Couvrir une guerre, travailler au cœur d’un conflit et affronter le danger. Les aînés l’ont vécu. De jeunes photographes y aspirent. Au risque d’en oublier l’essentiel. La préparation, l’humilité et la maîtrise des techniques de la photo, tout simplement.
Au premier plan, le brassard et la carte de presse accompagnent deux Nikon. À côté, des stylos, un carnet de notes, une lampe de poche Maglite et une brosse à dents. Le tout déborde d’un Domke marron qui semble accuser le poids des ans. Jusqu’ici, l’image illustre (presque trop) bien la panoplie du parfait photoreporter. Au fond, placé derrière un magnétophone, un objet incliné sur une chaise interpelle : une kalachnikov. Elle éclipserait presque l’idée de reportage pour laisser place à la guerre. Au combat.
Patrick Chauvel, puisque cette photo lui appartient, a couvert des dizaines de conflits. Ses aventures ont construit sa légende. Celle dont rêvent aujourd’hui de jeunes photographes. Au risque de tomber dans la caricature.
« Moi, ce que je veux, c’est trouver la petite histoire dans la grande. » Le discours est rôdé et les mots répétés à l’envi. La vingtaine à peine passée, ce photographe a déjà suivi deux guerres. Il a même commencé par ça. « Je voulais faire un reportage sur un conflit », lance-t-il, plein d’aplomb.
« On galère à financer les reportages et à en vivre »
Pas assez préparée, sa première tentative se solde par un échec. Il en faut plus pour éteindre le désir du jeune homme qui y retourne peu de temps après. Malgré son âge, il estime avoir déjà du recul sur sa profession. « Ce qui différencie un amateur d’un professionnel, c’est le choix du sujet et le temps passé à travailler dessus. » Il se range dans la deuxième catégorie, sans hésitation.
Pourtant, ses paroles ne font pas toujours écho à celles de vieux routiers du photoreportage, plus réservés devant les méthodes de la nouvelle génération. « On ne peut pas naviguer d’un conflit à l’autre, être une semaine en Syrie, la suivante en Ukraine, puis partir en Centrafrique. Comment peut-on comprendre la situation d’un pays de cette manière ? Il doit y avoir un travail de fond », se désole l’un d’eux.
Difficile d’entendre ces remarques lorsqu’on « galère à financer les reportages, à avancer les frais, à vendre les sujets et à en vivre », se crispe le jeune photojournaliste.
Un autre reproche démange un « ancien » qui va jusqu’à s’interroger sur l’essence-même du métier dont « l’approche a totalement changé. Quand je vois certains jeunes, j’ai le sentiment qu’il y a un cruel manque de culture photo. Ils oublient trop souvent que l’apprentissage est long. Il faut maîtriser l’appareil avant de se lancer ».
« Être photographe, c’est prendre LA bonne photo »
Notre « néo-professionnel » n’a pas attendu avant de partir. Le besoin « d’être le témoin de ce qui se passe dans le monde » était sans doute trop grand. Alors, entendre dire d’un vieux confrère passé par l’Iran, la Libye, le Liban ou Sarajevo que « ce dont les jeunes rêvent, c’est de partir absolument au front sans être assez préparés », il lève les yeux au ciel. Un soupir lui échappe avant de prendre de longues secondes pour réfléchir. « Quand est-ce que l’on est prêt ? Lorsque l’on a l’expérience. Et pour en avoir, il faut aller sur le terrain. » À chaque question, sa réponse. Même s’il concède que « certains partent trop vite ».
« Quand t’es jeune, tu rêves d’aventure, de voyages », admet-il. Le terrain, la guerre, l’adrénaline… Et la photo dans tout ça ? Son évocation, trop rare dans la conversation, surprend. Comme si elle arrivait au second plan, si le besoin d’assister à la guerre avait pris le pas sur la passion première pour l’image. « Aujourd’hui, avec le numérique, tout le monde est capable de prendre une belle photo mais ce n’est pas ça être photographe, insiste un reporter. Il faut prendre LA bonne photo. »
Pas à n’importe quel prix. Don McCullin, référence ultime en matière de photographie de guerre, assure n’avoir jamais vendu de cliché avec un mort dessus. Le jeune baroudeur, lui, est un peu plus flexible. Mais, devant les demandes « d’images trashs et gores » de certains médias, il a « toujours refusé ». Ouf, l’honneur est sauf.
Malik KEBOUR et Maud COILLARD