«Vers le sud, point n’était besoin de mur de bois ni de pierre : la tour seigneuriale déploie ses ailes dépareillées au sommet d’une falaise abrupte au pied de laquelle coule la Loue. La tranquille rivière continue de lécher l’escarpement rocheux, s’appliquant à dessiner depuis toujours les mêmes boucles vertes sur la terre.»
Avec "Du domaine des murmures", Carole Martinez a remporté le Goncourt des lycéens 2011.
A peine quelques pages tournées, et le lecteur s’engouffre dans cette fable romanesque. Que nous aimions la Loue ou pas, «Du domaine des murmures» est à lire. Son auteur, Carole Martinez, nous emmène dans une histoire à peine croyable de demoiselle emmurée à vie. Esclarmonde vit au XII ième siècle dans le comté de Bourgogne à Hautepierre, là où se faufile encore aujourd’hui la Loue. Au fil des pages, la rivière endosse son rôle de cours d’eau mystérieux où les hommes vont se perdre.
Pourquoi avoir choisi la vallée de la Loue ? Pour ces falaises et sa rivière en contrebas. Carole Martinez n’a jamais mis les pieds dans la vallée ! Tout est imaginaire et pourtant si proche du réel.
J’ai passé un moment délicieux à écouter cette auteur me raconter comment elle était tombée sur la vallée de la Loue. Pour ancrer son château sorti de ses rêveries, Carole Martinez cherchait une forêt escarpée avec rivière en contrebas. Après des heures sur Google Earth, elle finit par chercher dans des guides de varappe… Bingo ! Le charme de la Loue a vite opéré. «Déjà, rien que le nom de la Loue est splendide, m’explique-t-elle. Et puis cette idée de la source de la Loue peinte par Courbet en lien avec l’Origine du monde.. Comme je parle du féminin, cette Loue si féminine me convenait bien, il fallait que je pose mon château là !»
Mouthier Hautepierre, photographié par Jean-Claude Gagnepain.
De fil en aiguille, ce qui au départ ne devait être qu’un chapitre du roman, prend de l’ampleur, embarque Carole Martinez. «Je me laisse surprendre, c’est un peu comme un voyage. Je sais où je veux aller mais ce n’est pas organisé. Je me laisse happer par ce que je rencontre en cours de route». La personnalité d’Esclarmonde, les légendes franc-comtoises de la Dame Verte, du cheval Gauvin, de la jument d’Amaury, de Berthe de Joux, nourrissent l’imaginaire de Carole Martinez. «J’ai inventé comment la fable de la Dame Verte était née, j’aime montrer la force de l’imaginaire populaire. Les histoires qui tiennent ont été inventées par cette force là.» L’écrivain préfère imaginer plutôt que d’être déçue par le réel alors viendra-t-elle arpenter les abords de la Loue ? Des lecteurs lui ont déjà envoyé des photos de Mouthier Hautepierre et elle ne semble pas déçue ! Ses trois prochains romans devraient toujours se passer autour de son château imaginaire de Hautepierre mais cette fois-ci aux XIV ième, XVI ième et XXI ième siècles… C’est promis, si d’ici là, Carole Martinez ose s’aventurer dans le réel, je l’emmènerais flâner au bord de la Loue.
Isabelle Brunnarius