01 Sep

Jean-François Leroy : « La presse n’est plus le seul revenu des photojournalistes »

Jean-François Leroy, Directeur Général du festival Visa pour l'image © Jean-Louis Fernandez

Jean-François Leroy, Directeur Général du festival Visa pour l’image © Jean-Louis Fernandez

Années après années, Jean-François Leroy, le directeur fondateur du festival Visa pour l’image, ne perd pas de son franc-parler. Absence d’exposition du World Press Photo, arrivée du Centre de international de photojournalisme de Perpignan, il revient sur l’actualité chargée du festival.

Dans votre édito, vous dites que la nouvelle génération de photojournalistes doit trouver d’autres débouchés que la presse. Sans la presse, est-ce que l’intérêt du métier est le même ?

Jean-François Leroy : « Les photojournalistes sont confrontés à un relatif désintérêt de la presse. Tout le monde rêve évidemment d’une double page dans le New York Times ou dans Match. La presse reste la quête du Graal mais des journaux paient une demi-page entre 60€ et 80€. Il faut donc trouver d’autres moyens de vivre. »

Comment fait-on pour s’en sortir quand on est un jeune photojournaliste ? Internet ?

Jean-François Leroy : « Il faut avoir un papa très riche… Sans blaguer, Internet ne génère pas de revenus. Il nous faudrait le Steve Jobs du photojournalisme. Il y a 15-20 ans tout le monde piratait sa musique. Il est arrivé avec son idée magnifique d’iTunes et, aujourd’hui, pirater n’a plus beaucoup d’intérêt. En photo, ça n’existe pas encore. Je crois que les jeunes photojournalistes ont compris que la presse ne serait plus leur seule source de revenus. Ils se tournent vers le corporate, l’institutionnel et l’humanitaire. Pour les aider, à Visa, on a créé des prix. Nous distribuons plus de 133 000€ de prix cette année. »

Vous avez donné la priorité aux photographes qui travaillent dans leur propre pays. Le marché ne se rétrécit-il pas un peu plus pour les Européens ?

Jean-François Leroy : « Exposer des photographes locaux n’est pas nouveau. J’ai fait venir des Palestiniens en 1994 ou 1995 qui travaillaient sur le Moyen-Orient. Je ne pense pas qu’une rédaction quelconque prenne le risque d’envoyer un photographe en Somalie sur un terrain qu’il ne connait pas. Le photographe local sait jusqu’où il pourrait aller, quels risques il peut prendre. Et ça coûte beaucoup moins cher aux éditeurs. Mais il ne faudrait pas que les photographes locaux nous fassent perdre le regard décalé des photographes extérieurs. »

On publie aujourd’hui des photos amateurs. Est-ce que le métier est menacé ?

Jean-François Leroy : « Dans chaque exposition, on raconte une histoire. Un amateur ne me raconte pas d’histoire. C’est de la photo d’illustration, pas du reportage. Si une bombe pète là, un amateur sera présent avant un professionnel. Ça s’appelle un hasard. Le rôle du photojournaliste est d’être le deuxième sur le lieu et de me montrer un autre regard qui me fait comprendre les conséquences de la photo numéro un.

Les travaux du Centre international de photojournalisme devraient débuter à l’automne. Quelle est l’ambition de cet espace ?

Jean-François Leroy : « Cela fait six mois que l’on porte ce projet (…) L’idée est de disposer d’un fonds photographique. Je ne peux pas donner de noms, mais beaucoup de photographes sont intéressés par la gestion de leurs archives par ce Centre. Certains photographes n’ont pas de famille, pas de descendants. Ils nous offrent leurs archives : c’est une reconnaissance du travail que l’on fournit pour eux depuis 27 ans. Ils savent que l’on ne va pas les trahir. »

Comment seront-ils rémunérés ?

Jean-François Leroy : « Il n’est pas question de vendre des archives à des journaux ou de les publier. Elles peuvent être exposées à l’intérieur du Centre. S’ils décident de nous confier des archives, on les rémunère. Visa pour l’Image défend assez les photojournalistes pour ne pas les exploiter et les spolier. »

Il n’y a pas d’exposition du World Press cette année…

Jean-François Leroy : « Je ne parlerai pas du World Press (…) Pour la première fois, je n’exposerai pas le World Press cette année. Leur vision du photojournalisme et la mienne divergent. C’est une séparation à l’amiable. Je ne suis pas d’accord avec leur choix et ils ne sont pas d’accord avec les miens. »

Est-ce-qu’il y a de plus en plus de mise en scène et de retouche dans les photos d’actualité?  

Jean-François Leroy : « Si c’est retoucher des courbes, ça ne me dérange pas mais si vous ajoutez ou retirez quelque chose, ça me dérange. L’année dernière, il y avait des photos manipulées dans l’exposition des Nord-Vietnamiens. Même si on avait prévenu que c’était des photos de propagande, on n’avait pas dit qu’elles étaient manipulées comme ça. J’ai eu l’occasion de m’excuser. En principe, je fais confiance aux photographes que j’expose. »

Beaucoup d’expositions montrent des photos dures…

Jean-François Leroy : « C’est la situation qui est dure. On ne peut pas montrer ce qui se passe en Centrafrique ou au Burundi sans montrer de cadavres. Ce n’est pas possible ! J’ai refusé des photos beaucoup plus violentes. Si vous voulez des photos de petits chats, il ne faut pas venir à Visa pour l’image. On montre le monde tel qu’il est. Quand je m’intéresse au Burundi et à la Centrafrique, je ne peux pas suggérer les morts. Ils sont dans la rue, ça pue. »

LUDOVIC GALTIER & DIMITRI L’HOURS