01 Sep

Instagram prend du poids dans le photojournalisme

Le compte Instagram du photojournazliste canadien Marcus Bleasdale est suivi par 119.000 internautes.

Le compte Instagram du photojournaliste canadien Marcus Bleasdale est suivi par 119 000 internautes. © Dimitri L’Hours

Avec 300 millions d’utilisateurs et 20 milliards de photos partagées pour la seule année 2014, le réseau social Instagram est aujourd’hui incontournable. A tel point que les photojournalistes s’en emparent eux aussi, même si cela ne leur rapporte rien directement. Pour l’instant au moins.  

Non, Instagram ne sert pas seulement à poster des photos de lolcats, de doigts de pied en éventail au bord de la mer ou de selfies. Les photojournalistes se prennent eux aussi au jeu. Sur les 26 photographes exposés au festival Visa pour l’Image à Perpignan, quatorze font preuve d’une activité régulière sur ce réseau social de partage d’images.

Certains d’entre eux font même figure d’utilisateurs dits « influents » : ainsi, le Canadien Marcus Bleasdale est suivi par une importante communauté de 120 000 utilisateurs, pas très loin devant l’Australien Daniel Berehulak et ses 103 000 abonnés. Désormais, en plus de leurs objectifs traditionnels, ils n’hésitent plus à se servir de leur smartphone lors de leurs reportages. Ainsi, le public peut suivre en temps réel  et gratuitement l’actualité en Centrafrique, en Australie ou au Canada.

 The mother of Eliam Fedangaré, 24, celebrates as he arrives home with his father, Jean Fedangaré. Father and son were abducted by Seleka fighters but managed to escape during an attack. Human Rights Watch’s research on Central African Republic helped propel deployment of peacekeepers by the UN Security Council in September 2014. IMPACT is an exhibition focusing on the collaboration between photography and advocacy. @humanrightswatch has been using photography for many years to increase the power of the message and increase the IMPACT of the work of the researchers in the field. This collaboration has led to some extraordinary results and we would like to celebrate those achievements in this exhibition at #Christies in London this week @thephotographersgallery @natgeo #humanrightshumanwrongs

Une photo publiée par marcus bleasdale (@marcusbleasdale) le

Lauréat du prix Rémi Ochlik l’an dernier à Perpignan, Maxim Dondyuk a profité d’Instagram lors des manifestations de Kiev pour contrer la propagande des camps russes et ukrainiens.

Le réseau social comme stratégie marketing

L’avantage est donc double : tandis que l’internaute lambda profite de ces images pour s’informer de manière fiable et instantanée, le photographe accroît sa notoriété. « Avec Instagram, j’ai trouvé un moyen de renseigner le public sur ce que je suis en train de faire en plein reportage. Avant, je devais attendre d’être rentré pour dévoiler mon travail », expose Sergey Ponomarev, photojournaliste russe pour le New York Times, 24 000 abonnés au compteur. Il va même jusqu’à employer le terme de stratégie marketing pour désigner son activité numérique : « C’est un très bon moyen pour moi de faire connaître mon nom et ce que je fais ».

Et donc de fédérer derrière soi une communauté d’Instagramers parmi les 300 millions d’internautes revendiqués par le réseau à la fin de l’année 2014 (avec une progression de 50 % entre 2013 et 2014). D’autant que sur de nombreux sites Internet fleurissent les « Top » des comptes de photojournalistes à suivre impérativement. « Ceux qui sont à l’aise avec ce moyen de communication peuvent se créer un bon carnet de contacts grâce à ça », commente Giulio Piscitelli. Le photojournaliste italien expose actuellement son travail sur les migrants d’Afrique du Nord à Perpignan.

« Trouver un modèle économique »

Pourtant, ce dernier fait partie des journalistes qui n’utilisent pas du tout cette application en vogue. « Pour l’instant, c’est quelque chose qui ne m’intéresse pas. Je fais un usage limité des réseaux sociaux. Comme tout le monde, je poste des conneries sur Facebook mais je n’ai pas envie de montrer mes projets en cours sur Instagram ou d’autres mediums ». L’Italien ne se montre cependant pas fermé à toute utilisation de la plateforme : « Je m’y mettrai peut-être dans les prochains mois. Le New York Times m’a demandé de poster quelques images sur Instagram lors d’un reportage réalisé pour eux. Je l’ai fait sans trop comprendre encore comment cela fonctionne. Pour l’instant, je préfère envoyer mon travail par mail aux éditeurs, quitte à ce qu’ils choisissent eux-mêmes une photo pour leur compte ».

De fait, beaucoup de photographes restent réticents. Raison principale : l’absence de rémunération sur les images publiées. « Il faut trouver un modèle économique à Internet et pour l’instant, on ne l’a toujours pas fait », analyse le photo-documentariste français Gilles Favier. « Lorsque l’on tape mon nom sur Google Images, on trouve mes photos sur dix-sept pages, parfois reprises sur des blogs sans mon autorisation. Moi, ça me gave ». Autant de reproductions d’images sur lesquelles le professionnel ne touche pas un centime, donc. Même en tant qu’instagramer convaincu, Sergey Ponomarev abonde dans ce sens : « Je ne peux pas non plus poster toutes mes images. Il faut bien que j’en garde pour en vendre ! » Business is business.

Instagram bientôt créateur de contenus : Jean-François Leroy y croit

Une situation qui, selon le directeur de Visa, Jean-François Leroy, ne durera pas. « Instagram et Facebook se sont dotés de directeurs de photographie ces derniers mois. Vous pensez que c’est pourquoi ? », feint-il d’interroger. « Les réseaux sociaux seront bientôt créateurs de contenus, j’en suis convaincu. Ils y seront obligés pour conserver le flux, attirer de la publicité et gagner de l’argent. A ce moment-là, un modèle économique apparaîtra et les photographies publiées par certains seront rémunérées. » De là à ce qu’Instagram participe aux prochaines éditions de Visa pour l’Image ? La perspective ne semble plus à exclure.

Dimitri L’HOURS