Julien Goldstein expose pour la seconde fois à Visa pour l’image. A travers un reportage en Turquie, en Irak et en Syrie, il s’est demandé ce qu’il restait du rêve kurde pour un « Grand » Kurdistan enfin autonome.
Comment est née l’idée d’un reportage sur le peuple kurde ?
Un peu au hasard, en fait. Avec le journaliste Olivier Piot, nous réalisions un tout autre reportage sur une minorité chiite en Turquie pour le magazine Géo. Le soir, nous parlions de choses et d’autres. Notre fixeur ne cessait alors d’évoquer “son” Kurdistan. Un peuple sans Etat, réparti entre quatre pays, qui a nourri un grand rêve d’unité. En cinq ans et treize voyages, nous avons donc cherché à voir ce qu’était devenue cette idée de “grand” Kurdistan, dans trois de ces quatre pays puisqu’il nous a été impossible d’obtenir les visas pour nous rendre en Iran.
Ce travail aurait-il était différent sans un rédacteur à vos côtés ?
Je travaille tout le temps avec un journaliste. Travailler en binôme permet de prendre du recul. En revenant le soir, nous discutons du sujet. Quand l’un des deux se perd dans une idée, cela permet de le réorienter. D’ailleurs, j’ai l’habitude de dire que je suis photojournaliste, mais que je suis presque plus journaliste que photographe. La belle image pour la belle image ne m’intéresse pas particulièrement. Pour moi, une belle image est une image qui raconte une histoire. Il y a 35 photos dans cette exposition et chacune apporte une pierre à l’édifice pour raconter cette histoire.
Votre démarche est-elle militante ?
J’ai de la sympathie pour le peuple kurde mais ma démarche n’est pas militante. Oui, c’est un peuple de 40 millions de personnes qui a beaucoup souffert. Oui, c’est un peuple qui a toujours été oublié par l’histoire mais je reste distancié par rapport à cela, je suis journaliste. Si j’étais militant, je ne pourrais pas faire le pas de côté ou le pas en arrière pour regarder aussi ce qui ne va pas chez eux.
Vous sous-entendez une certaine unité du peuple Kurde. Dans cette exposition, pourquoi alors distinguer les photos prises dans les différents pays ?
C’est un peuple, ils ont des points communs, des revendications communes,
mais la réalité est très différente d’un pays à l’autre. En Irak, la région a acquis une certaine autonomie depuis 1992. En Turquie, les Kurdes représentent presque 25% de la population, soit 17 millions de personnes. En Syrie, ils sont beaucoup moins nombreux et divisés en trois « poches ». Ils ont été massacrés par le clan Al-Assad depuis des années. J’avais donc besoin de les différencier d’un pays à l’autre.
« Les Kurdes ont intégré dans leur être profond qu’ils sont des citoyens de seconde zone. » (Julien Goldstein fait référence à un cliché pris lors de la fête de Newroz, en Turquie)
Interview de Julien Goldstein by voir visa pour l’image
Vous semblez plus intéressé par une approche analytique que par l’actualité. Pour quelle raison ?
Je ne suis pas du tout un photographe d’actualité. Je préfère travailler sur des sujets plus longs, bien que cinq ans sur ce projet, ce soit un cas extrême. Que je travaille pour Géo, pour Le Monde, pour le New York Times, je ne travaille jamais sur l’actualité. Même si je suis très admiratif de ceux que le font. Pour être complètement honnête, je ne m’en sens pas capable. Clairement, j’ai peur et l’urgence ne me convient pas. C’est très important que d’autres le fassent. Mais j’ai choisi une autre voie. Je préfère arriver avant ou après un conflit, au moment où les choses sont davantage figées, pour prendre le temps.
Comment voyez-vous le métier de photojournaliste aujourd’hui ?
On a toujours l’habitude de dire que le photojournalisme est en crise. C’est quelque chose que j’ai toujours entendu. Je suis né avec. Je me débrouille avec. C’est quelque chose que j’ai intégré dans ma production photographique. Mais, quand je vois le monde qu’il y a dans les expositions, ce week-end par exemple, ça prouve bien que les gens s’intéressent à ces sujets. Il faut que les patrons de presse arrêtent de nous dire que ça n’intéresse personne. C’est faux ! Il n’y a jamais eu autant de bons photographes. Il n’y a jamais eu autant de bonnes histoires. La crise du photojournalisme n’est pas du côté des photographes mais du côté des médias. Le vrai problème est celui de la diffusion.
Propos recueillis par Thomas Belet et Hugo Daumas
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