Andres Kudacki a donné une leçon de photojournalisme à son public dans le cadre des rencontres de Visa pour l’image 2015, mardi matin, au Palais des congrès de Perpignan.
Ne pas aider, ne pas susciter de faux espoirs. Andres Kudacki met un point d’honneur à ne pas influencer les scènes qu’il photographie. « Je leur disais que mon objectif était de témoigner, d’être le plus invisible possible », explique-t-il aux festivaliers de Visa pour l’Image. Il parle là des Espagnols menacés ou victimes d’expulsions et d’expropriations qu’il a suivis, à Madrid, ces trois dernières années. Une manière de traiter la crise financière qui fait l’objet d’une série de photographies dont certaines sont exposées à Visa pour l’image cette année, à l’église des Dominicains.
« Je souhaitais parler de l’intimité de ces familles pour montrer leur attachement à leur maison et la gravité de la perte de leur logement », raconte-t-il. Le photojournaliste se trouve confronté à des situations de détresse, se refusant toujours d’intervenir. Car il tient à être « honnête et sincère» dans ses photographies, à être le plus crédible possible auprès du public « pour que la société puisse croire au travail que je réalise », explique-t-il.
Carmen, El País et Twitter
Le 11 novembre 2014 à l’aube, Andres Kudacki est chez Carmen Martinez Ayuso, 85 ans, lorsqu’elle se fait expulser par la police. Il réalise ses photos en cherchant à se faire oublier quand le chef d’intervention lui envoie un coup de poing pour casser son appareil et l’empêcher d’immortaliser la scène. Raté. Il enverra ses clichés aux différentes agences de presse pour lesquelles il travaille. Le journal El País décide de publier la photo de Carmen et de la partager sur Twitter. A elle seule, elle sera retweetée une dizaine de milliers de fois, et d’autres le seront presqu’autant.
Carmen tiene 85 años y vive con una pensión de 630€ al mes. Hoy ha sido desahuciada en Madrid http://t.co/qGorcLManX pic.twitter.com/PjzqDUpi1I — EL PAÍS (@el_pais) 21 Novembre 2014
« La société s’est mise à parler de l’histoire de Carmen et à se mobiliser. Par la suite, les clubs de football les plus importants de Madrid se sont engagés à reloger Carmen » , raconte Andres Kudacki, regrettant que le gouvernement n’ait pas lui-même réagi. Le photographe argentin n’accable pas pour autant les policiers : « Ce sont les législateurs qui permettent ces expulsions. »
« La société s’est montrée plus humaine, plus sensible aux expulsés. Pour Carmen, nous avons trouvé une solution immédiate. Mais le plus important est que cette histoire a permis de sensibiliser la société espagnole sur le problème du logement. » En la racontant, le photojournaliste change le monde à sa manière : « Même si mon objectif était seulement de témoigner et que je ne pouvais rien faire, je savais également qu’à long terme, le travail que j’ai réalisé pouvait sans doute changer la vie d’un grand nombre de personnes. »
BASTIEN VACHON & CAMILLE HISPARD