant au moins un an, sans raison, (tous les examens médicaux sont négatifs) Fanfan a marché avec des béquilles. Elle vient maintenant me voir au cabinet toujours accompagnée de sa maman. Je ne l’ai jamais vue seule. On dirait que Georgette a peur de la laisser discuter seule avec moi. Pourtant je vois bien que Fanfan est une adulte handicapée. Hystérique ? Névrotique ? Psychotique ? Quel est le rôle de Georgette, elle la protège, la traite comme un bébé, l’enfantilise.

Je conseille à Fanfan de faire un peu de kiné. Je lui suggère un ami, un homme atypique, un landais pur souche qui sent bon la résine et le pin de sa région.

Il la voit deux fois par semaine, il s’occupe d’elle la masse, l’étire, lui parle. Sa maman l’accompagne, regarde les séances et me fait toujours un petit rapport. On a bien travaillé. Fanfan marche toujours avec ses béquilles mais bouge mieux. Ce jour là, je luis dis :

«Bon Fanfan, tu vas te dire que tu as deux vraies béquilles, Jeannot le kiné et moi ton médecin. Tu me laisses les autres et tu pars en marchant, voire en courant. « Cours Fanfan, cours Fanfan, cours ! » La similitude avec notre bon Forrest s’est vite confirmée, Fanfan n’a plus jamais marché avec des béquilles !

Et puis, un jour est arrivé le tsunami d’une vie, de sa vie !

Fanfan a un vilain bouton sous son oreille. J’ai beau essayé de le percer, il faut une petite intervention chirurgicale sous anesthésie.

Georgette est contre, elle est en colère contre moi: «Fanfan ne va pas supporter d’être seule. Il faut que tu t’en occupes toi, et toi seul ! »

Son infection grandit, sa boule comme une noisette au début devient une grosse pêche. Je passe un coup de téléphone à un ami chirurgien et lui demande d’opérer Fanfan en ambulatoire. Georgette ne répond plus. Elle est enfermée dans sa cuisine, fume, fume ses Gitanes et souffre en silence.

Le jour de l’opération je suis venu voir Fanfan dans sa chambre juste avant l’opération. Sa seule question :

«Je reste habillée pendant l’intervention? S’il ne faut pas, je n’y vais pas ! »

Que se passe t’il dans cette tête ? Trop de pudeur ? Reviviscence d’une violence sexuelle enfantine ? Je pense à tout. Son blocage, son coté border-line est-il en rapport avec cette pudeur exacerbée ?

Je ne suis pas allé à l’opération de Fanfan (je lui ai promis). Deux heures plus tard, le chirurgien m’appelle.

«Ecoute Antoine, je viens de voir un truc que je n’ai jamais vu dans toute ma vie. En voulant faire un sondage urinaire à la patiente, on a été obligé de la déshabiller et nous avons découvert un véritable cas d’hermaphrodisme ! Fanfan a de véritables attributs masculins ! »

Pendant plus de 40 ans, une personne mi-homme, mi-femme ou un peu homme, un peu femme s’est cachée, a été cachée par sa mère. Elle a présenté un trouble de la personnalité qui l’empêche de vivre encore aujourd’hui normalement. Elles ont une petite vie calme tranquille entre toile cirée et Gitanes (sans filtre).

 

 

16 Sep

« Bon chien chasse de race »

fils

Ils sont une petite famille de trois : Jean, Béatrice et leur petit Pierre. Ils sont arrivés à Bordeaux quand le gamin avait deux ans. C’est à ce moment là que je suis devenu leur médecin. Ce sont des gens sympathiques, chaleureux dès leur premier rendez vous. Lui, Jean, travaille chez Renault. Ouvrier modèle, il attend la fin de la semaine avec impatience: il est chasseur! Beatrice, fonctionnaire, arrive à  me faire aimer la cité administrative, et pourtant …

Pierre, depuis que je le soigne, c’est le bébé cadum, c’est le poupon aux yeux noirs rieurs mais parfois obscurs et secrets. C’est l’ado boutonneux que son père taquin appelle « pain aux raisins » (les stigmates de l’acné sur son visage). Aujourd’hui, c’est un jeune adulte sportif mais très timide.

Jean et Béatrice ont protégé, gâté leur fils unique. J’ai le souvenir d’un Noël où je suis venu consulter le petit et de n’avoir pas pu rentrer dans la chambre vu le nombre de cadeaux.

Un dimanche, je suis invité à la chasse avec Jean. Je ne suis pas chasseur mais j’ai envie de connaitre cette atmosphère si particulière.

Le soleil n’est pas encore levé que je me retrouve dans cette vieille maison du Médoc. Pierre nous prépare le café pendant que Jean lustre ses fusils, Béatrice préparant notre casse croute. Je suis surpris que Pierre vienne avec nous.

« Je l’amène toujours,  c’est comme mon labrador, il adore ça, mon Pierrot ! » (Vu la tête de l’enfant, je comprends bien qu’encore une fois, nous, les pères voulons que nos garçons soient comme nous alors que parfois cela serait mieux que nous, nous soyons comme eux. (Désolé, mes fils pour tant de matchs de rugby imposés!!)

Il fait froid, très froid ! Jean a une légère couperose qui fait ressortir des yeux bleus clairs. On pense toujours qu’il va nous donner un nouveau jeu de mot, une boutade dès qu’il nous parle .

Contrairement à lui, Beatrice est timide, réservée, consacre sa vie à s’occuper de son fiston : « n’oublie pas ton cache nez, parle au docteur de ton acné, demande lui ta dispense de sport, il fait trop froid tu ne vas pas aller à la piscine scolaire… »

« Arrête, Madame le Gouvernement, on part taquiner la poule faisane, alors toi, cesse d’être la mère poule.» (en riant lui même de son humour)

– Ok, Ok n’abusez pas du château Palmer ! Docteur, je vous en ai mis une bouteille pour le casse croute.

– Du Palmer???

– Pour notre toubib tout est possible ! »

Pendant cette partie de chasse, je n’ai pas tué un faisan, ni vu un cèpe. J’ai vu un super chasseur même après le Palmer, et par contre j’ai découvert un super ado mais si mal dans sa peau .

Pierre discute avec moi pendant toute la journée. Lui, si timide quand il vient au cabinet, profite d’être seul et me raconte:

« J’en ai marre, Maman me prend pour un bébé, elle vient me chercher au lycée, ne me laisse jamais sortir, m’apporte mon petit déjeuner au lit. Papa, il veut que je sois chasseur et ouvrier chez Renaut. Cela fait six mois que je veux aller voir un dermato, j’ai des taches rouges sur le visage et papa rigole, il dit que je n’ai rien. Mais, regarde, j’ai des plaques sur le front. »

Je regarde son visage et je n’aperçois pas une seule trace rouge. Je m’en sors par une pirouette et je lui dis :

« Viens me voir tout seul mercredi, on verra tout ça.»

Le repas de midi confirme cette impression bizarre. Une maman trop étouffante pour son enfant qu’elle ne veut pas voir grandir, un papa plein d’amour certes, mais un peu immature et un enfant qui se trouve des taches rouges, maigre, triste sans aucun avenir.

Le repas se finit par une séance photo.

J’ai dû poser devant les faisans, accompagné de Pierre et de Jean puis, j’ai pris une photo avec toute la famille, Pierre entouré de se parents.

Le mercredi soir, il est venu me voir comme prévu.

« Regarde Doc, je suis couvert de plaques rouges, là tu vas pas dire comme maman et papa que je n’ai rien? »

– Ecoute Pierre, je ne vois pas pour l’instant mais je te crois, tu as peut être des éruptions fugaces ?

– Tu as un miroir ?

– Oui.

– Il le saisit et presque en colère il me dit :

– Et ça c’est pas une plaque rouge violacée! (il n’a rien du tout !)

Je lui ai, comme un nul, prescrit une pommade hydratante en lui certifiant que j’allais trouver une solution rapide.

Le diagnostic, en fait, je trouve le jour même : c’est un cas d’érytrophobie :crainte de rougir en public souvent cachant un mal-être, une névrose. A voir ce Pierrot si malheureux, si seul et pourtant si entouré, je décide de passer le soir amener les belles photos de chasse que j’ai prises et  essayer de parler de mon avis dermatologique.

Je trie les photos avant de partir et je m’arrête sur le portrait de famille que j’avais fait. Pierre sourit et tient ses parents hilares par le cou.

C’est en voulant recadrer que je viens de découvrir quelque chose de dingue, de fou. Beatrice, Jean ont les yeux bleus clair, Pierre noirs comme le charbon!!

Ce n’est pas possible génétiquement ! Pierre n’est pas le fils de Jean, il est … adopté !

Que faire, moi simple médecin ?

Cette découverte peut changer la vie de Pierre si il n’est pas au courant. Pourquoi, quand il était petit, ses parents ne m’ont-ils rien dit ?

Peut être que Béatrice a eu un enfant avec un autre homme et n’a jamais parlé de son aventure à Jean ? Peut être que Jean est au courant ?

Je suis perdu ! Je me demande si mon rôle n’est pas tout simplement de rester à ma place, de soigner une érythrophobie, un point c’est tout !

Pendant des mois je ne dis rien, je soigne Pierre. La crème hydratante semble efficace mais sa tristesse est toujours visible. Il enchaine les échecs scolaires et les parties de chasse forcées, enveloppé de son cache nez tricoté par maman.

Un jour, il vient me voir, seul pour une fois. Il est encore plus maigre, les traits tirés, les yeux rougis.

« Doc, je veux avoir l’adresse d’un psy. Je ne suis pas bien dans ma tête, ça ne tourne pas très rond.»

Je ne sais pas si je dois ou pas lui avouer ma découverte. Je tente une petite phrase anodine

« C’est en rapport avec tes parents ? »

Pierre éclate en sanglots.

«Mes parents ne sont pas mes parents. Je suis adopté et ils n’ont même pas le courage de me le dire. Je suis perdu, je n’ai pas de passé, je n’ai pas de famille, je suis rien.

– Comment tu as découvert cela ?

– Ne me prends pas toi aussi pour un idiot, tu le sais très bien ! Ils ont les yeux bleus, et moi plus noirs que noir !!

– Tu sais, Pierre, ce qui compte ce n’est pas d’avoir eu des géniteurs absents mais c’est d’avoir reçu de l’amour et ça, tu ne peux pas dire que tu n’en as a pas eu.

– Mais pourquoi, pourquoi ils ne me l’ont pas dit ? Je pouvais tout comprendre, maintenant c’est trop tard. »

Pierre a consulté pendant 3 ans un très bon thérapeute, ne s’est jamais fâché avec ses parents. Il a réussi à leur parler.

Aujourd’hui, septembre 2013, c’est l’ouverture de la chasse Tom, le fils de Pierre accompagne Jean, son grand-père.

 

 

 

12 Sep

La vie, rien que la vie !

baby2

Elle a pris l’habitude de m’amener une petite bouteille de rhum arrangé au gingembre. Je ne sais quelles sont les vertus de ce breuvage mais… que c’est bon!

C’est une petite perle noire arrivée de son Afrique natale, elle est auréolée de pleins de diplômes. Elle vient tenter sa chance à Bordeaux. Elle prend la vie toujours en souriant. Les recherches de travail sont difficiles. Elle s’aperçoit très vite que parfois la couleur de la peau ne facilite pas la tâche mais son enthousiasme est débordant. Elle ne perd jamais confiance et vient me voir souvent pour un petit rhume, une migraine mais jamais pour une déprime, une angoisse. Elle a cette naïveté naturelle qui lui permet d’assumer son « hic et nunc », son ici et maintenant, sa soif de vivre. C’est sûrement cette force qui un jour a dû impressionner un DRH.

Apolline est embauchée dans une super boite ! Elle arrive à mon cabinet non pas avec une petite flasque de Rhum arrangé mais un Magnum ! Elle veut fêter ça.

Son travail se passe bien, elle monte en grade, tout le monde se réjouit d’avoir une telle collaboratrice, une telle amie, une telle patiente. Même quand elle n’est pas malade, elle me passe un petit coup de téléphone :

«  Allo doc, je ne suis pas malade mais j’avais juste envie de vous faire un petit coucou. »

Son petit accent me réchauffe le coeur comme si j’étais sur une plage africaine et me donne le moral pour toute l’après-midi.

Elle habite un petit appartement en plein centre de Bordeaux. Pour une fois elle n’est pas venue au cabinet. Elle m’appelle pour une visite à domicile. Elle a de la fièvre et sa crainte c’est de manquer  son travail.

« Doc, tu me donnes tout ce que tu veux, vitamines, piqures, solution de marabout mais je veux aller au bureau ! »

Apolline est dans sa chambre. Tout est bien rangé, décoré avec les moyens du bord mais avec goût.

Vu les tremblements décrits,  je crains une poussée de paludisme. Je fais de suite une prise de sang et, je ne sais pourquoi, demande un bilan complet avec toutes les sérologies virales possibles.

Deux jours plus tard, elle arrive à mon cabinet avec des petits beignets qu’elle m’a préparés pour commenter ses analyses. Je les découvre avec elle, venant juste de les recevoir par fax.

J’ai l’habitude de les regarder très vite mais là, comme un signe du destin, je commence par la fin. Mes yeux encore secs s’arrêtent sur les virologies : pas de palu, pas d’hépatites et … séro VIH positive !

J’ai devant moi une jeune femme belle qui n’est que sourire, grâce et gentillesse, qui scrute la moindre des réactions dans mon regard. C’est affreux, un cauchemar !  Il faut que je lui annonce que sa vie est en train de basculer, qu’une saleté de virus va enlever de son visage cette pureté et changer tout son avenir.

«  Il y a un problème, Doc?

– Oui,  il faut vérifier un résultat qui ne me plaît pas.

– J’ai le palu ?

– Non, c’est plus grave !

– Non Doc, j’ai pas le sida !

– Il faut refaire les analyses, il y a peut être une erreur. »

Ma réponse est nulle mais je suis désemparé. Je ne sais pas quoi dire, je me lève, lui prends la main. Je n’ai plus les yeux secs. C’est elle qui me réconforte.

« T’inquiètes pas Doc, on va me soigner. Dis moi, comment j’ai pu avoir le virus je n’ai jamais couché avec un garçon ? »

Cette question me permet de revenir à mon rôle de médecin et non pas d’éponge émotionnelle.

« Tu as eu des tatouages? tu t’es droguée ?

– Non rien, tu sais je suis quelqu’un de bien Doc !

– Tu as été opérée?

– Oui, à Abidjan, quand je me suis cassée la jambe avec l’accident du camion.

– Tu as eu une transfusion?

– Oui. »

Je viens alors de comprendre la contamination. Je la regarde devant moi au lieu d’éclater en sanglot, elle me dit :

« On va pouvoir en boire de notre rhum, hein doc ?

Pendant des mois, Apolline a fréquenté tous les services. Elle n’a jamais eut un arrêt de travail, elle a même voulu être hospitalisée pendant des vacances pour commencer sa tri- thérapie. Elle accepte tout avec dignité et courage.

Ses visites sont mensuelles. Ce jour-là, elle ne vient pas toute seule, elle est avec François.

«  Doc, je te présente Francois. (Elle est resplendissante dans sa robe fuchsia. Son sourire, ses boules noires éclairent mon bureau.)

« Mais quelle bonne nouvelle, mon Apolline amoureuse! »

François, c’est le gentil garçon. Il  travaille à la Poste. Il lui tient la main juste un peu intimidé mais tellement amoureux.

« On va se marier Doc, tu veux venir ? »

Tout est surréaliste. Ils ont l’air si heureux, si bien ensemble que l’on oublie le plus terrible, cette saleté de microbe. Leur insouciance me touche. Je n’ose parler de ce qui me tracasse … ils n’auront jamais d’enfant !

Apolline me connaît par coeur, elle me regarde fixement et me lance d’un ton gouailleur :

« Et  ne me dis pas que nous n’aurons pas d’enfant, tu me connais Doc quand Apolline veut quelque chose, elle l’ a !

Le marathon d’une vie, Apolline a traversé toutes les embûches pendant dix ans et, tel le soldat grec, réalisa le plus bel exploit.

« Doc, (me présentant un papier) les petits pieds sont là.  J’attends un bébé ! »

Miracle de la médecine, de la science, Gaïa est née ce matin 9 août 2013, jour de la saint AMOUR.

 

 

 

 

09 Sep

Superhéros

 spiderman2Gabin a dix ans, tout frisé, les cheveux qui n’ont pas vu un peigne depuis 8 ans ! Pas des yeux,  des pépites noires qui ne sont qu’espièglerie et coquinerie. Je le soigne depuis sa naissance, il est fils unique. Léo, son papa, c’est le baba cool sportif qui court les semi marathons et qui écoute The Cure dans son Ipod. Mathilde, la maman, n’a  pas retrouvé sa brosse à cheveux  depuis ses 15 ans. Elle fume des roulées et travaille comme animatrice chez les personnes âgées. Depuis quelques temps, Gabin ne fait que des bêtises. Il est puni à l’école, a volé de l’argent à ses parents et refuse de jouer au rugby, lui qui adore le sport .

Mathilde arrive aujourd’hui car elle est à bout entre son travail, les footings de son mari et Gabin qui accumule les sottises. Elle ne dort plus, ne mange plus : elle déprime !

Nous discutons sur cette mauvaise passe et je lui explique que c’est souvent fréquent et qu’un petit break avec son mari, Gabin chez les grands-parents, arrange bien ce genre de situation.

Quelques mois plus tard, Leo vient avec Gabin. Il fait pipi au lit ! Dans ce cas là, souvent je passe un contrat avec l’enfant, je promets un Spiderman si le pipi s’arrête et le résultat est très vite positif. Je me demande souvent si cette énurésie ne cache pas un petit problème et je désire voir l’enfant tout seul.

Gabin est là devant moi. Il ne dit rien. Lui, si bavard habituellement, il me répète seulement que tout va bien. Comme un enfant curieux, il me demande de jouer avec mon ordinateur et je lui explique que, pendant ce temps, je vais discuter avec ses parents les termes du contrat « Spiderman ». En partant, je lui laisse un petit papier avec mon numéro de portable et je lui dis:

 » C’est un numéro secret si tu as besoin … »

Gabin me lance un clin d’oeil complice et reprend son sourire qu’une petite fossette coquine souligne.

Il n’a pas fallu attendre longtemps pour qu’il l’utilise. Le soir, à 21 heures, Gabin m’appelle avec une voix sourde (on dirait qu’il est caché dans un placard).

 » Il faut que je te parle seul à seul sans mes parents derrière la porte !

– (surpris) D’accord mais comment puis-je faire?

–  Viens mercredi matin, je reste seul de 9h à 10h. Viens dans ma maison.

– Ok, sans problème, je serais là. »

Le mercredi, 9 heures précises, je rentre dans cette petite échoppe, où la table à repasser est recouverte d’un grand nombre de vêtements que Mathilde n’a pas eu le temps de ranger.

Gabin regarde la télé et vient m’accueillir.

Comme un adulte, il me dit un  » bonjour Doc, je te fais un café ? »

Je trouve la scène hallucinante. Un gamin de 8 ans  me reçoit en cachette, me propose de m’offrir un café et s’assoit face à moi en croisant les jambes et en me disant :

 » Doc, il faut que je te parle.

– Vas-y.

– Voilà, je sais que c’est pas bien mais j’ai emprunté le téléphone de papa pour jouer à un jeu et j’ai regardé ses sms.

– Et alors ?

– Papa a une copine ! » Gabin se met à éclater en sanglots.

J’essaie de le consoler et, avec une énorme détermination, il redevient le simili adulte de tout à l’heure.

 » J’ai un plan!

– Un plan?

– Oui, tu connais sa copine, tu la soignes. Il faut que tu lui parles ! Dis lui que c’est pas bien et qu’un petit garçon est très malheureux. Si jamais mes parents divorcent,  je ne le supporterai pas, j’irai vivre chez Papi et Mamie.

Je suis interloqué ! Je lui demande comment il sait que je la soigne ?

 » J’ai regardé ton ordi pendant que tu parlais à Papa et des Véronique le Guennec il n’y en a pas des tonnes ! »

Je résume : un gamin de huit ans me reçoit en adulte, m’apprend que son père à une maitresse dont je suis le médecin, chose qu’il a découvert en piratant mon PC et me demande de régler le problème !

Mon pauvre Antoine, tu es dans une belle situation ! Le serment d’ Hippocrate m’interdit de m’ immiscer dans la vie privée des familles mais là j’ai bien envie d’ oublier cette obligation, tant je suis touché par ce petit Gabin.

 » Bon, promis je vais essayer mais c’est un secret, tu n’en parles à personne ! »

Comment vais-je  faire ? Je ne connais pas bien Véronique le Guennec. Je ne peux l’appeler pour lui dire :  » Bonjour, voilà arrêtez d’être la maitresse de Léo ! »

ou alors innocemment :  » Vous connaissez Léo et Gabin ? »

Non, impossible, je ne suis pas Brigite Lahaye, je suis médecin généraliste.

Pendant toute la journée, je n’ai pas arrêté de penser à Gabin, à sa détresse,  à son scénario  » SOS sauvez ma famille « . La nuit  je ne trouve pas le sommeil et au réveil… miracle ! J’ai une idée !

J’appelle Léo et lui suggère de venir au cabinet pour discuter de Gabin et de son fameux pipi au lit .

Toujours aussi baba coolou plutôt bobo, Léo rentre dans mon bureau encore essoufflé d’un footing matinal. Je rentre de suite dans le vif du sujet.

 » Je suis inquiet, je ne trouve pas Gabin en forme. Il est très angoissé, il a peur de tout, et entre autres que vous divorciez avec Mathilde. Ca va bien en ce moment tous les deux ? »

Léo habituellement si décontracté, paraît tout surpris, gêné, emprunté  et, avec un sourire forcé, me dit :

 » Nous, divorcer ? C’est vrai que c’est tendu un peu en ce moment mais quand même pas divorcer.

– Tendu ?

– C’est pas facile, nous travaillons beaucoup. Mathilde me reproche de faire trop de sport et de ne pas l’aider.

(en complice de la situation)

– Elles sont toutes pareilles et parfois ça finit mal et le mari va voir ailleurs !

Léo est malin et j’avoue que mon discours est un peu lourd …

– Tu sais un truc toi !!!

– (et avec un aplomb énorme) Oui, je t’ai vu avec Vero Le Guennec. Je suis fou ! Si cela se trouve, Gabin a tout inventé et je suis en train de parler d’une bretonne coquine détruisant les foyers girondins !

– Tu n’es pas Doc, tu es doc Columbo !

Ouf, je ne me suis pas trompé. Je n’ai absolument pas donné des conseils à Léo car on ne sait jamais ce qui se passe dans un couple et cela ne me regarde pas. J ‘ai seulement parlé de Gabin et sans jamais,  au grand jamais,  dévoiler le nom de mon indic ! J’explique à Léo que les enfants comprennent tout. Leur monde imaginaire est souvent plus terrible que la dure réalité de la vie.

Léo me parle alors de cette liaison avec la bretonne.

 » C’est la faiblesse d’un homme de 45 ans qui veut se prouver qu’il peut encore séduire.

– Surtout je ne te juge pas Léo.

– Ecoute Doc, tu viens de me réveiller, j’étais dans un état second et je reviens sur terre. »

Gabin m’ a rappelé un jour, un mercredi à neuf heures. Il me fait un petit café, m’annonce qu’il ne fait plus pipi au lit  et que son papa et sa mamans sont très amoureux.

Je lui ai donné son Spiderman …..

 

 

 

30 Août

La petite fille et le monstre

balançoire

 

Si ce plus beau métier du monde me régale tous les jours, il m’arrive parfois de souffrir et d’être écoeuré de la monstruosité de le race humaine. Heureusement, c’est quand même rare.

Une si belle famille ! Un couple aussi beau que gentil, ils ont quatre enfants. Le papa, autodidacte, vient de la campagne langonnaise. Il n’a pas un seul diplôme et à réussi à créer une petite entreprise qui marche fort. La maman, magnifique, s’occupe de ses quatre bambins avec un amour touchant. Je vois grandir, depuis leur naissance, leurs enfants. Ils sont vifs, heureux et sans aucun problème.

Ce soir-là, je suis bien, je finis ma journée en consultant la maman, Chloé et sa petite dernière Julie, 7 ans. Elle présente des plaques d’eczéma sur tout le corps.

Mon premier avis intuitif est une réaction type allergique. Julie est belle dans sa petite robe bleue. Elle a un sourire forcé que j’interprète comme une timidité ou peut être comme la peur de recevoir un nouveau vaccin.

Chloé est inquiète car elle est, elle même, très allergique et espère ne pas avoir pas transmis cette pathologie à sa petite chérie.

Je vais souvent très vite dans mes consultations mais là, je ne sais pas pourquoi, je veux prendre mon temps. Nous parlons avec Chloé de tout et de rien, de la réussite de son mari, de la rentrée qui approche et des souvenirs des vacances récentes. Je regarde Julie et je la vois ailleurs, dans la lune, triste.

Je reprends mon costume de clown et je raconte une bêtise afin de faire rire la maman et surtout Julie. Elle me regarde en esquissant un petit rictus en se disant sûrement qu’il est bête ce docteur qui se met l’otoscope dans la bouche en guise de trompette.

Je sens un malaise mais je n’arrive pas à savoir lequel. Je questionne Chloé pour savoir si la rentrée prochaine n’inquiète pas Julie.

Elle me répond, surprise de mon interrogation, que sa fille adore l’école et qu’il lui tarde de retrouver ses amies, que son cartable rose Hello Kitty à roulettes est déjà prêt.

La prescription de pommade sur les rougeurs et un antiallergique conclue ma consultation mais me laisse interrogatif…

Il n’a pas fallu attendre longtemps pour que le papa, cette fois, m’amène Julie. La rentrée vient d’avoir lieu et elle ne va pas mieux. Les plaques grandissent et Julie n’est plus la même. C’est une enfant joueuse respirant la joie de vivre, un peu espiègle, un peu timide. Et la voilà triste, plus de sourire dans son regard.

Je commence à poser des questions au papa qui ne semble pas préoccupé par ce changement d’attitude de sa fille. Il rit même de cette hérédité maternelle allergique en proposant à Julie avec humour de porter plainte contre sa mère !

Le soir, en rentrant chez moi, je suis perplexe, inquiet. Le sommeil est dur à trouver. Dois- je me faire aider par un dermato ? Dois- je en parler à un confrère ?

Normalement avec corticoide et anti histaminique elle aurait dû guérir. Mais ce qui me préoccupe le plus c’est la tristesse de son regard.

Y a t’il un problème à l’école, une maitresse un peu ferme ? Un petit copain méchant ? Les repas à la cantine ! Voilà, c’est peut être ça ! Elle n’a pas l’habitude et ce n’est pas la bonne nourriture de maman !

Un mois sans nouvelle. Par hasard, je rencontre Chloé dans la rue.

 » Comment va notre Juju ?

– Pas le top,  toujours ses plaques et elle a perdue 2kg !

– Amène-la demain,  je vais lui parler. »

Pour prendre tout mon temps je lui donne rendez vous vers 19 heures. Le papa, la maman, Julie sont là, beaux, inquiets et scrutent mon regard, mes gestes comme si je devais perçer l’énigme des plaques.

La conversation part un peu dans tous les sens et je me focalise sur l’école, la cantine et rien ne se débloque.

Alors, je pense au dessin. Les enfants disent beaucoup de choses par le dessin. Je lui demande de me dessiner sa famille.

Julie sourit et semble heureuse de ma requête. Je lui donne des feutres de toutes les couleurs et une feuille blanche. Elle prend le feutre rouge et commence à faire des petits personnages. Elle en fait six. Par ordre décroissant du plus grand au plus petit. Sous chaque elle met une initiale pour signifier papa, maman et ses frères et soeur. Ils se donnent tous la main sauf le dernier qui est à part tout petit et, soudain, elle change de feutre et le dessine en noir.

 » C’est qui ça ? dis-je, en lui montrant le petit coloré en noir

– Ben, c’est moi.

– Pourquoi tu ne tiens pas la main de ta soeur ? Pourquoi tu t’es coloriée en noir ?

Je n’ai pas de réponse, je n’ai qu’une larme qui coule lentement sur la petite fossette de sa joue.

Je suis bouleversé. Je ne sais pas comment dire aux parents que je dois parler à Julie seul. Mais j’ose et je parle à Julie en lui disant:

 » Tu as sûrement un secret à me dire, on va discuter tous les deux. »

Les parents sortent et je me retrouve en face de Julie. En fait pas en face,  je fais le tour du bureau, je la prends sur mes genoux. Elle pleure, discrètement, pudiquement.

 » Alors, ce secret?

– Je ne veux plus aller chez Papi et Mami à Langon. (Elle y va tous les mercredis)

– Oh, mon coeur,  c’est ça ton problème ? Mais c’est pas grave, je vais en parler à Papa et Maman et je vais arranger ça. Pourquoi tu ne veux plus y aller?

– Eux, ils sont gentils mais j’aime pas tonton Pierrot.

– Pourquoi ?

– Je peux pas le dire, c’est pas bien.

Je ne peux encore aujourd’hui écrire ce que Julie m’a raconté et le traumatisme qu’elle a vécu. Heureusement que l’amour, l’équilibre de ses parents ont permis de reconstruire cette petite merveille. Ils ont réussi à sauver leur enfant d’un monstre que la justice a puni si peu…

12 Juillet 2013,  Juju vient d’avoir le bac et est venue me présenter son petit fiancé.

 

22 Août

Un petit miracle

 

bébé

Mes journées se remplissent. Si je ne fais pas de visite, je vais faire mes courses et change tous les jours de boulanger, de boucher, et à chaque fois, je discute, je raconte mon installation, ma disponibilité 24/24 je donne mon numéro de télèphone personnel, mon adresse, tout, je donne tout! J’aime trop mon travail, j’aime les gens, j’aime aider, soigner, j’aime parler, j’aime démarrer fort. Je Je prends des gardes à tous les autres médecins bien contents de laisser les week-ends aux petits jeunes.

J’ai accepté la garde du 1er janvier ! Le premier appel à 7h ! Jusque-là rien de spécial, une gastro chez une jeune femme, elle a mal au ventre. Lendemain du réveillon, j’imagine bien le tableau …

C’est la voisine qui m’ouvre la porte de ce minuscule appartement du centre-ville. Il fait froid et le décor ambiant me rappelle mes années étudiantes. Christine est dans son lit et s’excuse du bazar ambiant. Je ne regarde rien sur les conseils de mon vieux pote Hippocrate, par contre je remarque les traits tirés de la patiente : elle souffre ! Elle m’explique que son mari militaire est en mission a Djibouti et que, comme je le suppose, ce n’est pas le réveillon festif qui provoque ce mal au ventre et ses vomissements mais une belle diarrhée. Soulevant les draps, elle est très gênée, elle m’explique honteuse qu’elle vient d’ avoir une petite fuite. Poussé par foi de sauveur, je lui explique que cela n’est pas grave mais je suis surpris par l’allure de la petite fuite. Elle est sanguinolente et la palpation du ventre est difficile car Christine présente une surcharge pondérale. J’examine et je dois faire un examen gynéco (ce n’est pas ma grande spécialité, je l’avoue) mais là, ma surprise fut totale : des cheveux, oui des cheveux sous mes doigts : Christine est en train d’accoucher!

C’est dingue, c’est fou ! Je lui demande si elle savait qu’elle est enceinte et elle ne le sait pas du tout, c’est un choc énorme. La tête est engagée ! Elle pleure, elle rit, pense à son mari qui est parti il y a trois mois et qui va revenir dimanche. Il a quitté sa femme seule et va se retrouver papa ! J’appelle le Samu de suite mais le médecin régulateur m’annonce qu’il ne peut pas envoyer une antenne avant 45 mn! Aucune ambulance libre ! Soit je l’accouche là dans ce petit studio, soit je l’emporte dans ma petite Ford Ka.

Il faut agir vite. J’amène la voisine et Christine et direction la maternité. Je préviens l’obstétricien de garde et je fonce …. J’ai bêtement la main sur le bas ventre comme si je retenais la tête du bébé. A l’arrivée un brancard nous attend et l’expulsion se passe juste à l ‘entrée du bloc. Je suis là, je souris, je pleure, je tremble. Christine me regarde, elle est anéantie, heureuse, paniquée, et me demande:

 » Comment vous vous appelez docteur ?

– Mareilhac, docteur Mareilhac.

– Non, votre prénom ?

– Antoine !

– Alors, il s’appellera Antoine !! Je vous demande juste d’être là dimanche quand mon mari reviendra ».

La suite est belle : le militaire arrive au studio ce dimanche de janvier. Il fait beau, le soleil illumine le séjour bien rangé, un petit couffin bleu pale est posé sur la table et, quand la porte s’ouvre, Christine, Antoine dans ses bras, se précipite dans ceux du soldat en lui chuchotant en pleurant « c’est ton fils mon Chéri ! Joyeux Noel ! »

Je vous promets que ce jour-là j’ai vécu le moment le plus émouvant de ma vie.