08h50. Je passe par le quartier St-Jacques. Une ruelle avec des magasins de bric et de broc. Un homme passe devant moi, avec une broche de poulets cuits. Je passe devant un appartement minuscule en rez-de-chaussée, la porte est ouverte. Je découvre une pièce pratiquement vide : les seuls meubles sont un canapé, une télé et un frigo.
Je sens quelque chose d’intéressant à exploiter ! Je viendrais bien y faire un tour, surtout que c’est à deux pas de l’hôtel Pams où travaille la rédaction.
Pendant la conférence de rédaction, ce matin, j’ai la super idée de faire un reportage sur le quartier Saint-Jacques, quartier gitan de Perpignan. En effet, après avoir vu les différentes expositions du festival, je me dis qu’il serait intéressant de faire un éclairage sur le quotidien très rudimentaire des gitans du quartier, à la manière des reporters dont nous voyons les images à Visa.
Je pars accompagné d’une interprète en langue des signes (je suis sourd). Je suis confiant, malgré les réticences de la rédaction. Je suis à la recherche d’une famille qui accepterait de m’accueillir pour que je partage leur quotidien, quelques heures, comme un vrai journaliste reporter.
Ce matin, l’ambiance est calme, des familles se promènent, le marché fourmille de plein de gens différents, mais les gitans ne sont pas très présents. Je me sens à l’aise dans ce quartier, malgré les articles effrayants que j’avais lu sur internet : « Eviter à tout prix d’habiter dans le quartier Saint-Jacques !!! »
Pour moi, c’est un voyage : à deux rues du centre-ville, des frontières invisibles nous séparent. On se sent dans un autre pays.
Je repère enfin quelques gitanes sur la place du Puig. Les cheveux décolorés, des poussettes de Barbie sur le trottoir, elles discutent au coin d’une rue.
Je les aborde, très assuré. Elles m’accueillent gentiment et après une rapide discussion, elles me donnent très vite leur accord pour un rendez vous aux soirées gitanes ainsi que le lendemain chez elles.
Fastoche, le métier de reporter ! Je reviens assez content de moi et fier de mon idée.
Une deuxième idée formidable – ce matin je fourmille d’idées. Il faudrait emmener quelques gitans voir l’exposition de Sebastian Liste pour recueillir leurs réactions. Et construire un diaporama sonore.
Comme un bon journaliste, je réfléchis à bien angler mon sujet, je pense à une liste de questions à poser et au dispositif à installer avec un autre collègue.
15h30. Finalement personne n’est disponible pour m’accompagner et enregistrer les sonores. Je ne peux plus attendre, je pars sur le terrain avec un appareil photo et l’interprète.
Nous arrivons à Saint-Jacques, l’ambiance est électrique. Nous manquons plusieurs fois de nous faire écraser par des voitures, des scooters. Des jeunes jouent à se battre à coup de pieds et coup de poings. Il y a plein de monde partout.
Je suis content, nous allons trouver nos « clients ».
Nous empruntons les petites ruelles, des détritus jonchent le sol, le linge-sèche aux fenêtres, des jeux pour enfants sont coincés dans les barreaux de fenêtres, des hommes font de la mécanique en plein milieu de la rue, les femmes ont sorti les chaises dehors. Je me sens dans la peau d’un reporter, je suis assez excité.
15h45. Nous croisons un drôle de personnage en pyjama, pieds nus, l’air hagard. L’interprète m’informe qu’il pousse des cris. Je lui fais des sourires pour essayer de l’éloigner et accélère le pas. Je n’ose pas prendre de photos.
Je repère une gitane chez elle, dans un rez-de-chaussée, avec son fils. Je récupère mon objectif et me reconcentre sur mon sujet. Pendant la discussion, l’homme en pyjama surgit et hurle des insanités dans l’oreille de l’interprète, il coupe court à notre discussion. Personne n’a l’air très étonné. La gitane, très gentille au demeurant, ne peut hélas pas nous recevoir chez elle.
Nous rencontrons une jeune maman gitane qui nous dirige vers une autre maman, quelqu’un de sa famille, qui me dirige vers une autre adresse. Je sens que nous nous faisons promener mais je refuse de renoncer.
Nous revoilà sur la place du Puig. De jeunes gitans s’approchent de nous au ralenti et nous encerclent.
Enfin, mon charisme fonctionne et je sens qu’ils veulent nous parler. Ils nous sourient, ils nous demandent si on veut du chocolat ! …
Oh déception ! Je comprends vite qu’il nous faut bouger. Nous reprenons les petites ruelles, je ne veux pas abandonner. Au croisement d’une rue, une vieille dame, une chaise en plastique dressée au dessus d’elle comme pour se défendre. Elle crie sur un énorme pitbull qui se dirige droit sur nous et se met à nous courser à travers les rues.
Il est 16h15, après une course effrénée, je décide d’abandonner ma mission.
On dirait que je ne suis pas fait pour les univers apparemment hostiles. Encore que je sois très reconnaissant à la dame qui a tenté de me protéger du pitbull. J’ai au moins compris que le métier de reporter exigeait un long travail de mise en confiance.
Wallès Kotra (traduit par Sophie Fino)